ROYAUME UNI - Commentaire de l’arrêt Ward v Hobbs (1878) 4 App. Cas. 13. de la Chambre des Lords dans une perspective comparative, par Elise TOURNE-WALTHER

L'arrêt Ward v Hobbs est une bonne illustration de l'atténuation en droit anglais du principe de "caveat emptor", rejet d'une obligation générale et précontractuelle de renseignement. Il semble réaffirmer l'exception dite de représentation mensongère, apportant ainsi un balancement entre principe de bonne foi et sureté contractuelle, tout comme le droit français.

Quel que soit le système juridique, l’accent est de plus en plus souvent mis non plus sur l’état d’esprit de la partie qui commet l’erreur ou est trompée, mais sur le comportement de l’autre cocontractant. Dans cette perspective, cette partie peut se voir imposer une obligation précontractuelle d’information, c'est-à-dire le devoir de communiquer à son cocontractant toutes les informations pertinentes qui lui permettront de consentir à contracter en connaissance de cause. En pratique, ce n’est pas toujours le cas. En effet, certains pays décident encore de privilégier le devoir de chacun de s’informer par lui-même, qui a longtemps prévalu dans la majorité des droits. Dès lors, il semble intéressant d’examiner deux systèmes juridiques adoptant à cet égard une solution différente, tel que le droit anglais, qui refuse d’admettre l’existence d’une obligation précontractuelle et générale d’information, et le droit français qui au contraire en reconnaît une. C’est dans cette perspective comparative que s’inscrira l’analyse de l’arrêt Ward v Hobbs, rendu en 1878 par la Chambre des Lords (4 App Cas 13.), qui porte sur l’une des exceptions à la règle générale selon laquelle il n’y a pas d’obligation générale d’information en droit anglais, à savoir l’exception dite de la déclaration ou représentation mensongère des faits. En vertu de celle-ci, une partie dont la conduite induit une représentation erronée de la réalité et qui omet de la corriger ne peut se prévaloir de la règle générale. En l’espèce, un marchand avait vendu, ‘‘avec tous leurs défauts’’, un certain nombre de cochons au marché public. Alors qu’au moment de la vente il savait que ces cochons étaient infectés, il n’en informa pas l’acquéreur, qui intenta une action en justice afin d’obtenir des dommages et intérêts. La juridiction de premier degré le débouta de sa demande, tout comme la Chambre des Lords en appel. Cette institution cherchait à savoir si l’exception de représentation jouait dans ce cas précis, malgré l’existence d’une clause d’exonération. Elle considéra alors, en se fondant sur le fait que l’acheminement de cochons malades vers un lieu public constituait un délit pénal, que si en envoyant ses cochons au marché le vendeur avait pu induire une représentation erronée de la vérité, à savoir que ses animaux n’étaient pas malades, toute responsabilité qui pouvait en résulter avait été exclue par l’utilisation des termes « avec tous ses défauts ». Dès lors, après avoir mis en exergue le fait que cet arrêt est la marque d’une atténuation en droit anglais du principe général de caveat emptor, selon lequel l’acheteur n’offre aucune garantie sur les produits et leurs qualités, nous tenterons de montrer comment cette décision, en apparence contraire au droit français, est en fait la preuve d’un rapprochement entre ce dernier et le droit anglais.

L’arrêt Ward v Hobbs ou la confirmation d’une atténuation en droit anglais du principe de caveat emptor

Cet arrêt est un bon indicateur de l’attitude du droit anglais concernant l’obligation précontractuelle de renseignement, à savoir son refus d’admettre celle-ci de manière générale. Dès lors, il est intéressant de voir comment cette décision va réaffirmer ce rejet, même si elle l’atténue en acceptant l’existence de l’exception dite de représentation mensongère des faits.

La confirmation du rejet d’une obligation générale et précontractuelle de renseignement

Par cette décision, la Chambre des Lords semble réaffirmer le principe de caveat emptor, même s’il ne le nomme pas expressément, en concluant à l’absence de responsabilité du vendeur. Ce principe, établi dans l’arrêt Keates v Cadogan ((1851) 10 C.B. 591.), se traduit par le fait qu’il n’y a pas d’obligation générale et précontractuelle d’information consistant pour une partie à révéler des faits dont il aurait connaissance, contrairement à son cocontractant, et ce même s’il a conscience du fait qu’un tel savoir dissuaderait l’autre partie de contracter. Au contraire, chaque partie a non seulement le devoir de s’informer par elle-même, mais aussi d’exercer son propre jugement pour décider ou non de contracter, comme cela avait énoncé dans l’arrêt Smith v Hughes ((1871) LR 6 QB 597.). Par contre, aucune n’a l’obligation d’informer l’autre sur des faits qui seraient, selon lui, susceptible de l’influer dans sa décision de contracter. Dès lors, cet arrêt semble indiquer que, dans la majorité des cas, ce principe a vocation à s’appliquer. En même temps, il réaffirme ses limites à travers la confirmation de l’existence de l’exception dite de représentation mensongère des faits et la recherche de preuve susceptible de permettre son utilisation en l’espèce. __ La réaffirmation de l’exception dite de représentation mensongère et le rappel de ses limites__

La Chambre des Lords va rappeler une des limites du principe en vertu duquel, en droit anglais, il n’y a pas d’obligation générale et précontractuelle de bonne foi, à savoir celle dite de représentation mensongère des faits. Ce principe avait été établi dans l’arrêt Smith v Hugues selon lequel s’il existe une déclaration ou représentation mensongère des faits, ou au moins des circonstances à partir desquelles une telle déclaration ou représentation mensongère puisse être déduite, la responsabilité du défendeur pourra être retenue. Depuis lors, si au cours des négociations qui précèdent la conclusion d’un contrat, une des parties fait, en toute connaissance de cause, une représentation mensongère des faits qui soit susceptible d’affecter le jugement d’un homme raisonnable qui envisageait de contracter, et si l’autre partie se fie à cette déclaration, cette autre partie est en droit de réclamer des dommages et intérêts ainsi que la résiliation du contrat, dans l’hypothèse où celui-ci aurait déjà été conclu. Dans l’arrêt Ward v Hobbs, la Chambre des Lords va donc confirmer l’existence d’une telle obligation de ne pas faire de représentation mensongère, puisqu’elle va tenter d’en rechercher avec “furnish evidence of a representation”. Toutefois, cette décision va tout de suite mettre en avant la portée limitée de cette exception, rappelant ainsi l’arrêt Baglehole v Walters ((1811) 3 Camp. 154) qui avait énoncé “where an article is sold with all faults… it is quite immaterial how many faults belonged to it within the knowledge of the seller, unless he used some artifice to disguise them and prevent their being discovered by the purchaser”. En effet, la Chambre des Lords va considérer qu’en l’espèce, la clause exonératoire de responsabilité empêche d’utiliser cette exception pour soulever la responsabilité du vendeur. Malgré tout, si elle met en avant la portée limitée de cette exception, elle admet tout de même son existence. Cependant, en fondant la recherche de responsabilité sur le comportement dont a fait preuve le défendeur en conduisant ses cochons malades au marché et en omettant de corriger la représentation erronée des faits qui pouvait en résulter, la Chambre des Lords semble rejeter l’existence d’une obligation générale de révéler les vices cachés. En effet, l’aurait-elle reconnue, qu’elle aurait certainement axé sa recherche sur elle. Dès lors, elle semble ne reconnaître que l’obligation de ne pas faire de déclaration mensongère. __ Une solution à remettre en cause ?__

Même si cet arrêt semble limiter l’utilisation de l’exception de représentation mensongère comme moyen pour atténuer le principe de caveat emptor, cette solution pourrait ne plus être valable aujourd’hui et le vendeur pourrait voir sa responsabilité engagée. En effet, la clause d’exonération ne serait pas applicable à moins que le vendeur ne prouve qu’elle était raisonnable ou juste (unfair contract terms act 1977, s 6 (3)). De plus, depuis l’arrêt Ward v Hobbs, une interprétation plus extensive de la représentation mensongère a été retenue dans différentes décisions, telle que dans l’arrêt Schneider v Heath ((1813) 3 Camp 505) où il a été jugé qu’une partie ne doit pas tenter de dissimuler des faits incohérents. Finalement, désormais, un tel vendeur serait susceptible de voir sa responsabilité retenue pour négligence. Dès lors, la décision serait sans doute différente si elle était prise aujourd’hui, même si la responsabilité du vendeur ne couvrirait alors que les dégâts matériels causés à ses biens propres ou les dommages corporels à sa personne. Malgré tout, l’importance de cet arrêt ne doit pas être sous-estimée. Il peut en effet toujours être considéré comme un premier pas vers une plus grande atténuation du principe de caveat emptor. Cette impression est renforcée par le fait que depuis l’arrêt, on a assisté à une multiplication des exceptions telle que l’admission d’une obligation précontractuelle d’information en présence d’une relation fiduciaire, même si on est encore loin d’une obligation générale d’information et qu’il n’y a toujours pas d’obligation de révéler les vices cachés. Dès lors, cet arrêt est la preuve que le principe de caveat emptor n’est plus absolu en droit anglais. Il s’agit maintenant de savoir si les juges français pourraient prendre une décision identique.

Une solution en apparence contraire au droit français mais témoignant d’un début de rapprochement avec lui

Nous allons désormais procéder, à partir de cet arrêt, à une étude comparative des droits français et anglais et montrer que cette décision constitue la preuve d’un début de rapprochement entre ces deux droits sur le sujet de l’obligation précontractuelle d’information.

Une solution apparemment contraire au droit français

En droit français, suite à un formidable essor en jurisprudence, l’obligation de renseignement a pris le pas sur le devoir de chacun de s’informer par lui-même alors que celui-ci avait longtemps prévalu en jurisprudence, par référence à l’adage emptor debet esse curiosus (‘l’acheteur doit être curieux’). Ainsi, il est probable que si des faits similaires se présentaient en France, l’obligation précontractuelle d’information s’appliquerait, bien que cette dernière soit limitée dans certains cas, tel que lorsqu’on est en présence d’un contractant averti. Cette différence entre les deux droits peut s’expliquer par le fait que le droit français considère cette obligation de renseignement comme une exigence de portée générale, dérivée du principe de bonne foi. Il vise donc un objectif en apparence différent du droit anglais, qui semble vouloir privilégier la protection de la sûreté des transactions commerciales et la liberté contractuelle. D’ailleurs, dans l’arrêt de 1878, la Chambre des Lords a privilégié le maintien du contrat de vente, alors même que le marchand avait délibérément caché l’état réel de la marchandise. Dès lors, comme tend à l’indiquer cet arrêt, la protection par le droit anglais de ces valeurs peut se faire au détriment du respect du principe de bonne foi comme principe fondateur de la relation contractuelle ou, comme l’a souligné M. Ghestin, comme l’un des moyens utilisés par le législateur et les tribunaux pour rendre le droit positif plus moral. Cependant, avec l’admission d’exceptions au principe selon lequel il n’y a pas d’obligation précontractuelle de renseignement en droit anglais, comme celle, dans l’arrêt, de la déclaration mensongère, le droit anglais tend à chercher une solution plus respectueuse de l’obligation de bonne foi, même si en l’espèce, en raison de la présence d’une clause d’exonération, la solution n’aura pas cet effet. Dès lors, celle-ci témoigne en réalité d’un début de rapprochement entre les droits français et anglais.

Une solution qui témoigne en réalité d’un début de rapprochement entre le droit français et anglais:

Le droit anglais, comme en témoigne le présent arrêt, commence à atténuer son refus de reconnaître une obligation générale d’information à travers l’utilisation d’exceptions ou, même si ce n’est pas le cas ici, de clauses tacites. L’arrêt est donc la preuve de la naissance d’une tendance à rechercher un équilibre entre, d’une part, le devoir des parties de s’informer elles-mêmes et d’être le gardien de leurs propres intérêts et, d’autre part, le respect du principe de bonne foi, entendu comme un devoir moral par lequel une partie corrigerait une représentation mensongère des faits dont elle sait qu’elle pourrait être déterminante du consentement de son cocontractant. En effet, même si en l’espèce la Chambre des Lords a refusé d’engager la responsabilité du commerçant en raison de la présence d’une clause expresse, elle a implicitement sous-entendu qu’en son absence elle n’aurait pas hésité à le faire, protégeant ainsi un peu plus le principe de bonne foi. Malgré tout, en indiquant qu’en son absence elle aurait seulement engagé la responsabilité du marchand et non annulé le contrat, elle montre son attachement plus important à la protection de la théorie de l’économie de libre entreprise. Dès lors, elle indique sa peur d’accorder trop d’importance au principe de bonne foi au détriment de la sûreté du contrat commercial, peur qui est d’ailleurs toujours présente en droit anglais comme l’indique le fait que les exceptions aux principes ne concernent encore qu’un nombre limité de contrats, à savoir ceux où le juge estime qu’ils requièrent d’être exécutés de bonne foi. Ainsi, même s’il est peu probable qu’il existe un jour une obligation générale et précontractuelle de renseignement en droit anglais, cet arrêt est la preuve d’un mouvement vers un plus grand respect de l’obligation de bonne foi. Par conséquent, avec l’apparition de ce phénomène de balancement entre respect du principe de bonne foi et protection de la sureté des contrats commerciaux, le droit anglais tend à se rapprocher du droit français qui a adopté un mouvement similaire, avec la limitation de l’obligation précontractuelle d’information. En effet, en droit français, en dépit du respect du principe de bonne foi, on assiste à une limitation de cette dernière en raison du souci de la jurisprudence de préserver le droit de chacun de réaliser des affaires profitables. De ce fait, une partie n’est en principe pas tenue d’informer son cocontractant de ses propres faiblesses ni des atouts de son concurrent, comme le montre un arrêt de la cour de cassation (Com. 24 Septembre 2003, RTD civ 2004.86). De même, lorsqu’elle conclut l’opération, elle n’a pas non plus à informer l’autre partie des profits qu’elle espère en tirer, comme l’indique l’arrêt Baldus (Civ. 1ère 3 Mai 2000, Bull. I n° 131). Ainsi, cet arrêt est la preuve d’un début de rapprochement, en ce qui concerne l’obligation précontractuelle d’information, entre droits français et anglais, qui s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui.

Bibliographie

Ouvrages généraux

Atiyah P.S., Introduction to the Law of contract, Oxford, Clarendon Press, 1971, pp. 179-186. Bénabent A., Droit civil : Les obligations, Paris, Montchrestien, 10ème édition, 2005, n°282. Fages B., Droit des obligations, Paris, L.G.D.J., 2007, pp. 87-89. Mckendrick E., Contract Law, New York, Palgrave Macmillan, 7th edition, 2007, pp. 259-270. Treitel G.H., The Law of Contract, London, Sweet & Maxwell, 12th edition, 2007, pp. 424-440.

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Législation

Unfair Contract Terms Act 1977 (c. 50), s 6 (3)).

Décisions anglaises

Baglehole v Walters (1811) 3 Camp. 154. Keates v Cadogan (1851) 10 C.B. 591. Schneider v Heath (1813) 3 Camp 505. Smith v Hughes (1871) LR 6 QB 597. Ward v Hobbs (1878) 4 App Cas 13.

Décisions françaises

Cass. Civ. 1ère, 3 Mai 2000, Baldus, Bull. I n° 131. Cass Com., 24 Septembre 2003, RTD civ 2004.86.