ROYAUME UNI - La Tentative d’innovation en matière de violence économique contractuelle aux États-Unis par le Restatement (Second) du droit des contrats, par Augustin GAUJAL
En droit des contrats, le concept de Common Law de « duress », qui peut être rapproché en droit civil français à la violence, est un des vices du consentement qui a connu un des changements les plus radicaux dans son domaine et son application au cours de son « histoire moderne ». La reconnaissance de la violence économique (« economic duress » ou « business compulsion ») marque en quelque sorte son développement le plus extrême. Le Restatement (Second) du droit des contrats sur ce point a proposé une tentative d’innovation et de clarifications.
La violence comme vice du contrat est un concept présent depuis longtemps dans le système de Common Law et que le droit américain des contrats a hérité directement de celui anglais. Elle se définie comme étant « une violence ou une menace de violence exercée sur une des parties au contrat, ou bien son époux, ses ascendants ou descendants, par l’autre partie au contrat ou bien par un tiers si cette partie qui en bénéficie en a connaissance ». (William R. Anson, Principles of the Law of Contract 261-62 (Arthur L. Corbin ed., 3d Am. ed. 1919) in Black’s Dictionary - Duress, 8ème éd. 2004). Les Restatements sont des ouvrages publiés par l’American Law Institute ayant pour but de décrire le droit dans certains domaines et d’en guider le développement ; bien que fréquemment cité par les cours, ils n’ont force de loi que s’ils sont adoptés par la plus haute cours d’une juridiction. (Black’s Dictionary – Restatement, 8ème éd. 2004). Le Restatement (Second) du Droit des Contrats a donc cherché à rassembler sous l’apparence d’un code les règles régissant le droit des contrats, et dans le cas de la violence à suggérer des améliorations. Le Restatement (Second) du droit des contrats traite séparément le cas de la violence physique et la violence par la menace. Seule cette dernière sert de fondement à la violence économique. « Si la manifestation du consentement (manifestation of assent) d’une des parties est le fruit d’une menace illégitime (improper threat) par l’autre partie qui ne laisse à la victime aucune alternative raisonnable (reasonable alternative), alors la victime peut demander la nullité du contrat ». (Restatement (Second) of Contracts § 175 (1) (1981)). Le concept de menace illégitime est l’élément dont l’interprétation permet à une cours de d’admettre la violence économique en qualifiant telle ou telle situation de menace et est défini à la § 176. Il y a deux types de menaces. Le premier concerne les menaces intrinsèquement illégitimes si l’acte dont il est fait menace est un crime ou un délit, des poursuites pénales, l’usage abusif de poursuites civiles ou bien une violation des obligations contractuelles de l’exécution de bonne foi et de loyauté dans les rapports entre les cocontractants. (id. § 176 (1)). Les secondes sont les menaces qui sont illégitimes s’il en résulte que la transaction n’est pas juste et que, soit l’acte dont il est fait menace causerait un préjudice à la victime sans que l’autre partie n’y ait un intérêt, une menace gratuite en quelque sorte, soit que l’efficacité de la menace à obtenir la consentement est augmentée par des relations précédentes injustes, soit ce dont il est fait menace constitue un abus de pouvoir. (Id. § 176 (2)). Le Restatement (Second) fourni donc deux standards de menace illégitime, la section (2) était fondée sur le concept de justice, alors que la section (1) semble plus concrète. La note introductive de ces sections du Restatement précise que la portée du concept de menace illégitime inclus « les types de pressions communément appelées violences économiques ». (Id.7,2 Introductory Note). Il est intéressant de comparer la définition américaine de la violence dans le contrat, et son application à la violence économique, à celle en vigueur en France où au regard des articles 1111 à 1115 du code civil puisque que l’on peut considérer que la violence économique est « un vice du consentement qui suppose «l’exercice d’une contrainte illégitime abus d’une dépendance économiqu... sur une personne pour la persuader de conclure un contrat qu’elle n’aurait pas conclu ou qu’elle aurait conclu à des conditions différentes sans la crainte qui lui a été inspirée ». (Larroumet C., Droit Civil Tome III Les Obligations – Le Contrat ; France ; Economica ; 2007 ; 6ème édition, pp335-336). L’étude qui suit met plus en lumière les différences et similitudes existantes entre la conception française et la version traditionnelle américaine et la proposition du Restatement. Il est également important de souligner la signification d’un concept comme la violence économique dans le système américain. La société américaine repose largement sur le fameux esprit d’ « entrepreneurship », un système qui tend à la sacralisation de la liberté contractuelle (freedom of contract) (Harley J. « Economic Duress And Unconscionability: How Fair Must The Governement be? » Public Contract Law Journal; October 1988, p78) et donc au respect des engagements des parties. Il n’est donc pas surprenant que d’une manière générale les cours soient enclines à favoriser le maintien du contrat dès lors que le libre arbitre était présent lors de sa formation. Mais il est aussi normal que le droit ait développé des mécanismes permettant de protéger « le faible, l’ignorant et le profane » (Harley J., préc. cité ; p79). Il y a donc une réelle tension entre la volonté de performance du système contractuel et le souci de mitiger les effets extrêmes inhérents au système. Entre approche innovante et errements doctrinaux, il est donc légitime de se demander quel est l’apport du Restatement (Second) du droit des contrats américain ? Pour mieux comprendre les enjeux attenants à la violence économique en droit américain des contrats il faut examiner ses origines. Une fois les présentations faites il est possible de confronter les solutions en vigueur et l’apport du Restatement (Second), tout en revenant mettant en perspective avec la de la conception de violence économique adoptée par le droit français.
Si l’on se penche brièvement sur le point de départ du concept de violence contractuelle, il apparait qu’elle était limitée à un nombre réduit de catégories. Le concept original de violence selon la Common Law connaissait seulement quatre types de violences pouvant être exercées : la menace de mort, la menace à l’intégrité physique, la menace de troubles et la menace d’emprisonnement. (Harley J., préc. cité ; p80). Ces catégories de violence on pour caractéristique commune d’avoir attrait à des maux très concrets, unanimement condamnés par la morale, et ne mettant en jeu que des facteurs purement physiques. La violence ne pouvait donc exister quand dans un nombre réduit de cas. Mais la jurisprudence n’allait pas en rester là et a, petit à petit, adopté une application plus compréhensive de la violence économique. La notion restreinte de violence contractuelle a connu une mutation qui allait ouvrir la porte à la violence économique. Il s’agit des cas de menaces sur les biens (duress of goods), typiquement la situation dans laquelle une des parties au contrat menace de garder possession d’un bien si l’autre parti n’accepte pas la demande. (Giesel G. « A Realisitic Proposal For The Contract Duress Doctrine » West Virginia Law Review; Winter 2005; p453). Les cours américaines fur prompts à utiliser cette extension de la doctrine importée d’Angleterre. L’ouverture de nouvelle catégorie conduisit donc à admettre l’existence d’une violence économique quant « une des parties oblige l’autre à consentir à la transaction contre son volonté (against the free will), le consentement étant obtenu sous la menace d’une action injuste (wrongful action)». (Harley J., préc. cité ; p 84). Parmi les actions illégitimes caractérisant la violence économique on trouve la mise dans une situation financière insurmontable, la ruine, l’atteinte à la réputation économique (Harley J., préc. cité ; p 88-91). Traditionnellement il y a violence économique lorsqu’une des parties subit « la menace injuste d’un dommage économique afin de la forcer à contracter et que cette partie est privée de son libre arbitre ». (Black’s Dictionary - Duress, 8ème éd. 2004). Il faut noter que de la violence économique si elle se rapproche de la violence physique par l’obtention d’un consentement par la coercition, s’en éloigne par le caractère abstrait des menaces. Le Restatement (Premier) du Droit des Contrats permet d’achever ce tour d’horizon sur la violence économique. Dans cette première version la violence économique est établie dès lors que « la menace injuste (wrongful threat) d’une personne, par sa conduite ou sa parole, conduit une autre à accepter une transaction sous l’influence d’une crainte de nature à l’empêcher d’exercer son libre arbitre (exercising his free will), si la menace était volontairement ou pouvait raisonnablement être envisagée comme provoquant cette coercition ». (Restatement (First) of Contracts § 492 (b)). Le Restatement (Premier) propose donc aux cours de justice un test en deux parties qui s’articule autour de la menace injuste, dont le standard n’est pas expressément donné mais doit être évalué subjectivement (Restatement (First) of Contracts § 492 Commentaries a (1932)), et la perte du libre arbitre. Bien que l’adoption ne soit pas unanime, que dans certains cas les juridictions n’admettent pas ouvertement qu’elles suivent le Restatement (Premier) pour garder les coudées franches, ou encore que le test se voie rajouter des éléments, le Restatement (Premier) peut néanmoins être considéré comme la vision la plus partagée concernant la violence contractuelle. Le Restatement (Second) apporte un traitement du consentement qui tranche avec les approches antérieures. En effet au lien de regarder le consentement lui même, il détermine l’existence d’une alternative raisonnable qu’il préfère à la notion de libre arbitre contractuel contenu dans le Restatement (Premier) qui est jugé « vague et peu pratique ». (Restatement (Second) of Contracts § 175 Commentaries b. (1981)). Cela est fondé d’une part sur le constat que prétendre regarder le consentement et à la fois incorrect et hypocrite, et se prête mal à la violence économique. En effet si le libre arbitre n’existe pas lorsque l’une des parties signe un contrat le pistolet sur la tempe, cela est plus contestable dans le cadre d’une pression économique où la partie n’est pas à proprement parler privée de son libre arbitre (Giesel G. pré. cité ; p 472). De même appliquer le libre arbitre d’une entité tel que l’entreprise oblige à utiliser une fiction (Giesel G. pré. cité ; p 473). Enfin il faut remarquer que dans bien des cas le libre arbitre est analysé de manière subjective ce qui peut être source d’incertitude (Giesel G. pré. cité ; p 471). A l’opposé la solution de rechercher l’absence d’une alternative raisonnable est mieux adaptée à la conception moderne de la violence contractuelle. D’une part parce qu’il parce qu’il permet de ne considérer que les situations les plus extrêmes ou il n’y a pas d’autre choix (Giesel G. pré. cité ; p 476) mais aussi parce qu’il met à s’analyse de manière objective ce qui est un avantage en matière de certitude. La privation du libre arbitre n’est pour autant pas entièrement ignorée puisqu’elle se déduit de l’absence d’alternative qui ne peut que mener à contraindre la décision (Giesel G. pré. cité ; p 477). Il est intéressant de noter que la chambre commerciale de la cour de cassation a également déduit de l’absence d’alternative « dans des conditions techniques et économiques comparables » l’absence de choix. (Cass. Com. 3 mars 2004, Bull. Civ IV n°44). Toutefois les courts n’ont de fait que très peu adapté le « l’alternative raisonnable », pour certain c’est à cause de l’inaptitude du système à sortir de la spirale des précédents (Giesel G. pré. cité ; p 475), mais pour d’autre c’est parce que l’évaluation du consentement est un test satisfaisant (Harley J., préc. cité ; p 87). Il est intéressant de noter qu’en France on utilise un raisonnement comparable à celui du Restatement (Premier) (Aynès L. et Malaurie P., Les Obligations ; France ; Defrénois ; 2007 ; 3ème édition p 208). Les deux Restatements ne s’accordent pas quand au standard adéquat de la menace nécessaire à la constitution de la violence économique. Le premier utilise la menace injuste, solution suivie par une majorité de cours, alors que le second utilise la menace illégitime (Giesel G. pré. cité ; p488). Les deux visent à déterminer quelles menaces doivent être interdites (Giesel G. pré. cité ; p488). Définir les menaces devant être réprimandées est en matière de violence économique un but important qui doit permettre le maintien d’un standard minimal d’éthique dans le monde des affaires. (Restatement (First) of Contracts § 492 Cmt b. (1932)). Mais là où règne la confusion dans les standards employés par les cours le Restatement (Second) propose un standard unifié qui « balance équitablement les différents intérêts en jeu : blâmer la partie menaçante, défendre la partie victime et préserver la sacralisation du contrat », la conception de la menace injuste étant jugé trop vaste et vague par le Restatement (Second) (Giesel G. pré. cité ; p493). Une fois de plus il est intéressant de noter au passage que le droit français exige que la contrainte soit illégitime (Larroumet C., pré. cité ; p339). D’autre part l’article 1112 du Code civil exige que la violence soit de nature à impressionner une personne raisonnable, donc appliquer un test objectif qui est toutefois subjectivisé par la prise en considération de certains traits de la victime, tel que l’âge, le sexe et la condition. Il est curieux de noter que ni la doctrine ni la règle de droit des contrats américaine ne semble utiliser ce mélange de concept qui pourrait lui permettre de trouver le juste milieu recherché. Il faut également noter que le § 176 (2) du Restatement (Second) qui fonde l’analyse de la menace sur le caractère injuste a été rejeté en chœur par la pratique et la doctrine. Les types de dommages couverts par la théorie de la violence économique en matière contractuelle sont relativement variés aux États-Unis. Ainsi quelque soit le test retenu pour déterminer l’existence ou non de la violence économique sont admis la mise dans une situation financière insurmontable, la ruine financière, ou encore l’atteinte à la réputation commerciale, sans qu’il semble exister de limite certaine aux situations économiques pouvant constituer la violence (Harley J., préc. cité ; p 89 91). La jurisprudence américaine fait donc dans l’ensemble une application extensive de ce concept dans le domaine économique. En droit français l’état de nécessité ne peut constituer une violence car la violence doit être exercée, c’est pourquoi les circonstances économiques ne peuvent être à elles seules constitutives de la violence. (Larroumet C., pré. cité ; pp337-338). Il faut également qu’il s’agisse de l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique (Aynès L. et Malaurie P., pré. cité ; p268), laquelle dépendance a été définie par la cour de cassation comme étant la situation dans laquelle « une entreprise ne dispose pas de la possibilité de se substituer à un fournisseur dans des conditions techniques et économiques comparables » (Cass. Com. 3 mars 2004, Bull. Civ IV n°44) mais ne peut être en revanche la situation d’une employée de maison d’édition forcée de céder les droits d’auteur sur son travail à son employeur (Cass Civ. 1ère , 3 avril 2002, Sté Larousse Bordas, Bull Civ I, n°108). Conséquences et remèdes ne varient pas d’une conception à l’autre. S’il faut bien souligner un point d’entente entre les différents c’est en ce qui concerne les effets et les remèdes relatifs à la violence économique. Ils sont similaires à ceux de la violence en général, c'est-à-dire la nullité relative du contrat. Il faut tout de même noter que la violence doit être dénoncée sinon elle sera considérée comme accepté tacitement (article 1115 du Code civil). Si les Restatements ne prévoient rien à cet égard le mécanisme similaire existe toutefois en Common Law. Conclusion : la doctrine américaine de la violence économique souffre malgré tout de l’absence d’uniformité qui règne. D’une part le standard du libre arbitre contractuel a abouti à un blocage à cause de son interprétation qui s’est peu à peu figée dans chaque juridiction. Cela est bien dommage car les cours perdent là un moyen de policer le contrat alors que le Restatement (Second) leur offre une alternative tout à faire raisonnable.