Menaces, blocages et lobbying, quel avenir pour la copie privée ? Par Suzanne Vergnolle

   Résumé: Alors que le mécanisme de copie privée n’est reconnu aux Etats-Unis que d’un point de vue très spécifique, la dérogation de copie privée occupe une place importante dans les régimes juridiques des pays européens. Quel avenir, alors, pour cette exception au droit d’auteur ? Va-t-elle s’exporter hors des Etats européens et suivre, outre Atlantique, le chemin du droit moral ?  Va-t-elle au contraire progressivement s’éteindre, face aux lobbying des grandes maisons de disques et des maisons de production qui travaillent à anéantir ce mécanisme typiquement européen ?

     Monsieur le professeur Henri Batiffol avait justement remarqué qu’« il importe de relever qu'une matière juridique peut subir des modifications en profondeur et qu'on discute justement sur la profondeur atteinte. Si la nouveauté n'affecte que des régions superficielles, elle sera assimilée, au prix peut être d'une transformation d'elle-même comme de la région affectée. Si elle concerne au contraire la zone profonde, elle sera rejetée ou disloquera le système. »

Le droit exclusif accordé à l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique s'est continuellement transformé sous la pression des faits, l'évolution des techniques et des mœurs. (GAUTIER P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF 7e éd., 2010, p. 303). Les lois ont peu à peu introduit des dérogations au régime général du droit d’auteur, qui sont autant d’interfaces entre le public, destinataire des œuvres, et le titulaire des droits sur l’œuvre de l’esprit.

Parmi ces dérogations se trouve celle dite de copie privée, qui est « un mécanisme qui permet d'accomplir des actes qui ressortissent du droit exclusif sans requérir d'autorisation préalable » et qui peut ou non être assorti du paiement d'une redevance. (CORNU M., De LAMBERTERIE I., SIRINELLI. P, WALLAERT C. (dir.), Dictionnaire comparé du droit d'auteur et du copyright, CNRS, 2003, p. 418). Cette dérogation existe dans de nombreux pays, principalement dans les pays européens. (WIPO – International Survey on Private Copying, Law and Practice 2012).

L’article de doctrine, de Monsieur le professeur Unnia commente des décisions du 2 mars 2012 de rejet par le Tribunal administratif du Lazio (Trib. Am. Reg. per il Lazio, 2 Mars 2012, n. 02159/2012) des 8 recours présentés par les sociétés Samsung, Fastweb, Hewlett, Nokia, Samsung, Ericsson, Wind et Telecom Italia. Monsieur le professeur Unnia, spécialiste en matière de responsabilité et dommages liés à la publicité analyse les justifications au rejet des recours par le Tribunal. Cette analyse est très objective et permet une bonne compréhension des enjeux existants de nos jours en matière de copie privée. Ce commentaire très objectif nous permettra également de s’interroger sur les instruments permettant la survie du régime de copie privée.

Les actions engagées par les sociétés contestaient la validité du régime légal italien en matière de copie privée, et notamment le décret du Ministre des biens et activités culturelles du 30 décembre 2009 relatif à la compensation pour la reproduction privée des phonogrammes et des vidéogrammes. La décision du tribunal atteste de la conformité des principes de la dérogation de copie privée au droit national et au droit européen, principalement en ce qui concerne le mécanisme de rémunération. En effet, la décret-loi de 2009 est déclaré équilibré, limité et donc conforme aux principes réglementant la copie privée. Cette action introduite n’est pas isolée, mais s’inscrit dans une véritable offensive juridique lancée dans toute l’Europe par les entreprises important du matériel informatiques. (MagSacem n. 86, Menaces sur la copie privée. Sale Temps pour la création, Janvier – Avril 2013,  p. 5).

Ces décisions sont la preuve qu’en pratique, deux principaux courants de pensée s'élèvent face à l’ère numérique. L’un, plutôt protecteur, cherche à élargir le champ d'application des comportements sources de responsabilité, ayant donc tendance à rejeter la modification ; l’'autre accepte de disloquer le système, selon le mot de Battifol, en soutenant que « dans le contexte du réseau, la question de la copie ou de l'original est éculée.» (LECHNER M., Libération Mercredi 18 avril 2012, à propos de l'exposition Collect the WWWorld).

Il peut être intéressant de se demander en quoi les techniques de reproduction actuelles et les intérêts en présence influencent les régimes normatifs nationaux ayant reconnu la copie privée, et si cette dernière  a un véritable futur.

Le droit comparé conduit alors à aborder ce thème sous certains aspects particuliers.

Si le régime de la dérogation de copie privée a pu se développer grâce à son régime très particulier (I), nous verrons en quoi les actions réitérées à l’encontre du régime remettent sérieusement en cause son futur (II).

 

I) De lege lata- Le régime de la dérogation de copie privée 

 

A ses origines, la dérogation de copie privée a été peu commentée ; mais depuis l’explosion des moyens de reproduction mécanisés, l’ensemble des commentateurs, des artistes, des juges, semblent y porter un intérêt particulier. Les conditions restrictives de la copie privée lui donnent une certaine légitimité (A), cependant elle ne peut continuer d’exister qu’en présence d’une rémunération compensatoire dont les méthodes de calcul ont été sérieusement contestées (B).

 

  A) Les conditions de la reconnaissance de copie privée

 

Dans une publication, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) affirme que de nombreuses lois permettent aux individus de reproduire une œuvre dans le cadre privé, mais que cette dérogation a été restreinte afin de s’adapter aux évolutions numériques.

En droit italien, certaines conditions sont en effet nécessaires afin d’assurer le bénéfice de la dérogation au droit d’auteur induite par la copie privée. Tout d’abord, en ce qui concerne le bénéficiaire de la copie privée, tout comme l’art. 5.2 b) de la directive n. 2001/29/CE (ci-après « la directive ») l'art. 71-sexies du décret-loi italien (n. 68 du 9 Avril 2003 transposant la directive, ci-après ‘décret-loi’) prévoit qu'il doit s'agir d'une personne physique. Le droit français, à  l'art. L 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), est beaucoup moins précis et utilise la notion de ‘copiste’, qui ne fait pas l'objet d'une définition légale, et désignerait, selon le professeur Caron, celui qui réalise la copie pour ensuite l'utiliser. Ces notions semblent dépassées par l’ère numérique du fait de la dématérialisation des supports et des personnes.

La loi italienne circonscrit de manière beaucoup plus précise et plus claire le régime de la copie privée puisqu’elle limite la dérogation aux phonogrammes et aux videogrammes (art.71-sexies du décret-loi), à la copie de réserve (art.64-ter du décret-loi) et aux bases de données, alors que la loi française offre un champ d'application général (art. L 122-5 CPI). Une telle différence peut s'expliquer par le fait que la dérogation n’était pas formellement prévue en Italie avant la transposition de la directive (et l’a donc introduite de façon limitée, afin de ne pas bouleverser les habitudes prises en pratique), alors que la France connaissait cette exception depuis la loi du 11 mars 1957 (et n’a pas voulu la réduire).

L'art. L 122-5 CPI français, et l'art. 71-sexies du décret-loi italien reprennent ensuite tous deux la notion « d'usage privé » issue de la directive. La France adopte une expression redondante en évoquant « l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » faisant donc référence à deux notions, celle d'usage privé qui reste indéfinie et au fait que « l'on ne doit réaliser qu'une seule copie, celle destinée à son usage personnel » ; l'Italie, quant-à-elle, adopte une formulation plus claire en faisant référence à « l'usage exclusivement personnel », qui ne doit pas avoir comme but le profit ni être directement ou indirectement commerciale, et exclut expressément les copies effectuées par des tiers (al. 2). (BERTRAND A.-R., Droit d'auteur, Dalloz, 2011, p. 332.)

En pratique, les solutions française et italienne sont assez similaires, mais la législation française gagnerait en clarté à prendre, ici, l’Italie pour modèle.

Aussi, les doctrines française et italienne dominantes défendent également l'exigence d'une source licite, sur différents fondements: notamment, « fraus omnia corrumpit », qu'une exception ne doit pas pouvoir profiter à des 'citoyens indélicats'. (MORE, Les dérogations au droit d’auteur, PUR, 2009, p. 104 ; BUYDENS M. et DUSSOLIER S., Les exceptions du droit d'auteur dans l'environnement numérique : évolutions dangereuses, Comm. com. électr. 2001, étude 21 ; MACREZ F., Créations informatiques: bouleversement des droits de propriété intellectuelle?, LexisNexis, 2011, p. 179 ; GAUTIER, p. 379). L’Assemblée Nationale française avait rappelée dans une réponse publiée au JO le 10/02/2009 (p.1321) relative à l’étendue de l’exception de copie privée qui « a toujours été entendue de manière stricte par la jurisprudence.  Elle exclut ainsi, notamment, toute copie destinée à l'usage interne, mais néanmoins collectif, d'un groupe. »

 

Mais si la France comme l’Italie, et d’autres pays européens, connaissent bien la copie privée, tel n’est pas le cas du droit américain. Or, depuis plusieurs décennies, les Etats-Unis dominent le marché de l’entertainement dans le monde entier. (P. FARHI and M. ROSENFELD, Washington Post, American Pop Penetrates Worldwide, 25/10/1998). Si la dérogation générale de copie privée n’est pas reconnue aux Etats-Unis, il existe tout de même différentes provisions qui limitent le droit exclusif de reproduction dont bénéficie l’auteur d’une œuvre. D’une part, la section 117 du Chapitre 1 au sein du titre 17 du Code fédéral (17 U.S.C.A. §117) prévoit la possibilité d’effectuer une copie pour les programmes d’ordinateur lorsque cette copie est une étape essentiel de l’utilisation du programme et qu’elle n’est pas utilisée pour un autre usage ; que cette copie est pour un usage d’archive et qu’elle soit détruite lorsque l’usage légitime du programme cesse. Cette dérogation est ainsi très limitée et n’est en rien comparable avec l’exception reconnue dans les pays européens, la copie privée y étant considérablement réduite s’agissant de logiciels (copie de sauvegarde).

D’autre part, et surtout, le Chapitre 10 du titre 17 du Code Fédéral codifiant le Audio Home Recording Act of 1992, faisant suite à la décision Sony Corp. of America v. Universal City Studios (464 U.S. 417 (1987)), offre une protection au consommateur pour la reproduction d’un format audio-numérique, pour usage non commercial. (B. SCHULMAN, The Song Hear ‘Round The World : The Copyright Implications of Mp3s and the Future of Digital Music, Harvard Journal of Law and Technology, Vol. 12, N. 3, Summer 1999). Cette exception est cependant exclusivement cantonnée aux formats audio numériques, et n’est que très peu connue du grand public. D’autres défenses sont souvent présentées en cas de copyright infringement, notamment le fair use defense (17 U.S.C.A. §107). Ces exceptions ne sont cependant pas comparables avec la dérogation générale de copie privée prévue par les Etats-Européens.

 

Ce système de la copie privée, si l’on en restait là, pourrait être considéré comme préjudiciable aux intérêts des titulaires de droit. Mais il leur octroi par ailleurs une contrepartie : la rémunération pour copie privée.

 

   B) La rémunération pour copie privée, condition sine qua non à la survie du régime, dont la légitimité est remise en cause

 

Le cœur de la décision commenté par l’article de Monsieur Unnia réside dans la remise en cause de la légitimité de la rémunération pour copie privée prévue par le décret loi de 2009 prévoyant les barèmes de rémunération pour la copie privée en Italie.

L’art 5. 2, b) de la directive conditionne le bénéfice de la copie privée au versement d’une compensation équitable destiné aux titulaires des droits (la compensation équitable a été considéré une notion autonome du droit de l’U.E. : CJUE, C-467/08, 21 oct. 2010, pt. 37).

La France et l'Italie reprennent cette condition respectivement aux articles L.311-1 CPI, et 71-septies du décret-loi. Ces deux lois prévoient pour les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs des œuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes une rémunération pour copie privée assimilable, dans sa nature, à une licence légale, qui est une autorisation spéciale accordée moyennant le paiement d’une contribution (CARON Ch., Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e ed., 2009, p. 309).

 

Dans les deux pays, la rémunération est fondée sur une base forfaitaire, en vertu des art. L 311-4 CPI et 71-septies du décret-loi. Ce prix devra être payé par « le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires », mais en pratique, il sera répercuté sur le prix de vente au consommateur final. (C’est l’interprétation qu’entend donner la CJUE: C‑462/09, 16 Juin 2011, pt. 29, et C-467/08 pt. 50).

Si les Etats-Unis ne connaissent pas une exception générale, le Code fédéral prévoit cependant que pour l’exception très spécifique des formats audio-numérique pour usage non commercial la redevance doit être collectée sur le prix des appareils et des instruments permettant de faire la copie. Comme en Europe, cette redevance doit être versée par « le fabricant ou l'importateur ». (17 U.S.C.A §105). Il est intéressant d’étudier le système très particulier des Etats-Unis relatif à cette exception, cependant, comme nous avons pu le noter ci dessus, la défense du fair use est généralement préférée à ce système très peu connu et appliqué.

 

L’article à l’étude examine précisément les recours exercés par les sociétés qui demandaient l’annulation des tarifs établis par le décret émis par le Ministre Bondi en 2009. Les sociétés soutenaient, entre autres, que le décret avait valeur normative, que la compensation avait valeur de prestation patrimoniale imposée, et que le décret ne prenait pas en compte les copies provenant du piratage et des téléchargement illégaux. Les sociétés militent de manière globale pour la suppression de cette exception, évoquant la nécessité de prise en compte du préjudice réel subit par les ayants-droit du fait de la copie privée. Le tribunal a toutefois rejeté ces griefs et a confirmé la validité des barèmes de rémunération pour copie privée établie par le décret de 2009.

 

En France, la fixation des taux de rémunération et des modalités de versement revient à la Commission administrative prévue à l'art. L 311-5 CPI, qui a récemment fait l’objet de nombreuses critiques.  Certains ont même parlé, à son égard,  'd'entente anticoncurrentielle, voir d'être un abus de position dominante' (BERTRAND A., p. 306 ; pour une critique plus approfondie: REES M., « la Commission pour Copie Privée vole en éclats », le 18 février 2008 (http://www.pcinpact.com/news/41870-commission-copie-privee-industriels-s...) consulté le 20 avril 2013 ; Projet de loi du Sénat n. 192 par M. André GATTOLIN). La Sacem, société de gestion collective des droits d’auteurs d’œuvres musicales, a d’ailleurs exprimé ses inquiétudes sur le futur de la copie privée eu égard aux annulations, par le Conseil d’Etat, de décisions de la Commission pour la rémunération de la copie privée, à la suite de recours successifs déposés par les importateurs de matériels. (MagSacem n. 86, Menaces sur la copie privée. Sale Temps pour la création, Janvier – Avril 2013,  p. 6). Le Conseil d’Etat a notamment déclaré que ne pouvait être inclut dans le calcul du barème de rémunération de la copie privée ni les copies illicites (CE n. 298779, 20 Juillet 2008), ni les supports acquis à des fins professionnels. (CE nos 324816, 325439, 325463, 325468, 325469,17 Juin 2011).  La CJUE s’est prononcée également en la matière notamment dans l’arrêt Padawan, qui a jugé que la copie privée ne pouvait être perçue sur des matériels à usage professionnel. (CJUE C‑467/08, 21 octobre 2011).

Ainsi, comme le montre Monsieur Unnia la décision est en conformité avec les principes établis. Il est intéressant de voir que les tribunaux ont tendance à réduire le champ d’application de cette exception ce qui peut nous amener à nous demander quel peut être l’avenir juridique de cette exception.

 

 

 II) Les atteintes réitérées à l’encontre du régime remettant en cause un futur paisible du régime de copie privée :

 

Les nombreuses actions engagées par les lobbyings des industriels du  numérique ont engendrées de nouveaux débats et de nouvelles problématiques. D’une part, les juges ont dû se prononcer en interprétant les textes afin de veiller à assurer une protection des droits d’auteur (A) ;  d’autres part, les législateurs européens ont eu à leur disposition des instruments qui pourraient leur permettre une actualisation des textes afin de trouver un meilleur équilibre entre les intérêts en présence (B).

 

  A) Instruments législatifs à la disposition des juges pour assurer la protection des droits d’auteur

 

La prévision par l’Accord sur les ADPIC de 1995, par l’art. 9.2 de la Convention de Berne de 1979, et par l'art. 5.5 de la directive (transposé par les art L 122-5 CPI et 71-nonies décret-loi)  du test en trois étapes est un exemple d’instruments mis à la disposition des juges afin de veiller au respect des intérêts des titulaires des droits.

Selon ce test, le juge doit vérifier que la dérogation au droit d’auteur respecte trois conditions cumulatives : qu’elle s’applique que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

Du fait de ses nombreux cas et dérogations, la première condition prévue par la directive semble peu opportune. D’ailleurs les systèmes français et italien prévoient qu’il revient au législateur de déterminer les dérogations à la règle, et les juges ne s’interrogent donc pas concrètement sur son respect. La transposition du triple test n’étant pas obligatoire et le pouvoir discrétionnaire des juges dans son application a fait couler beaucoup d’encre. En effet, aux vues de la généralité de ses termes, on pourrait y voir « une version modernisée du principe d'interprétation stricte des exceptions, » (AZZI T., La loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, ou le monopole préservé, Comm. Com. électr. n. 7, Juillet 2007, étude 16.) mais aussi un outil à double tranchant pour le juge, qui peut le manier correctement et rendre son utilité incontestable, ou peut le faire devenir un instrument d' «impressionnisme juridique et s'avérer source d'insécurité juridique » ( MORE K.).

 

En outre, l'art. 6 de la directive prévoit une protection juridique contre le contournement de toute mesure technique, qui permet ainsi d'exclure toute interprétation extensive de la copie privée comme étant devenu un droit (pour une définition des mesures techniques, voir ALIPRANDI S., Capire il Copyright, PrimaOra, 2007, p. 98).

Le décret loi italien « reprend quasiment à la lettre l'art. 6.3 issu de la directive,» alors que les art. L. 331-5 et s. du CPI français sont beaucoup moins clairs et « consacre(nt) un luxe de détails impressionnants, » ce qui rend l’application plus laborieuse pour le juge. (ERCOLANI S., Il diritto d’autore e i diritti connessi. La legge n. 633/1941 dopo l’attuazione della direttiva n. 2001/29/CE, Giappichelli, 2004, p. 298 et GAUTIER p. 367.).

Si la loi italienne permet la mise d’une interdiction complète par le biais de la mise place de mesure technique de protection permettant de facto d’interdire la copie de l’œuvre (confirmée par la jurisprudence : Trib. Milano, Sez. spec. prop. ind. e int. – Sent. 8787/09), c'est à dire qu'elle accepte un dispositif technique ne permettant aucune copie, la loi française reste silencieuse en la matière. (Malgré un amendement (n. 30) de la Commission des lois de l’Assemblée nationale qui permettrait de garantir une copie, et l’arrêt Civ. 1ère, 28 février 2006, Mulholland Drive adoptant une solution similaire sur la base du triple test).

Ainsi, les juges devront être particulièrement attentifs et rigoureux dans l’application de ce texte afin d’éviter tout interprétation extensive (position conforme au considérant 51 et à l’art. 6.4 in fine de la directive).

Les juges, dans la recherche du juste équilibre entre les intérêts en présence sont poussés vers dans la recherche de solutions juridiques innovantes.

 

   B) De lege ferenda : les instruments à la disposition des législateurs de demain

 

Bien que le système ait été déclaré conforme et que son futur semble assurer, nous évoquerons quelques uns des éléments qui pourraient compléter les systèmes juridiques nationaux et européens de demain et qui permettraient d’offrir des alternatives à la copie privée.

Le Livre Vert européen du 13 juillet 2011 ainsi que le rapport du 25 juillet 2012 rédigé sous l’impulsion du rapporteur Jean-Marie Cavada apportent des réflexions sur l’avenir d’un marché unique du numérique au sein de l’U.E. Effectivement, le Livre Vert énonce la nécessité d'une gestion globale des licences (sur base multiterritoriale, cf : LUEDER T., Working toward the next generation of copyright licenses, 14th Fordham Conference on International Intellectual Property Law & Policy, April 20-21, 2006), d'une amélioration de la gestion collective des droits d'auteurs (en terme de transparence et de gouvernance : Communication de la Commission européenne, Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle, COM(2011) 287, p. 11), et la prévision d’une « rémunération appropriée des titulaires de droits » pour l'exploitation en ligne des œuvres audiovisuelles.

La nomination en novembre 2011 de M. Antonio Vitorino comme médiateur européen dans le dialogue sur la rémunération pour copie privée est une preuve ultérieure de la volonté de l’UE d’adaptation de la copie privée à l’ère numérique.

Le développement d’initiatives publiques telles que le site www.armoniaonline.eu est une preuve de la volonté des pouvoirs publics d’adapter le régime de copie privée aux exigences du numérique.

 

En France, l’Assemblée Nationale a organisé une table ronde en novembre 2012 autour de l’avenir de la rémunération pour copie privée. Les membres de Copie France – la société de gestion collective chargé de collecter la redevance – ont confirmé leur disponibilité dans la poursuite du dialogue entre les représentants des ayants droits et les pouvoirs publics et parlementaires pour consolider la copie privée à l’ère numérique.

 

Au niveau international est né en 2001 le projet Creative Commons à l'initiative d'un groupe d'intellectuels spécialisés en droit de la propriété intellectuelle. Le but de l'organisation est la relance de la créativité et de la production culturelle par le biais du développement d'un système de licences qui favorisent la diffusion et le partage des œuvres, en consentant la possibilité pour les auteurs de reprendre et réélaborer les œuvres d'autres auteurs (JORI M. G., Creative Commons: passato, presente e futuro dei beni comuni, in Nuove technologie e diritti di libertà nelle teorie nordamericane, Mucchi Editore, 2007, p. 67). Si le système italien est reconnu valide et conforme, ces licences pourraient être un outil alternatif pour les auteurs dans le futur.

Les auteurs et les consommateurs se sont déjà emparés de ces licences et ce système est en pleine explosion, à tel point que la Sacem a lancé pour 18 mois une expérience pilote depuis le 1er janvier 2012 en accord avec Creative Commons (http://www.sacem.fr/cms/lang/fr

/home/createurs-editeurs/creative-commons/experience-pilote-sacem-creative-commons, consulté le 16 avril 2013).

L'Union Européenne aurait compétence pour encourager les États à développer ce système sur le fondement de l'art 6 TFUE (permettant à l’Union d’appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres dans le domaine de la culture).

 

Enfin, certains auteurs, militent en faveur d'une taxe dite de l'accès à Internet. En effet, si l'accès à Internet coûtait mensuellement quelques euros de plus, les sommes ainsi collectées seraient de l'ordre d'au moins 1 milliard d'euros par an et pourraient être partagées entre les ayants droits des œuvres téléchargées. Or 1 milliard par an, cela représente la totalité du chiffre d'affaires annuel de l'industrie musicale, si l'on en croit l'institut GFK. (De TISSOT, in BEAUFORT de V. (dir), Droits de propriété intellectuelle dans un monde globalisé, Vuibert, 2009, p. 212.). Guy Bono, eurodéputé, s'était positionnée pour « légaliser le téléchargement (libre) » pendant la période d'élaboration de la loi Hadopi 1.

D'ailleurs, Pascal Nègre, patron d'Universal Music France dans une interview du 7 octobre 2008 avait développé l’idée d’une licence légale d'accès à Internet par prélèvement.

Malgré les nombreuses attaques dont la copie privée a été l’objet, il apparaît qu’elle s’adapte et évolue et qu’un avenir semble possible. Aujourd’hui le lobby d’importateurs a perdu la bataille mais qu’en est-il de la guerre ?

 

                                       Bibliographie :

 

Règlementations :

Internationale :

  • Accord sur les ADPIC du 1e janv. 1995.
  • Convention de Berne, 9 septembre 1886 modifiée par l’Acte de Paris le 28 sept. 1979.

Union Européenne :

  • Directive n. 2001/29/CE.
  • Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE).

France :

  • Code de la Propriété Intellectuelle.
  • Loi n. 57-298, 11 mars 1957.
  • Loi n° 2006-961, 1 août 2006.
  • Loi n° 2011-1898, 20 décembre 2011.

Italie :

  • Legge n. 633/1941, 22 aprile 1941, pubblicato nella Gazzetta Ufficiale n.166 del 16 luglio 1941.
  • Decreto ministeriale addottato dal  Ministro per i beni culturali Sandro Bondi il 30 décembre 2009
  • Decreto Legislativo 9 aprile 2003, n.68, pubblicato nella Gazzetta Ufficiale n. 87 del 14 aprile 2003.

Etats-Unis :

  • 17 United States Code Annotated §117.
  • 17 United States Code Annotated §105.

 

Décisions :

Décisions européennes :

  • CJUE, C-467/08, 21 oct. 2010, Padawan SL contre Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE).
  • CJUE: C‑462/09, 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie contre Opus Supplies Deutschland GmbH et autres.

Décisions américaines :

  • Sony Corp. of America v. Universal City Studios, 464 U.S. 417 (1987).

Décisions italiennes :

  • Trib. Am. Reg. per il Lazio, 2 Mars 2012,Sent. 02159/2012.
  • Trib. Milano, Sez. spec. prop. ind. e int, 2009. – Sent. 8787/09.

Décisions françaises:

  • Conseil d’Etat, 17 Juin 2011 nos 324816, 325439, 325463, 325468, 325469.
  • Conseil d'Etat, 11 juillet 2008, n. 298779.
  • Cour de cassation, Civ. 1e, 28 février 2006, n. 05-15.824, Publ. Bulletin 2006 I n. 126 p. 115.

 

Manuels :

  • ALIPRANDI S., Capire il Copyright, PrimaOra, 2007, 128 p.
  • BATIFFOL H., Aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, 2002, 354 p.
  • BERTRAND A.-R., Droit d'auteur, Dalloz, 2011, 978 p.
  • CARON Ch., Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e éd, 2009, 564 p.
  • CORNU M., De LAMBERTERIE I., SIRINELLI. P, WALLAERT C. (dir.), Dictionnaire comparé du droit d'auteur et du copyright, CNRS, 2003, 456 p.
  • De TISSOT, in BEAUFORT de V. (dir), Droits de propriété intellectuelle dans un monde globalisé, Vuibert, 2009, 272 p.
  • ERCOLANI, S., Il diritto d’autore e i diritti connessi. La legge n. 633/1941 dopo l’attuazione della direttiva n. 2001/29/CE, Giappichelli, 2004, 518 p.
  • GAUTIER P.-Y., Propriété littéraire et artistique, PUF, 7e éd., 2010, 864 p.
  • JORI M. G., Creative Commons: passato, presente e futuro dei beni comuni, in Nuove technologie e diritti di libertà nelle teorie nordamericane, Mucchi Editore, 2007, 160 p.
  • MACREZ F., Créations informatiques: bouleversement des droits de propriété intellectuelle?, LexisNexis, 2011, 500 p.
  • MORE K., Les dérogations au droit d’auteur, PUR, 2009, 220 p.

 

Revues :

  • AZZI T., « La loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, ou le monopole préservé », Comm. Com. électr. n° 7, Juillet 2007, étude 16.
  • BUYDENS M. et DUSSOLIER S., « Les exceptions du droit d'auteur dans l'environnement numérique : évolutions dangereuses », Comm. com. électr. 2001, étude 21.
  • FARHI P. and ROSENFELD M., Washington Post, American Pop Penetrates Worldwide, 25/10/1998
  • LECHNER M., Libération, Mercredi 18 avril 2012, à propos de l'exposition « Collect the WWWorld ».
  • LUEDER T., Working toward the next generation of copyright licenses, 14th Fordham Conference on International Intellectual Property Law & Policy, April 20-21, 2006.
  • MagSacem n. 86, Menaces sur la copie privée. Sale Temps pour la création, Janvier – Avril 2013,  p. 5
  • SCHULMAN B., The Song Hear ‘Round The World : The Copyright Implications of Mp3s and the Future of Digital Music, Harvard Journal of Law and Technology, Vol. 12, N. 3, Summer 1999.

                                                 

Soft Law :

  • Communication de la Commission européenne, «Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle », COM 24.05.2011.
  • Projet de loi du Sénat n. 192 par M. André GATTOLIN
  • Réponse de l’Assemblée Nationale du 10/02/2009, publiée au JO p.1321.
  • WIPO – International Survey on Private Copying, Law and Practice 2012.

 

Ressources électroniques :