ROYAUME-UNI La responsabilité des parents du fait de leur enfant, analyse comparée du droit français et du droit de Common Law
« Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux » (art. 1384 al. 4 du Code civil)
En droit français, la responsabilité du fait personnel a pour siège l’article 1382 du code civil qui dispose que toute personne qui par sa faute a causé un dommage à autrui a l’obligation de le réparer. L’obligation de réparation est un principe à valeur constitutionnelle (Conseil Constitutionnel, 22 octobre 1982). La responsabilité du fait personnel ne peut être engagée qu’après la preuve d’une faute ayant causé le dommage. Au contraire, la responsabilité du fait d’autrui permet d’engager la responsabilité d’une personne pour une faute commise par une autre personne dont elle est responsable. La différence entre la responsabilité du fait d’autrui et la responsabilité du fait personnel est donc que la première permet d’engager la responsabilité d’un tiers sans avoir à prouver de faute de sa part.
La responsabilité du fait d’autrui est impensable en droit pénal en application du principe de la personnalité des peines. Mais en droit civil français, la responsabilité du fait d’autrui est une institution connue depuis 1804. En effet, contrairement au droit pénal, l’action civile a pour but non pas de punir un coupable mais de réparer un dommage.
La responsabilité du fait d’autrui ajoute un nouveau débiteur d’indemnisation à celui qui a directement causé le dommage ou substitue un débiteur d’indemnisation qui sera plus solvable, ce système permet donc d’indemniser plus facilement les victimes.
La responsabilité des parents du fait de leur enfant est un système qui est largement admis dans les différents ordres juridiques européens. Deux modèles différents de responsabilité des parents du fait de leur enfant peuvent être distingués. Le premier système exige une faute de surveillance ou d’éducation des parents pour engager leur responsabilité, le second est un système de responsabilité de plein droit, c’est à dire sans avoir à rapporter de faute des parents. En France, depuis quelques années, c’est ce dernier régime qui est appliqué, ce qui permet une indemnisation quasiment systématique des victimes. Au contraire, les juges anglais considèrent que les parents doivent être soumis aux règles ordinaires de la responsabilité délictuelle qui suppose une faute de leur part pour pouvoir engager leur responsabilité.
Une étude comparative de ces deux systèmes de responsabilité permet de s’interroger sur leurs avantages et leurs inconvénients.
La différence majeure entre le droit français et le droit de Common Law concernant la responsabilité des parents du fait de leur enfant, est que le droit de Common Law exige la preuve d’une faute des parents pour engager leur responsabilité alors que le droit français se contente d’une responsabilité sans faute. Cette différence majeure découle d’une évolution du droit français puisque initialement les deux régimes de responsabilité reposaient sur la faute des parents (I), aujourd’hui ces régimes découlent de deux visions différentes des enjeux du droit de la responsabilité délictuelle (II).
I. Deux régimes de responsabilité délictuelle reposant initialement sur la faute des parents
Initialement, les deux systèmes exigeaient une faute des parents pour engager leur responsabilité du fait de leur enfant mineur (A), mais en droit français, depuis l’arrêt Bertrand, la responsabilité des parents est une responsabilité de plein droit (B).
A. L’exigence d’une faute de surveillance ou d’éducation
La responsabilité des parents pour le dommage causé par leur enfant est admise dans les systèmes de Common Law mais seulement sous réserve d’une faute des parents. Les juges anglais font application des critères du droit commun de la responsabilité délictuelle. Les victimes doivent donc apporter la preuve d’une faute née de la relation parent/enfant. Les parents peuvent être tenus responsables pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires qui auraient empêché leur enfant de causer un dommage à autrui. C’est donc une faute de négligence dans la surveillance ou dans l’éducation de l’enfant qui doit être apportée.
Si l’enfant était sous la responsabilité effective du parent au moment du dommage, tout manquement à ces mesures ne peut pas être classifié de « simple omission ». Les juges anglais sont en général assez généreux, et l’on n’attend pas des parents qu’ils exercent une surveillance équivalente à celle d’un éducateur spécialisé dans l’éducation des enfants. Nous verront plus loin que les juges de Common Law refusent d’engager la responsabilité des parents trop facilement parce qu’ils considèrent qu’il n’est pas souhaitable de juger les difficultés que des parents peuvent avoir à éduquer leurs enfants. Cela explique le peu d’affaires jugées par les tribunaux sur ce sujet.
Les enjeux de la question de la responsabilité du fait d’autrui sont surtout probatoire. Si une personne est chargée de veiller sur quelqu’un et qu’elle le fait mal, il sera toujours possible d’engager sa responsabilité personnelle pour faute. Mais engager la responsabilité d’une personne dont l’inattention dans la surveillance d’un enfant par exemple, aurait causé le dommage, nécessite de prouver l’existence d’une faute. La charge de la preuve pèse alors sur la victime qui doit établir positivement une faute pour pouvoir obtenir une indemnisation. La charge de la preuve peut aussi par faveur pour la victime reposer sur les parents.
Initialement, le droit français exigeait aussi une faute des parents pour que leur responsabilité soit engagée. Les parents pouvaient s’exonérer de toute responsabilité en apportant la preuve qu’ils n’avaient commis aucune faute de surveillance ou d’éducation, appréciée en fonction de l’âge de l’enfant, de la nature de l’activité, du caractère inoffensif ou dangereux de l’objet utilisé, du tempérament de l’enfant ou encore de l’état des mœurs.
Mais depuis l’arrêt Bernard, rendu par la Cour de cassation le 19 février 1997, la responsabilité des parents du fait de leur enfant est une responsabilité de plein droit, ce qui distingue fondamentalement le droit français du droit de Common Law sur ce sujet. Le seul moyen pour les parents de s’exonérer de leur responsabilité est d’apporter la preuve d’un cas de force majeure.
B. L’évolution du droit français vers une responsabilité de plein droit
En France, la nature de la responsabilité des parents est de plein droit à partir de l’arrêt Bernard (Civ. 2e, 19 février 1997). Dès lors, les parents ne peuvent plus s’exonérer de leur responsabilité par la preuve d’une absence de faute de surveillance ou d’éducation.
Dans l’arrêt Bernard, le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’appel d’avoir estimé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvaient exonérer les parents, alors que selon lui, la présomption de responsabilité des parents pouvait également être combattue par la preuve de l’absence de faute dans la surveillance ou l’éducation de l’enfant. Par un revirement de jurisprudence la haute juridiction a rejeté le pourvoi, en décidant que les parents ne peuvent plus s’exonérer de leur responsabilité en démontrant leur absence de faute d’éducation ou leur absence de faute de surveillance.
Dès l’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984, cette solution était prévisible en droit français. En effet, depuis cet arrêt, le fait générateur de la responsabilité des parents du fait de l’enfant est tout fait causal et non plus seulement la faute de l’enfant. Si la seule chose qui importe est l’existence d’un dommage causé par l’enfant, l’absence de faute des parents dans la surveillance ou l’éducation de l’enfant ne peut en aucun cas les exonérer. En effet, dès lors que même un comportement normal de l’enfant peut causer un préjudice susceptible de réparation, il est logique de supprimer l’absence de faute des parents comme cause d’exonération. Depuis l’arrêt Bernard de 1997, la solution a été plusieurs fois rappelée notamment dans les arrêts d’assemblée plénière du 13 décembre 2002.
Désormais, en droit français, les parents ne peuvent s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère. L’exonération par la force majeure doit être appréciée par rapport à l’enfant. La réalisation du dommage doit donc avoir été pour lui imprévisible et irrésistible (Cass. Civ. 2ème, 17 février 2011). Les parents ne pourront pas s’exonérer en arguant que le fait du mineur avait pour eux les caractères de la force majeure.
L’exigence ou non d’une faute des parents pour engager leur responsabilité délictuelle découlent de deux visions différentes des enjeux du droit de le responsabilité délictuelle.
II. Deux visions différentes des enjeux de la responsabilité délictuelle
Ces deux visions différentes des enjeux du droit de la responsabilité délictuelle ont pour conséquences des conditions de mise en œuvre de ces régimes très différentes (A), et deux systèmes d’indemnisation distincts (B).
A. Des conditions de mise en œuvre différentes
En droit de Common Law, il faut une faute de surveillance ou d’éducation pour pouvoir engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant. Les juges doivent donc déterminer les critères qui permettent de considérer que les parents ont pris ou non toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être attendues d’eux. Peu d’affaires ont été portées devant les cours anglaises sur ce sujet, il est donc assez difficile de dégager des critères précis. Il semble que le critère posé est un critère objectif d’un parent raisonnablement prudent placé dans cette situation particulière. En effet, les juges prennent en compte les circonstances particulières de l’espèce et l’âge du mineur, et admettent assez facilement les justifications des parents. Plus l’enfant approche de la majorité, moins le niveau d’exigence imposée aux parents est élevé (North v Wood (1914)). De plus, il a été reconnu que les parents ne peuvent être tenus responsables des dommages causés par de très jeunes enfants alors qu’ils jouaient dehors. Les juges anglais ont estimé que se serait une erreur de donner l’impression qu’un jeune enfant ne doit jamais être laissé seul lorsqu’il joue dehors (Palmer v. Lawley).
Dans d’arrêt Smith v. Leurs, un garçon a été blessé à l’œil par une pierre lancée par Brian âgé de 13 ans alors qu’il jouait avec sa catapulte. Ses parents l’avaient prévenus du danger et lui avaient dit de l’utiliser loin de la maison. Brian était sous la responsabilité de ses parents lors de l’accident. Les juges ont considéré néanmoins que les parents avaient pris toutes les précautions raisonnables dans ces circonstances et qu’ils ne pouvaient pas être tenus responsables. Cependant, dans différentes affaires impliquant des adolescents ayant joué avec des armes à feu, comme par exemple Newton v Edgerley, les parents ont été tenus responsables parce qu’ils avaient laissé leur enfant utiliser un pistolet, et cela malgré les consignes de prudence données à l’enfant.
Les juges anglais n’imposent donc pas aux parents une exigence impossible à atteindre, et font une analyse au cas par cas aux vues des circonstances de l’espèce.
En droit français, la responsabilité des parents est une responsabilité de plein droit. Cependant, elle ne peut être mise en œuvre que si différentes conditions sont remplies. La mise en œuvre de l’article 1384 al. 4 du Code civil suppose tout d’abord la minorité de l’enfant. Si l’enfant est majeur ou émancipé, ses parents cessent d’être responsables de son fait.
Depuis l’arrêt Fullenwarth (AP, 9 mai 1984), le simple fait causal est admis comme fait générateur. Le fait de l’enfant n’a donc pas à être une faute, il suffit que le mineur ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage pour engager la responsabilité de ses parents. Cette solution qui a été très critiquée en doctrine a ensuite été confirmée notamment par l’arrêt Levert (Civ. 2ème, 10 mai 2001) ou les arrêts d’assemblée plénière du 13 décembre 2002.
De plus, il faut que les parents exercent l’autorité parentale de façon conjointe ou unilatérale. L’exercice conjoint de l’autorité parentale est le principe en droit français dès lors qu’un double lien de filiation a été établi. Dans cette hypothèse les parents sont solidairement responsables du fait de leur enfant. Si l’autorité parentale est exercée de façon unilatérale, seul le parent titulaire de l’autorité parentale est responsable du fait de l’enfant.
Enfin, il faut que l’enfant cohabite avec ses parents. Traditionnellement la jurisprudence exigeait une cohabitation effective. Cette conception matérielle était critiquée parce qu’elle conduisait à des situations injustes et peu favorables aux victimes ; par exemple si l’enfant causait un dommage alors qu’il était confié à un tiers ou en cas de divorce quand seul un des parent exerçait l’autorité parentale et que l’enfant se trouvait chez l’autre parent lorsqu’il causait le dommage. La jurisprudence a donc fait évoluer sa conception de la cohabitation, c’est la résidence de droit qui importe et pas la résidence de fait (Civ. 2ème, 19 février 1997 ; 9 mars 2000). La cour de cassation a admis que la présence d’un enfant dans un établissement scolaire même en régime d’internat ne supprime pas la cohabitation de l’enfant avec ses parents.
B. Deux systèmes d’indemnisation différents
Le système français et le système de Common Law ont fait des choix politiques différents concernant la charge que les parents doivent supporter pour les dommages causés par leurs enfants.
Le droit anglais se caractérise par le très peu d’affaire engageant la responsabilité des parents. Les quelques affaires qui ont été jugées, concernaient en général des accidents graves impliquant l’usage d’armes à feu. Différentes explications peuvent être données pour expliquer le peu d’intervention judiciaire à ce sujet.
Tout d’abord, les tribunaux anglais sont très réticents à s’impliquer dans les affaires domestiques. Le droit anglais protège l’autonomie de la famille. Les parents doivent pouvoir élever leurs enfants comme bon leur semble. Le droit de Common Law est ainsi peu favorable aux victimes qui pourront difficilement engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant. Prouver une faute de surveillance ou d’éducation est difficile parce que les juges prennent en compte la difficulté d’élever un enfant tout en tenant une maison, surtout quand les deux parents travaillent.
Cependant cette approche très protectrice du droit civil est contrebalancée par la position du droit pénal qui n’hésite pas à imposer des amendes aux parents, ou des parenting orders et parenting contracts afin de forcer les parents à assumer leur part de responsabilité dans les infractions commises par leurs enfant, ou en les impliquant dans les peines imposées à leurs enfants. Ces mesures ne sont font pas l’unanimité, parce que certains considèrent qu’elles portent atteinte aux libertés fondamentales et sont extrêmement intrusives de la vie privée et familiale.
Une autre raison expliquant le peu d’affaire jugées serait le système d’assurance. Les plaintes pour des dommages de faible importance ont peu de chance de donner lieu à un procès en raison de l’incertitude sur l’issue du litige et de son coût, d’autant que ses dommages seront couverts par les systèmes d’assurance maladie. De plus, quand un dommage sérieux est subi, il est peu probable que les parents de l’enfant aient souscrit à une assurance. Enfin, contrairement au système français, ces assurances excluent en général tout acte délibéré ou criminel.
La plupart des procès sont en général intentés aux écoles et aux instituteurs et éducateurs, sur le fondement d’une responsabilité sans faute ou pour faute de négligence ou manquement au devoir de surveillance.
Au contraire, l’approche du droit français est très différente. Le système français repose sur une politique d’indemnisation systématique des victimes. Les enfants sont considérés comme des « personnes à risque », et plutôt que d’attendre des victimes qu’elles assument le prix des dommages causés, c’est aux titulaires de l’autorité parentale d’assumer ce coût. Les parents sont ainsi garants des dommages causés par le comportement de leur enfant. Les victimes peuvent donc toujours engager la responsabilité des parents, sous réserve des cas de force majeure. Cette approche du droit civil français a eu pour conséquence l’émergence d’un système général d’indemnisation fondé sur une répartition sociale du risque qui est financé par les compagnies d’assurance.
L’approche française met la victime au premier plan. Ce système a été critiqué parce qu’il diminue la responsabilité personnelle des parents comme des enfants, et le rôle normatif de la loi. On peut se demander s’il est opportun de caractériser les enfants comme étant des « facteur de risque». De plus, il est contestable que les parents puissent être tenus responsables du dommage causé, où que l’enfant soit, même s’ils ne pouvaient exercer aucun contrôle sur lui. Enfin, l’âge de l’enfant n’est en aucun cas pris en compte. Or plus l’enfant grandi, plus il est nécessaire voire légitime qu’il gagne en indépendance. Cette date avant/après 18 ans peut placer la victime dans une situation tout à fait différente de manière assez peu justifiée.
Au fond la réelle différence entre les deux systèmes découle d’une philosophie différente du rôle du droit de la responsabilité délictuelle dans le cadre familial : soit le droit de la responsabilité est utilisé pour encourager les individus à assumer leur responsabilité via le biais d’un système fondé sur l’existence d’une faute, soit le droit de la responsabilité est orienté vers l’indemnisation des victimes et met en place un modèle financé par les assurances. Le modèle anglais donne un critère souple d’éducation et de surveillance et ne pas l’atteindre est une faute des parents qui sont alors tenu responsables, alors que le système français met en place un système de responsabilité de plein droit, c’est-à-dire sans faute des parents.