UNION EUROPEENNE - La CJCE lève le voile sur la notion de la résidence habituelle de l’enfant - Par Jennifer AUBERT
Résumé
La notion de résidence habituelle du mineur, au titre de l'article 8 §1, du règlement n° 2201/2003, n’avait, avant la décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes n°523/07, reçu aucune définition. Le voile est levé sur cette notion centrale du règlement qui permet de définir la loi applicable ou de reconnaitre la juridiction compétente. La Cour a, non seulement, défini la résidence habituelle mais aussi posé différents critères qui devraient permettre aux juridictions nationales d’établir plus facilement la résidence habituelle de l’enfant selon les circonstances de l’espèce.
Le concept de la résidence habituelle connait un véritable essor tant sur le plan du droit international privé que communautaire. L’usage de ce critère a été tiré des conventions internationales avant d’être repris par le droit communautaire. A titre d’exemple, les Conventions de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (25 octobre 1980), en matière de protection des mineurs (5 octobre 1961) respectivement aux articles 8 et 1er, les Conventions européennes du Luxembourg en matière de garde d’enfant (Convention du 20 mai 1980, art.8) et de l’exercice du droit des enfants (Convention du 25 janvier 1996, art.5). Au niveau communautaire, les Règlements Rome I et II, le Règlement Bruxelles II (29 mai 2000), abrogé et remplacé par le Règlement Bruxelles II bis 2201/2003 (27 novembre 2003), en ont fait un des critères, voire même le principal critère de rattachement dans le cas de Bruxelles II bis, permettant ainsi de définir la loi applicable ou de reconnaitre la juridiction compétente. Le succès que connait ce critère n’est pas anodin : cela est principalement dû à sa simplicité de détermination. D’une part, ce critère permet de ne faire aucune référence à la nationalité permettant ainsi de toucher un plus grand nombre de personne. En effet, le critère de la nationalité fait une sélection importante, mettant de coté, les apatrides, les réfugiés et les sans-papiers. L’avantage de la prise en compte de la résidence habituelle est de se rapprocher au plus près de la réalité, permettant ainsi une protection plus importante, tant qualitative que quantitative. D’autre part, la notion du « domicile » mise à part une détermination difficile, crée d’importants problèmes de définition, d’interprétation et d’application dus aux définitions divergentes existant au sein des différents systèmes juridiques de l’Union Européenne. C’est dans cet esprit d’ouverture et de protection que le Règlement Bruxelles II puis II bis a fait de ce critère le principal. Le seul bémol est qu’aucune définition n’en a été donnée, laissant libre cours aux juridictions internes. Ce n’est que le 2 avril 2009 que la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) s’est finalement prononcée sur la notion dans l’affaire C-523/07. Dans les faits, la CJCE a été saisie d'une question préjudicielle par la Cour suprême finlandaise concernant la mise en œuvre du Règlement Bruxelles II bis au sein d’une affaire relative à la responsabilité parentale. En l’espèce, Mme X est mère de 3 enfants vivant avec elle leur beau père en Finlande. Suite à des comportements violents de ce dernier, les enfants avait fait l’objet d’une mesure de protection consistant en un placement. Cette mesure venait par la suite suspendue, permettant ainsi à la famille de s’installer en Suède. Quatre ans plus tard, un retour en Finlande fut effectué, d’abord à titre de vacance qui se prolongèrent quelques mois. La situation était alors temporaire, les enfants n’étant pas scolarisés, la famille vivant chez des membres de la famille ou en caravane. Au bout de quelques mois, les services sociaux finlandais décidèrent de mettre en œuvre des mesures de protection d’urgence à l’occasion desquels les enfants se retrouvèrent placés dans une famille d’accueil. La mère contestait cette décision considérant que les autorités finlandaises n’étaient pas compétentes. A force de recours, la Cour suprême finlandaise a saisi la CJCE de questions préjudicielles concernant l’application du Règlement Bruxelles II bis. La question qui nous intéresse portait sur l’interprétation de la notion de résidence habituelle art.8 R.2201/2003. S’agissant du Règlement Bruxelles II bis, comment doit être entendu la notion de résidence habituelle du mineur ?La Cour va opter pour une interprétation autonome de la notion, en accord avec les interprétations précédemment reconnues au niveau communautaire dans d’autre domaine, à la différence que cette définition sera complétée afin de la rendre plus protectrice de l’intérêt du mineur.
I. L’interprétation autonome du droit communautaire concernant la notion de résidence habituelle
L’avancée la plus importante de l’arrêt concerne l’interprétation de la résidence habituelle. L’article 8 R.2201/2003 dispose qu’en matière de responsabilité parentale se seront les juridictions de l’Etat membre où l’enfant à sa résidence habituelle qui seront compétentes. Le problème qui se pose est que tout au long du règlement il est fait référence à cette notion mais sans jamais la définir. La raison de ce silence est perçue de différentes manières : pour les auteurs les plus optimistes il s’agissait de laisser une plus grande flexibilité d’application et une majeure liberté d’appréciation aux juges internes. Pour d’autres, en revanche, ce fut la difficulté de trouver un compromis sur la définition qui les laissât penser qu’il serait préférable de juger selon le cas d’espèce. Le « guide pratique pour l’application du nouveau Règlement Bruxelles II bis » confirmait cette seconde vision en préconisant une absence de définition afin de permettre aux juges du fond de déterminer ce concept au cas par cas, sur la base des éléments de faits. Etant donné que le règlement ne fait aucun renvoi au droit des Etats membre afin de définir la notion, une interprétation autonome devait être faite par la Cour. Cette méthode d’interprétation autonome permet une application uniforme dans tous les Etats membres. La Cour donne une dimension communautaire à certaines notions afin d’éviter toute divergences d’interprétation et d’application au sein des Etats membres. Cette technique permet d’assurer, pour les notions jugées fondamentales, une juste prise en compte du contexte de la disposition et des objectifs poursuivis par le règlement (CJCE 2 avril 2009, aff. C-523/07, §34). Les juridictions internes seront ainsi tenues par la suite de suivre l’interprétation de la CJCE. Précédemment à cette décision, la Cour de cassation française (Cass. 1ère civ.14 décembre 2005, n°506) s’était ambitieusement prononcée sur le caractère autonome à donner à la résidence habituelle, des époux en l’espèce, en établissant qu’il s’agissait « d’une notion autonome du droit communautaire à définir comme le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. ». Cet escamotage avait évité à la Cour de poser une question préjudicielle à la CJCE, alors que cela aurait été nécessaire. La Cour finlandaise va pallier à ce manque en interrogeant la CJCE sur l’interprétation qu’il convient de faire de la notion de résidence habituelle visée à l’article 8 R.2201/2003. La CJCE considère que la résidence habituelle du mineur doit être entendue comme étant le lieu traduisant une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. Au niveau interne, la Cour de cassation italienne s’était prononcé dans le même sens en considérant que la résidence habituelle devait être déterminée comme étant le lieu où le mineur, en raison d’un intervalle de temps important et stable, a créé le centre de ses liens affectifs dans le déroulement de sa vie quotidienne (C.cass 14 juillet 2006 n°16092). La définition donnée par la CJCE n’est pas sans rappeler celle admise dans d’autres matières du droit communautaire, notamment en matière de sécurité sociale des travailleurs migrants (CJCE, 12 juillet 1973, Éts Angenieux c/ Hackenberg, aff. 13/73 ; CJCE, 11 novembre 2004, Adanez-Vega aff.C-372/02, § 37) et de la fonction publique communautaire (CJCE, 9 octobre 1984, Witte c/ Parlement européen, aff. 188/83 ; CJCE 15 septembre 1994, Mgdalena Fernandez/Commision, aff.452/93, §22) où la notion de résidence habituelle était considérée comme étant « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts. ». Pourtant, malgré d’importantes similitudes, les deux définitions ne peuvent être confondues étant donné que le but poursuivi est différent.
II. Une définition autonome au service de la protection de l’intérêt de l’enfant
La CJCE, en accord avec les conclusions de l’Avocat générale Kokott, a jugé bon de distinguer la définition de la résidence habituelle, précédemment reconnue dans d’autres matières du droit communautaire, de celle de l’enfant. Ce choix n’est pas anodin en ce qu’il permet de mieux protéger et servir l’intérêt du mineur, comme l’avait justement préconisé l’avocat général Juliane Kokott dans ses conclusions (Conclusion de l’avocat général Juliane Kokott, 29 janvier 2009, C-523/07). En effet, en plus de donner une définition de la résidence habituelle du mineur, la Cour énonce que, doivent être prises en compte, les circonstances particulières propres à chaque espèce et que de ce fait la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire de l’Etat membre et du déménagement de la famille dans l’Etat, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de la scolarisation, les connaissances linguistiques et enfin les rapports familiaux et sociaux entretenus par l’enfant sont autant d’indices révélateurs de la véritable résidence habituelle du mineur. Une telle définition se veut protectrice de l’enfant étant donné qu’en désignant comme étant compétente les juridictions de l’Etat membre avec lequel le mineur est le plus proche, physiquement mais surtout affectivement, il est acquis que le juge sera alors plus à même de s’occuper du cas d’espèce. La jurisprudence italienne donne une place particulière au critère de proximité. Avant même que la CJCE se prononce, les juridictions du fond et dernièrement la Cour de cassation ont affirmé l’importance du critère de proximité lors de la détermination de la résidence habituelle de l’enfant. La Cour suprême italienne a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que reconnu par la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, devait être au centre de l’attention des institutions et tribunaux, et de ce fait, la compétence ne pouvait revenir qu’à celui qui était le plus à même d’évaluer l’intérêt de l’enfant sur la base du critère de proximité (C.cass italienne, sections unies, 9 décembre 2008 n°28875 à voir aussi C.cass. 31 janvier 2006 n°2171). Quant à la durée de la résidence habituelle, la Cour de cassation italienne avait reconnu que ce n’était pas un critère décisif en lui-même, une longue période n’est pas représentative si la situation de l’enfant n’était que précaire ou ne lui permettait pas de se créer de véritables points de repère (C.cass. italienne 15 février 1999 n°1238 et 14 juin 2006 n°16092) La CJCE rappelle très justement aux paragraphes 33 et 40 de la décision (CJCE 2 avril 2009, C-523/07) que l’intention des parents de s’établir dans un autre Etat membre ou la seule présence de l’enfant sur le territoire, ne peuvent suffire à l’établissement de la résidence habituelle, ces indices doivent être renforcés par d’autre éléments qui permettront de prouver que la présence de l’enfant n’est pas temporaire ni occasionnelle. Si l’on prend l’exemple de l’enlèvement d’enfant par l’un des parents, la présence de l’enfant sur le territoire de l’Etat membre ne sera que fortuite et surtout empreinte d’illégalité. Le seul critère de la présence ne peut être pris en compte au risque de légaliser des situations illicites (CJCE 23 décembre 2009 C-403/09). Le critère de la résidence habituelle a été choisi comme étant le critère phare du règlement 2201/2003, permettant de définir la juridiction compétente. Ce critère se veut factuelle afin de permettre une reconstruction plus proche de la réalité, les juges devront établir la résidence habituelle « sur la base d’un ensemble de circonstances de fait particulières à chaque cas d’espèce » (CJCE 2 avril 2009, C-523/07). Pourtant la factualité du critère n’a pas fait l’unanimité auprès des auteurs, tant français qu’italien. Le risque qui est mis en évidence est qu’en donnant une place trop importante au cas d’espèce, des divergences d’application et d’interprétation risquent de naître au sein des Etats membres favorisant ainsi le forum shopping. Afin d’éviter des possibles déviances il serait préférable de considérer que la liste de critères invoqué par l’Avocat générale et la Cour soit une liste fermée. Tout en laissant une certaine élasticité et flexibilité aux juges internes, cela permettrait de maintenir un cadre uniforme au niveau des Etats membres quant à la définition, l’interprétation et l’application de la notion de la résidence habituelle. Il reste à voir l’application qui en sera faite par les juridictions des Etats membres. A ce jour les juridictions italiennes ne se sont pas prononcées suite à cette décision communautaire.
Bibliographie :
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• Flavio Astiggiano, « Sottrazione internazionale di minori, residenza abituale, trasferimento temporaneo all’estero » dans Famiglia e diritto n.10/2009 p.876 à 887
• Conclusions de l’Avocat général J.Kokott, 29 janvier 2009 C-523/07
• Philippe Guez, « La notion de résidence habituelle au sens du Règlement Bruxelles II bis », dans Gazette du Palais, 15 janvier 2005, n.15 p.20
• Alexandre Boiché, « Mise en œuvre pratique des apports de l’arrêt rendu le 2 avril 2009 par la CJCE en matière d’autorité parentale » dans AJ Famille 2009 p.294
• Philippe Guez, « De quelques précisions essentielles sur la mise en ouvre du Règlement Bruxelles II bis », dans Gazette du Palais, 28 novembre 2009 n. 332, p. 15
• Franchi Martina, « Audizione senza modalità particolari se il rifiuto è adeguatamente motivato », dans Il sole 24 ore, 1 mars 2008 n.2
• Tiziana Mori, « La sottrazione internazionale di minori e le nuove integrazioni normative apportate dal Regolamento CE n.2201/2003 » dans Psicologia e giustizia, anno VI, numéro 2, juillet-décembre 2005.
• Manuela Tirini, « Sottrazione internazionale di minore : strumenti convenzionali e communitari di tutela » dans Il sole 24 ore, 1 juin 2009 n.6
• www.incadat.com , point de droit : résidence habituelle du mineur