Le statut juridique des unions de fait aux Etats-Unis et en France : common law marriage et concubinage Par Anne-Claire Lapointe

Cet article a pour objectif de comparer le statut des unions de fait aux Etats-Unis et en France en s’appuyant sur l’article de Jennifer Thomas. Tout en étudiant les différences et/ou les similitudes des deux régimes, il est intéressant d’analyser la possibilité de la création d’un régime du concubinage en France qui s’inspire du common law marriage.

 

La question du statut juridique des unions de fait est d’un intérêt majeur au regard de la protection des droits des couples vivant en cohabitation. Bien que sur 50 Etats américains, seuls 16 ont maintenu le common law marriage,  la reconnaissance par la loi américaine du mariage de fait a un impact non négligeable sur la société dans la mesure où dès lors qu’un telle union est considérée comme valide dans un Etat, elle doit être reconnue dans l’ensemble du territoire américain (c’est le principe de la full faith and credit clause). En France, la reconnaissance des unions de fait se trouve à l’article 515-8 du code civil sous la dénomination de concubinage. Seulement le statut juridique de cette union de fait n’est pas encadré et les droits et obligations qui sont rattachés au statut de concubin sont quasi inexistants en comparaison  à ceux d’une personne mariée. En effet le législateur s’est contenté de donner une existence légale à cette institution en introduisant une définition dans le code civil, mais sans l’accompagner de règles. Au contraire aux Etats-Unis, le common law marriage créé une fiction juridique et accorde aux concubins un statut équivalent à celui des personnes mariées, poussant la fiction jusqu’à les appeler « mari et femme ». Cela laisse réfléchir sur la possibilité d’une transposition du régime du common law marriage en droit français (legal transplant) pour revoir le statut du concubinage qui apporte peu de protection aux individus. L’intérêt de l’article commenté est qu’il fait le point sur le régime du common law marriage, soulève ses défauts, et ses qualités, et permet d’apprécier si une telle institution pourrait voir le jour en France à l’occasion d’une réforme du concubinage.

 L’origine des  unions de fait  

Le common law marriage trouve ses racines dans la case law c'est-à-dire la jurisprudence. En effet le juge américain reconnaît pour la première fois la validité d’une union de fait dans l’arrêt Fenton v. Reed rendu en 1809. La cour suprême de New York admet que deux personnes qui ont vécu en cohabitation pendant un certain nombre d’années, et qui se considèrent comme mari et femme aux yeux de la société, sont mariées de fait même en l’absence de cérémonie officielle. Depuis la plupart des Etats américains qui reconnaissent le common law marriage (Alabama, Colorado, District of Columbia, Georgie (si formé avant le 01/01/97), Idaho (si formé avant le 01/01/96), Iowa, Kansas, Montana, New Hampshire (uniquement pour des raisons successorales), Ohio (si formé avant le 10/10/91), Oklahoma, Pennsylvanie (si formé avant 1/1/05), Rhode Island, Caroline du Sud, Texas, Utah), ont adopté des textes de loi pour préciser plus clairement les conditions de formation de cette union

En France, l’union de fait qui se rapproche du common law marriage sur la forme est le concubinage. Mais ce dernier est loin d’avoir le même statut juridique. C’est le législateur qui a consacré l’existence juridique du concubinage avec la loi du 15  novembre 1999 qui introduit la définition suivante à l’article 515-8 du code civil : « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. » Nous verrons plus loin les détails de cette définition.

Les raisons qui expliquent la reconnaissance de telles institutions en concurrence avec le mariage

 Le common law marriage a été très tôt reconnu par le juge américain tout d’abord pour des raisons pratiques liées aux difficultés pour trouver un officier religieux et pour se déplacer dans les villes pour procéder à une cérémonie officielle. D’autre part, le juge américain était motivé par des raisons d’ordre moral, préférant encourager les unions licites. Aujourd’hui ces raisons sont obsolètes et la reconnaissance des unions de fait s’explique davantage par la volonté d’apporter une meilleure protection aux individus. En effet, la garantie de la protection des droits sur la propriété, des droits de succession, et la légitimisation des enfants nés de ces unions sont autant de raisons pour reconnaître ce type de mariage de fait.

 Le concubinage,  en revanche, est né d’un débat sur la création d’un cadre légal d’union pour les couples homosexuels. En effet, la définition du concubinage a été adoptée à l’origine pour mettre en échec le PACS. C’était un moyen de permettre la reconnaissance des unions de fait entre personnes de même sexe sans pour autant ouvrir la porte à une union légale pour les homosexuels. Seulement le PACS a été adopté, et par la suite la définition du concubinage est restée mais sans que le législateur prenne la peine de lui donner un statut juridique.  Cela démontre bien que le législateur n’avait pas l’intention de créer un régime juridique propre au concubinage, et n’avait pas réellement l’intention d’en faire une institution concurrente du mariage comme l’est le common law marriage.  

 Le régime juridique du common law marriage

 Le régime juridique du common law marriage varie selon les Etats, mais on peut noter deux éléments majeurs qui reviennent systématiquement : la cohabitation et l’apparence d’un couple marié aux yeux de la société.  C’est à la partie qui réclame la reconnaissance de l’existence d’un common law marriage que la charge de la preuve pèse. La cohabitation ne pose pas de problème en soi car cela répond à la définition classique du terme à savoir vivre en couple dans la même résidence. Ce qui pose davantage de problème est de démontrer que le couple se comporte aux yeux de la communauté comme un couple marié : par exemple en portant le même nom de famille, en s’appelant « mari et femme », ou encore en remplissant une déclaration commune d’impôts.  C’est donc la conduite du couple tel que les tiers la perçoivent qui détermine s’il y a bien existence d’un mariage de fait. On peut aussi retrouver comme autres conditions de formation, la capacité de contracter et l’intention actuelle et commune d’être marié. Enfin on note que le common law marriage est réservé aux couples hétérosexuels ce qui n’est pas étonnant puisque cette situation de fait se voit reconnaître le statut de mariage. Or le mariage est réservé aux couples hétérosexuels. La terminologie utilisée montre bien qu’il s’agit d’un véritable mariage sur le fond mais pas sur la forme puisqu’il que c’est un mariage de fait. A ce titre le couple marié de fait se voit attribuer les mêmes droits et obligations qu’un couple marié de droit. Pour mettre fin au mariage, le couple doit entamer une procédure de divorce légal au même titre qu’un couple marié de droit. En effet il n’existe pas de « common law divorce ».

 Au vue des conséquences juridiques lourdes qu’implique la reconnaissance d’un common law marriage, on comprend mieux l’application restrictive par le juge des critères de formation d’une telle union. Si les conditions de formations sont difficiles à remplir, c’est bien dans le but de limiter la reconnaissance de ces mariages de fait aux cas les plus probants. 

 Aujourd’hui il ne reste plus que seize Etats qui reconnaissent le common law marriage. La grande majorité des Etats ont préféré l’abandonner pour diverses raisons que Jennifer Thomas développe dans son article. La première étant que l’utilité d’une forme d’union similaire et concurrente du mariage légal est devenue moindre avec l’accroissement de la population et la plus grande facilité à se déplacer et trouver des officiers religieux. Une autre raison est la peur de la fraude en l’absence de formalités et la volonté de protéger le mariage légal. Enfin c’est une manière pour les Etats d’encourager les unions officielles plus propices à la stabilité du foyer. Seulement ce dernier argument est faible lorsque l’on voit le nombre croissant de divorce. Le mariage légal n’est donc pas plus gage de stabilité que l’est le mariage de fait. D’autre part on peut argumenter en faveur de la cohabitation qui peut s’analyser comme une période d’essai avant le mariage. L’engagement se veut ainsi renforcé car le couple prend le temps de la réflexion.

 Pourtant toutes ces raisons sont peu convaincantes étant donné la gravité des conséquences négatives que l’abandon du common law marriage a entraînées dans certaines circonstances. Les épouses dépendantes de leur mari se retrouvent sans ressources et sans possibilité de réclamer des pensions alimentaires au titre de la rupture du mariage de fait. D’autre part les minorités issues de l’immigration et les personnes à faibles loyers et peu éduquées ignorent souvent la loi et sont dans l’impossibilité d’engager un avocat pour faire reconnaître leurs droits alors qu’ils pensaient en avoir d’office. Enfin cela pose aussi problème pour la reconnaissance des droits de successions et des enfants nés hors mariage.

 L’absence de régime juridique du concubinage : les éléments constitutifs

Sur la forme, le concubinage est très proche du common law marriage et du mariage, mais sur le fond, et sur le plan juridique, il n’apporte pas les mêmes garanties. A la différence du common law marriage, le concubinage ne bénéficie pas d’un régime juridique qui lui est propre. On trouve seulement quelques dispositions éparses applicables au concubinage dans le code civil, souvent par extension des dispositions relatives aux personnes mariées. La loi ne reconnaît donc pas un acte juridique dans la formation du concubinage mais seulement un fait juridique volontaire animé par la volonté matérielle et non juridique de deux individus. Le concubinage de ce fait ne produit aucun effet juridique directement issu de sa formation.

Si l’on analyse la définition à l’article 515-8 du code civil, on peut noter une différence majeure entre les deux institutions qui est la reconnaissance du concubinage de couples de même sexe. C’est en cela que le concubinage se distingue le plus du mariage en France et aux Etats-Unis et du common law marriage qui sont réservés aux personnes de sexe différent. En revanche le concubinage s’entend toujours de l’union de deux personnes comme pour les autres institutions. D’autre part la vie commune reste l’élément constitutif majeur du concubinage et celui sur lequel repose aussi toutes les autres formes d’unions légales et de fait (mariage, common law marriage, PACS). La vie commune se compose d’un élément matériel qui est la cohabitation et d’un élément intentionnel qui est la volonté de  partager une communauté de vie. Deux éléments viennent s’ajouter dans le sens d’une véritable union de fait que sont le caractère stable et continu de la vie commune.

 Une transposition improbable du régime du common law marriage en droit français

 Au vu de ces éléments, certains membres de la doctrine (cf. étude Le concubinage, dix ans après par Rachel Blough) ont voulu établir un lien entre vie commune et possession d’état d’époux. La possession d’état, à la manière du common law marriage, créé une fiction juridique qui permet aux couples qui réunissent les éléments de faits suffisants pour prouver l’existence d’une situation de fait, de s’en prévaloir. On retrouve en effet nos deux éléments constitutifs du common law marriage qui sont applicables au concubinage : (1) le tractatus qui est le fait de se comporter comme l’état dont on se réclame, à savoir vivre en cohabitation avec la volonté de partager une vie commune en tant qu’époux ; (2) la fama qui est la reconnaissance de l’état de fait par les tiers, c'est-à-dire que le couple est considéré comme marié aux yeux de la société. Le concubinage, analysé de cette manière, ressemble donc en tout point au mariage et les mêmes droits et obligations en découlent. Seulement cette analyse n’est pas envisageable car la définition même du concubinage l’en empêche. Le mariage étant réservé aux personnes de sexe différent, le concubinage qui inclut les couples homosexuels ne permet pas d’en tirer l’existence d’une possession d’état d’époux, mais comme le précise Rachel Blough, au mieux une possession d’état de couple.

 La définition même du concubinage exclut donc la possibilité d’en faire un mariage de fait comme aux Etats-Unis. La seule solution serait de revoir la définition du concubinage pour le réduire aux couples hétérosexuels, ou bien de revoir la définition du mariage pour l’ouvrir aux couples de même sexe. Mais cela est une autre question qui fait l’objet d’un débat bien plus agité vu qu’il touche à la conception presque sacro-sainte que l’on se fait du mariage à savoir l’union de personnes de sexe opposé.

 Au-delà du problème posé par la définition, on voit mal le concubinage être levé au rang de mariage de fait comme aux Etats-Unis, pour la simple raison qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un doublon du mariage. Il existe déjà, à travers le mariage, une institution légale dont le régime juridique est établi. Or reconnaître le mariage de fait en France nécessiterait l’introduction d’un nouveau régime juridique qui s’appliquerait au concubinage, ce qui semble être une perte de temps vu le caractère inutile de l’opération. De plus, nous serions confrontés aux mêmes difficultés rencontrées par le législateur américain sur la reconnaissance du common law marriage. Comme le souligne Jennifer Thomas, le common law marriage a justement perdu de son ampleur du fait des difficultés liées à la reconnaissance de cette institution. La peur de la fraude du fait de l’absence de formalités exigées pour la formation de l’union de fait est une des raisons majeures. En effet, il n’y a aucune cérémonie officielle, aucun papier, aucun témoin. Ainsi on assisterait à l’augmentation des affaires impliquant des couples qui réclament des droits en se fondant sur la prétendue existence d’un mariage de fait ce qui pose problème au niveau de l’engorgement des tribunaux. De plus le mariage reste l’institution légale encouragé par l’Etat du fait de sa stabilité pour fonder une famille et de l’intérêt pour l’Etat de se dégager de toute responsabilité en cas de rupture de l’union (le sort de la garde des enfants et du versement des pensions sont organisés entre les parties au divorce). Or l’introduction du mariage de fait ne ferait qu’accroître les contentieux.

 L’instauration d’un régime juridique propre au concubinage serait bénéfique

 Le concubinage tel qu’il est aujourd’hui permet aux couples de vivre leur union en dehors d’un cadre légal. Instaurer un régime juridique de mariage de fait applicable au concubinage, c’est imposer un cadre juridique aux sujets de droits qui ont justement choisi de ne pas s’y soumettre. Or les espaces de non droit sont nécessaires au bon fonctionnement de notre système juridique. Cependant la création d’un régime juridique serait le bienvenu pour clarifier le statut du concubinage et simplifier l’application des règles qui lui sont applicables. Cela relève de l’efficacité juridique de nos tribunaux pour régler les contentieux liés au concubinage. 

 

 

  

BLIBLIOGRAPHIE:

 

  • Journal of the American Academy of Matrimonial Lawyers, 2009
    Common law marriage
    Par Jennifer THOMAS

 

  • Droit de la famille n° 4, Avril 2009, étude 19

Le concubinage, dix ans après

Etude par Rachel BLOUGH