Décision de la Cour fédérale du travail, 2 AZR 651/13 du 20.11.2014 portant sur un licenciement sans préavis en raison d’harcèlement sexuel

 « L'ordre juridique communautaire tend indéniablement à assurer le respect de la dignité humaine en tant que principe général de droit. » CJCE 14 octobre 2004 

      La plupart des législations européennes, dont la France et l’Allemagne, s’inspirent de la définition du harcèlement sexuel donnée par la directive européenne 2002/73/CE. Le harcèlement sexuel est défini comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Protéger une personne d’un harcèlement sexuel permet ainsi de protéger le respect de la personne humaine et de sa dignité. 

      En France, la notion d’harcèlement sexuel subit de constantes évolutions, le harcèlement sexuel est « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », article 222-33 du code pénal crée par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012. L’emploi du terme « imposer » suppose donc de prendre en compte la perspective de l’auteur et non celle de la victime, la directive européenne préférant les termes de « comportement non désiré », l’absence de consentement de la part de la victime est un élément constitutif du harcèlement sexuel. 

Cette notion se retrouve aussi dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le harcèlement sexuel est en effet une discrimination constituant « tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». 

En Allemagne, le harcèlement sexuel, sexuelle Belästigung, est défini à l’article 3 paragraphe 4 de la loi générale sur l’égalité de traitement. La définition donnée par le droit allemand est quasi identique à celle de la directive européenne, le droit allemand rajoutant cependant que la définition du harcèlement sexuel comprend aussi « l’exposition visible de représentations pornographiques ». 

 

    De quelle manière la protection juridique du harcèlement sexuel au travail est-elle garantie dans les systèmes juridiques allemand et français ? 

    Les systèmes juridiques français et allemand préviennent le harcèlement sexuel notamment en permettant à la victime de suspendre son activité professionnelle en droit allemand et en imposant une obligation de résultat de protéger la santé et la sécurité de son personnel à l’employeur en droit français (II), le harcèlement sexuel étant interdit par le Code du travail français, article 1153-1 et par le Code pénal, article 222-33 ainsi que par la loi générale allemande sur l’égalité des chances, article 3 (I). 

I-Interdiction du harcèlement sexuel 

  Le harcèlement sexuel est protégé par la loi dans les deux systèmes juridiques. 

A) Une protection par la Loi 

    L’article 222-33 du Code Pénal français évoque deux types de harcèlement sexuel mentionnés dans ces deux alinéas. Le harcèlement défini à l’alinéa 1 évoque un harcèlement environnemental « une situation intimidante, hostile ou offensante », dans l’alinéa 2 il s’agit d’un harcèlement de contrepartie « obtenir un acte de nature sexuelle ». Le droit allemand reconnaît aussi dans sa définition du harcèlement sexuel dont l’« objet ou {l’}effet {est} de porter atteinte à la dignité d’une personne » un harcèlement environnemental. Le code pénal allemand ne contient pas de dispositions spécifiques relatives au harcèlement sexuel. 

Dans ces deux systèmes juridiques, un acte unique peut constituer un harcèlement sexuel, cependant, en droit français l’article 222-33 du Code pénal évoque « une forme de pression grave », la gravité de cette pression justifie qu’elle puisse être constituée par un acte unique, sans besoin d’être répétée. La finalité de la pression quant à elle doit être exercée « dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle ». 

Le harcèlement environnemental n’a pas comme condition l’obtention d’une relation sexuelle. 

« Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits. », article L. 1153, Code du travail français. 

    Le dispositif de protection mis en place par les articles L. 1153-1 et suivants du Code du travail français et article 3 de la loi générale allemande sur l’égalité de traitement est un dispositif ne distinguant pas le sexe de l’auteur du harcèlement et de celle de la victime. L’auteur de ce harcèlement peut être toute personne dans l’entreprise sans qu’un lien de subordination avec la victime ne soit exigé. 

La définition du harcèlement sexuel laisse cependant une large place à l'interprétation ainsi qu’une importante marge d’interprétation. 

B) Une large place donnée à l’interprétation 

Un harcèlement sexuel dans le sens donné par l’article 3 paragraphe 4 de la loi allemande générale sur l’égalité de traitement est une violation des obligations contractuelles. 

    Bien que le harcèlement sexuel est un motif grave, amenant généralement à un licenciement sans préavis valable conformément à l’article 626 du code civil allemand, cela dépend néanmoins toujours des circonstances de chaque cas et en particulier de la portée et de l’intensité de ce harcèlement. En l’espèce, dans la décision commentée, le licenciement n’était pas proportionné. La cour fédérale du travail allemande appuie aussi sa décision sur le fait que le demandeur s'est immédiatement montré repenti après les faits. Les juges bénéficient donc d’une interprétation large concernant ce qu’ils qualifient de harcèlement sexuel et de moyen proportionné. 

Pas seulement un harcèlement dit « actif » comme un attouchement corporel est condamnable en droit allemand et français, décision 3 SA 410/08 du Landesarbeitsgericht, Tribunal du Travail régional, de Schleswig-Holstein en date du 04.03.2009, où un employé est licencié sans préavis pour avoir montré à une de ses collègues une photo d’une femme nue sur son téléphone et avoir partagé avec une autre de ses collègues son souhait d’avoir une relation sexuelle avec cette collègue, le Landesarbeitsgericht révèle ainsi dans sa décision qu’un harcèlement verbal peut remplir les conditions d’un harcèlement sexuel et que le licenciement sans préavis est un moyen proportionné. Serait-ce parce que l’auteur du harcèlement ne s’est pas montré repenti que le licenciement est valable? Les juges français ont considéré que constitue un harcèlement sexuel le fait pour un employé de faire des avances à sa subordonnée en essayant de l’embrasser, de l’emmener à son domicile et lui ayant proposer des avances de nature sexuelle, chambre sociale 24 septembre 2008n°06-46.517 ainsi que le fait pour un employeur de tenir des propos déplacés à son employé, Cour d’Appel de Versailles, 7 janvier 2011 n°10/00105. 

Dans une décision similaire du Landesarbeitsgericht de Niedersachsen, 6 SA 391/13, datant du 06.12.2013, à la décision étudiée, le Landesarbeitsgericht donne raison à l’employeur pour le licenciement sans préavis d’un infirmier de longue date en raison d’harcèlement sexuel envers une stagiaire. Le Landesarbeitsgericht motive sa décision en indiquant qu’un rappel à l’ordre n’aurait pas été suffisant et que l’employé aurait dû savoir qu’avec un tel comportement il menaçait ses relations de travail. L’employé de 53 ans avait demandé à la stagiaire si sa poitrine n’avait pas été refaite et tentée de l’embrasser, le Landesarbeitsgericht a trouvé qu’il s’agissait d’un harcèlement avec un « motif grave », massive sexuelle Belästigung, et que malgré l’âge avancé de l’employé et ses nombreuses années de travail, le contrat de travail ne pouvait continuer. 

La prévention est un outil essentiel pour la protection des victimes de harcèlement sexuel car elle informe et sensibilise l’auteur du harcèlement et la victime. 

II-Prévention du harcèlement sexuel 

 

    En droit français, la Cour de cassation retient la possibilité de sanctionner pour faute grave des actes de harcèlement sexuel commis en dehors du temps et du lieu de travail, à condition que « les propos à caractère sexuel et les attitudes déplacées du salarié {…} ne relevaient pas de sa vie personnelle », chambre sociale 19 octobre 2011 n°09-72.672. 

A) Mesures de prévention 

   En Allemagne, afin de prévenir le harcèlement sexuel, une publication officielle du service fédéral de lutte contre la discrimination, Antidiskriminierungstelle des Bundes, recommande aux victimes, avant tout, de « dire à la personne {auteur du présumé harcèlement} qu'elles ressentent que son comportement leur porte atteinte ». Les sanctions auxquelles s'exposent les auteurs d’un harcèlement sexuel sont des sanctions civiles telles que des dommages et intérêts versés à la victime. La victime a aussi la possibilité de faire parvenir une plainte à son employeur, d’après l’article 13 de la loi générale allemande sur l’égalité des chances « les salariés ont le droit de se plaindre aux organes compétents de l’entreprise {…} s’ils se sentent défavorisés en raison de leur rapport de travail avec leur employeur, supérieurs ou d’autres employés ». L’employeur doit alors examiner cette plainte et agir car il a l’obligation de protéger ses employés du harcèlement d’après l’article 12 de cette même loi. 

En dernier recours, la victime peut suspendre son activité professionnelle sans renoncer à son salaire si l'employeur ne fait pas cesser le harcèlement sur le lieu de travail. 

    En France, les représentants du personnel ont quant à eux un droit d’alerte de l’employeur par lequel ce dernier sera tenu de procéder à l’enquête et de prendre les mesures nécessaires. Les délégués du personnel ou le comité d’hygiène, de santé et des conditions de travail peuvent aussi proposer des actions de prévention en matière de harcèlement sexuel et même prendre des initiatives pour mettre en oeuvre des actions d’information afin d’améliorer les conditions de travail. L’inspecteur du travail doit assurer le respect de l’obligation de prévention des employeurs, Code du travail, article L. 8112-1. 

Les organisations syndicales représentatives peuvent, avec l'accord écrit de la personne harcelée, engager à sa place l'action en justice. 

L’employeur a une responsabilité face à la santé mentale de ses employés, il convient de protéger la personne dans son intégralité et il ne faut pas que la situation de harcèlement s’installe, Cour de cassation, chambre sociale 21 juin 2006 n° 05-43.914. L’employeur doit empêcher la réalisation du risque. 

B) La responsabilité de l’employeur 

 

    En France, la loi de 2002 incite l’employeur à prévenir le harcèlement sexuel et prévoit que celui-ci engage doublement sa responsabilité, civile et pénale, s’il ne prend pas des mesures appropriées pour faire cesser le harcèlement sexuel. Le simple constat de la survenance d'un dommage suffit à engager sa responsabilité, peu importe qu'il n'ait commis aucune faute, chambre sociale 21 juin 2006 n° 05-43.914 

L’employeur est le premier à pouvoir et à devoir agir en terme de prévention. Tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ouvre droit à des dommages-intérêts. 

D’après l’article L. 1153-5 du Code du Travail et comme en droit allemand, l’employeur est chargé de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes de harcèlement sexuel dans les relations de travail visant à l’information effective des travailleurs sur la législation en vigueur en matière d’harcèlement. De ce fait, comme en droit allemand, lorsqu’il est informé d’un cas de harcèlement sexuel, il est tenu de procéder rapidement à une enquête et de prendre les mesures nécessaires pour remédier à cette situation. 

Une obligation générale de prévention est imposée à l’employeur, dès lors qu’un lien de subordination existe et que le harcèlement a été commis en lien avec ses fonctions. L’employeur dispose aussi d’un pouvoir de poursuites et de sanctions disciplinaires à l’encontre du salarié ayant commis le harcèlement sexuel. 

La loi générale allemande sur l’égalité de traitement prévoit que l'employeur est tenu de réparer le dommage subi par la victime du harcèlement sexuel, y compris le préjudice immatériel sauf s'il ne peut être tenu pour responsable de la violation de l'interdiction existante. 

 

 

Bibliographie 

Sources de droit français : 

- https://www.legifrance.gouv.fr/ 

 

- http://www.infoprudhommes.fr/note-juridique/771-jurisprudence-du-harcèlement 

 

- ebook, Droit du travail, droit vivant: 2008-2009, Jean-Emmanuel Ray 

 

- http://circulaires.legifrance.gouv.fr/ 

 

- https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/dcaf1409-974e-4188-...

 

- http://www.senat.fr/lc/lc225/lc225_mono.html 

 

- http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/harcelement-sexuel-senat-rec...

 

- Droit disciplinaire – Jean MOULY – Jean SAVATIER – octobre 2013 (actualisation : janvier 2016) 

 

- Le harcèlement sexuel : droit italien, droit anglais, droit espagnol – Matteo Corti – Iyiola Solanke – Consuelo Ferreiro – Sophie Robin-Olivier – Patrick Rémy – Rev. trav. 2013. 353 

 

- Harcèlement sexuel – Patrice ADAM – avril 2007 (actualisation : octobre 2015) 

 

Sources de droit allemand : 

- Junker, Grundkurs Arbeitsrecht, 14. Auflage, München 2015 

- http://www.rechtsindex.de/arbeitsrecht/430-kuendigung-wegen-sexueller-be...

- http://www.hensche.de/ 

- http://www.bag-urteil.com 

- http://juris.bundesarbeitsgericht.de 

- - Sexuelle Belästigung in Beruf, Studium und Schule: Ein Tabuthema wird unverblümt angesprochen, Karl Hermann Künneth 

- Sexuelle Belästigung - was tun?: ein Leitfaden für Betriebe, Véronique Ducret 

- https://dejure.org/