L'employment at-will aux Etats-Unis: un concept amené à disparaître ?
Le concept d’employment at-will a connu de nombreuses évolutions au cours de ces dernières années et il convient de s’interroger sur ce qui les a motivées et sur ce que ce terme signifie aujourd’hui en droit du travail américain.
L’employment at-will est un concept de droit du travail anglo-saxon qui trouverait son origine dans le traité publié en 1877 par Horace Wood « Master and Servant ». Il désigne pour l’employeur comme pour l’employé la possibilité de mettre fin à la relation de travail sans avoir à fournir de justification. L’arrêt Payne v. Western & Atlantic R.R, 81 Tenn. 507 (1884) dispose ainsi : « Toute personne peut renvoyer ses employés “at will”, quel que soit leur nombre, pour une cause réelle et sérieuse, sans cause, ou même pour une cause moralement répréhensible sans avoir à craindre de répercussions légales. A fortiori il peut les menacer de renvoi sans commettre d’acte illégal proprement dit. »
Cette définition de 1884 donne des pouvoirs extrêmement larges à l’employeur et semble le décharger de toute responsabilité au regard de la loi concernant le licenciement de ses employés. A l’heure actuelle 49 des 50 états américains continuent de reconnaitre l’employment at will comme la règle générale en matière d’embauche. Les employés qui bénéficient du régime de la « cause réelle et sérieuse » constituent quant à eux l’exception (seul le Montana autorise le licenciement uniquement s’il est fondé sur un motif réel et sérieux). Cependant, au cours des 130 dernières années, des décisions de justice ainsi que des lois fédérales et d’états sont venues définir un cadre légal plus strict en matière de licenciement.
L’employment at-will offre-t-il encore à l’employeur américain une flexibilité importante en matière de licenciement?
Nous essayerons tout d’abord à travers l’étude des règles de droit du travail du Maryland de proposer une définition du concept d’employment at-will, puis dans une seconde partie nous étudierons les modification apportées par le juge et le législateur et enfin nous nous interrogerons sur les différences majeures entre le droit américain et le droit français en matière de licenciement et leur disparition progressive au profit d’un droit américain plus protecteur de l’employé.
I) La mise en application du principe at-will dans un Etat américain :
Le chapitre 3, section 3.02 du droit du travail du Maryland définit l’employment at-will ainsi : « les relations de travail dans le Maryland sont présumées être gouvernées par le principe de la volonté des parties ». En pratique cela signifie que l’employé comme l’employeur peuvent mettre à fin à la relation de travail quand ils le désirent sans avoir à fournir de justification pour la démission ou le licenciement. Cette règle a été introduite par la Cour d’appel du Maryland en 1887 dans son arrêt McCullough Iron Co. v. Carpenter : « Il ne fait aucun doute que dans cet état (le Maryland), la règle est que tout emploi à durée indéterminée est un employment at-will. » Ce principe a été par la suite réaffirmé dans des décisions postérieures de cette même cour. L’arrêt Adler v. American Standard Corp. vient en 1981 introduire le principe de volonté des parties en dressant un parallèle entre l’embauche qui dépend « du bon plaisir des parties » et le licenciement auquel, selon les juges, devrait s’appliquer cette même règle.
La loi du Maryland dispose cependant que « cette présomption peut être contredite par des clauses expresses ou implicites qui viennent prouver que les parties voulaient créer une relation de travail pour une certaine période ou jusqu’à ce que certaines circonstances se produisent. » L’employment at-will serait donc apparemment la règle par défaut qui ne pourrait être renversée que par un contrat de travail à durée déterminée ou des stipulations imposant des limitations à la possibilité pour l’employeur de renvoyer son employé. Paradoxalement, le contrat à durée déterminée offre donc plus de stabilité et d’assurances qu’un contrat à durée indéterminée qui peut se terminer à tout moment. Il est à noter que certaines juridictions ont estimé que des déclarations faites dans un manuel de l’employé remis après l’embauche pouvaient constituer des clauses contractuelles opposables à l’employeur lors du licenciement. Une Cour pourrait par exemple exiger l’existence d’une cause réelle et sérieuse pour licencier un employé à qui l’on promet dans le manuel un emploi permanent à l’issue d’une période d’essai réussie. En pratique, la majorité des employeurs du Maryland et, de manière plus générale, la majorité des employeurs américains préfère aujourd’hui préciser dès l’embauche que l’emploi sera « at will » et, lors du licenciement, indiquer la cause de ce dernier pour se protéger contre un recours de l’employé. L’employé dispose en effet désormais de plus de bases légales pour contester son licenciement grâce à la multiplication d’exceptions jurisprudentielles et législatives.
II) Une multiplication des exceptions au principe d’employment at-will : Une volonté de restreindre les pouvoirs de l’employeur en matière de licenciement?
Les critiques à l’encontre de ce principe se sont multipliées et de nombreux auteurs estiment que le législateur devrait le supprimer de façon définitive.
Au cours des 20 dernières années, de plus en plus d’états ont adopté des lois ou réglementations limitant le pouvoir de l’employeur au regard du licenciement de leurs employés dit « at-will ». Il est donc légitime de se demander si la volonté derrière ces nouvelles dispositions n’est pas en réalité de progressivement mettre fin à l’employment at-will.
En 2009, à la suite de la publication par la Société de droit américain (American Law Institute) d’une nouvelle synthèse des règles de droit du travail (Restatement Third of Employment Law), plusieurs juristes se sont insurgés contre la désignation de l’employment at-will en tant que règle par défaut à l’embauche. C. Palefsky, avocat californien spécialisé en droit du travail, est allé jusqu’à dire que l’employment at-will tel qu’il était entendu à l’origine est, dans l’état actuel des choses, « mort ». Selon lui, les nombreuses exceptions créées par le juge et le législateur ont fait disparaitre le concept tel qu’il existait il y a encore quelques années.
Dans l’Etat du Maryland sont interdits (en plus du non-respect lors de la procédure de licenciement des clauses d’un contrat expresse ou implicite évoqué dans la première partie et adopté par beaucoup des Etats « at-will »):
1) Les licenciements contraires à une politique publique (établis dans le Maryland par l’arrêt Adler v. American Standard Corp de 1981 qui considère tout licenciement violant le mandat d’une politique publique comme étant abusif).
Constitue une violation d’une politique publique le renvoi de l’employé fondé sur le signalement par ce dernier des pratiques illégales de son employeur, tout comme le licenciement d’un employé qui serait justifié par son refus de participer ou de se voir soumis à des pratiques illégales, par la participation de celui-ci à des activités syndicales légales ou encore par sa demande d’indemnité suite à un accident du travail.
Dans le Maryland il est également illégal de renvoyer un employé qui souhaiterait s’absenter de son travail afin d’aller voter si ses horaires ne lui permettaient pas d’y aller avant ou après.
L’exception de politique publique est la plus largement reconnue au sein des états dit « at will » et a été adoptée par la majorité d’entre eux.
2) Le licenciement contraire à une loi ou un règlement fédéral ou de l’état du Maryland :
L’exemple le plus souvent cité est le Titre VII du Civil Rights Act de 1964 qui protège les employés contre les discriminations basées sur le sexe, la religion, la race, la couleur ou la nationalité. Le Maryland, tout comme la plupart des Etats, a également adopté un acte qui vient poser les principes de justice et de respect sur le lieu de travail opposables à l’employeur en cas de licenciement.
3) Il existe également une dernière exception, relativement récente, et adoptée par une minorité d’états seulement : l’exception de bonne foi et de loyauté.
Cette dernière prend ses racines dans le droit des contrats (le principe de bonne foi et loyauté est défini par le Code Uniforme de Commerce et dans le droit commun des contrats). Elle implique que les deux parties au contrat interagissent avec bonne foi et loyauté au regard des stipulations de ce dernier. Dans le contexte de la relation employeur/employé ce principe a été interprété comme interdisant à l’employeur les renvois de « mauvaise foi » ou motivés par une « cause malveillante ». Le pionnier dans l’adoption de cette nouvelle exception est la Californie (qui a également été le premier Etat à adopter l’exception de politique publique).
Si elle venait à être adoptée par d’autres juridictions cela pourrait donner au juge américain la marge de manœuvre nécessaire pour mettre progressivement fin à l’employment at-will.
En application de cette nouvelle exception un employeur renvoyant sans raison un employé ayant travaillé pour lui pour une longue période et dont le travail n’a jamais été remis en cause fait preuve de mauvaise foi (v. Lawrence M. Cleary v. American Airlines, Inc.,). On parle dans ce cas d’exception de bonne foi et loyauté fondée sur la conduite de l’employeur. Autre exemple : un employeur qui renverrait son employé pour éviter de payer à ce dernier sa pension de retraite (v. Kmart Corporation v. Ponsock), verrait également s’appliquer l’exception mais fondée cette fois ci sur une base légale, le retrait d’un bénéfice dû à l’employé.
Nous avons donc pu constater que la tendance actuelle aux Etats Unis serait plutôt en train d’évoluer en faveur d’une meilleure protection de l’employé au détriment des libertés autrefois garanties à l’employeur.
III) L’évolution du concept d’employment-at-will américain : vers l’adoption de règles plus strictes en matière de licenciement à l’image du modèle français ?
Il est important de noter que parmi les Etats occidentaux seul les Etats Unis continuent d'appliquer des règles aussi permissives et peu protectrices de l’employé en matière de licenciement. Cependant, comme nous l’avons décrit dans la seconde partie, la tendance est en train de se renverser. En France les modalités de licenciement sont bien plus strictes : ainsi un employé ne peut être renvoyé sans qu’il existe de cause réelle et sérieuse justifiant ce renvoi.
Le licenciement sans cause est interdit et peut donner lieu pour l’employeur à des sanctions telles que le paiement d’indemnités ou, de façon beaucoup plus rare, la réintégration de l’employé à son poste. L'article L1235-3 du Code du travail dispose : « Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. » Cependant si le Code du Travail évoque la cause réelle et sérieuse, celle-ci n’a jamais été formellement définie par le législateur. La loi du 13 juillet 1973 vient créer l’obligation pour l’employeur de motiver le licenciement mais laisse à l’appréciation du juge l’existence de cette cause sans lui donner de définition formelle. Les débats parlementaires précédant l’adoption de la loi ont aussi apportés quelques précisions : la cause est réelle si elle est objective, existante et exacte c’est-à-dire que le motif ne peut être discriminatoire ou fondé sur des considérations purement personnelles, doit être fondée sur des faits vérifiables et être la véritable cause du licenciement. Le caractère sérieux, lui, s’apprécie en fonction de la gravité de la cause « qui rend impossible sans dommages pour l’entreprise, la continuation du travail et qui rend nécessaire le licenciement ».
La cause réelle et sérieuse n’est cependant pas totalement absente du droit américain. Les employés de l’Etat fédéral (que l’on pourrait comparer aux employés du service public en France) sont tous des employés au statut protégé tout comme les employés dont le contrat précise spécifiquement qu’ils ne pourront être renvoyés que si ce licenciement est justifié. Il ne faut pas confondre ces « just cause employees » avec le principe de cause juste appliqué aux membres d’organisations syndicales et qui ne s’appliquent que dans le cas où ces derniers agissent en violation du règlement mis en place par l’employeur.
Si l’employment at-will venait dans un avenir plus ou moins proche à disparaitre aux Etats Unis, le licenciement conditionné à l’existence d’une cause deviendrait alors probablement la nouvelle règle par défaut et le droit du travail américain adopterait de ce fait une position beaucoup plus semblable au droit français, renforçant ainsi la protection de l’employé américain et permettant d’atténuer l’insécurité de l’emploi. Cette protection se ferait au détriment de l’employeur qui se verrait imposer des standards beaucoup plus stricts en matière de licenciement et perdrait une part de sa marge de manœuvre.
Conclusion: Le modèle américain at-will est en apparence bien plus protecteur des intérêts de l’employeur, à l’inverse de la position de la France qui place la protection de l’employé au premier plan. Cela se justifie par le fait que l’employé est dans la plupart des cas la partie la plus faible dans la relation de travail. Cependant, comme vu dans la seconde partie, la tendance est en train de se renverser sur l’impulsion du législateur et du juge américain qui, s’ils sont réticents à éliminer de manière brutale un concept centenaire, reconnaissent de plus en plus la nécessité de protéger les droits des employés.
Bibliographie :
Textes de loi :
Maryland Employment Law: Chapter 3 § 3.02
Restatement Third of Employment Law
Titre VII du Civil Rights Act de 1964
Article L1235-3 du Code du travail
Loi du 13 juillet 1973
Arrêts :
Payne v. Western & Atlantic R.R, 81 Tenn. 507 (1884).
McCullough Iron Co. v. Carpenter, 67 Md. 554, 11 A. 176 (1887).
Adler v. American Standard Corp., 291 Md. 31, 432 A.2d 464 (1981).
Kmart Corporation v. Ponsock, 732 P.2d 1364 (1987).
Lawrence M. Cleary v. American Airlines, Inc., 111 Cal. App. 3d 444 (1980).
Articles & Sites Internet:
Lawyers Weekly USA: Restatement of Employment Law draft adopted by American Law Institute, Sylvia Hseih
The National Law Journal, THE AT-WILL DOCTRINE; Corporate Brief; Employment law, Michael Starr Jordan Lippner
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2835
Ouvrage:
Employment law: Private ordering and its limitations, Timothy P. Glynn et Rachel Arnow-Richman