La transposition française et espagnole de la directive 2003/86/CE sur le regroupement familial et le droit fondamental au respect de la vie familiale par Solène CHEDAL-ANGLAY

Par la directive 2003/86/CE, le législateur européen a établi des critères minimaux communs concernant les conditions matérielles du droit au regroupement familial du ressortissant d’un État tiers afin d’éliminer les obstacles issus des disparités nationales qui empêcheraient le respect du droit à la vie privée et de la protection de la famille tels que consacrés dans plusieurs textes internationaux et régionaux, parmi ces derniers, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH). La transposition de la directive par les législateurs français et espagnols tente de trouver le juste équilibre entre la définition d’une politique d’immigration en accord avec la société et la garantie pour tout étranger de bénéficier du droit subjectif à l’unité familiale. Loi organique espagnole n° 4/2000 du 11 janvier 2000 Loi française n°2007-1631du 20 novembre 2007

Plus qu’une simple conciliation du droit au travail avec l’unité familiale, le regroupement familial permet au ressortissant d’un État tiers de s’intégrer et de s’épanouir pleinement dans la société dans laquelle il réside, c’est pourquoi ce droit est qualifié de « facteur de stabilisation économique et socioculturel ». L’Etat est souverain pour déterminer les conditions d’accès sur son territoire selon un principe établi en droit international public. Cependant, la régulation de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire d’un État a été progressivement prise en compte par des instruments internationaux dont plusieurs envisagent la famille comme un droit fondamental de la personne (cf. La Convention sur les droits de l’Enfant approuvée par l’ONU le 20 novembre 1989, articles 3, 9 et 10; La Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948-DUDH, article 16.3). Le Traité d’Amsterdam (JOCE). 10.11.1997) fourni un apport considérable, puisqu’il intègre dans le pilier communautaire les questions relatives aux nationaux des pays tiers qui nécessitent un visa pour franchir les frontières extérieures d’un État membre dans le but de créer un “espace de liberté de sécurité et de justice”. Ces dernières deviennent donc des politiques dites “intégrées”et revêtent une dimension supranationale. Partant, toutes les institutions communautaires participent à la prise de decision dans ce domaine. S’inspirant du droit au regroupement familial reconnu pour les travailleurs européens qui jouissent de la libre circulation, la directive 2003/86/CE a été adoptée dans l’idée d’accorder des droits et des obligations similaires au travailleur étranger par le biais d’une politique d’intégration plus « poussée » (cf. 3ème considérant de la directive). Face à l’ampleur du regroupement familial qui est un des principaux vecteurs d’immigration légale de ressortissants étrangers dans l’Union Européenne, et aux disparités des législations nationales, la directive 2003/86/CE harmonisant les règles matérielles du regroupement familial tente de répondre au souhait exprimé par les États européens lors du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 novembre 1999. Défini comme « l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant d’un pays tiers qui réside légalement dans un État membre afin de maintenir l’unité familiale indépendamment du fait que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant » (art 2.d de la directive), le regroupement familial revêt des aspects politiques, juridiques, économiques, sociologiques et avant tout humains, c’est pourquoi la directive 2003/86/CE est issue d’un long processus de négociation qui révèle la complexité de trouver un dénominateur commun entre les Etats puisqu’un droit fondamental de l’homme est en jeu, précisément le droit à la vie familiale, inhérent à l’épanouissement de toute personne. Dans l’optique de protéger la vie familiale, et au-delà, la famille en elle-même, notamment, par le respect de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés Fondamentales (CESDH), et de l’article 7 de la Charte des droits Fondamentaux, la directive 2003/86/CE fixe pour la première fois les conditions matérielles communes au bénéfice du regroupement familial pour le résident ressortissant d’un pays tiers établi dans un pays membre. Elle se présente comme une harmonisation « a minima » étant donné que le mécanisme des clauses optionnelles laisse une ample latitude aux Etats. Comment les mesures de transpositions espagnole et française s’approprient-elles cette liberté? Les Etats, priés de transposer cette directive ont dû trouver un délicat équilibre dans la définition d’une politique migratoire adressée aux ressortissants étrangers qui garantisse l’unité familiale. Les droits français et espagnol ont incorporé dans leur ordre juridique interne la directive 2003/86/CE par touches successives dans le sens d’un durcissement des conditions au regroupement familial. La loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 (BOE du 23/12/2000), dite « Ley de Extranjería » (LOEx) sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale modifiée par les Lois Organiques 8/2000 et 14/2003, et développée par le Décret Royal 2393/2004 du 30 décembre 2004 (BOE du 7 janvier 2005) modifie les conditions du regroupement familial dans le sens d’une restriction, introduit le principe d’égalité entre étrangers et espagnols. Récemment, la loi du 20 novembre 2007 (n° 2007-1631) relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, adoptée selon la procédure d’urgence modifie et encadre les conditions du regroupement familial, elle complète les lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration. Il convient d’étudier, si ces dispositions de transposition nationales, à travers le modèle d’intégration qu’elles dégagent, sont en accord avec les engagements internationaux de l’Espagne et de la France . La présente étude ne prétend pas aborder exhaustivement l’ensemble de la réglementation communautaire et nationale en matière de regroupement familial mais se focalisera sur certains aspects pertinents au regard du droit à l’unité familiale.

I. Le regroupement familial, un domaine situé dans le noyau dur des compétences étatiques peu à peu internationalisées

La diversité des sources internationales, européennes et internes produit une influence mutuelle parmi toutes ces sources en matière de regroupement familial. D’après un principe de droit international dégagé dans de l’arrêt CIPJ, 7 février 1923, « Décrets de nationalités promulgués à Tunis et au Maroc », les questions de nationalités appartiennent aux compétences exclusives de l’Etat. En effet, il dispose d’une grande latitude dans la réglementation de l’admission et de l’entrée des étrangers sur son territoire, dans la limite du respect des engagements internationaux qu’il a souscrit, en particulier de l’article 8.2 de la CESDH qui admet l’ingérence de l’autorité publique lorsque cela est nécessaire à la sécurité nationale entres autres. Néanmoins, dernièrement cette compétence exclusive étatique a subi l’influence des règles internationales qui protègent les droits de l’homme ainsi que l’influence du processus d’intégration européen. Prenant conscience de l’importance de la famille comme élément fondamental pour l’épanouissement de la personne, les Etats et les organisations internationales, ont progressivement abordé la protection de la vie familiale dans un cadre supranational, qui transcende les disparités des législations nationales. Parmi ces instruments, figurent de façon non exhaustive, la DUDH (article 16.3), les Pactes Internationaux sur les Droits Civils et Politiques (article 23) et sur les Droit Economiques, Sociaux et Culturels (article 10). Parallèlement à ces instruments conventionnels contraignants de portée universelle, se sont développés des instruments internationaux de portée sectorielle telle que la Convention des Nations-Unies sur les Droits de l’Enfant signée le 20 novembre 1989. Néanmoins, aucun de ces instruments n’a reconnu le droit au regroupement familial en tant que tel. Il faut donc recourir à l’article 8 de la CESDH, enrichi de l’interprétation téléologique de la Cour Européenne Droits de l’Homme (CEDH), également repris par l’article 7 de la Charte des droits Fondamentaux de l’UE. Au sein de la Communauté européenne, sur le fondement des normes internationales et principalement de la CESDH, le droit au regroupement familial est reconnu dans un premier temps aux citoyens européens qui exercent leur libre circulation puis est accordé aux ressortissants des pays tiers par la directive 2003/86/CE qui fixe pour la première fois les conditions matérielles au regroupement familial des ressortissants des pays tiers établis dans un pays membre. Par un mécanisme de clauses optionnelles qui dérogent aux règles de principes qu’elle pose, la directive permet au Etats de conserver une marge de liberté dans un domaine qui affecte leur souveraineté et qui peut être utilisé pour durcir les conditions du regroupement familial conformément du droit international des droits de l’homme dont le respect est garanti par la directive. Selon l’article 6.2 TUE, l’ordre juridique communautaire protège les droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire, tel que figurant dans la CESDH et issus des traditions communes des Etats membres. L’arrêt CJCE 18 mai 1989, Commission c/ RFA (affaire 249/86), la cour affirme que le domaine de la famille, sa protection et sa défense, est une préoccupation constante qui l‘élève au rang de droit fondamental, appartenant ainsi au droit communautaire.

Comment le regroupement familial est-il envisagé par les ordres juridiques nationaux espagnols et français? L’article 10.2 de la Constitution espagnole de 1978 comporte une particularité qui n’existe pas formellement en droit français qui consiste en une clause d’interprétation conforme. Celle-ci garantit l’intégration automatique des droits fondamentaux dans l’ordre juridique espagnol en imposant d’interpréter les droits fondamentaux et les libertés constitutionnellement reconnues conformément à la DUDH et aux Accords internationaux ratifiés par l’Espagne en ce domaine. Même si elle reconnaît le droit à l’intimité familiale en tant que droit fondamental, la Constitution espagnole ne fait aucune référence explicite au droit au regroupement familial. La doctrine considère que le regroupement familial découle de l’obligation des pouvoirs publics espagnols de protéger socialement, économiquement et juridiquement la famille selon le « principe recteur » de la politique sociale et économique qui figure à l’article 39 de la Constitution espagnole et non du droit à l’intimité familial tel que le laisse apparaître l’organisation de la LO 4/2000 qui traite curieusement du regroupement familial à l’article 16 intitulé «droit à l’intimité familiale ». Bien que ces deux droits soient liés, le droit au regroupement familial doit se distinguer du droit à l’intimité familiale qui concerne «la sauvegarde des liens familiaux » (arrêt du Tribunal Supremo du 1er juillet 2000). En droit français, le regroupement familial, qui a d’abord été réglementé par des accords bilatéraux, devient véritablement un droit faisant partie du statut de l’étranger grâce à l’arrêt CE, Ass, 8 décembre 1978, GISTI. En effet, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat dégage comme principe général de droit, le droit de mener une vie familiale normale, découlant du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « La Nation assure à la famille des conditions nécessaires à son développement et garantit, notamment à l’enfant et à la mère la sécurité matérielle». Il est intéressant de souligner que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 a élevé le droit de mener une vie familiale normale au rang des principes à valeur constitutionnel en s’appuyant sur le préambule de la Constitution de 1946 et non pas sur la CEDH.

II. Le regroupement familial comme élément d’intégration “socio-laboral” dans la société d’accueil espagole et française

La tâche du législateur, espagnol comme français, consiste à trouver le point d’équilibre entre le droit de l’Etat souverain de réglementer l’immigration sur son territoire et le droit pour tout individu à l’unité familiale consacré à l’article 8.1 de la CESDH. La Loi Organique 4/2000 (LOEx) ne contient pas de mesures précises d’intégration dans son contrairement au Code d’Entrée et de Séjour des Etrangers et d’Asile (CESEDA) qui codifie en particulier les dispositions de la loi du 20 novembre 2007 introduisant une politique d’immigration « concertée » selon les termes du député Mr Thierry Mariany (cf; Rapport du 12 septembre 2007. Cette dernière, tend à adapter l’immigration familiale aux besoins économiques de la société française car de nombreux immigrés entrés en France pour des raisons familiales sont dans une situation de chômage alors que certains secteurs de l’économie connaissent une pénurie de main d’œuvre. L’Espagne jusqu‘au rétablissement de la démocratie après la dictature franquiste, a essentiellement été un pays d’émigration. Récemment devenue un pays d’immigration, contrairement à la France, la péninsule ibérique est sujette à une immigration aux traits féminins où la majorité des femmes d’origine latino-américaines se déplacent et sont ensuite rejointes par leurs familles. Il y a lieu de s’arrêter sur la notion d’intégration, avant d’examiner le contenu matériel des dispositions du droit au regroupement familial dans les législations françaises et espagnoles.

Bien que la directive 2003/86/ ne contienne pas de définition de la notion d’intégration les Etats ne sont pas pour autant autorisés à choisir des critères arbitraires d’intégration. Selon l’arrêt CJCE du 27 juin 2006 Parlement européen contre Conseil de l’Union Européenne (affaire C- 540/03), ces derniers doivent respecter les droits fondamentaux et suivre le modèle d’intégration qu’ils appliquaient avant l’entrée en vigueur de la Directive. Timide en droit espagnol, qui a récemment pris conscience de l’importance de l’intégration des étrangers, mais déjà présente en droit français avant 2007 dans les lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006, l’intégration se fait plus restrictive dans ces deux actes législatifs susmentionnés. L’arrêt CJCE du 27 juin 2006 précité a jugé que le critère d’intégration prévu dans la directive ne viole pas la protection des droits fondamentaux dans les hypothèses controversées qui figurent aux articles 4.6 et 8 alinéa 2 et étudiés ci-après. Respectant l’esprit de la directive 2003/86/CE, le droit espagnol et dans une plus forte mesure, le droit français comprennent l’intégration comme un préalable au regroupement familial et non comme un objectif vers lequel elle permet d’aboutir. Dans son rapport annuel de 1991, Le Haut conseil à l’intégration, (“Pour un modèle français d’intégration : premier rapport annuel”, Documentation française, Paris, 1991) entend que la notion d’intégration consiste à accorder les mêmes droits aux étrangers qu’aux nationaux tout en conservant leur spécificité qui enrichit la société dans laquelle ils sont acteurs et dont ils ont accepté les règles.

III. Les droits français et espagnol transposant la directive 2003/86/CE

La directive 2003/86/CE s’appuie sur une définition réduite de la notion de famille qui joue en tant que plus petit dénominateur commun. Elle ne permet que le regroupement de la famille « nucléaire », c’est-à-dire des conjoints liés par le mariage et des enfants mineurs, au détriment de la « famille naturelle». La directive semble en apparence peu en phase avec la société européenne caractérisée notamment , par la légalisation du mariage homosexuel dans certains pays membres comme en Espagne, par la naissance d’enfants en dehors du cercle familial. Par ailleurs, la directive laisse toute latitude aux Etats pour étendre ce modèle familial, respectant par la même la souveraineté de ces derniers intimement liée à ce domaine. Faute de définition conventionnellement accordée de la notion de famille, la jurisprudence de la CEDH a dégagé certains critères qui permettent de protéger cette dernière, dans un sens plus large et plus humain que celui issu de la directive. La CEDH détermine l’existence de liens familiaux par la vérification de 3 conditions : la préexistence du lien à la mesure, son caractère réel, effectif et suffisamment étroit (CEDH 28 mai 1985 Abdoulaziz et autres contre RU). En conséquence, la directive pourrait élargir la notion réduite et traditionnelle de la famille.

Respectant la directive qui lutte contre le mariage frauduleux, les liens conjugaux fictifs, et refuse de reconnaître la polygamie, les législations françaises et espagnoles conditionnent le droit du conjoint à rejoindre le ressortissant d’un État tiers résident dans un pays de l’Union Européenne. L’article 17 LOEx qui délimite les personnes regroupées est rédigé de façon confuse. Tout comme la directive, il reste muet, concernant l’hypothèse du regroupement d’un couple du même sexe. Or, la loi n° 13/2005 du 1 er juillet (“ley por la que se modifica el Codigo civil en materia de derecho a contraer matrimonio”, BOE, 22-VII-2005) qui modifie le Code civil espagnol en matière de contrat de mariage et les normes en vigeur dans les différentes Communautés Autonomes, entre autres, la loi 1/2005 du 16 mai sur les couples de fait de la Communauté Autonome de Cantabria (BOE, 7-VI-2005 dont l’article 4.1 admet «les couples de fait pour lesquels au moins une des deux parties est recensée et possède une résidence dans toute municipalité de Cantabria) ont profondément modifié l’ordre juridique espagnol car elles légalisent le mariage entre personnes du même sexe.. Le droit français admet le regroupement familial pour les couples du même sexe dûment enregistrés sous un Pacte Civil de Solidarité (PAcs) par le Décret n° 2005-253 du 17 mars 2005 sur le regroupement familial.

Il semblerait que les législateurs nationaux n’aient pas osé braver le silence de la directive qui, étant donné sa vision limitée et traditionnelle de la famille, n’accueillerait pas l’hypothèse du regroupement d’un couple homosexuel. Par ailleurs, il n’existe pas de règle de conflits de loi en droit espagnol spécifique sur les conditions d’acceptation d’un mariage célébré en dehors de sa conception traditionnelle de sorte qu’il serait nécessaire de réglementer ce point pour éviter les incompatibilités avec les différentes lois nationales.

Pour ce qui est des bénéficiaires du droit au regroupement familial, le droit de ces derniers est largement limité à certaines conditions aussi bien en droit français qu’en droit espagnol en application de la directive 2003/86/CE. Tout d’abord, la LO 4/2000 modifie la LO 8/2000 dans un sens moins favorable car désormais, le droit espagnol ne reconnaît plus le droit pour la famille du regroupant à recevoir une autorisation de séjour mais seulement le droit du résident étranger à être rejoint par sa famille selon l’art16 LOEx. Conformément à l’article 8 .1 de la directive qui fixe une limite maximum de 2 ans, le droit espagnol, selon l’article 18. 2 LOEx, impose une obligation non envisagée par la loi française dans le but de s’assurer de l’intégration du regroupant qui est d’avoir résidé un an en Espagne ( contre 18 mois pour le droit français) et d’obtenir une autorisation pour y résider un an de plus. Il est important de préciser que la LO 14/2003 du 20 novembre fourni une base légale à l’interdiction du « regroupement en chaîne » en imposant que le regroupant soit titulaire d’une autorisation séjour indépendante de celle du regroupant ce qui suppose une autorisation ou un permis de travail du regroupant en Espagne, pour pouvoir exercer à son tour son droit à l’unité familiale.

Certaines dispositions nationales transposant la directive, ou de la directive en elle-même, méritent une attention particulière au regard du droit fondamental à l’unité familiale. Deux dispositions controversées sont introduites par la loi n° 2007-1631. D’une part, celle prise en conformité avec l’article 7.2 de la directive 2003/86/CE, qui conditionne le regroupement familial du ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité, à un « degré de connaissance de la langue française et des valeurs de la République ». Si besoin est, il pourra suivre une formation dont l’attestation lui permettra d’obtenir le regroupement familial. Seule pèse une obligation de moyen sur ce dernier et son entrée sur le territoire n’est pas subordonnée à un niveau minimum de connaissance de la langue française. Cette mesure a pour but d’aider l’étranger dans la recherche d’un logement et d’un emploi et favoriserait le respect du principe d’égalité, favorisant ainsi une intégration en amont. D’autre part, celle qui consiste à recourrir à des tests ADN encadrés en cas d’inexistence d’état civil pour prouver la filiation ou vérifier l’authenticité d’un acte civil. Il est important de noter cependant que cette mesure est prise sur la base d’une demande volontaire de l’intéressé et respecte les dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui protège le traitement des données à caractère personnel. C’est pour cette raison que le Conseil constitutionnel a considéré que cette mesure ne portait pas atteinte au principe de la dignité de l’homme dans sa décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007 (cf paragraphes 15 à 17).

La directive comporte certaines restrictions concernant l’enfant mineur qui paraissent à première vue contraires aus droits fondamentaux. Le fait de subordonner le regroupement familial des enfants de plus de 12 ans à une condition d’intégration (article 4§1) ou d’exclure regroupement familial des enfants de plus de 15 ans (article 4§1), peut sembler en contradiction avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant qui affirme que tout enfant âgé de moins de 18 ans doit être particulièrement protégé (article 1) ou encore à son article 9.1 qui stipule que l’Etat doit veiller à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents. L’article 24§3 de la Charte des droits fondamentaux, contraignante pour l’Espagne et la France dès la ratification du Traité de Lisbonne par ces derniers, accorde à « tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt ». Cependant, la CJCE a rejeté le recours du Parlement dans l’arrêt du 26 juin 2007 précité estimant que, les dispositions précitées ne sont pas contraires à la protection de la famille contenue dans les règles applicables en matière de Droit de l’Homme ni au droit fondamental au respect de la vie familiale, ni à l'obligation de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant.

Enfin, la directive 2003/86/CE encadre le refus de la part d’une administration d’un État membre de renouvellement ou d’autorisation dans son article 17 afin de de lutter contre l’arbitraire des autorités et de protéger le droit à l’unité familial. Pour prendre une décision proportionnée, l’administration des Etats membres devra tenir compte de certaines données telles que la gravité de l’infraction et la nature et la solidité des liens qui unit la personne concernée avec sa famille (article 17). Cette lecture de la Directive 2003/86/CE est à combiner avec la jurisprudence de la CEDH. L’article 1 CESDH s’applique à toute personne qui se trouve sous la juridiction d’un État partie à la CESDH, même si elle n’est pas ressortissante de cet État, et peut, de ce fait, invoquer la protection des droits garantis par la CEDH qui seraient violés par l’Etat en question. La CEDH réitère, dans sa jurisprudence, que bien que le droit des étrangers à entrer et résider dans un pays ne soit pas reconnu par la CESDH, le contrôle de l’immigration doit s’effectuer en application de la CEDH, et particulièrement de son article 8 en cas de refus. L’autorisation d’entrée et de séjour de la famille d’un étranger n’est pas automatique mais s’apprécie in concreto en fonction des circonstances particulières et de l’intérêt général. (CEDH 1985/8, affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali contre le RU du 28 mai 1985). En revanche, l’expulsion d’un étranger d’un pays où vivent des membres proches de sa famille peu donner lieu à une violation du droit au respect de la vie familiale consacrée à l’article 8 .1 CESDH s’il est fait une mauvaise analyse des intérêts du migrant et de l’intérêt général de l’Etat. (affaire Boultif c/ Suisse CEDH 2 août 2001 Requête n° 54273/00). Le droit espagnol semble contraire cette interprétation délivrée par la CEDH. L’évaluation des intérêts de l’Etat avec celui de la personne qui fait l’objet d’un refus est effectuée de manière disproportionnée puisqu’un refus d’autorisation entraîne automatiquement la reconduite à la frontière du demandeur hors d’Espagne. Curieusement, il est fait application du droit commun espagnol (article 26. 2 de la LOEx) en cas de tout refus administratif de demande pour rester en Espagne. Or, le renouvellement du regroupement familial est un cas particulièrement protégé par la loi, cette transposition semble contradictoire avec les articles 6.2 et 17 de la directive 2003/86/CE.

En définitive, La directive 2003/86/CE joue comme une sorte de patron pour les Etats membres qui peuvent durcir certaines conditions au regroupement familial dans le respect des doits fondamentaux. La loi récente française, fortement contestée notamment par la HALDE qui la considère discriminatoire “dans certaines de ses dipositions” (communication de presse sur « la loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile” du 15/01/08, ), doit encore faire ses preuves. Le modèle « d’immigration choisie » par la France n’encouragerait-il pas les ressortissants étrangers à s’installer dans les pays voisins tels qu l’Espagne où le modèle d’intégration reste néanmoins plus souple ? Une réponse affirmative serait contradictoire avec un des objectifs de toute directive qui est d’éviter le “forum shopping”. La directive ne remplit pas un des buts fixés c’est-à-dire fournir aux ressortissants tiers un droit au regroupement familial dans les mêmes conditions que celles développées de façon moins sévère par la CJCE ce qui concerne le citoyen européen. Etablir des conditions strictes pour le droit au regroupement familial des étrangers est un moyen indirect de contrôler le regroupement des travailleurs communautaires car ces premiers auront difficilement accès au droit de séjour permanent. La mondialisation et l’intensification des échanges n’imposerait-elle pas de palier ce régime à deux vitesses?

Références

Manuels

- Aurelia Alvarez Rodríguez, « La transposición de las directivas de la UE sobre inmigración, las directivas de reagrupación familiar y de residentes de larga duración », documentos CIDOB n°8 de mars 2006 -Fabienne Jault-Seseke, « Le regroupement familial en roit comparé français et allemand » , L.G.D.J, 1996 - Marina Vargas Gomez-Urrutia, « La Reagrupacion Familiar de los Extranjeros en Espana, normas de Extranjeria y Problemas de derecho aplicable », Thomson Aranzadi, 2006

Articles

-José Manuel Cortés Martin, « Immigration et regroupement familial dans l’Union européenne : un droit à géométrie variable ? », Revue de droit de l’Union européenne n°4(2005), p. 721 - Esther Gómez Campelo “El derecho de preagrupación familiar según la Directiva 2003/86/CE », Actualidad administrativa n°13 juin 2004 p 1551 à 1571 - Cristina Sánchez-Rodas Navarro « Cuestiones atinentes al derecho a la agrupación familiar de los extranjeros de terceros países en España como instrumento para su inserción socio-laboral », , Revista Administrativa de trabajo Asuntos sociales n°63(2006), p.297 -Constança Urbano de Sousa, La politique Européenne d’Immigration et d’asile: bilan critique le Traité d’Amsterdam; « Le regroupement familial au regard des standards internationaux », Bruylant, 2005, p 127 -Rapport n°160 du député Mr Thierry Mariani du 12 septembre 2007 sur le site internet: asembleenationale.fr

Textes

- la loi, n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (JORF n°270 du 21 novembre 2007 page 18993) - Code d’Entrée et de Séjour des Etrangers et d’Asile version consolidée du 8 mars 2008 sur légifrance -« Ley de Extranjería » n° 4/2000 du 11 janvier 2000 sobre los derechos y libertades de los extranjeros en Espana y su integracion social (BOE du 23/12/2000).

Jurisprudence et “soft law”

- CJCE Parlement européen contre Conseil de l’Union Européenne du 27 juin 2006, affaire C- 540/03 -CE, Ass 8 décembre 1978, GISTI requètes n° 10097 10677 10679 -Délibération n°2007-370 du 17 décembre 2007 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Communiqué de presse du 15 janvier 2008)