La protection d’une marque utilisée à l’étranger : le principe de territorialité par Anne MCDERMOTT

Le mode d’acquisition de la protection accordée par une marque diffère entre la France et les Etats-Unis. En France, la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement. Aux Etats-Unis, c’est l’utilisation commerciale d’une marque qui provoque de facto l’acquisition, et donc la protection, de cette marque. En se basant sur une utilisation « commerciale » de la marque, le « Lanham Act » fait référence au pouvoir du Congrès américain de « réguler tout commerce au sein des Etats-Unis et avec les pays étrangers ». Ainsi, une activité commerciale faite à l’extérieur des Etats-Unis pourrait être protégée par la loi américaine, à partir du moment où elle implique les Etats-Unis. A propos des arrêts Mother’s Restaurants v. Mother’s Other Kitchen, Inc. et Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers à Monaco

La législation sur les marques, comme tous les droits en propriété intellectuelle sont de nature territoriale. D'une manière générale, la protection d’une marque dans un pays ne donne pas le droit d'utiliser la marque (ou d'enjoindre des tiers d'utiliser la marque) dans un autre pays. Une marque a une existence distincte dans chaque système juridique qui accorde et reconnaît la protection d’une marque. Une même marque pourrait en effet être détenue par des personnes différentes dans plusieurs pays. Le commerce international met en perspective les problèmes et les complexités de ce formalisme géographique. Les efforts continuent à se poursuive afin de parvenir à un consensus sur la protection d’une marque étrangère. En droit des marques aux États-Unis, la où une marque est utilisée sur les mêmes biens par des propriétaires différents, la priorité (et donc la protection) accordée à une marque dépend de la personne qui a été la première à utiliser la marque dans le commerce. Dans le contexte d'enregistrement d’une marque, l'Article 2 du « Lanham Act » prévoit que l’enregistrement fédéral sera refusé à une marque qui est susceptible d'être confondue avec une marque déjà enregistrée ou utilisée aux Etats-Unis par une autre personne. En se basant sur une utilisation commerciale de la marque, le « Lanham Act » fait référence au pouvoir du Congrès américain de « réguler tout commerce au sein des Etats-Unis et avec les pays étrangers » (Article 1 de la Constitution). En effet, la Constitution a donné le pouvoir au Congrès américain (et non pas aux états américains) de réguler le commerce entre états ainsi qu’avec avec les pays étrangers. Selon le quatrième circuit fédéral, le terme « commerce » dans le « Lanham Act » coïncide avec le commerce que le Congrès peut réguler selon l’Article 1 de la Constitution.

Une des plus grandes lignes de faille dans le droit des marques aujourd’hui se situe entre les pays qui accordent des droits sur la base du premier à utiliser la marque en relation avec des produits et services (systèmes prenant en compte l’utilisation dans le commerce de la marque) et les pays tels que la France qui accordent des droits sur la base du premier à enregistrer la marque (systèmes prenant en compte l’enregistrement d’une marque). La plupart des pays ont désormais des systèmes d'enregistrement bien que les États Unis ont toujours un système fondé sur l'utilisation commerciale de la marque. Quoique la division entre les systèmes d’utilisation d’une marque et les systèmes d'enregistrement d’une marque explique les nombreux débats actuels, la dichotomie n'est pas aussi absolue que cela pouvait paraître avant. Ainsi, les systèmes fondés sur l’enregistrement d’une marque exigent l'utilisation éventuelle de la marque afin de maintenir l’enregistrement, et faire appliquer les droits entourant la protection de la marque. De même, bien que les États-Unis accordent des droits sur la base du premier à utiliser une marque, la loi établit aussi un système d'enregistrement des marques. Bien que l'enregistrement fédéral, en théorie, ne fasse que confirmer l'existence de droits acquis par l'usage, l’enregistrement ultérieur de la marque ne peut que conférer des avantages importants.

L’envergure de l’utilisation commerciale d’une marque a évolué avec l’impact des nouvelles technologies tel qu’internet. En effet jusqu’à présent la Cour Suprême des Etats-Unis prenait en compte l’utilisation commerciale de la marque purement au sein des Etats-Unis excluant toute utilisation commerciale de la marque à l’étranger. Cependant avec l’apparition d’internet, la Cour a finalement accepté une interprétation plus souple de l’utilisation commerciale de la marque, une interprétation autre qu’une utilisation limitée au territoire des Etats-Unis. Malgré les critères stricts que les Etats-Unis ont formulés afin de juger si une marque utilisée à l’étranger bénéficie d’une protection aux Etats-Unis, de nombreuses exceptions ont été soulevées. De plus, de nombreux pays tel que la France ou l’Angleterre ont mis en place des critères beaucoup plus flexibles afin de juger si une marque étrangère peut bénéficier d’une protection.

I.) L’utilisation commerciale de la marque étrangère

1.) D’une application stricte du principe de territorialité à une appréciation flexible avec la prise en compte de nouvelles technologies

Dans l’arrêt Mother’s Restaurants v. Mother Other Kitchen, Inc., 218 U.S.P.Q 1046 (TTAB 1983), la Cour du se prononcer sur le degré d’interaction nécessaire entre une marque étrangère et le commerce américain afin de pouvoir se prévaloir de la protection du « Lanham Act ». En l’espèce, le demandeur, Mother’s Restaurant, contestait l’enregistrement de la marque du défendeur, Mother’s Other. Le demandeur était propriétaire de plusieurs restaurants italiens au Canada, ainsi qu’aux Etats-Unis, cependant l’ouverture des restaurants aux Etats-Unis du demandeur avait eu lieu après l’ouverture des restaurants du défendeur au sein des Etats-Unis. Le demandeur voulait justifier de l’utilisation commerciale préalable de sa marque au sein des Etats-Unis par le fait que de nombreux clients américains venaient manger dans ses restaurants au Canada et que de nombreuses publicités circulaient sur des stations de radio canadiennes pouvant être entendues au sein des Etats-Unis. La cour jugea qu’une utilisation préalable d’une marque à l’étranger, ainsi qu’une campagne de publicité (qu’elle soit au sein des Etats-Unis ou non) ne constituait pas une interaction suffisante avec le commerce au sein des Etats-Unis. La Cour jugea aussi que le demandeur n’avait pas suffisamment établi que le défendeur était de mauvaise foi. De plus dans l’arrêt Person’s Co. v. Christman, 900 F.2d 1565 (Fed. Cir. 1990), la Cour rejeta les arguments du demandeur essayant de justifier le fait que l’utilisation commerciale de sa marque à l’étranger devrait être prise en compte par le fait d’une économie mondiale. La Cour déclara que l’utilisation commerciale d’une marque à l’étranger n’a aucun effet sur le commerce américain et ne peut tout simplement pas établir la priorité de la marque utilisée à l’étranger.

Cependant le progrès technologique avec l’avancée d’internet peut remettre en cause ces arrêts. Récemment l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle a rédigé un rapport concernant l’impact d’internet sur le droit des marques (« Joint Recommendation Concerning Provisions on the Protection of Marks and Other Industrial property Rights in Signs, On the Internet », Octobre 1, 2001). Le rapport établit une liste de facteurs afin de savoir si la marque avait un effet commercial sur le territoire. En outre, la langue et la monnaie utilisées sur le site, ainsi que d’autres critères tels que d’éventuelles clauses de non-responsabilités concernant la capacité à livrer le bien sûr le territoire. Plus récemment encore, dans l’arrêt Int’l Bancorp LLC v Société Des Bains De Mer et Du Cercle Des Etrangers à Monaco, 329 F.3d 359 (4th Cir. 2003), la cour du Quatrième Circuit Fédéral a largement étendu la protection d’une marque étrangère tenant en compte son utilisation sur internet. En l’espèce, la Société des Bains de Mer était propriétaire de la marque « Casino de Monte Carlo », à Monaco. Bancorp était propriétaire de sites internet utilisant « Casino de Monte Carlo » afin de promouvoir ses activités de jeux d’argent sur internet. Ici, la cour a jugé qu’il y avait une interaction suffisante entre le commerce au sein des Etats-Unis et la marque étrangère, car des citoyens américains se rendaient, et jouaient, au casino de Monaco. Cependant l’opinion dissidente était de l’avis que ce jugement était en contradiction directe avec la jurisprudence antérieure observant que les Etats-Unis étaient depuis longtemps attachés au principe de territorialité. L’étendue de la protection accordée aux marques étrangères pourrait sembler illimitée. En effet, si le critère déterminant est l’utilisation de la marque à l’étranger par des citoyens américains, alors toutes les marques d’une certaine notoriété peuvent potentiellement prétendre à la protection du « Lanham Act ».

Dans d’autres territoires tels que le Commonwealth, davantage de flexibilité s’applique au principe de territorialité. Par exemple dans l’arrêt McDonald’s Corp. v. McDonald’s Corp. LTD, la Cour énonça qu’il était possible pour une marque d’avoir des droits malgré le fait que la marque n’était pas utilisée dans le commerce dans la juridiction en question. En l’espèce, le défendeur avait ouvert un restaurant McDonald’s en Jamaïque sans l’autorisation du demandeur, propriétaire de la marque McDonald’s, avant même que le demandeur ait ouvert de filières en Jamaïque. Lorsque le demandeur commença à commercialiser sa marque, le demandeur voulut utiliser le fait qu’étant donné que sa marque avait atteint une certaine notoriété de part les clients qui se déplaçaient à l’étranger, sa marque devrait être protégée même si le défendeur avait commencé à commercialiser sa marque avant la sienne.

C’est ainsi que les marques renommées acquièrent davantage de protection. Les Etats-Unis sont plus réticents cependant à accepter la protection d’une marque malgré l’utilisation dans le commerce de la marque.

2.) La protection d’une marque enregistrée subordonnée à son utilisation commerciale

L’enregistrement d’une marque en France attribue au titulaire une protection pour les produits et services qui ont été désignés lors du dépôt et ce pour une durée de dix années indéfiniment renouvelables. Cependant, il serait faux de penser qu’une marque puisse ainsi être indéfiniment protégée. L’article L.714-5 du Code de la propriété intellectuelle en effet précise qu’« encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ». La marque donnant un monopole à son titulaire, privant la possibilité d’enregistrer le même signe ou un signe proche pour des produits et services identiques ou similaires ne saurait demeurer en vigueur en toutes circonstances. C’est ainsi que l’article L.714-5 a été rédigé afin d’éviter le dépôt d’un nombre considérable de marques que leurs titulaires n’auraient pas véritablement l’intention d’exploiter (Titulaires de marques : comment se défendre contre une action en déchéance? http://www.prodimarques.com/juridique/titulaires-de-marques.php).

II.) Les exceptions au principe de territorialité

1.) L’exception de mauvaise foi du défendeur

Les États-Unis acceptent le fait qu’une marque puisse être protégée malgré son utilisation dans le commerce si le défendeur a été de mauvaise foi. En effet, les Etats-Unis ont eu une forte réaction à la perception d'un sens de la mauvaise foi de la part des défendeurs. La protection est souhaitée non pas tant pour protéger les propriétaires de marques, mais plutôt pour les protéger contre d'autres opportunistes. L’arrêt Maxim’s a permis d’énoncer quelques règles gouvernant la protection des marques renommées contre les défendeurs de mauvaise foi. En l’espèce, le demandeur était le titulaire du restaurant Maxim’s à Paris. Il ne possédait pas de restaurants aux Etats-Unis, ainsi sa marque n’était pas utilisée dans le commerce, cependant étant donné que le défendeur avait clairement imité le restaurant Maxim’s en utilisant le même style d’écriture, les mêmes couverts, la même devanture, faisant preuve de mauvaise foi, et que la marque française Maxim’s de plus avait une certaine renommée internationale, la Cour accepta de protéger la marque française faisant exception à l’utilisation dans le commerce obligatoire d’une marque afin d’assurer sa protection. La France accepte cependant la protection d’une marque renommée dans davantage de situations.

2.) L’exception par la renommée de la marque

Les marques de renommée bénéficient d’une protection renforcée en droit français puisque l’article 6 bis de la Convention de Paris prévoit que «Les pays contractants s'engagent à refuser ou à invalider soit d'office si la législation du pays le permet, soit à la requête de l'intéressé, l'enregistrement d'une marque de fabrique ou de commerce qui serait la reproduction ou l'imitation susceptible de faire confusion, d'une marque que l'autorité compétente du pays de l'enregistrement estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d'un ressortissant d'un autre pays contractant et utilisée pour des produits du même genre ou d'un genre similaire.».

La marque renommée est une marque disposant d'un pouvoir attractif propre. Cependant, il n'est pas rare qu'un tiers, désireux de bénéficier de l'image associée à une marque, dépose une marque identique pour des produits ou services différents. La protection reconnue à la marque renommée vise à permettre au titulaire initial de la marque de s'opposer à ces actes susceptibles de créer une confusion dans l'esprit du public. Pour pouvoir bénéficier des prérogatives associées à la marque renommée, le titulaire de la marque doit rapporter la preuve du renom de sa marque. Traditionnellement, la renommée se traduit par une connaissance de la marque par une large fraction du public. Une telle marque doit être connue du public, qu'il en soit ou non client. Pour apprécier la renommée d’une marque, les juges prennent en compte différents critères : l'ancienneté de la marque, les efforts commerciaux et publicitaires de son titulaire, l'intensité de son exploitation. Souvent, des sondages sont invoqués pour caractériser la renommée d'une marque ainsi qu’en droit américain. (Marque Renommée: http://www.pifrance.com/propriete-intellectuelle.php?item=2)

Le titulaire de la marque renommée ne peut pas exercer une action en contrefaçon pour des produits ou services différents de ceux qu'il a désignés dans l'enregistrement. Puisque le tiers intervient dans un secteur d'activité différent, il ne s'agit pas à proprement parler d'un concurrent. L'action en concurrence déloyale classique suppose du demandeur qu'il rapporte la preuve d'une faute, d'un préjudice et du lien de causalité entre cette faute et ce préjudice. Le titulaire d'une marque renommée n'est pas tenu par ces règles. En effet le fondement de cette action n'est pas le préjudice subi mais l'exploitation injustifiée de la notoriété de la marque, le titulaire de la marque renommée bénéficie d'une alternative. Le caractère renommé d'une marque permet donc à son titulaire de s'émanciper des règles relatives à l'action en concurrence déloyale. Cela permet donc de déroger au principe de territorialité du droit des marques : la marque renommée est protégeable même si elle n'y a pas été déposée. (Marque Renommée: http://www.pifrance.com/propriete-intellectuelle.php?item=2)

Ainsi, l’étendue de la protection des « marques étrangères » peut sembler illimitée en vu de la jurisprudence récente. En effet, si le facteur déterminant est l’utilisation de la marque à l’étranger par des citoyens, alors toutes les marques d’une certaine renommée pourraient prétendre à une protection en droit des marques. Etendre cette protection peut tendre vers un risque d’accorder un monopole d’exploitation à des marques renommées. En effet la notion de renommée attachée à une marque reste indéterminée et variante.

Bibliographie

« International Intellectual Property Law and Policy», Graeme B. Dinwoodie, William O. Hennessey, Shira Perlmutter, LexisNexis, 2nd Edition

« Trademark and Unfair Competition Law, Cases And Materials », Jane C. Ginsburg, Jessica Litman, Mary L. Kevlin, Foundation Press, 4th Edition

« Droit de la propriété industrielle », Jacques Azéma, Jean-Christophe Galloux, Dalloz, 6ème Edition

Lanham Act (1946), http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode15/usc_sup_01_15_10_22.html

Code de la Propriété Intellectuelle, http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnCode?code=CPROINTL.rcv

Why we are confused about the trademark dilution law? Christine Farley, Fordham Intellectual Property, Media and Entertainment Law Journal

Titulaires de marques : comment se défendre contre une action en déchéance ? Jean-Christophe Grall et Eléonore Camilleri - MG Avocats - Meffre & Grall http://www.prodimarques.com/juridique/titulaires-de-marques.php

Marque Renommée http://www.pifrance.com/propriete-intellectuelle.php?item=2