ROYAUME UNI - Commentaire de l’article de Lucinda Miller : “ The Common Frame of Reference and the feasibility of a common Contract law in Europe”, par Rebecca HUXFORD

Le projet de la Commission européenne portant sur le droit des contrats a suscité de nombreux commentaires doctrinaux dans tous les pays européens. A titre d’exemple, on peut citer l’article intitulé « The Common Frame of Reference and the feasibility of a common contract law in Europe » (Journal of Business Law, 2007, Jun, 378-411), écrit par un juriste anglais, Lucinda Miller. Cet article a été publié en 2007 et en tant que tel il fournit une analyse actuelle des propositions de la Commission. Suite à une première communication en 2001 (COM(2001) 398) la Commission a identifié un besoin d’intervention au niveau européen dans le droit des contrats, afin d’éliminer les obstacles à la libre circulation des biens et des services. Le plan d’action (COM(2003) 68), qui a fait un résumé des réponses de toutes les parties prenantes, a proposé l’amélioration et la simplification de l’acquis communautaire. Ce document a aussi suggéré qu’à l’avenir un instrument optionnel communautaire serait possible. Afin d’atteindre ces objectifs la Commission a décidé de poursuivre trois activités. Tout d’abord, il a fallu établir un cadre commun de référence dans le domaine contractuel pour aider à la simplification et le développement de l’acquis communautaire. Les deux premiers volets de ce texte seront composés de définitions des termes communs et de l’énoncé des principes fondamentaux. Le cadre commun de référence servira aussi d’un point de départ pour l’éventuel instrument optionnel. Des règles modèles prévues au troisième volet auront cette fonction. Enfin, la Commission a proposé le développement de contrats types européens, mais cette partie du projet a été abandonnée en 2005. L’exposé de ces objectifs illustre le rôle central du cadre commun de référence. Lucinda Miller a choisi le cadre commun de référence en tant que sujet de son article. Elle expose des problèmes potentiels qui résultent des moyens que la Commission a adopté. Elle suggère aussi une approche différente qui aboutira peut être à l’élaboration d’un instrument utile. Ceci pourrait être mis à la disposition des ordres juridiques nationaux. En dépit du fait que cet article soit écrit par un juriste anglais et qu’il soit destiné à des autres juristes anglais, il représente un grand intérêt pour les juristes français. La France fait partie d’un ordre juridique régional et donc les juristes ne peuvent plus rester enfermés dans leurs droits nationaux. Si la majorité des États membres se montrent favorables à l’harmonisation ou à l’unification éventuelle du droit des contrats, la France serait obligée d’accepter des démarches communautaires en vertu de ses obligations à la Communauté européenne. Il est avantageux d’être conscient des développements doctrinaux dans les autres États membres. En ce moment les juristes français cherchent aussi à comprendre les effets du projet européen sur le droit des contrats. Il est possible que la doctrine étrangère fournisse des éclaircissements au débat national, en introduisant des nouvelles idées ou des nouvelles interprétations. La question posée par l’auteur dans son article est de savoir si le cadre commun de référence est un mécanisme approprié pour atteindre les objectifs fixés par la Commission. Lucinda Miller en est arrivée à la conclusion que, dans les conditions actuelles, le cadre commun de référence fera échec. Il faudrait un processus plus transparent et un débat plus informé afin que les buts puissent être réalisés. En analysant le cadre commun de référence, l’article essaye d’établir en premier lieu quelle est la nature du cadre commun de référence (I). Ensuite il donne des indices sur la possibilité de la réussite du cadre commun de référence (II).

I – La nature du cadre commun de référence

La Commission a invité des réponses à ses communications et elle les a prises en considération. Les intéressés favorisaient l’amélioration de la qualité de l’acquis communautaire. La plupart s’opposaient à l’idée d’un instrument contraignant régissant le droit des contrats. On peut se demander si le cadre commun de référence se limite au rôle d’une boîte à outils (A), rôle que lui a attribué la Commission. Cette question est importante parce que la doctrine suggère qu’une transformation vers un code européen des contrats (B) est en train de se produire.

A – Le cadre commun de référence se limite au rôle d’une boîte à outils.

La Commission fait référence à la nature du cadre commun de référence à plusieurs reprises. Elle envisage un rôle semblable à celui d’une boîte à outils pour ce document. Les institutions européennes pourront se servir du cadre commun de référence lorsqu’elles proposeront des nouveaux textes communautaires ou des modifications des directives existantes. Cet instrument sera également mis à la disposition des États membres pour inspirer les reformes législatives et accomplir d’autres objectifs précis (v. §2.1.1 et 2.1.2 de la communication « Droit européen des contrats et révision de l’acquis : la voie à suivre » COM(2004) 651 de 2004). En outre, la Commission constate, sans ambiguïté, que l’intention des institutions européennes n’est pas de créer un Code européen des contrats. Le cadre commun de référence est un instrument ayant une toute autre nature (v. §2.3 de la communication de 2004). A l’origine l’objectif du cadre commun de référence n’était que l’énoncé de certains principes fondamentaux du droit des contrats et la rédaction de définitions des termes abstraits, aux fins d’améliorer l’acquis communautaire. Le but était d’éliminer les nombreuses incohérences et problèmes découlant des termes ambigus des directives et instruments sectoriels. En raison de ce but limité, certains auteurs ont accepté l’affirmation de la Commission que le cadre commun de référence était simplement une boîte à outils. Ceci étant le cas, il n’existait guère d’oppositions fortes. Suite au plan d’action, Pauline Rémy Corlay a déclaré que les recherches sur les concepts fondamentaux et le cadre commun de référence ne peuvent qu’être approuvé. (Plan d’action sur le droit européen ; une réponse au plan d’action, Les Petites affiches 2003, n° 177, p. 3) Cependant, dans le même commentaire, Pauline Rémy Corlay s’intéresse aux problèmes potentiels d’un instrument optionnel. Parmi ces problèmes on trouve l’incompétence des institutions européennes et l’ineffectivité d’un instrument communautaire s’il n’est qu’optionnel. L’article anglais suggère que le cadre commun de référence s’éloigne de plus en plus du rôle d’une boîte à outils. L’évolution du projet sur le droit des contrats a amené la Commission à décider que le cadre commun de référence comportera des règles modèles. En plus, il servira de base pour l’instrument optionnel éventuel. Pauline Rémy Corlay, représentante de la doctrine française, et Lucinda Miller, un juriste anglais, ont toutes deux déclaré que ces caractéristiques n’étaient pas compatibles avec une simple boîte à outils. Bien qu’au début le cadre commun de référence ait été envisagé comme un projet non contraignant, il a changé de nature pendant son développement. On peut constater que le cadre commun de référence ressemble de plus en plus à un Code européen des contrats.

B – Transformation vers un code européen des contrats.

Lucinda Miller remet en cause à la fois la prétention que le cadre commun de référence est une boîte à outils et les justifications de cette prétention. Selon elle, la Commission les avance pour éviter des difficultés de nature politique. Les questions relatives à la compétence de la Communauté européenne dans le domaine du droit des contrats en général est une de ces difficultés. Les critiques auraient été inévitables si la Commission avait avoué que le projet est très fortement lié à un processus d’harmonisation des droits, plutôt qu’un instrument purement technique. La prétention que le cadre commun de référence n’est rien d’autre qu’une tentative inacceptable de codification dissimulée se trouve également dans la doctrine française. Cette critique devient de plus en plus fréquente lorsque le projet de la Commission se poursuit. Il semble donc que cet avis est partagé par les juristes dans les différents États membres au moins en Angleterre et en France. Dans la doctrine française Astrid Marais a écrit plusieurs articles sur la nature évolutive du cadre commun de référence. Elle accepte que la première partie du cadre commun de référence serve à aider les législateurs européens et nationaux et peut être considérée une boîte à outils. (Cadre commun de référence et Code Civil, Revue des contrats 2005, p. 1204). Cependant, avec le développement du projet et l’augmentation de son teneur, le cadre commun de référence est devenu plus controversé. Madame Marais présente le même argument que Lucinda Miller ; en déclarant que les justifications de ces actes par la Commission et l’affirmation qu’elle n’est qu’un médiateur visent seulement à « étouffer des critiques. » (v. Cadre commun de référence et Code Civil, Revue des contrats 2005, p. 1204) Les problèmes résultent du fait qu’on a essayé de mettre en œuvre par voie du cadre commun de référence des options distinctes proposées par la Commission ; l’amélioration de l’acquis communautaire et l’élaboration d’un instrument optionnel. Si le cadre commun de référence joue un rôle dans l’élaboration d’un instrument optionnel on ne peut plus utiliser la comparaison avec une boîte à outils. Madame Marais elle va même plus loin que Lucinda Miller et soutient que le cadre commun de référence est en fait un Code européen des contrats sous un autre nom. Considérant que la doctrine a eu une réaction forte à l’évolution de la nature du cadre commun de référence, la Commission devrait prendre en compte ces commentaires. Lucinda Miller suggère que la Commission doit être plus ouverte par rapport au rôle envisagé pour le cadre commun de référence afin de permettre un débat sur l’effectivité du cadre commun de référence.

II – La possibilité de la réussite du cadre commun de référence

Ayant établi que la nature et l’objectif du cadre commun de référence ont changé lors du projet, Lucinda Miller pose la question de savoir s’il peut réussir dans son nouveau rôle. Elle déclare que l’échec du premier et du deuxième volet du cadre commun de référence (A) est inévitable. L’harmonisation terminologique n’aboutit pas à l’harmonisation substantive. Cependant, depuis le changement des objectifs, le succès du projet sera déterminé aussi par la désirabilité d’un Code européen des contrats (B).

A – L’échec du premier et du deuxième volet du cadre commun de référence.

La Commission a appelé le cadre commun de référence une boîte à outils. Cette terminologie limite ce projet à un exercice purement technique avec pour but de révéler les notions communes dans tous les droits des contrats des pays européens. Toutefois, Lucinda Miller cite plusieurs exemples qui démontrent que parfois les notions des différents États membres, même si elles sont désignées par le même terme, n’ont rien à voir les unes aux autres lorsqu’on considère leur contenu. Tout d’abord, le projet suppose que tous les États membres ont la même conception du contrat. Un contrat est toujours un accord entre deux parties. Cependant, on ne peut pas ignorer le contexte dans lequel chaque État membre a développé son propre droit. La notion du contrat peut être soit subjective (faisant primer la volonté des parties), soit objective (se fiant aux termes et les formalités du contrat). Lucinda Miller examine l’effet que ses approches peuvent engendrer par rapport aux vices de consentement et l’inexécution du contrat. Ces différences peuvent également aboutir à des classifications différentes d’une même transaction selon le pays où elle a eu lieu. A titre d’exemple, en France la donation entre dans le domaine du contrat alors qu’en Angleterre une donation est un acte unilatéral. La directive (1999/44/CE) sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation du 25 mai 1999 fait l’objet d’un commentaire par l’auteur. Selon elle, la transposition de cette directive illustre le problème d’introduire des notions inconnues du droit des contrats dans un ordre juridique national (par exemple le droit anglais ne connaissait pas la notion précise de la conformité). A la fois, elle reconnait l’effet perturbateur des notions européennes dans les États membres où la terminologie suggère une compatibilité parfaite. Le droit commun français prévoit la garantie contre les vices cachés et la garantie au moment de la livraison. Ces deux actions ont été assimilées dans la notion européenne de la conformité. A cause de cette différence d’interprétation la France n’a pas transposé la directive pendant plusieurs années. La directive démontre également le problème des règles qui essayent de faire un compromis entre les traditions des différents systèmes juridiques nationaux. En essayant d’inclure les remèdes disponibles dans les deux pays la directive a bouleversé les droits des contrats français et anglais. Enfin, les définitions des termes abstraits ne peuvent pas traiter de tout à cause des limitations pratiques. Ceci signifie qu’il restera des lacunes. Le cadre commun de référence est donc incapable d’introduire l’harmonisation par voie de ses deux premiers volets, c’est à dire la définition des termes et des principes fondamentaux. Lucinda Miller déclare que la Commission peut poursuivre ces activités mais au moment de la mise en œuvre dans les États membres le projet n’atteindra pas son but. La Commission doit rendre le cadre commun de référence contraignant et obligatoire pour des États membres si le projet européen va produire des effets importants.

B - La désirabilité d’un Code européen des contrats

Lucinda Miller soutient que le cadre commun de référence ne peut pas surmonter l’obstacle de traditions juridiques nationales et réaliser une harmonisation « douce. » Le cadre commun de référence, en tant que la base d’un instrument optionnel, signale le commencement de la codification des droits des contrats. Le troisième volet du cadre commun de référence constitue le début de ce processus. Lucinda Miller montre que si on veut apercevoir un changement dans la pratique des États membres le succès de ce volet est le plus important. Le succès dépend de l’acceptabilité des règles modèles, caractéristique d’un Code européen des contrats, dans les États membres. Lucinda Miller ne donne pas un avis explicite sur la désirabilité d’un cadre commun de référence ayant le but d’uniformiser le droit des contrats. Elle s’intéresse plus au succès potentiel des deux premiers volets du cadre commun de référence et donne simplement une explication de sa nature évolutive. Cependant l’article donne des indices sur sa position. D’un côté, Lucinda Miller constate que la Commission n’a pas obtenu de preuves convaincantes démontrant la nécessité d’une intervention dans le droit des contrats à l’échelon européen. De l’autre côté, on peut faire une interprétation de l’article qui favorise une harmonisation plus forte dans la Communauté européenne. Lucinda Miller identifie les faiblesses du cadre commun de référence. Elle fait un critique de la tentative d’une harmonisation purement superficielle. Enfin elle propose la reconnaissance de la nature plus envahissante du cadre commun de référence pour permettre plus des débats entre les juristes. Ces éléments de l’article suggèrent qu’elle est favorable à une harmonisation réelle et effective des droits des contrats nationaux. Cet argument se trouve également dans la doctrine française. Certains soutiennent qu’il existe déjà un jus commune du droit privé. Un Code européen des contrats serait donc une codification simple des notions communes. Cependant, l’article anglais, en expliquant les problèmes rencontrés dans l’emploi d’un terme commun et les principes directeurs européens, montre que l’idée d’un jus commune européen est trop simplificatrice. Il est aussi possible de dégager de la doctrine française des oppositions fortes à l’harmonisation. M. Cornu prétend que la langue, la tradition et des divers facteurs s’opposent tous à l’empiétement du droit européen dans le droit national des contrats (Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D. 2002, chron. p. 351). M. Malinvaud soutient que l’harmonisation ne peut qu’opérer au niveau des grands principes. La mise en œuvre des notions doit nécessairement varier d’un pays à l’autre selon la culture juridique. Il se base sur l’idée que le droit des contrats est toujours très lié au contexte dans lequel il s’applique (Réponse - hors délai - à la Commission européenne : à propos d'un code européen des contrats, D. 2002, chron. p. 2542). Actuellement il semble que le cadre commun de référence n’aboutira pas à l’harmonisation du droit des contrats. Une harmonisation du vocabulaire et des grands principes ne produira pas une harmonisation effective. Toutefois, un cadre commun de référence plus effectif et contraignant ne serait pas acceptable aux juristes européens. La seule raison pour laquelle les oppositions au cadre commun de référence ne sont pas plus répandues est que la Commission dissimule la nature réelle de cet instrument.

Bibliographie%%%

Lucinda Miller « The Common Frame of Reference and the feasibility of a common contract law in Europe » J.B.L. 2007, Jun, 378-411 Directive (1999/44/CE) sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation du 25 mai 1999 A. Marais, « Plan d’action sur le droit européen des contrats », Revue des contrats 2004, p. 460 A. Marais, « Cadre commun de référence et Code civil », Revue des contrats 2005, p. 1204 A. Marais, « Cadre commun de référence et Code civil européen », Revue des contrats 2006, p. 1276 G. Cornu, « Un code civil n’est pas un instrument communautaire », D. 2002, chron. p. 351 P. Rémy-Corlay, « Plan d’action sur le droit européen des contrats : une réponse au plan d’action », Les Petites affiches 2003, n° 177, p. 3 Philippe Malinvaud, « Réponse - hors délai - à la Commission européenne : à propos d'un code européen des contrats » D. 2002, chron. p. 2542 Communication concernant le droit européen des contrats, COM(2001) 398 final, JOCE 2001, n° C 255/01 Un droit européen des contrats plus cohérent : un plan d’action, COM(2003) 68 final, JOCE 2003, n° C 63/01 Droit européen des contrats et révision de l’acquis : la voie à suivre, COM(2004) 651 final