Ouvrir la voix: la parole aux femmes noires de France et de Belgique
Ouvrir la Voix est un film documentaire sorti en octobre 2017 et réalisé par Amandine Gay, comédienne et chercheuse française se définissant comme afro-féministe.
Le film nous laisse entrer dans l’intimité de discussions entre femmes afro-descendantes, qui racontent la difficulté de vivre dans une société majoritairement blanche.
Ouvir la voix, l'histoire d'un outil de lutte.
“On est arrivés à un stade où il est temps que l’on prenne la parole et qu’on ne parle plus à notre place.” *
L’envie de créer ce film documentaire découle d’un triste constat provenant du travail de comédienne de la réalisatrice. Comédienne noire, Amandine Gay ne se voit appeler que pour interpréter des rôles de femmes issues de migrations tragiques ou de banlieues délinquantes. Lassée et fatiguée de ces rôles misérabilistes et stéréotypés, elle décide d’écrire ses propres fictions, repoussant ainsi une contradiction que la jeune femme avait du mal à accepter : contribuer à renforcer les stigmatisations sur les femmes noires en exerçant son travail de comédienne. Ce sont ces mêmes stigmatisations qu’elle tente plus tard de déconstruire dans sa réflexion et son travail militant.
Mais en tentant de réaliser ses propres fictions mettant au premier plan des femmes noires dans des rôles ordinaires, elle se heurte rapidement à des boîtes de production frileuses à l’idée de représenter des femmes racisées, autres que dans des rôles figés et clichés.
“Je fais du doublage et j’ai commencé à travailler parce qu’ils cherchaient des noirs pour doubler des noirs. J’en ai parlé avec une nana qui m’a dit : “Mais si ! Vous avez des voix de noirs”. *
Cette désillusion la pousse à réaliser ce premier long-métrage en donnant à vingt-quatre femmes issues de l’histoire coloniale européenne, l’opportunité de s'exprimer. Ainsi, elles racontent leur manière de s’émanciper des stéréotypes et de se réapproprier non seulement la narration des discriminations faites à la communauté noire, mais aussi la narration de leur existence dans l’espace public français et belge. L’objectif est alors de déconstruire cette idée d’une communauté globalisante et totalisante et d’ainsi montrer un groupe hétérogène, une diversité qui n’est que rarement dépeinte.
Portrait de femmes militantes.
“Le privilège de l’innocence de sa couleur de peau, on aimerait bien tous l’avoir.” *
Cadrées de près et éclairées d'une lumière naturelle dans un climat intime, une à une, les vingt-quatre femmes abordent avec la réalisatrice les sujets complexes liés à leurs ethnies. Le film s’ouvre sur la découverte du racisme dont chacune d’entre elle est victime. Leur prise de conscience parfois brutale de leur différence: “Je ne veux pas jouer avec toi parce que tu es noire”. *
Dans ce documentaire sensible sont également abordés le rapport à la sexualité, le rapport au corps, ou encore à la politique, aux études et à la religion. Cette invitation à la confidence nous offre l’opportunité d’écouter et de comprendre le combat de ces femmes invisibilisées.
Avec énormément de recul et de lucidité, elles racontent la manière dont elles apprennent à se penser elles-mêmes et à s’émanciper des stigmatisations liées à leur communauté minoritaire. Il s’agit aussi pour elles de tenter de ne pas se laisser broyer par le sexisme et le racisme. Ces témoignages sont le résultat de leur lutte contre les violences systémiques liées à leur double identité : être noire et être femme.
Les témoignages sont entrecoupés d'interludes pendant lesquels ces femmes se dévoilent dans leur pratique artistique, comme la danse burlesque ou le théâtre. Une nouvelle occasion pour Amandine Gay de montrer ces femmes comme on ne les voit que rarement dans les médias traditionnels: des femmes noires créatrices et artistes.
"Être solide et débout ça ne veut pas dire être insensible et déshumanisée." *
Selon Amandine Gay, les archives historiques sur la lutte de la communauté noire en France manquent encore cruellement dans notre société. Elle produit et réalise alors son long-métrage dans l'objectif de créer elle-même un document de ressources pour les générations à venir.
“Ce film est pour celles qui se sont battues avant nous, et un témoignage pour celles qui viendront après nous.” *
Des films comme réponse à l'invisibilité.
A ce jour, Amandine Gay est participe à de nombreux projets. L’année passée, elle crée le mois des adopté.es, un évènement qui se déroule entre la France, la Suisse, le Québec et la Belgique. Des projections, des tables rondes, des expositions et des ateliers autour du thème de l’adoption internationale sont organisés. La réalisatrice, elle-même issue d’une adoption par une famille blanche y parle de son expérience personnelle. Ce projet inédit dans le monde francophone a pour objectif d’insérer le sujet de l’adoption au sein de l’espace public. Cet évènement festif et politique invite les principaux concernés (adoptés et adoptants) à débattre autour de l’identité au sein des familles multiraciales, du coût psychologie et financier de l’adoption, ou encore de l’image des adoptés au sein des médias.
Amandine Gay prépare aujourd’hui un second documentaire sur ce phénomène de l’adoption internationale, intitulé Une histoire à soi. Tout comme Ouvrir la voix, la démarche est de donner la parole aux personnes concernées, et de les inviter à se réapproprier la narration de leur identité.
*Les citations de cet article sont issues des témoignages du documentaire Ouvrir la voix.