ROYAUME UNI - Doctrine: The European Civil Code movement and the European Union's Common Frame of Reference, Hugh Beale, par Aurore Bouqueau

Le nouveau Cadre Commun de Référence sera probablement cette année au cœur des discussions sur le droit européen des contrats. Il s’agira ici d’étudier les projets qui ont permis un tel aboutissement et de comprendre, au delà des divergences entre les pays de common law et ceux de tradition civiliste, si ce cadre pose la première pierre d’un code des contrats européen.

Introduction Selon Hugh Beale dans son article «The European Civil Code movement and the European Union's Common Frame of Reference », il existerait une véritable ruée vers la découverte (ou la création) d'un droit européen privé. En effet, l'intérêt pour le droit européen est grandissant et se traduit par de nombreux projets d'étude et projets institutionnels portant sur le droit européen des contrats. Il s'agira donc d'analyser, tout en suivant le plan de cet article, ces divers travaux, notamment le nouveau Cadre Commun de Référence, pour comprendre s'ils tendent vers l’établissement d'un droit européen des contrats, voire vers la création d'un code européen des contrats, malgré les divergences fondamentales qu'il existe entre les pays de forte tradition civiliste, comme la France, et les pays de Common Law, comme le Royaume Uni.

Les divers projets d'étude de droit européen des contrats Comme le rappelle Hugh Beale, ces dernières années ont vu émerger de nombreux projets visant à établir des principes communs en droit européen privé, à tel point que l'auteur qualifie cette tendance de « véritable industrie du restatement ». L'idée commune de ces projets est, sur le modèle américain des restatements, de créer un cadre de principes cohérents, susceptibles de fonder le droit européen des contrats de demain, tout en dépassant les législations nationales. Il s'agit donc de parvenir à élaborer une synthèse distincte de tout système juridique existant, sans avoir à rechercher le plus petit dénominateur commun. Parmi les codifications doctrinales les plus abouties se trouvent les Principes européens du droit des contrats (PEDC) et les principes Unidroit. Les PEDC s'appliquent aux contrats en Europe et visent tous les contrats, alors que les principes Unidroit s'appliquent d'avantage aux contrats du commerce international. Il est essentiel de préciser que tous ces principes sont dépourvus de force obligatoire intrinsèque et ne sont que des instruments d'étude. D'autres groupes, moins connus mais très influents, ont vu le jour tel que le « Groupe d'étude sur le code civil européen » du Professeur Von Bar, ou le « code de droit des contrats » du Professeur Gandolfi.

Le but de ces restatements Selon l'auteur, trois buts se dégagent de ces « restatements ». Tout d'abord, un but purement académique. En effet, l'étude comparée des points communs mais aussi des divergences entre les systèmes juridiques est un exercice fascinant et très enrichissant. Le deuxième objectif serait celui de l'harmonisation du droit des contrats. L'auteur s'y montre plutôt opposé, en ce qu'il soutient le troisième objectif : ces restatements auraient avant tout un objectif pratique. En effet, ces travaux n'ont pas seulement pour but de mettre en avant les points communs et les différences entres les systèmes juridiques, mais essayent surtout de proposer la meilleure règle de droit en la matière. Ces projets sont donc très utiles pour les législateurs, tant nationaux qu'européens. Ils peuvent de plus servir de guide pour interpréter la législation européenne. L'auteur soutient donc fortement l'avantage pratique de ces restatements, et ne croit pas qu'il faille aller plus loin vers l'objectif d’harmonisation. Je pense au contraire que ces principes contribuent largement à l'élaboration et à la diffusion d'une pensée juridique européenne en droit des contrats et que cette pensée devrait être rassemblée et codifiée. Le travail de codification serait donc d'ordonner ces pensées et principes sous la forme de règles cohérentes, complètes et impératives. En effet, la différence de poids entre restatement et codification se situe au niveau de leur force obligatoire : les restatements n'ont qu'une valeur pratique, ils informent et ne constituent en aucune façon une norme à caractère obligatoire, alors qu'un code a force obligatoire. Ce principe peut être tempéré par un processus d'opt in, cependant à partir du moment où les pays décideraient de l'appliquer, ils devraient strictement appliquer ses règles et ne pourraient pas les adapter contrairement aux restatements. La codification du droit des contrats répond aux développements actuels du droit des contrats. Cette codification répond tout d'abord à un objectif économique. Les transactions sont de plus en plus internationales ; cependant l'application des règles du droit international privé mais aussi le respect des diverses règles de fond et de forme complexifie la libre circulation des marchandises et des personnes en Europe. La codification permettrait donc une simplification des transactions, ce qui serait un important facteur de libéralisation et d'intensification des échanges intracommunautaires. Elle répondrait aussi à un objectif de sécurité juridique en ce qu'elle permettrait un meilleur accès à la règle de droit mais aussi une certaine rationalisation du droit. Les PEDC mais aussi les Principes Unidroit permettent donc de faciliter le commerce international et de renforcer le marché unique, mais aussi de servir de lien entre la tradition civiliste et celle de common law. Ils permettent ainsi de constituer une loi-modèle, source d'inspiration pour les législateurs nationaux et peut être première pierre d'un code européen, dont il resterait encore à déterminer le degré de précision et la force obligatoire.

L'adoption de ces projets au niveau institutionnel : vers l'adoption progressive d'un code européen des contrats? Ces projets d'étude n'ont cependant pas de force intrinsèque, il convient donc d'étudier l'influence qu'ils ont eu auprès des institutions européennes. En 2001, la Commission a publié une résolution sur le droit européen des contrats dans laquelle elle proposait 4 scenarios : aucune action communautaire, promouvoir la mise au point de principes communs de droit des contrats pour renforcer la convergence des droits nationaux, améliorer le droit privé communautaire existant en simplifiant les directives et en adaptant les instruments juridiques existants au lieu d'en adopter de nouveaux ou enfin adopter une nouvelle législation complète au niveau communautaire. Suite à cette résolution, le Commission a présenté, en 2003, à travers son « Plan d'action pour un droit européen des contrats plus cohérent », la manière dont elle entend procéder à l'harmonisation du droit des contrats. Ce plan combine essentiellement le deuxième et le troisième scenario. Elle suggère en effet les trois mesures suivantes : une amélioration de la cohérence de l'acquis communautaire par la création d'un Cadre Commun de Référence (CCR), l'élaboration de clauses contractuelles types et l'adoption d'un instrument optionnel, contenant un corps de règles susceptibles d'être choisi par les parties. La nécessité d'accroitre la cohérence de l'acquis communautaire a été unanimement saluée, contrairement à la création d'un instrument optionnel. Ainsi dans la communication de la Commission de 2004 sur le « droit européen des contrats et révision de l'acquis », celle ci a tracé la voie à suivre dans l'adoption du CCR. Il devrait servir non seulement de «boite à outils» pour la Commission mais aussi de base pour l'établissement d'un instrument optionnel en droit des contrats. Le CCR, présenté définitivement a la Commission en décembre 2008, est un instrument non contraignant, couvrant le droit général des contrat, y compris les contrats de consommation, ayant pour but d'améliorer la qualité et la cohérence de la législation communautaire. Il contient l'énoncé de principes fondamentaux, la définition des concepts juridiques-clés, mais aussi des modèles cohérents de règles dégagés à partir des meilleures solutions communes aux droits des contrats des Etats membres. Les objectifs de la Commission ayant été volontairement été dépassés, il convient donc de s'interroger sur le poids de ce cadre dans le projet d'harmonisation du droit des contrats. Hugh Beal est assez sceptique de l'impact de ce CCR en ce qu'il n'est qu'un « tool-box » et que rien n'oblige les législateurs à s'en servir. De plus, il émet certaines critiques sur sa rédaction, il aurait fallu d'avantage de commentaires pour permettre une meilleure compréhension de chaque système. Je pense au contraire que ce CCR est une étape de plus dans le processus d'unification. En effet, le troisième volet de règles types répond assez à l'ébauche d'un futur code européen des contrats. Ainsi selon A. Marais, le CCR est à la fois un « outil d'amélioration de l'acquis communautaire », mais aussi « l'ébauche du futur instrument optionnel ». En effet, l'élaboration de principes et d'une terminologie commune dans le domaine du droit européen des contrats permet de remédier aux difficultés posées par l'utilisation de termes abstraits tels que «contrats» ou «dommage», surtout lorsqu'ils renvoient à des concepts juridiques différents dans chaque ordre national. Ainsi le deuxième volet devrait faciliter le travail d’interprétation et de codification et donc l'adoption d'un futur instrument codifié. Au delà de l'amélioration du droit communautaire, le CCR constitue en lui même une ébauche d'une future codification. Le troisième volet comporte des règles-types qui portent aussi bien sur la théorie générale des contrats, comme les obligations pré-contractuelles ou l'inexécution, que sur les contrats spéciaux tels que contrat de vente et contrat d'assurance. Le but étant de dégager un « jus commune » en droit des contrats. Ce projet est donc assez abouti en ce qu'il contient un ensemble de règles impératives relatives au droit général et spécial des contrats, on peut donc avancer que le CCR forme un modèle de base pour l'adoption d'un futur code européen des contrats. Cependant, avant que le code européen des obligations ne voie un jour le jour, il lui reste de nombreuses oppositions et réticences à surmonter.

L'unification du droit des contrats sous la forme d'un code est-elle réalisable ? Seul le projet de «Code européen des contrats» est en l'espèce discuté. Il convient d'expliquer pourquoi le processus d'harmonisation du droit européen a été réduit au droit des contrats et non pas au droit civil dans son ensemble. Unifier le droit civil aurait été un projet trop ambitieux. D'autant plus que le droit civil contient des branches très différentes, chacune n'ayant pas la même charge culturelle ou émotionnelle, tel que le droit de la famille ou le droit des contrats. Le droit de la famille ou le droit patrimonial touche au plus près les individus et est le plus marqué de tradition. Il semble donc très difficile voire impossible d'harmoniser au niveau européen les règles tenant aux obligations des époux ou aux successions tant elles sont empreintes de tradition. La solution semblerait donc aujourd'hui de ne se tenir qu’à l'harmonisation de la branche ayant la plus forte connotation économique et où la pratique exerce déjà une puissante fonction unificatrice : le droit des contrats. Cependant, même limité au droit des contrats, le projet d'unification soulève d'évidents problèmes, tant économiques et politiques que juridiques. Tout d'abord, certains concepts ne peuvent donc être compris que dans leur contexte culturel. La notion de contrat est loin d'avoir la même signification dans tous les systèmes juridiques européens, ainsi le trust anglais serait en droit français considéré comme un contrat. De plus, chaque système devrait renoncer à certains concepts. Ainsi les systèmes romanistes devraient être prêts à éliminer la cause comme élément de validité du contrat, en échange les pays de common law devraient renoncer au maintien de la «consideration». Néanmoins, le problème culturel semble le plus important. Les Etats font part de leur crainte, légitime, de voir disparaître leurs spécificités juridiques culturelles (et par conséquent une partie de leur souveraineté) au profit d'un droit européen des contrats harmonisé. Cette crainte est notamment très forte en France, où notre Code Civil, «Constitution civile de la France», «lieu de mémoire de la Nation» (Selon le doyen Carbonnier), «fleur de la culture française» (Selon M. Cornu) et «grammaire de notre droit» (Selon M.Lequette) incarne la tradition juridique civiliste par opposition à la tradition de common law. Le Royaume Uni est quant à lui profondément attaché à sa tradition de common law, plutôt «eurosceptique» ; ainsi il ne souhaite pas abandonner son attachement à sa liberté économique au profit d'un code, subit comme un carcan. Ce problème de disparition des droits nationaux des contrats est lié à celui de la force obligatoire du futur instrument européen. Dans cette optique, divers mécanismes sont possibles. Ce futur droit des contrats européen pourrait être un modèle optionnel, additionnel au droit des Etats, que les parties pourraient expressément désigner comme régissant leur contrat par un mécanisme d'opt in, ou il est tout à fait possible d'imaginer la coexistence d'un code européen et des codes nationaux ou de la common law, le premier régirait les contrats transfrontaliers et internationaux et les seconds les contrats domestiques. L'unification est reconnue pour être source d'unité, cependant à défaut de définition extrêmement précise des concepts-clés du droit des contrats, des notions floues telles que la bonne foi, ou la notion de «raisonnable» seront sujettes à interprétations très diverses dans les différents pays. A défaut d'une cour de justice, dotée du pouvoir de donner des définitions autonomes, le projet d'uniformité pourrait, dans son application, être voué à l'échec et la sécurité juridique en être éprouvée. Enfin un dernier doute tient à l'utilisation effective d'un tel projet par les parties. Il n'est fait que trop rarement référence aux PEDC et aux principes Unidroit. Afin d'y remédier, il conviendra de diffuser très largement le futur code européen et de faire reconnaître sa valeur juridique et son interprétation par une cour, afin de dissiper les méfiances.

Ainsi la création d'un code européen des contrats est certes une entreprise de taille mais n'est pas insurmontable. Pour y parvenir, il convient dans l'immédiat, de continuer à développer l'élaboration d'une pensée juridique européenne en droit des contrats en, comme le propose A. Marais, créant un Institut de droit européen afin de garantir l'indépendance des recherches et d’améliorer les réflexions en la matière. De plus, il est nécessaire de faire évoluer l'enseignement du droit en créant une nouvelle génération de juristes européens, formés en droit comparé. Sur le long terme, il serait préférable que ce futur code européen des obligations, prenne tout d'abord la forme d'un système optionnel, auquel les parties décideraient de soumettre leurs contrats par un mécanisme d'opt in. Cet instrument serait aussi additionnel, ce qui permettrait de conserver les particularismes nationaux, sur le modèle de la Convention de Vienne de 1980. Enfin, il faudrait à terme rendre ce droit dispositif, celui ci s'appliquerait donc obligatoirement aux contrats transfrontaliers et internationaux, il intégrerait ainsi l'ordre juridique des Etats, tout en laissant substituer le droit interne pour les contrats nationaux. L'étape finale de cette évolution pourrait être que ce code européen des contrats devienne obligatoire tant pour les contrats internationaux que nationaux, il se substituerait ainsi au droit français et anglais internes pour régir les relations purement internes. Cependant, face aux réticences et oppositions actuelles, il semble qu'en toute hypothèse, il faille rester raisonnable et que seule la voie d'une codification optionnelle et additionnelle soit ouverte.

Bibliographie :

- The European Civil code Movement and the European Union's common frame of reference, Hugh Beale, Legal Information Management, 2006, 6(1), 4-11

- Le nouveau Cadre Commun de référence et l'acquis communautaire, par R.Schulze, RDC 2008/3 - Droit européen et international des contrats : l'apport des codifications doctrinales, par B. Fauvarque Cosson, Dalloz 2007 - Cadre commun de référence et code civil, par A. Marais, RDC 2005 - Plan d'action sur le droit européen des contrats, par A. Marais, RDC 2004 - Faut-il un code civil européen, par B. Fauvarque Cosson, RTD Civ 2002