Le licenciement du salarié pour handicap- Décision de la Cour fédérale du travail, BAG-6 AZR 190/12, 19.12.2013, considérant que le licenciement en raison d'une infection à VIH est une discrimination liée au handicap

« Une distinction fondée sur un élément lié à l'état de santé, tel que le fait d'être infecté par le VIH, doit être considérée comme entrant - aussi comme une sorte de handicap ou une source de ce dernier - dans les « autres situations » visées à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme."

Kiyutin contre Russie, Cour européenne des droits de l’Homme, 10 mars 2011

 

« La jouissance des droits et libertés reconnus doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 14 Convention européenne des droits de l’Homme

 
 

Dans cette décision le juge allemand estime qu’une discrimination en raison d’une infection à VIH est une discrimination liée au handicap. La Cour fédérale allemande du travail élargit  ainsi la notion du handicap, un employé porteur du virus du sida, même asymptomatique est d’après cette décision une personne handicapée au sens de la Loi générale allemande relative à l’égalité de traitement, Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz. La Cour fédérale allemande du travail suit ainsi les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts Kiyutin contre Russie précitée et M.I.B contre Grèce 3 octobre 2013 considérant dans le premier arrêt que l’état de santé d’une personne, notamment un problème de santé tel que la séropositivité, doit être considéré comme un motif de discrimination en tant que handicap ou au même titre qu’un handicap et dans le second arrêt que le licenciement d’un salarié en raison de sa séropositivité est contraire au droit européen. Le juge allemand met également en évidence dans cette décision que les maladies chroniques peuvent conduire à un handicap.

 

  En France les personnes porteuses du virus du SIDA doivent faire une demande auprès de la Maison départementale de la personne handicapée afin d’obtenir le statut de travailleur handicapé. Le Code du travail ne prévoit aucune législation particulière au sujet de l’infection par le VIH. Sur le plan juridique, la séropositivité et le SIDA sont considérés de la même manière que les autres maladies.

  La directive européenne 2000/78 du 27 novembre 2000, portant sur l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, détermine les obligations des États membres et des employeurs afin de garantir l'égalité de traitement entre les personnes de l’Union européenne sur le lieu de travail en faveur des personnes handicapées, ainsi dans ses articles 2 et 3 elle indique que fonder le licenciement sur le handicap est discriminatoire mais n’explicite pas le terme de handicap. Ainsi se pose la question de savoir ce que représente le handicap dans le milieu du travail.

 

  La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 13 décembre 2006 par la Résolution  A/RES/61/106, entrée en vigueur le 3 mai 2008 indique, dans son article 1er, que les personnes handicapées sont des personnes présentant « des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Cette convention a été signée par la France et l'Allemagne le 30 mars 2007. La notion de handicap diffère cependant en droit français et en droit allemand (I) mais dans ces deux droits une protection particulière est accordée aux travailleurs handicapés en cas de licenciement (II).

 

  Dans son article 21, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne interdit toute discrimination fondée sur le handicap et reconnaît le droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et professionnelle et à la participation à la vie de la communauté désirant permettre aux personnes handicapées d’être socialement intégrées, au même titre que les autres citoyens, mais le terme de « handicap » diverge encore parmi les différents Etats membres.

 

I-Une définition du handicap distincte en droit français et en droit allemand

 

  L’interdiction des discriminations est un principe fondamental aussi bien en droit allemand qu’en droit français (1) prohibant formellement la discrimination liée au handicap, notion qui se différencie dans ces deux systèmes juridiques (2).

 

1. Interdiction des discriminations

 

  L'interdiction des discriminations en droit français résulte de l'article 1 de la Constitution de 1946 assurant aux citoyens une égalité devant la loi « sans distinction d'origine, de race ou de religion », sans interdire les discriminations en raison d'un handicap. Le droit à la protection de la santé est cependant consacré en tant que droit fondamental dans le préambule de la Constitution de 1946.

  La Loi fondamentale allemande, Grundgesetz, interdit explicitement la discrimination dont la discrimination en raison d’un handicap sans pour autant définir le handicap. « Nul ne doit être discriminé en raison de son handicap », article 3, paragraphe 3 de la Loi fondamentale allemande. Le droit législatif allemand donne une définition de la notion de handicap mais celle-ci pourrait différer de celle que pourrait donner le droit constitutionnel, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand ne s’étant toujours pas prononcé sur cette notion.

 

  Toutefois, il est accepté dans les systèmes juridiques français et allemand de faire des différences dans les contrats de travail lorsque la présence ou l’absence d’une caractéristique est une condition déterminante (article L1133-1 du Code du travail français, décision de la Cour fédérale allemande du travail AZ.8 AZR 429/11) pour l’exercice de l’activité en question ou dans tous les cas dans lesquels la prise en compte de l’âge (article 1133-2 du Code du travail français), du sexe (article R1122-1 du Code du travail français) ou d’un handicap est justifiée par des motifs concrets, objectifs, nécessaires et appropriés (article L1133-3 du Code du travail français).

 

  La notion de handicap se différence en droit français et en droit allemand car contrairement au droit français, le droit allemand distingue selon la sévérité du handicap.

 

2. Notion divergente du handicap

 

  En droit allemand, pour une définition de cette notion d’ « handicap », il faut se reporter à l'article 2 du Code social allemand,  Sozialgesetzbuch rassemblant la quasi-totalité des dispositions législatives applicables aux handicapés dans son livre IX. Ainsi en droit allemand « les personnes sont handicapées, si leurs fonctions corporelles, leur capacité mentale ou leur santé psychique diffèrent pour une durée prévisible de plus de six mois de l’état type des personnes du même âge et dont la  participation active à la vie sociale se trouve entravée ».

  Dans le titre II du livre IX du Code social allemand relatif à l’insertion dans l’emploi, la notion de « handicap sévère » est essentielle. Le terme « handicap sévère» signifie que le degré de handicap est d’au moins 50 %, article 2 paragraphe 2 du Code social allemand. Sont considérées comme sévèrement handicapées les personnes présentant un taux d’incapacité inférieur à 50 %, mais d’au moins 30 %, si leur handicap ne leur permet pas d’obtenir ou de conserver un emploi approprié sans faire jouer les dispositions sur l’égalité de traitement.

 

  En droit français, l’article L.114 du Code de l’action sociale et des familles définit comme handicap  « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant

  Le droit français entend donc aussi par handicap « un trouble de santé invalidant », or le VIH n’est-il pas un trouble de santé invalidant, le droit français va-t-il bientôt rejoindre le droit allemand ?

Mais, est considéré comme travailleur handicapé d’après l'article L.5213-1 du Code du travail «toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielle, mentale ou psychique » indiquant aussi que « les mesures prises en faveur des personnes handicapées et visant à favoriser l'égalité de traitement, prévues à l'article L.5213-6 du code du travail ne constituent pas une discrimination » d’après l’article L.1133-4  du Code du travail.

 

  Le handicap est un motif de licenciement discriminatoire, ainsi pour pallier cette discrimination et protéger les travailleurs handicapés, l’Allemagne et la France leur permet de bénéficier d’une protection juridique particulière en cas de licenciement.

 

II-La protection contre les licenciements

 

  Les législateurs allemand et français condamnent le licenciement fondé sur le handicap (2) et sécurisent la rupture du contrat de travail (1) de l’employé handicapé lorsque celle-ci est inévitable.

 

  1. Des conditions de procédures particulières

 

  Le licenciement est un acte juridique unilatéral par lequel l’employeur rompt un contrat de travail à durée indéterminée qui le lie à l’employé.

Bien que la jurisprudence et les conventions collectives règlent en majeure partie le droit du travail allemand, la protection des salariés en cas de licenciement a été fermement réglementée par la loi, il existe en effet une loi pour la protection contre les licenciements, Kündigungsschutzgesetz.

 

  En Allemagne depuis le 1er octobre 2000, le licenciement d’un employé handicapé exige l’autorisation de l’Office d’intégration, Integrationsamt articles 85 à 92 livre IX du Code social allemand, important peu que l’employé ait été recruté ou non dans le cadre des quotas. En effet, tout employeur qui emploie plus de vingt personnes a l’obligation de garder 5 % des postes de travail à des handicapés.  En France, les entreprises ayant plus de 20 salariés sont soumises à une obligation d’emploi des personnes handicapées, elles doivent employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6% de l’effectif total. L’Integrationsamt protège le travailleur handicapé en cas de licenciement et le dispense de devoir entamer une action en justice contre l’employeur. Cette nécessité de l’autorisation de l’Integrationsamt ne vaut que pour les employés sévèrement handicapés s’appliquant pour les licenciements avec préavis, ordentliche Kündigung et les licenciements « extraordinaires »,sans préavis, ausserordentliche Kündigung. Une des missions de l’Integrationsamt consiste à procéder à un examen externe du contrat de travail et à trouver des moyens de le prolonger. L’accord de l’Integrationsamt ne concerne pas les situations où l’embauche remonte à moins de six mois, article 90 paragraphe 1 du Code social allemand, ou lorsque l’employé licencié peut prétendre à une indemnisation au titre d’un plan social.

  Si l’Integrationsamt ne parvient pas à arranger d’accord amiable, il doit prendre une décision quant à la demande de licenciement de l’employeur et jouit donc d’un pouvoir discrétionnaire devant mesurer l’intérêt du travailleur handicapé à conserver son emploi et l’intérêt de l’employeur à mettre fin au contrat de travail. Avant de prendre une quelconque décision, l’Integrationsamt doit s’entretenir avec le travailleur handicapé, les représentants des travailleurs handicapés et le comité d’entreprise. La décision de l’Integrationsamt est un acte administratif pouvant être contesté par une action en justice.

 

  En France il n’existe pas d’organe tel que l’Integrationsamt et les travailleurs handicapés ne possèdent pas une protection aussi conséquente que le permet le droit allemand. Les travailleurs handicapés ne disposent pas du statut protecteur de « salarié protégé », ils sont donc soumis aux règles et procédures de droit commun, la convocation à un entretien préalable (article L1232-2 Code du travail), l’entretien préalable avec possibilité de se faire assister, et la notification du licenciement (article L1232-6 Code du travail).  Cependant, le législateur français favorise les travailleurs handicapés en leur permettant de bénéficier d’un délai de préavis deux fois plus long que les autres salariés, dans la limite de trois mois, article L5213-9 du Code du travail français.

 

   Le fondement du licenciement de l’employé handicapé doit toujours être réel et sérieux. En France et en Allemagne, les employés discriminés du fait de leur maladie peuvent obtenir la nullité des mesures discriminatoires

  1. Conséquences du licenciement lié au handicap

 

 

   La  CJCE dans son arrêt de principe Chacon Navas contre Eurest Collectividades du 11 juillet 2006 révèle que la maladie n'est pas considérée comme un handicap et ne constitue donc pas un motif de licenciement à caractère discriminatoire.

En France et Allemagne lorsque le licenciement  est une discrimination liée au handicap celui-ci est frappé de nullité et l’employeur s’expose à des sanctions pécuniaires, Tribunal du travail de Stuttgart, 30 CA 1772/10 du 16.03.2011.

  L’employé peut obtenir sa réintégration, Cour de cassation chambre sociale 31 janvier 2007 numéro 05-42855, mais a toujours la possibilité de ne pas demander sa réintégration effective,  arrêt de la chambre sociale du 10 décembre 1997, numéro 94-45532. En droit allemand, un licenciement sans consultation préalable de l’Integrationsamt est nul.

 

  « Aucun salarié ne peut être licencié, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, en raison de son état de santé ou de son handicap », Cour de cassation, chambre sociale 13 janvier 1998 numéro 95-45439.

En  droit français, l’employeur doit prouver que la mesure prise est justifiée par des motifs légitimes, article L 1134-1 Code du travail, repose donc sur l’employeur la charge de la preuve. Si la mesure est jugée discriminatoire, elle sera automatiquement annulée, article L1132-4 du Code du travail. L’employé ne peut être licencié que si, de manière objective, les perturbations liées à son état de santé entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié. Si le licenciement est discriminatoire, l’employé a droit aux indemnités de rupture ainsi qu’à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaires, article L1134-4 Code du travail.

 

  En Allemagne, la Loi pour la promotion de la formation et de l’emploi des personnes gravement handicapées, Gesetz zur Förderung der Ausbildung und Beschäftigung schwerbehinderter Menschen, de 2004 mentionne que la protection particulière contre les licenciements ne s’applique pas si le statut d’handicapé n’est pas attesté au moment du licenciement, il faut que la  reconnaissance de la qualité d’handicapé soit attestée au minimum trois semaines avant par les autorités compétentes, BArbG, 01.03.2007, 2 AZR 217/06 . De même, elle ne s’applique dans les cas où une décision constatant le statut d’handicapé sévère est pendante mais où l’administration compétente ne peut pas statuer faute de coopération du demandeur. La protection particulière contre les licenciements est également exclue dans les cas où la demande de constat d’un handicap sévère n’a pour but que de retarder le licenciement.

 

 

Bibliographie

 

Sources de droit français :

  • La définition du handicap en droit communautaire – Augustin Boujeka – RDSS 2007. 75
  • Avis du Conseil National du SIDA du 10 septembre 2009

Objet : VIH, emploi et handicap : avis suivi de recommandations sur la prise en compte des personnes vivant avec le VIH dans les politiques du handicap

-La définition du handicap en droit international et en droit de l'Union européenne – Augustin Boujeka – D. 2013. 1388

  • Ebook: Les droits des personnes handicapées en Allemagne : les changements apportés par la nouvelle législation, Gerhard Igl
  • Discrimination – Marie-Thérèse LANQUETIN – janvier 2010 (actualisation : octobre 2015)
  • Droit des personnes handicapées Broché,Lisiane Fricotté , 2014
  • Droit du travail 2015, Hypercours, 9eme édition, Cyril Wolmark, Elsa Peskine

-https://www.saisirprudhommes.com

-http://www.actupparis.org

 

Sources de droit allemand :