ROYAUME UNI - Doctrine: “ The Common Frame of Reference and the feasibility of a common Contract law in Europe”, Lucinda Miller. par Mikaela NILSSON
Si l’éventualité de la création d’un « code civil européen » a déjà fait couler beaucoup d’encre, il s’agira ici de comparer les points de vue de la doctrine d’un pays de Common Law avec celle d’un pays civiliste, très attaché à son Code Civil, véritable « monument du droit français » selon Gérard Cornu… L’étude comparée de la doctrine anglaise, à travers l’article de Lucinda Miller, et française permettra de se rendre compte des éventuelles divergences de perception du rôle de l’Union Européenne et de la place qu’occupe véritablement la souveraineté des Etats
Introduction :
Si l objectif de la Commission en 2003 était de rendre le droit européen des contrats plus cohérent celui-ci devait se réaliser à travers trois actions : la création d’un cadre commun de référence (CCR), la rédaction de clauses contractuelles types et la mise en place d’un instrument optionnel.
La question se posait alors de savoir s’il fallait avoir recours à une amélioration de l’acquis communautaire ou bien à l’adoption d’un instrument communautaire. La première solution consistant en une « législation dérivée à caractère contraignant », et substituant donc le droit communautaire au droit national, et la deuxième solution assurant quant à elle la coexistence du droit communautaire et du droit national (mais le problème qui se pose alors est que cela équivaut à la fin des codes nationaux et à la fin de la diversité culturelle et cela porte indéniablement atteinte à une partie de la souveraineté des Etats). La consultation publique lancée en juillet 2001 a appuyé le fait que la majorité s’oppose à la création d’un code pour traiter des problèmes de divergence entre les droits nationaux. Et c’est pourquoi la Commission a décidé de ne pas parler de « code civil européen ». Cependant la ‘polémique’ du code européen ne semble pas être à lui seul le cœur du problème en effet la doctrine de nombreux Etats membres semble montrer des réticences très concrètes à la réalisation d’un droit européen des contrats La doctrine anglaise semble préoccupée par la proposition de la Commission européenne, en effet, Luncinda Miller dans son article « the Common Frame of Reference and the feasibility of a common Contract law in Europe » étudie la proposition de la Commission Européenne d’un œil critique. Elle affirme qu’une telle harmonisation nécessiterait beaucoup plus que la technicité relevant de la rédaction de règles communes. En effet, elle se justifie en démontrant la complexité qui existe du fait que tous les Etats membres disposent de systèmes juridiques bien différents et que la définition même de ‘contrat’ au niveau européen est problématique! Si elle s’appuie sur l’exemple des divergences existant entre l’interprétation par le Parlement Européen et par la Directive 1999-44 et l’interprétation existant en droit Français et en droit Anglais concernant la ‘non performance’ et la ‘non conformité’, ces éléments très techniques ne feront pas l’objet de cet article. Il s’agira plutôt ici de déterminer les véritables barrières qui existent en France et au Royaume-uni à l’élaboration d’un droit européen des contrats et d’un éventuel Code Européen de Droit des Contrats.
Le Cadre Commun de Référence et la doctrine anglaise :
En ce qui concerne le Royaume-Uni, la première inquiétude de l’auteur réside tout d’abord dans le feu vert donné par la Commission à l’élaboration de ce qui a été appelé le Cadre Commun de Référence. En effet, la Commission a proposé qu’un document non contraignant soit élaboré afin d’établir une terminologie commune et des règles de droit européen des contrats. Si la Commission a fait attention à ce que le rôle du Cadre Commun de Référence soit limité à un rôle financier et organisationnel la réalité semble être toute autre… Selon Lucinda Miller, ce à quoi il a été fait référence sous le terme de « toolbox of contract law » a pourtant bien d’autres objectifs. Il servirait de point de référence pour les législateurs nationaux lors de l’adoption de lois concernant le droit des contrats (que ce soit dans des domaines réglementés ou non au niveau communautaire), mais aussi pour les arbitres lors de la résolution de conflits entre deux parties contractantes et enfin, pour la Cour de Justice des Communautés Européennes en tant que source d’inspiration pour l’interprétation de l’acquis du droit des contrats. L’élément le plus controversé demeure tout du moins dans le fait que ce Cadre Commun de Référence servirait de test pour l’élaboration d’un véritable instrument optionnel que les parties pourraient choisir d’appliquer comme loi. Si la Commission ne semble pas souhaiter soulever ce point, selon l’auteur, le programme politique joue un rôle important dans l’élaboration d’un tel instrument. Le Cadre Commun de Référence ne servira pas uniquement de « dictionnaire » pour les Etats membres. Il s’agit là d’un modèle pour un système cohérent de droit des contrats, ayant une structure quasi-identique à celle des Principes de Droit Européen des Contrats ( qui ont eux-mêmes été élaborés avec un objectif, cependant non caché, d’être la première marche vers un « Code Européen des Contrats »). Lucinda Miller tente de démontrer dans son article que, malgré toutes les oppositions et réticences d’ordre économique, politique ou bien juridique, la clé du problème est de savoir si l’élaboration d’un tel système est véritablement possible (« feasable ») d’un point de vue tout simplement pratique. Si la complexité de l’élaboration de termes et de règles identiques au niveau européen est indéniable la véritable question est de savoir si cette complexité est insurmontable ou non ? Il faut tout d’abord reconnaître qu’il existe une connexion très forte entre le droit des Contrats de chaque pays et son économie, sa politique, ses choix philosophiques et sociaux ainsi que ses traditions. En effet, des concepts légaux ne peuvent être bien compris que dans le contexte où ils sont localisés. Ces éléments poussent l’auteur à affirmer que l’harmonisation doit être plus que la construction de règles de « surface ». Il faut passer d’une harmonisation purement sémantique à l’étude de l’application et de l’interprétation des règles afin de réussir à trouver les éléments qui peuvent faire l’objet d’un travail communautaire.
Étude comparée : similitudes et divergences.
Si les juristes français, très attachés à leur racine civiliste, ne veulent pas, en tout cas pour certains, voir la pierre angulaire qu’est leur code Napoléonien disparaître ou tout du moins être affecté par cette volonté de la Commission, les juristes anglais, du fait de leur système de Common Law, ne voient pas dans l’éventualité de la création d’un code européen le fond du problème.
En revanche, comme le confirme l’article de Lucinda Miller, cela ne signifie pas que les juristes anglais adhèrent à la proposition de la Commission, cela serait d’ailleurs plutôt étrange pour un pays plutôt connu pour son ‘eurosceptisme’ et très attaché à sa liberté économique. La doctrine de nombreux Etats membres semble montrer des réticences très concrètes à la réalisation d’un droit européen des contrats. Pour certains, le code civil a une place à part au sein des Etats et ce, tout particulièrement en France. Gérard Cornu souligne même qu’« irréductible à une réglementation, le code civil est un monument du droit français parmi nos références primordiales ». Si Gérard Cornu semblait rejeter l’idée d’un code en soulevant les problèmes linguistiques et culturels que cela poserait, en notant que l’assimilation d’un code civil européen à un code des contrats européens impliquerait le « démantèlement de l’édifice civil français » et en appuyant le fait que le code civil français fait partie intégrante de la France. Catherine Pietro semble quant à elle avoir une vision différente. Catherine Pietro rappelle que le code civil français est devenu « la constitution civile des Français » mais, elle ajoute qu’une coexistence entre les deux codes est possible et elle appelle les praticiens français à se joindre au débat afin de faire entendre la voix des juristes français. En effet, elle parle d’une articulation naturelle entre les codes civils nationaux et un éventuel code civil européen. Si les critiques de certains auteurs français résident dans la peur de l’abandon du Code Napoléonien, Catherine Pietro explique que le droit européen conçoit deux formes d’intégration : l’unification-substitution et l’unification- additionnelle. Et si le concept de l’Union Douanière appelle par exemple une substitution aux droits nationaux du fait des frontières communes, certaines harmonisations peuvent se faire en permettant la coexistence des droits nationaux et du droit communautaire (comme pour le droit communautaire de la concurrence). Gardant cela à l’esprit, il semble ici évident que l’élaboration d’un droit européen des contrats se fera sous forme d’unification-additionnelle et donc il n’y aurait pas à craindre pour la disparition des codes civils nationaux. Disparition qui, aux yeux d’Astrid Marais, aboutirait à la fin de la diversité culturelle et d’une part de la souveraineté des états. Cet élément qui serait d’ailleurs, selon elle, la raison pour laquelle la Commission préfère ne pas parler tout court de l’éventuelle création d’un code civil européen ! La coexistence d’un code européen et de codes nationaux serait donc possible. Le premier régirait les contrats transfrontaliers et les seconds les contrats nationaux. S’il ne faut pas oublier que la création d’un code civil européen influencera sûrement les codes nationaux, il faut tout du moins se résoudre à affirmer que la création d’un éventuel code civil européen ne signerait pas d’office la mort des codes civils nationaux. En effet, un système comparable à celui de la Convention de Vienne sur la Vente Internationale de Marchandises (CVIM) pourra être mis en place, selon Astrid Marais. La seule précaution afin d’éviter un chevauchement serait d’exclure les ventes « à fins exclusivement professionnelles » du code européen.
La France, pays civiliste, et le Royaume-Uni, pays de Common Law, n’ont évidemment pas les mêmes réticences ou approches concernant l’élaboration d’un droit des contrats européens. Cependant il est important de noter que, dans ces deux pays, la doctrine a fait part de ses interrogations et de ses doutes. Il existe certains points d’accord entre les auteurs et le tout premier serait que la Commission souhaite aller plus loin que ce qu’elle ne le laisse montrer. En effet, l’achèvement d’un « toolbox », comme l’appelle Lucinda Miller dans son article, n’est pas l’objectif final de la Commission, elle veut et ira sûrement plus loin, vers la création d’un véritable droit européen des contrats. Cependant pour Lucinda Miller le problème principal semble être la réalisation pratique puisque des termes même identiques ne cachent pas forcément la même réalité. Elle explique qu’une étude comparatiste poussée des notions mêmes est incontournable afin de créer un système viable. Les auteurs français quant à eux redoutent surtout la disparition du Code Civil, mais pour certains cette disparition n’est pas obligatoire et une coexistence reste tout à fait envisageable.
Bibliographie :
• Lucinda Miller, Journal of Business Law June 2007, 378 41, « The common frame of reference and the feasibility of a common contract law in Europe »
• Astrid Marais, RDC 2005, « Cadre Commun de référence et Code Civil » • Astrid Marais, RDC 2004, « plan d’action sur le droit européen des contrats » • Gérard Cornu, Dalloz 2002, « un code civil n’est pas un instrument communautaire • Catherine Pietro, Les Petites Affiches 2004, « un code civil européen : de l’utopie à la prospective juridique »