Approche comparative de la parodie en droit des marques à travers l'arrêt Louis Vuitton Malletier v. Haute Diggity Dog LLC

Résumé : L’arrêt rendu par la Cour d’appel des États-Unis (4ème Circuit) en 2007, fait suite à une action en justice intentée par Louis Vuitton Malletier (LVM), marque de luxe française contre Haute Diggity Dog, une entreprise fabriquant et vendant des jouets pour chiens répliquant des articles de marques reconnues. A l’occasion de cet arrêt, la Cour d’Appel des États-Unis déboute LVM indiquant que l’imitation parodique d’articles de luxe, en l’espèce des produits de la marque Louis Vuitton réalisés par Haute Diggity Dog correspond aux critères de la parodie et n’introduit aucun risque de confusion ou d’erreur dans l’esprit des consommateurs. Ces deux dernières décennies constituent un âge d’or de la « pop parody » américaine. Chaque évènement qu’il soit de nature culturelle, sportive, politique ou sociale se trouve ainsi commenté par un compte parodique Twitter ou Instagram en seulement quelques minutes. Entre temps, le législateur américain a pris acte de l’expansion de la parodie et lui confère de plus en plus de droits, au contraire du législateur français, qui lui, reste très réticent sur le sujet. 

Introduction : Les marques internationales, reconnaissables et omniprésentes constituent des cibles de choix lors d’un usage parodique.[1] De ce fait, l’usage parodique des marques de commerce étant une pratique extrêmement répandue aux États-Unis, ce litige est emblématique du début des années 2000. Louis Vuitton Malletier, une entreprise française de produits de luxe basée à Paris, produisant des sacs, des valises et autres accessoires, intenta une action en justice contre Haute Diggity Dog, LLC une entreprise du Nevada fabriquant et vendant des jouets pour chiens. Ces jouets sont imaginés comme rappel de marques célèbres, Diggity se basant en l’espèce sur les jeux de mots « Chewy [2] Vuitton » et sur le monogramme « CV » au lieu de « Louis Vuitton » et du monogramme « LV ».  

Le jouet en question représentait un petit sac en peluche, de couleur marron, avec une couleur et un design très similaire aux sacs Vuitton. Les lettres « CV » ainsi que le monogramme sont cousues sur le sac. D’autres identifications reconnaissables à la marque Louis Vuitton, comme le symbole des cerises ou le monogramme multi colore, inventé par Haruki Murakami, furent également ajoutés sur d’autres modèles. L’entreprise Diggity base donc son succès sur ce type de reprises. En effet, d’autres peluches parodient des marques, comme par exemple une peluche représentant le parfum Chanel N°5 (Chewnel n°5) ou bien encore une bouteille de champagne en peluche Dom Perignom (Via Dog Perignom). Lorsque le juge américain est confronté à une défense en parodie, il se concentre sur deux critères lorsqu’il s’agit de déterminer si celle-ci est réussie ou non. Le premier critère est de constater si une allusion a été faite à la marque source. Cette allusion doit néanmoins renvoyer directement à l’usage parodique qui en est faite. 

Le second critère que le juge américain prend en compte porte sur l’ajout satirique, ridicule et drôle que la parodie apporte au public. Le message apporté en second lieu diffère ainsi du message luxueux de la marque source. LVM accuse Diggity de porter atteinte et d’enfreindre son « trademark »[3](trademark infringement, article 15 U.S.C §1114 (1) (a)), de diluer son « trademark » (trademark dilution, article 15 U.S.C. §1125 (c)) mais aussi de porter atteinte à son copyright (article 17 U.S.C §501). Par jugement sommaire de première instance, la Cour de District a conclu que les jouets pour animaux étaient des parodies réussies du trademark et du design de Louis Vuitton et qu’il n’y avait atteinte ni au copyright ni au trademark de la marque de luxe.La question que se pose prima faciele juge américain est celle du risque de confusion entre la marque reconnue et la marque junior et s’il est prouvé qu’une partie a créé intentionnellement son modèle pour que celui-ci soit associé à une autre marque reconnue. Si un modèle est assimilé par le public à une marque reconnue, l’association marquée avec le produit ou le bien vendu par la marque source pourrait potentiellement mener à une dévaluation de la marque reconnue. Toutefois et en l’espèce, la Cour d’appel nous indique que « An intent to parody is not intent to confuse the public ». 

Aussi pouvons-nous nous demander sur quels critères de jugement le juge américain se base-t-il afin parvenir à différencier une simple copie d’une parodie réussie ? En France, comment le juge apprécie-il l’équivalent d’un trademark infringement et d’un trademark dilution ?À travers l’arrêt LVM v. Haute Diggity Dog, la Cour Suprême des États-Unis consacre la doctrine de la parodie en trademark, en pleine expansion. 

I. La parodie, un acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale ? 

Si cette affaire avait dû être jugée en France, Louis Vuitton se serait très probablement basé sur une action en parasitisme. Le parasitisme et l’action en concurrence déloyale sont habituellement présentées ensemble car le fondement juridique de ces actions fut longtemps le même, étant donné que les faits rattachés à l’une et à l’autre des actions sont souvent confondus. Les articles 1240 (ancien 1382) et 1241 (ancien 1383) du Code Civil sont donc utilisés ensemble pour une action en concurrence déloyale et en parasitisme et les 3 conditions cumulatives traditionnelles sont à démontrer, à savoir l’existence d’une faute, d’un dommage (préjudice) et d’un lien de causalité. La différence principale entre concurrence déloyale et parasitisme se trouve dans le fait qu’une action en concurrence déloyale est intentée lorsque la concurrence est directe, tandis que le parasitisme ne présente pas un rapport de concurrence directe entre les parties. Le parasitisme consiste pour une entreprise à profiter des réalisations, de la notoriété et d’une façon générale, des investissements réalisés par une autre entreprise sans bourse délier.[4]Fondée sur des raisons économiques, une protection à posteriori est conférée au plaignant, à la différence des USA ou la protection de la marque se base surtout sur la volonté de ne pas induire en erreur le consommateur.   

Le droit de l’UE a été long à adopter une législation adaptée à la parodie en trademark. Entré en vigueur le 23 mars 2016, le Règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil de l’UE indique que «l'usage d'une marque fait par des tiers afin d'attirer l'attention des consommateurs sur la revente de produits originaux qui étaient, à l'origine, vendus au sein de l'Union, par le titulaire de la marque de l'Union européenne ou avec son consentement devrait être considéré comme loyal, dès lors qu'il est également conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. » En France, aucun arrêt n’a pour l’instant été rendu sur la base de ce Règlement.  

Dans l’arrêt Louis Vuitton Malletier v. Haute Diggity Dog, les colitigants ne se trouvant pas dans un rapport de concurrence, l’action intentée n’aurait pas été qualifiée de concurrence déloyale mais bien de parasitisme. En France, Louis Vuitton pourrait aisément insister sur le fait que Diggity profite indument de sa notoriété en imitant la marque au monogramme. Dans un arrêt de 1999, la Cour de Cassation affirme que « les agissements parasitaires d’une société peuvent être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1382 (ancien) du C.Civ, même en l’absence de toute situation de concurrence ». [5]L’une des décisions les plus emblématiques reste celle rendue par la Cour d’appel de Paris, le 15 décembre 1993[6], à propos de la commercialisation d’un parfum dénommé « Champagne » par la société Yves Saint Laurent. En l’espèce les producteurs de champagne refusaient qu’un flacon de parfum en bouchon de champagne, non pas pour une question de détournement de clientèle mais pour le fait qu’un tiers profite de la notoriété acquise par les vins de champagne. C’est par ces motifs que la Cour d’Appel a donné raison aux producteurs de champagne et ainsi, le positionnement des producteurs et mets au centre de son raisonnement le préjudice qui peut être porté à l’entreprise. 

Le juge américain, quant à lui, propose une approche différente de la question: le consommateur est placé au centre du raisonnement de celui-ci. En effet, le Lanham Act de 1946 dispose que le critère pour détecter une éventuelle confusion est de savoir si la marque junior « est susceptible de créer une confusion ou de provoquer une erreur ou de tromper » le consommateur quant à la marque source. Étant donné qu’il n’y a pas d’atteinte au consommateur, le juge américain autorise cette parodie, tandis que le juge français apprécie nettement plus le risque pour l’entreprise et l’atteinte à son image de luxe. De ce fait, le juge français manque de prendre acte de l’importance de la parodie en droit des marques. En l’espèce, et même si Louis Vuitton intente une action en trademark infringement et en trademark dilution, l’action en trademark dilution semble être la plus adaptée. En effet, c’est parce que Louis Vuitton ne veut pas dévaluer la valeur de sa marque par l’association parodique crée par la marque de jouets pour chiens qu’elle poursuit en justice Haute Diggity Dog. L’argument du risque de confusion du consommateur incarnée par l’action en trademark infringement semble inadéquat car le consommateur ne pense pas acheter un sac de luxe sur un site de vente de jouets pour chiens.[7]

II. L’utilisation de la parodie comme défense à l’atteinte d’un trademark: 

Aux États-Unis, pour se défendre contre une action en trademark infringement, un des recours du défendeur au pourvoi peut se trouver dans l’action en parodie. Toutefois, la parodie est une défense périlleuse. En effet, selon la Cour de district de New York, la parodie est un langage qui imite ou imite étroitement une autre œuvre pour un effet comique ou ridicule. Ainsi dans l’arrêt Campell v. Acuff Rose Music, Inc., (1994) par exemple, Justice Kennedy indique que le juge doit rechercher « what else the parody did beyond copying the original ».  De plus, Justice Kennedy ajoute une réserve et mentionne le risque de marques « profiteers », indiquant au législateur que toute action commerciale ne peut pas être déterminée post hoc comme une parodie. [8]

L’affaire Debbie Does Dallas [9]par exemple est un des cas les plus cités. En l’espèce, un film pornographique mettait en scène l’uniforme des cheerleaders des Cowboys de Dallas, une équipe de football américain de renommée mondiale. Dans cette affaire, le tribunal déclara que le film en question ne pouvait pas être considéré comme une parodie, son objectif n’étant pas d’ajouter une dimension humoristique à l’uniforme des cheerleaders de Dallas mais uniquement d’en assurer une représentation sexuelle. Pussycat Cinema Ltd n’utilisait pas l’uniforme pour parodier l’équipe mais uniquement dans le but d’exploiter sa popularité et d’attirer un plus grand nombre de clients. La parodie doit être assez puissante pour éliminer tout risque de confusion chez les consommateurs. Dans l’arrêt Wendy’s International Inc., v. Big Bite Inc.,[10]par exemple, le tribunal a reconnu que la campagne publicitaire de Big Bite Inc, un restaurant local, s’inspirait des symboles du fast food Wendy’s, comme la jeune fille aux cheveux roux et aux taches de rousseur. En l’espèce, la probabilité pour le consommateur d’être induit en erreur était trop importante pour que l’action en parodie aboutisse. 

Même si les tribunaux américains sont de plus en plus enclins à accepter la parodie de marques célèbres, un examen des affaires au cours des 35 dernières années montre que les tribunaux ne se sont pas toujours prononcés en faveur des défendeurs, comme dans l’exemple du fast food Wendy’s, où une confusion chez le consommateur était avérée. Pourtant, et de plus en plus, le juge américain prend en compte l’importance de la parodie et de la satire, avec une volonté de sauvegarder celle-ci, même dans un contexte commercial. En droit français « Le droit de faire rire de l’œuvre d’autrui par le pastiche ou la caricature ne peut trouver application en ce domaine [des marques] strictement commercial, axé sur la recherche du profit ».[11]Sur ce point, le droit français et le droit américain diffèrent radicalement, étant donné que le droit des marques français ne connaît pas la parodie. En effet, le Code de la propriété intellectuelle prévoit un régime juridique complet qui permet au titulaire d’une marque de se défendre des atteintes de toutes sortes à l’article L.713-2. Une protection encore plus étendue est prévue pour les marques bénéficiant d’une notoriété comme le prévoit l’article L.713-5 de ce même Code. Ces dispositions indiquent clairement le fait qu’on ne peut imiter une marque pour ses produits sans voir sa responsabilité engagée. Même si la sanction du détournement d’un nom ou d’un logo est délicate, plus la marque est renommée, plus le détournement risque d’être sanctionné en justice. Ainsi en France, la protection de la marque l’emporte sur le droit de parodier. Dans l’affaire RICARD[12], la Cour d’appel de Paris a considéré que les tee-shirts avec les mots « SMICARD » ou « TRICAR », et comprenant le détournement du logo de la marque, tendaient à « avilir l’image de la marque « RICARD » et à compromettre les efforts de publicité de la marque ».  [13]Cet exemple traduit et illustre les différences conceptuelles entre la liberté d’expression en Europe et aux USA, ou l’État privilégie une approche beaucoup moins restrictive. 

La rencontre entre la marque et la parodie est donc hautement problématique et la réponse à cette difficulté se révèle extrêmement diverse. Pourtant, le droit américain nous montre qu’il est possible de parodier la marque sans pour autant dénigrer ce qu’elle désigne. Même s’il est indiscutable que la marque junior a copié certains attributs de la marque senior, la parodie est associée au droit à la liberté d’expression comme pourrait l’être la critique ou le commentaire. Le législateur français pourrait prendre exemple sur le législateur américain et laisser au consommateur, toujours plus avisé, le choix de la parodie.

Comme nous l’indique B. Edelman « En réalité, ce qui est parodié dans la marque c’est ce que symbolise le signe, c’est-à-dire l’imaginaire de la consommation. La parodie s’analyse en une déconstruction-dérision de l’utopie que la marque véhicule. »[14]

 

[1]Ex: Rochelle v. Dreyfus, Expressive Genericity: Trademark as a language in a Pepsi Generation. 

[2]Mâcher 

[3]Étant donné qu’il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel des États-Unis, nous garderons ici le terme de trademark. Un trademark est une marque déposée.

[4]B. Vanbrabant, La propriété intellectuelle

[5]Cass.com, 26 jan.1999, n°96-22457

[6]CA Paris, 1re ch. A, 15 déc. 1993 

[7]Law 760:LOUIS VUITTON MALLETIER S.A v. HAUTE DIGGITY DOG, LLC 1:06cv321 (JCC) (E.D. Va. 2006) MEMORANDUM OPINION 

[8]Id. At 600 vf. Yankee Publ’g,. Inc v. Newton Publg ,.Inc

[9]Dallas Cowboys Cheerleaders, Inc v. Pussycat Cinema Ltd.,604 F.2d 200 (1979)

[10]Wendy’s international Inc., v. Big Bite Inc.,

[11]TGI Paris, 17 février 1990. in J. cl. Marques, Fasc. 7140, n° 15.

[12]TGI Paris, 8 janvier 2002, Sté Pernod Ricard c. M. V. ou TGI Nanterre, 4 novembre 2002, Sté Luissier Bordeau Chesnel c. Sté Culture Mag Editions

[13]Cour d’appel de Paris, 11 mai 2007, PIBD 2007, III, p. 539

[14]B. Edelman, L’exception de la parodie appliquée au droit des marques, LEGICOM 2001