A propos de « The principle of fair and expeditious trial » in Cassese Antonio, "International Criminal Law" par Camille Billet
1/ La CEDH et les tribunaux ad hoc hésitaient à favoriser la vision anglo-saxonne ou celle romano germanique du principe d’égalité des armes. Le Statut de la CPI, prêtant une attention particulière à la défense, paraît préférer la seconde. 2/ L’exigence de publicité des procédures pénales est aujourd’hui un principe général du droit. Les cas exceptionnels autorisant le huis clos sont plus strictement encadrés par le Statut de Rome (CPI) que par les Statuts des tribunaux ad hoc. 3/ Le délai raisonnable est très difficile à atteindre dans les procédures pénales internationales malgré les mécanismes créés.
Instaurée en 2002 à la Haye, la Cour Pénale Internationale (CPI) doit juger les plus grands criminels : les hommes et les femmes suspectés de crime de guerre, de crime contre l’humanité, de génocide. Ceux-là mêmes qui ont violé les droits fondamentaux d’autres individus –souvent nombreux et innocents- profiteront-ils, devant la CPI, des protections que les conventions relatives aux droits de l’homme accordent à tout accusé? Le Statut de la CPI assure aux parties, conformément à ces conventions, le « droit à un procès équitable ». Que signifie-t-il dans le cadre de procédures pénales internationales ? L’auteur de notre article revient sur le respect de ce droit devant différentes juridictions depuis la seconde guerre mondiale, notamment devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et devant les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR). Il nous permet ainsi de savoir quels sont les aspects du droit à un procès équitable, inscrits dans les Statuts ou issus de la jurisprudence de ces instances, qui ont été repris dans le Statut de la CPI. Quels aspects de ce droit ont fait leurs preuves, quels sont ceux qui ont éventuellement pu être améliorés dans le Statut de la nouvelle juridiction pénale universelle ? En présentant successivement l’application par ces instances des trois composantes majeures du droit à un procès équitable (: l’égalité des armes (1), la publicité de la procédure (2), l’exigence du délai raisonnable (3)), l’article commenté donne à réfléchir sur l’évolution du droit international pénal depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
1) L’égalité des armes:
Il ressort de notre article que les systèmes juridiques inquisitoire d’une part et accusatoire d’autre part offrent deux acceptions différentes du concept d’égalité des armes. Ainsi, ce principe implique des règles de procédure différentes dans les pays de tradition juridique anglo-saxonne (système pénal accusatoire) et dans les pays de tradition juridique romano germanique (système pénal inquisitoire).
Dans le système inquisitoire, le procès est considéré comme une « demande officielle » (official inquiry). Dans cette optique, et par précaution pour le respect des droits de l’homme, il est important que l’accusé ne soit pas désavantagé par rapport au procureur. Afin d’assurer un équilibre dans les débats, il peut être autorisé que l’accusé soit favorisé par rapport au procureur, ceci est même parfois imposé. En revanche, aucun traité relatif aux droits de l’homme n’assure au procureur le droit d’être mis au même niveau que l’accusé. Ainsi comprise, la notion d’égalité des armes implique plusieurs choses, et notamment : que l’accusé a le droit de connaître tous les détails de l’accusation portée contre lui, qu’il peut examiner les preuves rassemblées contre lui, nommer un ou plusieurs conseils de la défense, s’il n’en a pas les moyens financiers, qu’il puisse être assisté gratuitement par un avocat d’office, qu’il peut interroger et faire interroger les témoins à charge et les témoins à décharge, etc.…
Selon la logique juridique anglo-saxonne, le procès est considéré comme une bataille entre deux parties égales argumentant l’une contre l’autre. Il est alors indispensable que les deux parties au litige aient les mêmes droits. Le concept d’égalité des armes se traduit donc par des règles de procédure tout à fait différentes.
Pratique de la CEDH et des tribunaux ad hoc: Les deux acceptions du principe d’égalité des armes ont créé une certaine confusion qui se répercute sur la jurisprudence de la CEDH et celle du TPIY. Ces deux instances ont effectivement favorisé tantôt les droits de la défense, tantôt ceux du procureur (comme par exemple dans l’affaire Aleksovski, au cours de laquelle la chambre d’appel du TPIY refusa certaines preuves apportées par la défense en avançant que les conventions des droits de l’homme assuraient également au procureur un droit à un procès équitable). L’auteur retient que dans certaines situations, les deux acceptions entrent « en collision ».
Statut de la CPI : En 2003, alors que parait cet article, on ne connaît pas encore la jurisprudence de la CPI. Il apparaît cependant que les rédacteurs du Statut de Rome se sont efforcés de protéger particulièrement les droits des suspects et des accusés, et ce en dépit du fait que ces personnes soient suspectées ou accusées d’avoir elles-mêmes violé les droits fondamentaux d’autres individus. Ainsi, le Statut de Rome reprend de nombreuses dispositions applicables à la défense dans les affaires pénales et issues des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Selon le Dr. Lyal S. Sunga, « le Statut de Rome envisage l’application systématique et globale des standards reconnus en matière de protection des droits de l’homme dans les procédures de la CPI. »
Coopération des Etats Parties : Toutefois, l’auteur rappelle aussi bien sûr que le déroulement de nombreuses affaires de la CPI sera dépendant de la coopération des Etats Parties. Or le respect des droits de l’homme dans les procédures pénales peut largement différer d’un Etat à l’autre. L’article 55(2) du Statut de Rome relatif au respect des droits de l’homme dans les Etats coopérants est par conséquent d’une importance majeure. Il dispose : « lorsqu’il y a des motifs de croire qu’une personne a commis des crimes relevant de la compétence de la Cour et que cette personne doit être interrogée, soit par le Procureur, soit par les autorités nationales en vertu d’une demande faite au titre du chapitre IX, cette personne a de plus les droits suivants dont elle est informée avant d’être interrogée », s’ensuit une énumération des droits en question : droit de garder le silence, droit d’être assisté par le défenseur de son choix, droit d’être interrogé en présence de son conseil.
Autres dispositions du Statut : Nous pouvons aussi citer d’autres dispositions du Statut qui montrent bien l’attention particulière adressée aux droits de la défense, comme par exemple les articles 68(1) et 69(2) relatifs à la participation aux débats des témoins et des victimes qui doivent être appliquées de façon à ce que les mesures prises pour leur sécurité ne soient « ni préjudiciables ni contraires aux droits de la défense». Ces dispositions montrent bien que l’accusé dispose d’une attention particulière et d’une protection « supérieure ». (Toutefois, l’auteur ne les évoque pas dans ce chapitre. Nous pourrions aussi parler, au titre de l’égalité des armes, du fait que le procès doive avoir lieu en présence de l’accusé, mais l’auteur a choisi de faire de ce sujet l’objet d’un titre à part.)
2) La publicité des débats.
Histoire moderne du principe : L’auteur nous rappelle ici que le fait d’exiger que les procédures pénales (qu’elles soient internationales ou nationales) soient publiques, sauf dans des cas exceptionnels, est aujourd’hui accepté comme principe général du droit international pénal. Il est en effet reconnu que l’ouverture au scrutin public de toutes les procédures assure l’impartialité du tribunal et l’équité du procès. Ceci n’était pas encore exigé dans les Chartes des tribunaux militaires de l’après seconde guerre mondiale (Statut du tribunal militaire international de Nuremberg et Statut du tribunal international militaire pour l’Extrême-Orient) ; c’est à travers l’évolution du droit relatif aux droits de l’homme que cette exigence s’est répandue et finalement a été généralement acceptée à travers le monde. Par exemple, l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme énonce que « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées» ; l’article 14 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques assure à toute personne le « droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ». La publicité des débats est donc devenue l’un des critères indispensables à l’équité du procès, à la bonne conduite de la justice.
Pour les procès nationaux, ce sont les conventions internationales relatives aux droits de l’homme qui posent les standards des droits des accusés (notamment la CESDH (Article 6(1)), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Article 14(1)) et la Convention américaine relative aux droits de l’homme (Article 8(5)).
Pour les procès internationaux, l’exigence de publicité est inscrite pour la première fois dans les Statuts du TPIY (Article 21(2)) et du TPIR (Article 20(2)) et reprise dans le Statut de la CPI (Article 67(1)) en tant que droit fondamental de l’accusé.
Il existe cependant des cas exceptionnels dans lesquels cette exigence peut être écartée. L’auteur revient très brièvement sur ces exceptions qui méritent toutefois une attention particulière.
Devant les tribunaux ad hoc : L’article 22 du Statut du TPIY et l’article 21 de celui du TPIR furent les premiers à prévoir, en vue de protéger les victimes et les témoins, la possibilité que les audiences soient tenues à huis clos et que l’identité des témoins soit protégée. L’auteur indique que c’est à la Cour que revient le pouvoir de décider si l’audience doit être tenue en huis clos ou publiquement. Elle peut le faire suite à une demande d’une des parties ou bien proprio motu. La question de savoir si cette exception pouvait constituer une violation du droit à un procès public dont doit profiter l’accusé a été posée dans l’affaire Tadic devant le TPIY. La chambre de première instance du TPIY affirma dans cette affaire que la sécurité des témoins et des victimes est une raison valable pour limiter le droit de l’accusé à un procès public.
Devant la CPI : L’article 67 du Statut de la CPI détaille davantage les conditions de mise en oeuvre de cette exception. Il propose des exemples de cas dans lesquels les victimes ou les témoins ont besoin d’une protection particulière et surtout pose clairement une limite à l’invocation de cette exception en stipulant que « ces mesures ne doivent être ni préjudiciables ni contraires aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial » (Article 67(1)). Cette rédaction précautionneuse parait nécessaire dans un système qui laissera aux Etats Parties une grande partie du travail. Le non respect du principe de publicité dans les Etats Parties mettrait très sérieusement la sécurité des accusés en jeu. Ce sera toutefois la pratique de la CPI qui montrera si les exceptions seront facilement acceptées ou pas.
3) L’exigence du « délai raisonnable ». La garantie d’un procès équitable implique également que le procès ait lieu « dans un délai raisonnable ».
Le fondement de cette exigence en droit pénal international est que l’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement prouvée. Or, les cours internationales n’ont, pour des raisons pratiques, pas l’habitude de laisser les suspects en liberté une fois qu’ils ont été arrêtés. Ainsi, le plus souvent, les suspects restent en prison de leur arrestation à la fin du jugement. Il est donc rationnel de devoir établir le plus vite possible s’ils sont innocents ou coupables. Ainsi, si l’exigence du délai raisonnable est ancrée dans les conventions relatives à la protection des droits de l’homme, les réalités pratiques évoquées plus haut ont pour conséquence que ce principe acquiert une importance toute particulière dans le cadre de procédures pénales internationales. Les expériences des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda ont également prouvé que les questions de fait et les questions de droit des procès pénaux internationaux sont souvent très complexes, et qu’il faut beaucoup de temps pour les traiter. Dans la plupart des cas, il a fallu faire venir de divers pays de très nombreux témoins. De plus, le travail des cours et tribunaux internationaux repose en grande partie sur la coopération des Etats Parties pour les enquêtes, la recherche de preuves, etc.… Sans oublier non plus les problèmes de langues, il y a finalement de nombreux facteurs qui ralentissent et rallongent considérablement les procédures.
S’inspirant de la procédure pénale anglo-saxonne, les TPI ad hoc ont souvent encouragé les accusés à plaider coupable afin de raccourcir les procédures. Les accusés qui ont plaidé coupables ont bénéficié de réductions de leurs peines, les tribunaux considérant la reconnaissance de culpabilité comme circonstance atténuante (voir, devant le TPIY, les affaires Erdemovic, Jelisic, et Todorovic, et devant le TPIR, les affaires Kambanda, Serushago et Ruggiu). Toutefois, dans la grande majorité des cas, les accusés ont préféré « tenter leur chance » dans un long procès plutôt que de s’avouer coupables dès le début, espérant que les preuves ne suffiraient pas à démontrer leur culpabilité.
Malgré son succès relatif, ce mécanisme a été repris par les rédacteurs du Statut de Rome. Ainsi, cette méthode souvent critiquée dans les Etats de tradition juridique romano germanique, devra être appliquée par les cours nationales du monde entier. En France, la procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité » a été mise en place par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi Perben II), entraînant de fortes réactions chez certains avocats craignant pour la défense (voir notamment l’article de Daniel Joseph, président du syndicat des avocats de France, paru dans Libération le 13 octobre 2004 et intitulé« oser le plaider-coupable ». Il faut garder en tête ici que l’introduction de ce mécanisme dans la justice française vise avant tout l'objectif d'une meilleure gestion des flux judiciaires). Il faut espérer que les cours nationales appliqueront cette méthode en ménageant réellement les droits de la défense, et qu’en aucun cas des innocents ne s’avoueront coupables, comme cela a déjà été vu, entre autres, aux Etats-Unis.
Bibliographie sélective :
Documents officiels : - Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale du 17 juillet 1998 entré en vigueur le 1er juillet 2002. - Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda adopté le 8 novembre 1994 par la résolution 955 (1994) du Conseil de Sécurité des Nations Unies. - Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie adopté le 25 mai 1993 par la résolution 827 (1993) du Conseil de Sécurité des Nations Unies. - Convention américaine relative aux droits de l’homme adoptée à San José, Costa Rica, le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les Droits de l'Homme. - Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 par la résolution 2200 A (XXI) de l'Assemblée générale des Nations Unies et entré en vigueur le 23 mars 1976. - Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales adoptée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953. - Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par la résolution 217 A de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Décisions de justice : - Arrêt Aleksovski : Le Procureur c. Zlatko Aleksovski, affaire No. IT-95-14/1-A, 24 mars 2000 (Chambre d’appel du TPIY) - Second jugement Erdemovic sur la sentence : Le Procureur c/ Drazen Erdemovic, affaire No. IT-96-22Tbis, Jugement portant condamnation, 5 mars 1998 (Chambre de première instance du TPIY) - Jugement Kambanda Jugement et sentence, Le Procureur c Jean Kambanda, affaire No. ICTR-97-23-S, 4 septembre 1998 (Chambre de première instance du TPIR) - Arrêt Serushago sur la sentence : Omar Serushago c. le Procureur, affaire No. ICTR-98-39-A, 6 avril 2000 (Chambre d’appel du TPIR) - Arrêt Ruggiu, Georges Ruggiu c. le Procureur, affaire NoICTR-97-32-I, 1er Juin 2000 (Chambre de première instance du TPIR). - Affaire Tadic : Dusko Tadic a/k/a « Dule », Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d’obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, 10 août 1995, IT-Doc, IT-94-I-T.
Ouvrages : - Lyal S. Sunga, « full respect of the rights of suspect, accused and convict : from Nuremberg and Tokyo to the ICC », dans « Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation », publié par Marc Henzelin et Robert Roth, LGDJ Paris, Georg Editeur Genève, Bruylant Bruxelles, 2002, pages 217 à 239.
Articles: - Lucius Calfisch, « The Rome Statute and the European Convention on Human Rights », in the Human Rights Law Journal, 30 September 2002, Vol. 23, No 1-4, pages 1 à 12. - Daniel Joseph, « Oser le plaider-coupable » in Libération, 13 octobre 2004, page 35, Rebonds.