Un Sacre - Lorraine de Sagazan
"Un sacre célèbre des expériences de vie face à la mort et les illuminent par la puissance du groupe, mais essaye aussi de trouver des solutions à la charge mentale et émotionnelle que sont ces disparus que l’on ne sait plus célébrer et ces cicatrices que l’on ne sait plus panser. La coexistence des récits d’une expérience sensible, intellectuelle et physique permet de faire sens dans l’intimité de chacun." - extrait de l'article.
Le personnage de Nikolaï dans Platonov de Tchekhov disait qu’il fallait « enterrer les morts et réparer les vivants », c’est peut-être la maxime qui résume le mieux la dernière création de Lorraine de Sagazan. Ce sujet n’a pas été à la genèse du projet, il s’est imposé à elle et l’écrivain Guillaume Poix pour écrire cette pièce. Cette blessure laissée par l’absence est devenue le centre de ce nouveau projet après avoir mené près de 300 entretiens avec des personnes de tous horizons qui répondaient à la question suivante : quel écho a, dans votre vie, le mot « réparation ? ». Tous ont abordé le souvenir d’un proche, d’une connaissance ou d’une rencontre disparue, récemment ou il y a longtemps, ayant eu un impact fondamental dans leur construction ou ayant remis en question des fondations qu’ils pensaient inébranlables. Au travers de ces rencontres l’équipe artistique a eu la sensation de rencontrer ces morts et ont commencé à se questionner sur la place qu’il leur était faite dans notre société actuelle. Où pleurer de nos morts ? Où parler d’eux ? Comment les célébrer ou parfois les haïr ? Comment se réparer ?
Les neuf comédiens au plateau incarnent alors chacun, à tour de rôle, une de ces paroles pour aborder cette question de la disparition pendant plus de 2h30, au cœur d’une scénographie imposante et poétique, qui se veut être un espace théâtral à l’abandon, signe du temps qui passe. Les paroles incarnées de ces témoignages résonnent et se répondent, faisant entrer le public dans l’intimité de ces fragments de vie. C’est la justesse de la mise en scène qui permet d’ailleurs de faire résonner ces bribes de vie dans nos intimités individuelles, le spectacle se transformant alors en un moment cathartique personnel et collectif. Le public découvre et traverse ces récits qui résonnent chez tout le monde de façon différente et pourtant si collective. C’est en ce sens que Lorraine de Sagazan voit juste, la tristesse de la disparition se veut assez personnelle aujourd’hui et Un Sacre incarne et permet de faire revivre un espace collectif pour pleurer nos morts et les célébrer.
La célébration est d’ailleurs bel et bien au centre du projet puisque celui-ci prend la forme d’une cérémonie, où les récits de ces morts qui n’ont pas été pleinement digérées s’exposent au public. Cependant, il est important de préciser que, loin d’un chœur de pleureuses (le comédien Benjamin Tholozan incarne d’ailleurs la parole de sa grand-mère Renata qui en était une), les comédiens forment une troupe rayonnante. L’objectif ici n’est pas de se complaindre de façon collective, mais bien de faire rayonner ces morts, nos morts. Durant les entretiens il avait d’ailleurs été proposé aux personnes racontant leurs récits de faire une action de leur choix au plateau. Question enfantine et naïve digne d’un « action ou vérité », qui permet aux comédiens d’ancrer encore plus dans le réel ces récits, créant des moments de communion avec le public si singuliers et permettant une évolution incroyable de la scénographie…
Si le texte atteint un niveau de justesse dans la puissance de la parole qu’il incarne, il ne faut pas délaisser le travail chorégraphique qui a une importance toute particulière de communication non verbale. Chaque récit amène un geste, une expression corporelle, reprise par le groupe, par imitation non conforme, comme une réinterprétation de la douleur de l’autre, pour essayer de la comprendre. Petit à petit la chorégraphie prend une place de plus en plus importante, se transformant même en un troublant rituel païen, dont la quête d’apaisement, intime et commun, se révèle être le principal moteur. A l’heure où les débats et les esprits s’échauffent, un tel objectif ne peut être que salvateur.
Un sacre célèbre donc ces récits et les illuminent par la puissance du groupe, mais essaye aussi de trouver des solutions à la charge mentale et émotionnelle que sont ces disparus que l’on ne sait plus célébrer et ces cicatrices que l’on ne sait plus panser. La coexistence des récits d’une expérience sensible, intellectuelle et physique permet de faire sens dans l’intimité de chacun. Qui aurait cru que c’est en parlant de cette intimité personnelle que l’on se serait le plus sentis proches des inconnus avec qui l’on partage ce beau moment de théâtre dans une salle sombre et pourtant si rayonnante ?
Crédits photos Christophe Raynaud de Lage et Mélissa Leroux
Conception et mise en scène Lorraine de Sagazan
Texte Guillaume Poix en collaboration avec Lorraine de Sagazan
Chorégraphie Sylvère Lamotte
Avec
Andréa el Azan Kali
Jeanne Favre Zahia
Nama Keita Mattias
Antonin Meyer-Esquerré Georges
Majida Ghomari Asma
Louise Orry-Diquero Léa
Mathieu Perotto L10-3
Benjamin Tholozan Renata
Eric Verdin Thomas
Tournée saison 2021/2022
Du 8 au 11 décembre 2021 : Théâtre Dijon-Bourgogne
Les 16 et 17 décembre 2021 : Scène nationale 61
Du 12 au 14 avril 2022 : Théâtredelacité – CDN de Toulouse Occitanie
Du 3 au 7 mai 2022 : Théâtre des Célestins, Lyon
Du 18 au 20 mai 2022 : La Comédie - Centre dramatique national de Reims