ALLEMAGNE: § 1626a en lien avec le §1672 al 1er BGB, l’évolution de l’autorité parentale des parents non mariés en droit allemand

                En droit allemand, le terme d’ « elterliche Sorge », c’est-à-dire « autorité parentale » est le pouvoir de s’occuper de l’enfant en lui-même, mais également celui d’administrer son patrimoine (§1626 al 1er BGB).

Logiquement, les parents en sont détenteurs. Le paragraphe 1626a BGB dispose cependant que « si les parents ne sont pas mariés ensemble lors de la venue au monde de l’enfant, l’autorité parentale leur appartient communément s’ils déclarent vouloir l’exercer conjointement ou s’ils se marient. Autrement, la mère a l’autorité parentale ». Il en découle que lorsque la mère est mariée, le père exerce conjointement l’autorité parentale ou « gemeinsame Sorge » avec elle. Si elle ne l’est pas, le principe est celui de l’autorité unilatérale ou « Alleinsorge » de la mère (§1626a al 2 BGB).
En droit français, le principe est en revanche celui de la « coparentalité », ce qui explique que nous nous pencherons sur la question de l’équité entre homme et femme de la loi allemande en comparant avec notre système. Nous étudierons donc d’abord la transmission de l’autorité parentale, puis la limite de la norme allemande critiquée par les instances européenne et interne, ce qui a engendré une simplification de la procédure de transmission de l’autorité au père.
 

I°] L’autorité parentale dans le cadre de la parentalité hors mariage  

A°) Les modalités de l’attribution de l’autorité parentale

                D’après le § 1626a BGB l’autorité parentale appartient aux deux parents s’ils se marient ensemble ou si le père déclare vouloir obtenir cette autorité parentale. Sa validité est soumise à l’accord de la mère. Sans cela, la déclaration n’a aucune valeur juridique. Le §1672 al 1er BGB ajoute par ailleurs que le père peut demander devant le tribunal à ce que l’autorité parentale lui soit transmise. Ce qui nécessite une fois de plus l’accord de la mère. Si la mère s’obstine à refuser cette autorisation, elle dispose de la « Alleinsorge ». Son lien de filiation indéniable avec l’enfant et le fait qu’elle en soit responsable dès la grossesse, explique sa prééminence.

En l’absence de mariage des deux parents entre eux, la seule volonté du père de s’investir dans la vie de l’enfant ne suffit pas à remplacer le consentement de la mère, celle-ci bénéficie d’un véritable droit de veto. En 20031 , la cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne a même estimé que serait contraire à l’intérêt de l’enfant d’octroyer l’autorité parentale au père sans l’accord de celle-ci.
La « gemeinsame Sorge » requiert une entente entre les parents dans l’intérêt de l’enfant. Le fait qu’ils vivent en concubinage et qu’ils puissent à tout moment se séparer met en doute la stabilité de leur relation et leur capacité à prendre des décisions ensemble concernant l’enfant.
Lorsque la séparation est antérieure à la naissance, il semble d’autant plus incertain que les parents s’entendent, ce qui nuit à l’enfant. Pour cette raison, le père n’était considéré responsable de l’enfant qu’à condition qu’existe une vraie vie familiale jusqu’en 1995.
La possibilité d’une autorité parentale conjointe n’apparait d’ailleurs qu’en 1998 suite à une réforme.  

En France, aucun consensus des parents n’est exigé. Les articles 371-1 et 372 code civil précisent que les deux parents sont titulaires de l’autorité parentale et peuvent l’exercer dès lors que leur filiation avec l’enfant est déterminée.
Il faut néanmoins noter que dans les cas où la reconnaissance – généralement de paternité -intervient après la première année de vie de l’enfant, ou encore que la filiation est fixée par jugement ; l’autorité parentale ne sera pas de droit exercée conjointement par les parents. Celui dont la filiation est préexistante, exerce unilatéralement cette fonction.  Si les parents sont en bons termes, ils pourront cependant se rendre au tribunal de grande instance pour y déclarer vouloir l’exercer ensemble2.
 

B°) Les conséquences du mode d’attribution de l’autorité parentale sur les relations parent-enfant.

                Parce qu’il ne dispose pas du droit de garde, le père qui n’est pas marié à la mère ou qui ne l’a jamais été, ne peut prendre seul de décision à l’égard de l’enfant selon le droit allemand. Cela n’empêche pas qu’il arrive en pratique, qu’il participe à la prise de décisions s’il vit avec la mère. Cela ne pose problème que dans les cas où le compromis est impossible, ou en cas de séparation. Cependant, l’absence d’autorité parentale du père n’empêche pas celui-ci de disposer d’un droit de visite d’après le §1684 al 1er BGB ; ou encore d’un droit d’héberger ponctuellement l’enfant. Il lui faut aussi subvenir aux besoins de l’enfant par le biais de pensions alimentaires. Le droit allemand opère donc une distinction entre l’autorité parentale qui est donc le droit et le devoir de s’occuper de l’enfant et de décider pour lui et ces autres prérogatives3. A moins d’apporter la preuve de la dangerosité du père pour l’enfant, la mère ne peut d’ailleurs pas s’y opposer.
Il peut même arriver que la mère qui ne peut s’occuper de l’enfant, décide qu’il résidera dorénavant chez le père. Il ne s’agit que de cas exceptionnels. Une mère ayant conservé seule l’autorité parentale préfèrera souvent confier l’enfant à un tiers en cas d’urgence.

Théoriquement, il est même possible pour le père de faire une demande en justice aux fins que l’enfant réside officiellement chez lui. En pratique, sa demande sera rejetée parce qu’il serait trop compliqué de donner ce droit à un père qui ne peut prendre ne serait-ce que les décisions les plus infimes à l’égard de son enfant. Il s’agit d’une spécificité du droit allemand par rapport au droit français.

En droit français,  le fait que les deux parents soient d’entrée titulaires de l’autorité parentale et aptes à l’exercer, entraine en théorie une parfaite  égalité de droits et de devoirs entre eux à l’égard de l’enfant. Le législateur français a d’ailleurs affirmé dans l’art 373-2 c.civ  que la séparation ou le divorce des parents ne doit pas avoir de conséquence sur la vie familiale et sur le partage des prérogatives issues de l’autorité parentale. Contrairement à la conception allemande, la séparation – même si elle a beaucoup de conséquences sur la vie de l’enfant – n’a pas d’effets sur l’éducation de celui-ci. C’est ce qui a justifié depuis 2002 le fait que la coparentalité continue de prévaloir.

En pratique, la volonté du législateur reste tout de même difficile à réaliser et les prérogatives issues de l’autorité parentale sont réparties tant bien que mal entre les parents. Il faut alors notamment différencier le droit de décision qui reste commun et le droit de résidence qui est généralement détenu par un seul des parents et est considéré comme un élément même de l’autorité parentale en droit français4.
Seules des circonstances exceptionnelles entrainent l’exercice unilatéral de l’autorité par l’un  des parents et à condition que cela corresponde à l’intérêt de l’enfant.

II°] La remise en question du droit de veto de la mère dans l’attribution au père de l’autorité parentale

A°) La discrimination du père par rapport à la mère sur le fondement des art 8 et 14 de la CEDH

                Le 3 Décembre 2009, la législation allemande a été remise en question par la Cour européenne des droits de l’Homme saisie par un père dont la fille est née hors mariage.
Monsieur Zaunegger demandait à recevoir l’autorité parentale que la mère lui refusait. La cour a constaté que le droit de veto de la mère et le refus des juridictions allemandes de sa demande visant à ce qu’elles remplacent l’accord de celle-ci afin de se voir transmettre l’autorité parentale, sont contraires à la CEDH. Elle considère ainsi que Monsieur Zaunegger a été  traité différemment de la mère ou d’un père marié ou divorcé et que cela constitue une violation de l’art 14 qui interdit toute discrimination, notamment basée sur le sexe et qu’il est lésé dans son droit au respect de sa vie familiale conféré à l’art 8. Elle rappelle par ailleurs que le terme de « famille » ne se limite pas aux relations parents-enfants au sein du mariage.
 Elle a estimé que la solution adoptée par le droit allemand aux §1626a et 1672 BGB de priver d’autorité parentale le père qui n’obtient pas l’accord de la mère, n’est pas proportionnée par rapport au but recherché ; à savoir la réalisation du bien-être de l’enfant.
La décision allemande est d’autant plus critiquée par la cour européenne, que Monsieur Zaunegger remplissait effectivement son rôle de père.

B°) La transcription en droit interne de la décision de la Cour européenne par la Cour constitutionnelle allemande 

                A la suite de cette décision, la cour constitutionnelle allemande est revenue sur sa jurisprudence antérieure et a déclaré que le §1626a et le §1672 al 1er BGB violent notamment l’art 6 GG sur la famille.
Dans sa décision du 21 Juillet 2010, elle considère comme discriminatoire envers les pères non mariés de les empêcher d’obtenir l’autorité parentale par le biais d’une décision juridique quand la mère refuse sans raison légitime qu’elle soit détenue conjointement et ce, alors que l’art 6 al 2 GG reconnait la responsabilité des « parents » à l’égard de l’enfant. Ce qui n’est donc pas réservé à la mère.

En revanche, le fait que le père ne soit pas d’office porteur de l’autorité parentale n’est pas en soit inconstitutionnel puisqu’il n’en est pas totalement privé et qu’il est nécessaire pour l’enfant qu’il lui soit assigné un responsable dès sa naissance. La mère étant la femme qui a mis au monde l’enfant, il est préférable pour la sécurité juridique de l’enfant de lui attribuer de principe l’ « Alleinsorge »5.  Mais le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir ce droit lorsque la mère s’y oppose constitue une violation de l’article 3 al 1er et al 2 GG sur l’égalité entre homme et femme sans qu’aucune raison objective valable n’existe pour justifier que les mères soient avantagées de la sorte6.

De plus, il a été jugé que la place de l’arbitraire de la mère a été jusque-là trop importante. Une étude a notamment révélé que les raisons pour lesquelles les mères refusaient leur autorisation aux pères s’appuyaient généralement sur des raisons personnelles liées à leur relation avec le père alors que seul l’intérêt de l’enfant devrait être pris en compte7. Les intérêts des parents ne devraient y avoir aucune influence.

Enfin, considérant qu’il n’existe plus  depuis 1998 de distinction en Allemagne entre enfants légitimes et enfants naturels et que le 5ème alinéa de l’art 6 GG consacre l’égalité entre eux, ne s’agirait-il pas d’une violation de ce principe ?

La cour a donc ordonné aux juges du fond de continuer d’appliquer le §1626a mais d’analyser au cas par cas les requêtes et de remplacer le consentement de la mère s’il s’avère que l’extension de l’autorité parentale au père profitera à l’enfant. La cour ajoute que le parlement doit opérer une réforme.
Elle précise néanmoins que la mère ayant refusé son consentement au père ne se verra pas privée de son autorité pour autant8 puisqu’elle tire son droit de refus de la loi et il n’est donc pas répréhensible d’en faire usage.
Elle souligne néanmoins que le §1666 BGB envisageant la suppression par le juge du droit de garde de l’un des parents peut tout aussi bien toucher une mère, qu’un père. Il faut pour cela que l’intérêt de l’enfant l’exige. 

III°] Le projet de loi apportant modification du BGB : la fin du droit de veto de la mère ou le début de plus grands droits et devoirs du père

A°) La présomption par le juge du bien fait de la « gemeinsame Sorge » pour l’enfant : un mode d’extension simplifié de l’autorité parentale au père  

                Comme il était déjà prévu dans le projet de loi du 17 Octobre 20129, la réforme du 16 Avril 201310 supprime le §1672 et dispose que le §1626a continuera de n’octroyer d’office l’autorité parentale qu’aux mères lorsque celles-ci ne sont pas mariées.  Le père pourra de son côté déclarer vouloir obtenir l’autorité parentale sur l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance et à l’adolescence, en espérant que la mère donne son accord tout comme précédemment ; ou bien engager directement une procédure devant le juge aux affaires familiales pour que celui-ci remplace l’accord de la mère. De sorte qu’à la volonté du père de s’investir dans l’éducation et la vie de l’enfant, ne puisse s’opposer l’arbitraire de la mère.

Pour que le juge accède à sa demande, il faudra que l’exercice du « gemeinsame Sorge » ne soit pas contraire au bien être de l’enfant. Il n’est pas nécessaire de prouver en revanche qu’il sert le bien de celui-ci. Il ne faut juste pas qu’il risque de desservir manifestement les intérêts de l’enfant.
Tant que la mère, ne s’oppose pas de manière manifeste ou n’apporte aucune raison valable qui justifierait que l’autorité parentale lui soit réservée, et à moins que le tribunal n’ait connaissance par d’autres moyens d’éléments qui seraient en défaveur de la demande du père ; il est supposé que l’attribution commune de l’autorité parentale n’a aucune conséquence négative sur le bien-être de l’enfant.  Ce qui entraine donc la consécration du père en tant que personne capable de s’occuper de l’enfant et d’être responsable pour lui, comme il en a exprimé le souhait. Une mère est par la suite forcée d’exercer son autorité parentale conjointement avec le père sur les questions importantes. Pour les questions de moindre importance à l’égard de l’enfant, le père affecté de l’autorité parentale pourra – au même titre que la mère – décider seul.

Grace à ces présomptions le tribunal devrait pouvoir dorénavant statuer rapidement pour le bien être de l’enfant.

De plus, il faut souligner la création par le législateur allemand d'un droit de véto de l'enfant ayant atteind l'âge de quatorze ans. Celui-ci pourra - malgré l'accord de l'autre parent - refuser que son père reçoive l'autorité parentale ou que l'un de ses parents l'obtienne de manière exclusive. Cette innovation consacre donc un rôle à l'avis de l'enfant qui est le premier concerné et devrait avoir conscience de ce qui permettra son bien-être. 
Ce qui fait naître tout de même la question de savoir si le juge pourra s'opposer ou non à la décision d'un enfant qui subirait des pressions d'autres membres de sa famille ou dont un handicape mental serait avéré. 

Ce qui risque de ralentir de nouveau une procédure qui était censée s'effectuer de manière rapide. 

 

B°) Une fin possible de la liberté du père d’exprimer ou non la volonté de s’occuper de son enfant ?

                Enfin, si la nouvelle loi propose aux pères de réclamer l’exercice de l’autorité parentale en commun, elle donne également la possibilité aux mères d’en faire la demande elles-mêmes. Une mère souhaitant voir le père s’impliquer davantage dans la vie de son enfant, pourra ainsi l’y forcer si le juge considère que cela est dans l’intérêt de l’enfant. La liberté de choix qui semblait subsister pour les pères de décider si oui ou non ils souhaitent s’investir dans la vie de leur enfant, semble connaître une nouvelle limite. C’est ainsi leur liberté négative qui pourra être remise en question. Néanmoins, il semble difficile d’obliger en pratique à ce que le père s’intéresse à l’éducation de son enfant et rencontre la mère ou ait un quelconque contact avec elle pour prendre des décisions à l’égard de l’enfant si celui-ci le refuse.

Il faudra donc attendre de voir qu’un tel cas se présente devant les tribunaux puisque pour le moment, la réforme vient tout juste d'entrer en vigueur le 19 Mai 2013, conformément à son article 7.


 

Bibliographie :

Textes de loi :

- Das Bürgerliche Gesetzbuch
- Code civil
- Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen
Entwurf eines Gesetzes zur Reform der elterlichen Sorge nicht miteinander verheirateter Eltern (Projet de loi portant réforme de l'autorité parentale des parents non-mariés)
- Gesetz zur Reform der elterlichen Sorge nicht miteinander verheirateter Eltern vom 16. April 2013 

 

Site internet :

- www.coe.int
- Euractiv.de
- Halde.defenseurdesdroits.fr


Manuels:

- Droit de la famille, Pierre Murat Dalloz, 5ème édition, 2010
- Die elterliche Sorge bei nichtehelichen Kindern, Rebecca Volkner, Logos Verlag, 2011
- Familienrecht Martina Weber, Juristische Grundkurse, H.P. Richter, 2. Auflag 2009
- Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, Annick Batteur, LGDJ, 6ème édition,2012
- Münchener Kommentar zum BGB, 6. Auflage, 2012
 

Revue:

- Bundesgesetzblatt 2013 
- FamRZ 1998
- FamRZ 2010
- NJW 2003

 

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29.1.2003 NJW 2003, S. 955

Droit de la famille, Pierre Murat, Dalloz, 5ème édition, 2010

Familienrecht, Martina Weber, Juristische Grundkurse, H.P. Richter, 2. Auflag, 2009, p103

Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, Annick Batteur, LGDJ, 6ème édition,2012, p246 - n°496

Münchener Kommentar zum BGB, 6. Auflage, 2012, Rn 3e-3i

Rauscher, FamRZ 1998, 329 (335)

Die elterliche Sorge bei nichtehelichen Kindern, Rebecca Volkner, Logos Verlag, 2011, p54

BVerfG, FamRZ 2010, 1403, 1409

Entwurf 17/11048

Bundesgesetzblatt 2013 Teil 1 Nr 18