Le pouvoir de sanction des Nations Unies par Iris LETSCHERT

Le Conseil de sécurité des Nations Unies en tant qu’organe chargé du « maintien de la paix et de la sécurité internationale » dispose d’un pouvoir quasi illimité pour sanctionner les Etats qui auraient commis un acte illicite. Les Sanctions imposées jusqu’à ce jour sont de nature multiple et variée. Même si elles ont été adaptées à une communauté internationale en perpétuel changement, ces sanctions peuvent avoir des conséquences néfastes.

En septembre 2009, le Conseil de sécurité des Nations Unies a averti la communauté internationale, et notamment l’Iran, que le refus de négociation autour de sa politique d’armement (programme d’enrichissement d’uranium) pourrait entraîner des sanctions. Si celles-ci sont adoptées, il s’agirait d’une quatrième série de sanctions internationales contre cet Etat et viseraient son secteur pétrolier. Le Conseil de sécurité est l’organe chargé du « maintien de la paix et de la sécurité internationale » selon l’article 24 § 1er de la Charte des nations Unies. Il est l’organe de l’exécutif international et siège de manière permanente à New York. Une séance du Conseil peut donc être convoquée dès le début d’une crise internationale. En outre, ce dernier est compétent pour qualifier des situations de menaces à la paix et d’imposer des sanctions internationales obligatoires en vertu du Chapitre VII de la Charte. La notion de sanction ne renvoie pas nécessairement à une « punition » à proprement dit, mais aussi et surtout comme un moyen de faire cesser un acte illicite. Ainsi, l'imposition de sanctions obligatoires permet d'exercer une pression sur un État afin qu'il se conforme aux objectifs fixés par le Conseil de sécurité sans qu'il soit nécessaire de recourir obligatoirement à la force armée. Pendant la période de la guerre froide, de 1945 à 1990, le Conseil a utilisé à deux reprises son pouvoir de sanction, contre la Rhodésie (1968) puis l'Afrique du Sud (1977). Celles-ci se sont multipliées depuis la disparition du bloc soviétique et la fin de la bipolarisation Est/Ouest des relations internationales. Les années 90 ont ainsi été appelées « la décennie des sanctions ». Pour être efficaces, les sanctions doivent effectivement être mises en œuvre. Le rôle des comités chargés de contrôler leur application et de gérer les exemptions qui peuvent survenir pour des raisons humanitaires, religieuses ou politiques est alors prépondérant. Il convient de s’interroger sur l’origine et la nature particulière du pouvoir de l’ONU en matière de sanctions internationales mais aussi d’étudier les mécanismes par lesquels ces sanctions peuvent être imposées à la communauté internationale. Nous verrons ainsi les types de sanctions qui peuvent être appliqués par les Nations Unies, mais aussi ses insuffisances et ses limites, pour enfin souligner que ce pouvoir s’adapte aux besoins changeants de la communauté internationale.

I Un panel de sanctions prévues par la Charte

L’article 39 constitue la base juridique d’une action du Conseil de sécurité (A) pour accéder aux différentes sanctions prévues aux articles 41 et 42 de la Charte (B).

A L’article 39 : la pierre angulaire du système

L’article 39 de la Charte constitue la disposition centrale qui fonde le pouvoir de sanction du chapitre VII. Cet article indique que le Conseil de sécurité des Nations Unies doit toujours déterminer si une situation donnée représente « une menace contre la paix », « une rupture de la paix » ou un « acte d’agression », avant de pouvoir adopter des mesures coercitives afin de « maintenir » ou « rétablir » la paix, conformément aux articles 41 et 42 de la Charte. Comme il n’existe pas de définition claire et univoque de ces manquements dans le texte, le Conseil use nécessairement de son pouvoir de manière discrétionnaire pour qualifier une situation. Dans la pratique, la majorité des actions coercitives du Conseil ont été basées sur la constatation d’une « menace contre la paix ». Le choix du Conseil de qualifier une situation de « menace contre la paix » est justifié par le fait que cette notion est la plus large des trois précédemment citées. A plusieurs reprises, il a qualifié de la sorte des situations où la menace était issue de conflits internes (Rhodésie du sud en 1966, Afrique du sud en1977, ex-Yougoslavie après son éclatement en 1991, du Rwanda en 1994, de la Somalie en 1992), mais aussi des situations dans lesquelles des Etats ont refusé des demandes d’extradition ou de transferts de leurs ressortissants vers d’autres Etats ( par exemple dans le cas de la Libye en 1992 ou du Soudan en 1996). L’absence de définition claire de la notion permet donc au Conseil de qualifier de « menace contre la paix » des situations de nature très différentes. Dans une déclaration du 31 janvier 1992, celui-ci a d’ailleurs précisé que, par menace, il ne comprenait pas seulement les menaces armées mais aussi « des menaces de nature non militaire à la paix et à la sécurité internationales trouvant leurs sources dans l’instabilité qui existe dans les domaines économiques, social, humanitaires ou écologique » (Doc.NU S/23500.). La qualification d’une situation de « rupture de la paix » s’avère beaucoup moins fréquente. Le Conseil a eu recours à cette qualification notamment lors de l’invasion nord –coréenne de la République de Corée (Rés .82, 83, 84 (1950)), la guerre entre l’Iran et l’Irak (Rés.598 (1987)) et lors de l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990 (Rés.660 (1990)). Enfin, la qualification d’ « agression » est la notion la plus précise. En effet, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté en 1974 la résolution 3314 (XXIX) qui définit de manière générale l’agression comme « l’emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies, ainsi qu’il ressort de la présente définition ». Cette définition n’a néanmoins jamais lié le Conseil qui a toujours qualifié au cas par cas des situations données. Il a par exemple qualifié « d’actes d’agression » l’emploi de la force par l’Afrique du sud contre L’Angola (Rés .454 (1979)). En conséquence, le Conseil a tendance à qualifier des situations de « menace » ou de « rupture de la paix » car elles ne nécessitent pas d’incriminer directement un Etat ni de se prononcer sur la responsabilité éventuelle de ce dernier et ainsi de risquer de compromettre un règlement de la crise par voie diplomatique.

B Les articles 41 et 42 : la typologie des sanctions

Les sanctions de L’ONU sont mises en œuvre pour donner effet à des décisions du Conseil qui appellent à la cessation de comportements à l’origine de la situation constatée par ce dernier en vertu de l’article 39. Celui-ci adresse alors une injonction à l’Etat mis en cause et use fréquemment de la menace de sanctions avant d’en adopter effectivement à son encontre. Les dispositions 41 et 42 de la Charte traitent des mesures coercitives qui peuvent être misent en œuvre contre les Etats « menaçant la paix », l’ayant « rompue » ou étant « l’agresseur ». Elles peuvent être de nature non militaires (article 41) ou militaires (article 42). L’article 41 prévoit des sanctions contraignantes non militaires, c'est-à-dire des mesures où la « communication » , au sens large, d’un Etat avec le reste de la communauté internationale peut être partiellement ou totalement coupée, aussi bien sur le plan économique que diplomatique où encore par une atteinte aux infrastructures essentielles ( blocus des moyens de communication ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques etc.). Ainsi, le Conseil a souvent décidé des mesures d’embargos sur les armes (Somalie, Angola, Haïti), de restrictions de commerce sur le pétrole (Haïti) ou d’interruption de tout type de communication avec l’Etat sanctionné (Rhodésie du Sud (Rés. 232,1966)). En l’espèce, certains auteurs soutiennent que l’imposition de sanctions telles que des mesures d’embargos peuvent porter atteinte à l’intégrité physique ou mentale de la population concernée (Christian Dominice dans La Charte des Nations Unies commentaire article par article 3ème édition P.152). Pour sa part, l’article 42 prévoit « toute action » militaire que le Conseil « juge nécessaire » pour maintenir ou rétablir la paix grâce à des « opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres des membres des Nations Unis ». Il convient de souligner que, dans la pratique, l’article 41 est nettement plus utilisé que l’article 42. Le Conseil n’a pas d’obligation de tenter en premier lieu des moyens pacifiques (article 41) et peut appliquer des mesures coercitives militaires (Article 42) d’emblée s’il le juge nécessaire. Il semblerait néanmoins qu’il tende à privilégier l’adoption de mesures graduelles. Pourtant, quelques conflits armée ont été conduits en vertu de l’article 42, (le conflit contre l’Irak après l’invasion du Koweït (1990-1991), les frappes de l’OTAN en Serbie en 1999), mais des mesures de sanctions ont aussi été adopté, (mesures adoptées dans la crise du Golf (Rés.665(1990) et (Rés.678(1990)) ou encore les sanctions contre Haïti). Par ailleurs, les mesures de l’article 41 peuvent aussi être assimilées à des injonctions adressées par le Conseil de sécurité aux Etats troublant la paix internationale pour aboutir à une cessation de comportements illicites. Ainsi, le Conseil adopta la résolution S/RES/660 le 2 Août 1990, constituant une injonction à l’Irak de se retirer du Koweït. L’Etat irakien n’ayant pas réagi aux sanctions coercitives non militaires adoptées, le Conseil décida dans sa résolution 678 du 29 Novembre 1990 de prévenir l’Irak de l’imminence d’une action militaire si elle n’appliquait pas ses décisions précédentes du Conseil avant le 15 janvier 1991. Deux jours après la fin de l’ultimatum, une force de coalition des Etats membres sous le commandement des USA a été lancée pour la mise en place d’une opération militaire tendant à la libération du Koweït.

II Un pouvoir de sanction quasi illimité

Le Conseil de sécurité dispose d’un pouvoir considérable quant à l’exercice de son pouvoir de sanction (A), même si celui-ci connaît néanmoins quelques limites (B).

A un pouvoir discrétionnaire irréductible

Une latitude très grande est laissée au Conseil de sécurité quant à l‘exercice de son pouvoir de sanction. En effet, le pouvoir discrétionnaire du Conseil est large et s’étend du choix de qualifier une situation selon une des qualifications de l’article 39 ou non au choix du moment de l‘adoption mais aussi du contenu et du destinataire de la sanction. Il peut donc prendre ou non une décision sur une situation donnée et décider du contenu même des sanctions qui seront prises. Sur le point de la qualification de « menace », son pouvoir discrétionnaire provient du fait qu’il n’existe pas de définition dans la Charte des trois manquements (cités à l’article 39), ce qui lui permet d’user de son pouvoir de qualification plus librement et de qualifier de menaces des situations qui n’étaient pas initialement prévues dans la Charte (ex :conflits internes) ou même de qualifier de « rupture de la paix » une situation qui pourrait être pertinemment qualifiée d’acte d’agression (invasion du Koweït par l’Irak). Son pouvoir est aussi discrétionnaire en ce qui concerne le choix des mesures coercitives, qu’elles soient militaires (Art. 42) ou non militaires (Art. 41) et de la nature des mesures qu’il appliquera dans un premier temps (mesures coercitives pacifiques ou directement des mesures coercitives militaires). Ainsi, le fait que l’organe qui qualifie la situation selon l’art. 39 soit le même que celui qui décide de la sanction permet au Conseil de décider à l’avance des sanctions qu’il veut adopter avant même d’examiner le moyen de droit qui l’autorise à les mettre en œuvre. Il n’existe donc que peu de limites juridiques à l’action du Conseil autre que le veto d’un ou de plusieurs des cinq membres permanents qui y siège. De surcroît, aucun contrôle, notamment juridictionnel, des décisions du Conseil n’est effectué, alors même que celles-ci sont obligatoires et s’imposent à tous, celui-ci étant seulement subordonné à la Charte ainsi qu’aux dispositions du jus cogens notamment celles concernant les droits fondamentaux comme l’énonce le préambule qui proclame « la foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ». Le Conseil dispose ainsi d’une légitimité politique internationale. Il a d’ailleurs été qualifié à plusieurs reprises de « police internationale » ou de « gendarme international » par de nombreux auteurs (par exemple Charles Chaumont dans l’annuaire français de droit international 1965 vol 11 P430). Cependant, comme l’indique H. Kelsen, le but du système onusien de sanction « is not to maintain or restore the law, but to maintain, or restore peace, which is not necessarily identical with the law » (H.Kelsen, The Law of the United Nations, éd. London Institute of World Affairs,1950,P.294). De ce fait, il dispose d’une autorité juridique considérable qui s’attache à ces décisions puisque celles-ci ont force exécutoire même si, d’un point de vue juridique, certaines de ses décisions peuvent sembler contestables. Il exerce ainsi dans l’ordre international une véritable suprématie. Cette constatation tient surtout à la nature du Conseil, celui-ci est une instance politique, prenant des mesures politiques, suivant des motifs et des objectifs politiques. Sa mission consiste à « maintenir » ou « rétablir » la paix et la sécurité internationale.

B Des limites au pouvoir de sanction

Dans la pratique, l’utilisation du pouvoir de sanction du Conseil est limitée par le caractère politique de ses décisions et de l’organe même. Dans quelques cas, on constate une absence de réaction collective des Nations Unies à la suite d’un fait objectivement « illicite » et ce, en raison des intérêts stratégiques propres de chaque Etat. Par exemple, aucune action n’a été entreprise par les Nations unies à la suite de l’action armée des USA et de leurs alliés en Irak, déclenchée le 20 mars 2003, et qui aurait dû, selon de nombreux auteurs et observateurs, être qualifiée d’« agression » selon les dispositions de l’article 39. Cette inaction s’explique par l’utilisation du droit de veto dont disposent les cinq membres permanents du Conseil pour empêcher l’adoption de sanctions, même si tous les autres Etats membres du Conseil pensent qu’une situation donnée nécessite une réaction de l’Organisation. Aucun acte officiel de l’ONU n’a pourtant fait allusion à cette agression flagrante. Ce droit de veto peut être déclenché à chaque étape du processus de sanction. Il leur est accordé en vertu de l’article 27 de la Charte. Il s’agit de la seule barrière réelle à l’action du Conseil, ce qui a d’ailleurs pu être constaté pendant la période de la guerre froide. Néanmoins, cette barrière est considérable, étant donné qu’elle paralyse totalement le Conseil de sécurité qui ne peut plus agir sur la base du Chapitre VII. Ainsi, dans ce cas, le Conseil ne peut décider, et son silence rend possible tous les comportements, même les plus apparemment contraires à la Charte. Une autre limite au pouvoir de sanction peut être analysée au niveau de l’article 42 de la Charte, qui prévoit des sanctions militaires, non au titre d’un Etat ou d’une coalition d’Etat, mais au titre de l‘Organisation. Or, l’ONU ne dispose pas d’armée propre et doit ainsi solliciter des forces armées des Etats membres. L’article 43 qui prévoyait une armée propre à l’ONU n’a de ce fait jamais été appliqué. Dans la pratique, le Conseil a ainsi plutôt délégué, implicitement, les fonctions qui lui étaient dévolues en matière de conduite de l’action armée, au lieu de prendre directement la direction stratégique des opérations militaires qu’il décide. Dans ce sens, le Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, a affirmé le 3 janvier 1995 concernant les actions armées que « ni le Conseil, ni le Secrétaire général ont pour l’instant la capacité de déployer, diriger, commander et contrôler les opérations menées a cet effet » (supplément à l’agenda pour la paix, A/50/60-S/1995, § 77), en dépit du fait qu’en théorie, le Secrétaire général est compétent pour conduire les troupes. Ainsi, la formule qui, depuis la résolution 678 (1990), autorise les Etats disposés à le faire d’ « user de tous moyens nécessaires » pour rétablir la paix a été utilisée plusieurs fois.

III Un pouvoir de sanction qui s’adapte aux besoins d’une communauté Internationale.

On constate aujourd’hui une démultiplication récente des sanctions du Conseil de sécurité (A), dont l’apparition de mesures dites « intelligentes » censées pallier les effets néfastes que peuvent engendrer les mesures de sanctions économiques globales (B).

A L’élargissement de l’éventail des mesures coercitives

Le Conseil a adopté de nombreuses mesures, notamment grâce à son pouvoir discrétionnaire très large dans ce domaine, qui dépasse de loin ce qu’on appellerait coutumièrement des sanctions. Il a, par exemple, créé en 1993 les Tribunal Pénaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (résolution 808,1993) et pour le Rwanda (Rés .955, 1994) en se basant sur l’article 41. Le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie a lui même reconnu dans son arrêt « Tadic » du 7 mai 1997 que le Conseil de sécurité l’avait valablement créé en usant de son pouvoir discrétionnaire dans le cadre du Chapitre 7. Ces tribunaux sont qualifiés d’organes subsidiaires du Conseil, intégrés, c’est-à-dire internationalisés, ne pouvant recevoir d’instructions des Etats membres. La Charte reconnaît donc au Conseil la possibilité de créer des organes subsidiaires pour l’assister dans ses fonctions, à l’image des Comités créés pour suivre en permanence l’application de certaines résolutions. De plus, Le Conseil se déclare compétent en vertu du Chapitre VII pour organiser l’administration transitoire d’un territoire, comme par exemple au Kosovo. En ce qui concerne le terrorisme, le Conseil a qualifié de « menace contre la paix » la prolifération d’armes de destruction massive a plusieurs reprises. En l’espèce, nous pouvons prendre l’exemple de ce qui se produit actuellement avec l’Iran. Dans sa résolution 1368 (2001), le Conseil considère « tout acte de terrorisme international » comme une menace à la paix et à la sécurité internationale. Il instaure un régime complet et coercitif destiné à prévenir le terrorisme international avec la Résolution 1373 (2001). Ainsi, le Conseil a su s’adapter aux nouveaux enjeux internationaux (comme la prolifération des armes ou le terrorisme) et trouver le moyen de faire jouer le Chapitre VII pour qualifier ces nouvelles situations de « menace contre la paix ». Il a de ce fait élargit l’éventail des sanctions en les adaptant à ces nouvelles menaces.

B Les mesures ciblées

Les régimes des sanctions des Nations Unies, au cours de ces dernières années, ont révélé de nombreuses conséquences néfastes lors de leur mise en place et notamment des crises humanitaires graves touchant les populations civiles dans les Etats soumis aux sanctions économiques du Conseil, ou les Etats tiers. Pour remédier à ce phénomène, le Conseil peut adopter des mesures ciblées visant des acteurs spécifiques et inscrire des exceptions humanitaires dans le texte de ses résolutions. L’on peut qualifier de mesure ciblée, par exemple, le gel des avoirs financiers et le blocage des transactions financières des cercles politiques ou des entités dont le comportement est à l'origine des sanctions. Le représentant de l’Union européenne indique lors de la 255e séance du Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation 2009 « que l’Union Européenne estime nécessaire que toutes les sanctions imposées devraient être bien ciblées, et de manière à atteindre un objectif bien précis. En particulier, en matière de lutte contre le terrorisme, les procédures doivent être claires et équitables ». Les mesures ciblées (ou smart sanctions) ont ainsi permis de faire des progrès face aux conséquences néfastes des mesures globales sur les populations civiles. Néanmoins, on observe certaines difficultés juridiques à l’application de ces mesures en matière de terrorisme. Le Conseil a commandé les Etats membres au moyen de résolutions (Rés 1267(1999), 1333(2000), 1390(2002)) d’infliger des sanctions économiques telles que le gel des ressources financières de personnes nommément désignées sur une « liste noire », établie par lui , présumées être associées au réseau Al-Quaida, à Ossama Ben Laden, ou au régime taliban. Or, ces sanctions ciblent des individus, et non des Etats comme le prévoit pourtant le Chapitre VII de la Charte. Les personnes concernées ne disposent alors d’aucun recours juridique contre des résolutions du Conseil et ne peuvent en conséquence pas bénéficier du droit à un procès équitable. Cette problématique fut soulevée récemment dans le cadre d’une sanction ciblée contre un individu et une fondation, (Yassin Abdullah Kadi, résident saoudien, et Al Barakaat International Foundation, établie en Suède), soupçonnés d’être associés à des terroristes dont le Conseil avait gelé les avoirs. Ces derniers, dans l’impossibilité de faire un quelconque recours contre les résolutions des Nations Unies qui les inscrivaient sur « la liste noire », ont fait un recours contre les règlements européens (467/2001 et 881/2002 qui transposaient les résolutions en Europe) devant la Cour de Justice des Communautés européennes. La cour a rendu son arrêt le 3 septembre 2008 (C-402/05 P) et a annulé les arrêts rendus par le TPI en 2005 (21 septembre 2005, Kadi c/ Conseil et Commission, aff. T-315/01, et Yusuf et Al Barakaat International Foundation c/ Conseil et Commission, aff. T-306/01) en ce que celui-ci n’avait pas annulé les règlements qui gelaient les fonds de M. Kadi et Al Barakaat foundation. Celle-ci a alors jugé les « juridictions communautaires compétentes pour contrôler les mesures adoptées par la Communauté qui mettent en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ». Et « en exerçant cette compétence, elle a considéré que le règlement viole les droits fondamentaux que M. Kadi et Al Barakaat tirent du droit communautaire ».

Le système onusien de sanction a permis de résoudre des crises internationales ainsi que des crises interétatiques de multiples natures et a su s’adapter à une communauté internationale qui a évolué depuis la création de l’ONU. Ce système qui connaît peu d’obstacles est intégré par les Etats et la légitimité de l’action du Conseil dans l’ordre international semble pérenne. Néanmoins, il connaît des failles quant aux conséquences néfastes que peuvent avoir ses sanctions sur les populations et notamment le respect de leurs droits fondamentaux. L’adoption de sanction d’une nouvelle nature (« sanctions intelligentes ») montre la volonté du Conseil de combattre ses propres difficultés, qu’il devra renforcer pour assurer le maintien de sa légitimité au niveau international.

Bibliographie:

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