Commentaire de la loi fédérale № 03.11.2015 297 «Sur les immunités juridictionnelles des États et des biens d'un État étranger dans la Fédération de Russie» à la lumière du droit international et de la jurisprudence des tribunaux français.

 

 Quand on parle d'immunité des États, il est question de l'immunité de juridiction et de l'immunité d’exécution. La Cour de cassation définit l'immunité de juridiction comme «un privilège de juridiction qui a pour effet de faire échapper un État ou l’un de ses organes à la compétence des tribunaux d’un État étranger» (Cour de cassation Crim, 18 janvier 2010, Bull). Quant à l’immunité d’exécution, elle exclut les voies d’exécution d'un État visant un autre État. Jusqu’à la fin du XIX siècle, dans tous les pays, l'immunité d'un État était considérée comme absolue, il était impossible d’introduire une action en justice contre un autre État. La Cour de cassation a posé le principe de l'immunité absolue de l’État étranger pour la première fois dans l'arrêt du 22 janvier 1849 Gouvernement espagnol c. Lambeze et Pujol, selon lequel elle a considéré que : «un gouvernement ne peut être soumis, pour les engagements qu’il a contracté, à la juridiction d’un État étranger». A partir du XX siècle, certains pays, dont la France, ont commencé à distinguer les actions souveraines d'un État et les actions privées, souvent commerciales. Les actions souveraines (acta jure imperii) ont continué à bénéficier de l'immunité absolue alors que les actions privées (acta jure gestionis ) ont cessé de bénéficier de l'immunité. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'immunité restreinte. Ceci s'explique par le développement du commerce international et la volonté des partenaires commerciaux des États d'avoir des garanties. Cependant, les États communistes ont continué à défendre et à appliquer la vision de l'immunité absolue de l’État, considérant qu'un État souverain ne pouvait être jugé de la même manière qu'une personne privée devant un tribunal.

La première convention qui traite non seulement de la question de l'immunité de l’État, mais aussi du concept de l'immunité restreinte fut élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe. Elle a été signée à Bâle en 1972 et est entrée en vigueur en 1976. Avant celle-ci les règles internationales régissant l'immunité de l’État étaient surtout coutumières. Cependant, cette convention ne connaît pas un grand succès, elle n’a été ratifié que par 3 États. La France n'a pas ratifié la convention du Conseil de l’Europe car un projet relatif à une convention similaire était né dans le cadre universel des Nation Unies. Après de longs travaux, qui ont débuté en 1977, c'est finalement le 2 décembre 2004 que l'Organisation des Nations Unies a adopté la Convention sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens. Après son entrée en vigueur, les normes de cette convention seront obligatoires pour tous les États qui l’auront ratifiée. Afin que cette Convention entre en vigueur, il est nécessaire qu'elle soit ratifiée par au moins 30 États. Cependant, à ce jour la Convention compte 28 signatures et 21 ratifications. La France a signé la Convention le 17 janvier 2007, en juillet 2009, le projet de loi autorisant la ratification a été déposé et c'est finalement le 12 août 2011 que s'est achevé le stade d'acceptation et d’approbation de la Convention. Selon le rapport du Sénat «C’est dans un esprit de compromis que le Comité spécial a travaillé pour l’élaboration de la Convention. Pour la France, le bilan des discussions au sein de la Commission du droit international est positif puisque c’est très largement sur la base des points agréés entre les délégations française et britannique qu’un consensus a pu être trouvé».

Pour ce qui concerne l'URSS, sa position a toujours été en faveur de l'immunité absolue de l’État et après sa chute, la Fédération de Russie à continué à considérer que l'immunité de l’État devait être absolue. Pourtant, le 1er décembre 2006, le représentant de la Fédération de Russie auprès de l'ONU, Vitali Tchourkine, a signé la Convention des Nation Unies. Par la suite, la Fédération de Russie a adopté un projet de loi qui propose d'établir un régime juridique de l'immunité de juridiction d'un État étranger et de ses biens sur le territoire de la Fédération de Russie. La note explicative de la future loi fédérale indique que le projet de loi a été lancé fin 2012, et en novembre 2014 il était déjà prêt à être transmis au gouvernement. Cependant, un projet de loi très proche de celui de 2012 avait déjà été lancé en 2005, mais sans réel succès, le projet ne s'étant pas concrétisé. Aujourd'hui la Russie n'a pas encore ratifié la Convention des Nation Unies, mais le projet de loi de 2012 s'est finalement, lui, concrétisé en une loi fédérale qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Conformément aux normes du droit international, à la législation et la pratique judiciaire des pays étrangers, la loi en question fixe des limites quant à l'immunité juridictionnelle des États étrangers et de leurs biens dans la fédération de Russie. Sont définis les cas où un État étranger ainsi que ses biens ne bénéficient pas de l'immunité juridictionnelle. La loi prévoit également la possibilité de limiter l'immunité de juridiction d'un État étranger sur la base du principe de réciprocité dans les cas où la juridiction de l’État étranger en question prévoit une immunité de juridiction d'une portée plus limitée à l'encontre de la Fédération de Russie. Se pose alors la question suivante : Dans quelle mesure l'approche française et l'approche russe concernant les immunités juridictionnelles de l’État étranger et de ses biens sont similaires ?

Afin de répondre a cette question nous verrons les raisons qui ont poussé la Russie à enfin adopter la loi du 1er janvier 2016 (I), une loi qui représente d'une part une convergence progressive de ce qui existe en France et en Russie dans le domaine des immunités juridictionnelles, (II) tout en ayant, d'autre part, un article 4 qui consacre une divergence essentielle basée sur le principe de réciprocité.(III)

I) Un droit russe contraint par l’évolution des droits étrangers à l’exemple du droit français.

Il ne fait presque aucun doute que les célèbres affaires judiciaires «Noga» et «Youkos» qui touchent le domaine des immunités juridictionnelles de l’État de la Fédération de Russie et de ses biens ont joué le rôle d' «alarme» quant à la nécessité pour la Russie d'actualiser sa législation dans ce domaine. L'affaire qui illustre le mieux cette situation est «Noga». En 1991 le gouvernement russe a signé un accord sur la fourniture de plusieurs marchandises avec la société suisse Noga en échange de produits pétroliers pour un montant de 1,5 milliard de dollars. Selon le contrat, en cas de litige, la Fédération de Russie se verra privée de son immunité juridictionnelle. En 1993, la société a agi en justice au Luxembourg et a obtenu gain de cause, ce qui a donné lieu au gel pendant une certaine période des comptes au Luxembourg de Vnesheconombank et de la Banque de Russie. La société Noga a aussi initié une affaire devant le tribunal international d'arbitrage de Stockholm grâce à la clause d'arbitrage qu'il y avait dans le contrat. La Fédération de Russie a alors été condamnée à payer à la société Noga la somme de 27 millions de dollars. En 2000 Noga obtient le gel en France des comptes appartenant aux ambassades de la Fédération de Russie, de même que la saisie du voilier russe «Sedov».

Une telle situation aurait été impossible sur le territoire de la Fédération de Russie à l'encontre de la France ou d'un autre État étranger. En effet, avant l'entrée en vigueur de la loi du 1er janvier 2016 la législation procédurale de la Fédération de Russie prévoyait qu'une action judiciaire ne pouvait être entamée contre un État étranger qu'avec le consentement de cet État sur la base du concept de l'immunité absolue, valable alors dans la législation de la Fédération de Russie. Il en était de même concernant la saisie des biens de l’État étranger. Cependant, la plupart des États du monde, dont la France, avait déjà adopté le concept de l'immunité restreinte de l'État étranger. La position de la France dans ce domaine, est consacrée principalement par la jurisprudence des tribunaux et est pratiquement similaire à celle adoptée par la Convention des Nation Unies. La Russie s'est donc retrouvée privée de son immunité absolue devant les tribunaux étrangers en cas d'action commerciale, tout en continuant à appliquer sur son propre territoire l'immunité absolue aux États étrangers.

Concernant l'affaire Sedov le tribunal de grande instance de Brest a finalement décidé le 24 juillet 2000 la mainlevée de la saisie du voilier au motif que «le navire était, en vertu du droit russe, affecté de manière autonome à l’Université, laquelle, étant une personne distincte, ne devait pas répondre des dettes de la Fédération de Russie». La solution a par la suite été confirmée en appel le 27 juin 2002 à Rennes. Les comptes des ambassades de la Fédération de Russie ont de même été débloqués, la Cour d’appel de Paris a considéré le 10 août 2000 dans l'arrêt Ambassade de la Fédération de Russie en France c. Société Noga que la simple acceptation d'une clause d'arbitrage ne prévoyant pas que l’État s'engage à se conformer à la sentence qui sera rendue et à l'exécuter ne vaut pas renonciation de l'immunité d’exécution et qu'il revient aux juges d'apprécier la portée de la renonciation de l'immunité d'exécution diplomatique dans la mesure où elle est discutée. Les juges fondent ici leur décision notamment sur les articles 22 et 25 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques qui dispose que «les locaux de la mission, leur ameublement et les autres objets qui s'y trouvent, ainsi que les moyens de transport de la mission, ne peuvent faire l'objet d'aucune perquisition, réquisition, saisie ou mesure d'exécution» et que la Convention fait obligation à l’État accréditaire d'accorder «toutes facilités pour l'accomplissement des fonctions de la mission». Il en ressort donc qu'en ce fondant sur l'article 22 et 25 de la convention de 1961 la cour d'appel a considéré que les comptes appartenant à une ambassade peuvent être considérés comme relevant du régime spécifique des immunités diplomatiques.

On peut donc en déduire que dans des situations comme celle de l’espèce, la clause d'arbitrage doit être très claire et précise car en cas de litige les tribunaux auront davantage tendance à rendre des décisions en faveur de la protection des intérêts de l’État qu’en faveur de la personne morale. Dans les arrêts dits «NLM Capital» (Cass. 1ère civ., 28 septembre 2011, pourvoi n°09-72.057; Cass. 1èreciv., 28 mars 2013, pourvois n° 11-10.450 et 11- 13.323), la Cour de cassation va encore plus loin en exigeant que la renonciation à l'immunité d'exécution ne soit pas uniquement «expresse» mais également «spéciale», c’est-à-dire que la renonciation expresse doit porter sur des biens déterminés de l’État. Finalement le 13 mai 2015, la Cour de cassation (pourvoi n° 13-17.751) a supprimé l’exigence d’une «renonciation spéciale» pour s’en tenir à une «renonciation expresse».

On peut supposer que le projet de loi russe non concrétisé de 2005 destiné à actualiser la législation de la Fédération de Russie dans le domaine des immunités des Etats étrangers était la conséquence de l'affaire Noga. L'affaire Noga n'a pas seulement servi de premier avertissement à la Fédération de Russie quant à la nécessité d'actualiser sa législation, mais elle a aussi permis aux tribunaux Français d'éclaircir leur position sur certaines questions importante et précise dans le domaine de l’immunité juridictionnelle de l’État étranger. En effet l'arrêt «Sedov» de la Cour d’appel de Rennes du 27 juin 2002 pose pour la première fois en France le principe qu'une personne distincte de l’État, en l'espèce une Université, ne devait pas répondre des dettes de l’État. De même l'arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 10 août 2000, Ambassade de la Fédération de Russie en France c. Société Noga permet au tribunal de préciser que la simple acceptation d’une clause d’arbitrage sans la présence d'une clause qui prévoit que l’État s'engage à se conformer à la décision rendue n'entraîne pas forcément renonciation à l’immunité d’exécution. Ces deux arrêts permettent en effet d'enrichir et de perfectionner le domaine de l'immunité de l’État étranger consacré en France principalement par la jurisprudence et la coutume.

La Fédération de Russie ayant signé la convention sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens depuis fin 2006 et le projet de loi destiné à actualiser la législation de la Fédération dans ce domaine, probablement suite a l'affaire de la société Noga, étant prêt déjà en 2005, il semble que ce n'est pas vraiment la volonté de ratifier la convention des Nation Unies qui a enfin poussé la Russie à adopter une loi «sur les immunités juridictionnelles des États et des biens d'un État étranger» en 2016. En effet, s'il y avait une réelle volonté du gouvernement de la Fédération de Russie de ratifier la Convention, tous les instruments qui auraient permis une telle action étaient prêts depuis 2005. Mais c'est finalement après les premières conséquences des jugements issus de la fameuse affaire de la société «Youkos» que les législateurs russes vont enfin décider d'adopter rapidement le projet de loi qui traîne sous différentes formes depuis plus de 10 ans. Sans rentrer dans les détails complexes de l'affaire Youkos, il est cependant important de préciser que c'est une ancienne grande compagnie privée russe productrice de pétrole, nationalisée entre 2003 et 2004 par l’État Russe pour cause de dette au fisc. En juillet 2014, l'affaire est devant la Cour permanente d'arbitrage, les représentants de la société Youkos voulant prouver l'illégalité de la nationalisation de la société. Les représentants de la Fédération de Russie ont reconnu la compétence de la cour permanente d'arbitrage et ont choisi l'un des trois juges. L’État Russe a alors été condamné à payer une somme 50 milliards de dollars aux actionnaires de la société Youkos pour les indemniser de la nationalisation illégale opérée. La Russie a refusé de payer une telle somme et les représentants de la société Youkos avaient essayés d’obtenir l’exécution du jugement par la confiscation de biens de la Fédération de Russie dans différents pays du monde comme dans l'affaire Noga. Le 17 juin 2015 les actifs de la Fédération de Russie en France ont été gelés, le même jour les organisations russes présentes en Belgique ont elles aussi vu leurs comptes gelés pour un montant de 1,65 milliard d'euros. Finalement, le 20 avril 2016, la sentence arbitrale condamnant la Russie à payer 50 milliards de dollars a été annulée par le tribunal de district de la Haye.

Tout ceci a incité le gouvernement de la Fédération de Russie à enfin actualiser la législation dans le domaine de l'immunité de l’État étranger par la loi du 1er janvier 2016, qui illustre le passage de l'immunité absolue de l’État étranger à l'immunité restreinte. Une partie des politiciens ainsi que les médias pro gouvernementaux présentent cette loi comme une réponse de la Fédération de Russie aux «confiscations illégales» de biens de la Fédération de Russie à l'étranger. Il y a une volonté de faire passer cette loi pour un instrument de politique étrangère, mis en place pour «punir» les états étrangers.

Désormais, la prochaine étape semble être pour la Russie la ratification de la Convention des Nation Unies sur les Immunités juridictionnelles des États et de leurs biens. On peut aussi remarquer que face au délai entre la signature de la Convention et son entré en vigueur le législateur Français prend lui aussi les devant en proposant la codification de certains des articles de la Convention de Nation Unis dans le Code de procédure civil d’exécution.

II) Une convergence progressive entre une immunité consacrée en France par la jurisprudence et introduite en Russie par la loi.

On observe une évolution de l'immunité de l’État étranger en France et en Russie de deux façons totalement différentes. En France l'évolution se passe de façon constante et en accord avec les besoins du commerce international. Cette évolution se traduit par une jurisprudence des tribunaux plutôt riche et progressive. Dans le cas de la Russie, au vu du droit positif et de la législation qui la précédait, il est clair que cette évolution se fait non pas par la jurisprudence, mais par la loi. Les changements apportés dans ce domaine ne sont d'ailleurs pas constants, mais davantage brusques et massifs.

Afin de comparer l'évolution de l'immunité des États étrangers en France et en Russie on peut voir qu'en Russie avant l'entrée en vigueur de la loi russe étudiée, c'est l'article 401 du Code de procédure civile qui réglementait la question de l'immunité d'un État étranger par la disposition suivante «L'introduction d'une action en justice contre un État étranger devant les tribunaux de la Fédération de Russie, la participation d'un État étranger à un procès en tant que défendeur ou tiers, la saisie de biens appartenant à un État étranger sur le territoire de la Fédération de Russie, ou l'utilisation de ces biens pour satisfaire une procédure d’exécution, n'est possible qu'avec l’accord des organes compétents de cet État sauf disposition contraire d’un traité international de la Fédération de Russie ou de la loi fédérale». Alors que la Russie reste dans l'idée de l'immunité juridictionnelle absolue de l’État étranger jusqu'à la loi du 1er janvier 2016, dans les États comme la France, l'Italie, l'Allemagne, le Danemark, la Norvège et la Grèce, la notion d'immunité restreinte d'un État étranger n'a pas été transposée dans la législation, mais elle est mise en œuvre dans la pratique par les tribunaux et évolue de plus en plus. En France, la Cour de cassation s'est pour la première fois penchée sur le concept de l'immunité restreinte en 1929 dans l'arrêt Cour de cassation, 19 février 1929, URSS c. Association France Export. Mais c'est dans l'arrêt du 25 février 1969 Cour de cassation, 1ère chambre civile, Société Levant Express Transport c. Chemins de fer du gouvernement iranien que la Cour dit clairement que «L’immunité est accordée aux seules activités «spécifiquement publiques», c’est-à-dire effectuées dans le cadre d’actes de puissance publique ou d’une mission de service public». On voit donc que cette évolution est constante et progressive alors qu'en Russie le passage de l'immunité absolue à l'immunité restreinte est mise en place seulement en 2016 avec la loi russe étudiée. La note explicative de cette loi ne cache pas l'inquiétude du législateur russe quant au nombre de requêtes de plus en plus importantes contre la Fédération de Russie devant les tribunaux étrangers. Le gouvernement russe a déclaré que malgré ce nombre croissant, aucun de ces États ne demande l’avis de la Fédération de Russie quant à sa volonté de participer aux différents procès. Les 18 articles de la loi du 1er janvier 2016 reprennent pratiquement les mêmes idées que ceux de la Convention des Nations Unies. La loi définit le concept de l'État étranger, de l'immunité de juridiction d'un État étranger et de ses variantes, la propriété d'un État étranger. Sont de même définis les limites de l'immunité d'un État étranger, ainsi que les privilèges et les immunités qui ne sont pas couvertes par la loi. La loi ne définit pas clairement la notion d'immunité juridictionnelle, l'article 2 se borne à citer les différentes formes d'immunité possibles. On y trouve l'immunité judiciaire, l'immunité contre une éventuelle action en justice et l'immunité à l'égard de l'exécution du jugement.

Les articles 7, 8, 9, 10, 12 de la loi sont ceux qui illustrent clairement le passage de l'immunité absolue d'un État étrangers à l'immunité restreinte, une évolution enfin conforme aux évolutions internationales. Ces articles contiennent donc un certain nombre d'exceptions au règles relatives à l'immunité. Sont prescrits certains types de litiges pour lesquelles l’État étranger ne pourra plus bénéficier de l'immunité en Russie. Cela concerne principalement les opérations de droit civil, qui ne concernent pas l'exercice de l'autorité souveraine de l'État, les opérations conclues avec les entités russes totalement ou partiellement exécutées en Russie. Il y a aussi une absence d'immunité de l'État étranger lorsque ce dernier exerce une activité commerciale sur le territoire de la Russie ou sur le territoire d'un autre État, «si les conséquences de ces activités ont un lien avec le territoire de la Russie».

Ces articles reprennent aussi l’idée de l’article 19 de la Convention des Nations Unies, selon lequel, peuvent être mis en place des mesures conservatoires ou d’exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger que si l’État a expressément donné son accord. De même dans le cas où l’État a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure. Aussi dans le cas où les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commercial et sont situés sur le territoire de l’État du for. La jurisprudence des tribunaux français n’étant pas toujours très claire dans ce domaine, le législateur Français a d’ailleurs, lui aussi, souhaité apporter une certaine sécurité en insérant la quasi-exacte reproduction de l’article 19 de la Convention des Nations Unies dans le Code de procédure civil d'exécution par la la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, autrement dénommée Loi Sapin II.

De façon générale, conformément à l'article 16 de la loi russe, reste intouchable la propriété d'un État étranger destinée à être utilisée ou qui est utilisée pour son propre compte dans les activités liées à l'exercice des pouvoirs souverains. En France, pour ce qui est des biens appartenant à des organismes publics distincts de l’État, la Cour de cassation estime depuis le 1er octobre 1985 que ces organismes doivent prouver que les biens en cause sont réellement affectés à une activité publique pour pouvoir bénéficier de l’immunité d’exécution (Cour de cassation, 1ère chambre civile, Société Sonatrach c. Migeon).

Toujours est-il que, l'article 4 de la loi russe est sans doute celui qui fait le plus parler de lui et aussi celui qui a suscité le plus de réactions, notamment, pour certains, en France, avec l'adoption de l'article 24 de la loi «Sapin II».

III) Une divergence essentielle, l'article 4 de la loi du 1 janvier 2016 comme limite à l'immunité de l’État étranger.

L'article 4 de la loi en question dispose que «l’immunité juridictionnelle de l’État étranger et de ses biens, dans la mesure prévue par la présente loi, pourra être limitée sur la base du principe de réciprocité, s'il a été admis l'existence de restrictions quant à l’immunité juridictionnelle accordée à la Fédération de Russie et à ses biens dans l’État étranger, à l'égard duquel la question de l’immunité juridictionnelle de l’État et de ses biens s'est posé.» Autrement dit, l'immunité d'un État étranger en Russie peut être limitée dans la même mesure où cette même immunité a été limitée à l'encontre de la Fédération de Russie dans le pays étranger. Cela signifie que si, par exemple, la France saisit des actifs de la Fédération de Russie à la demande des actionnaires de la société Youkos suite à une certaine décision de justice et que cette saisie est illégale du point de vue de la loi adoptée le 1er janvier 2016, alors la Russie se laisse le droit de faire la même chose à l'égard des actifs de la France sur le territoire de la Fédération de Russie.

Pour certains, en France, l'article 24 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dénommée «loi Sapin II» n’est pas seulement un article créée pour protéger les biens des Etats étrangers contre les fonds vautours, mais cette loi serait aussi influancée par la volonté de ne pas heurter trop frontalement les intérêts de la Russie. Elle serait donc une réponse à la pression exercé par la Russie au travers de sa loi sur l’immunité. L'article 24 permettrait d'éviter l’application de la loi Russe à l’encontre des biens Français situés en Russie. Cet article modifie la règle mise en place par l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 2015, vu dans la première partie, qui exigeait une renonciation expresse de l’immunité d’exécution de l’État étranger pour pouvoir procéder à la saisie des biens, des comptes bancaires des missions diplomatiques, des postes consulaires, des missions spéciales ou des missions auprès des organisations internationales. Désormais, la loi reprend la position de la Cour de cassation issue de ses arrêts du 28 mars 2013 et exige que la renonciation soit expresse et spécial. Le changement majeur apporté par l’article 24 de la loi Sapin II et qui donne une protection considérable contre une éventuelle saisie des biens de la Fédérations de Russie sur le territoire de la France résulte de l’insertion de l’article L.111-1-3 dans le Code de procédure civil d’exécution. L’article prévoit que «Des mesures conservatoires ou d’exécution ne peuvent être mises en œuvre que sur autorisation préalable du juge par ordonnance rendue sur requête, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État».

Il ne suffit donc plus pour les créanciers des Etats d’obtenir en France l’exéquatur de la décision rendue en leur faveur pour procéder à la saisie des biens. Une autorisation préalable d'un juge sera nécessaire avant de pratiquer toute saisie et la saisie ne pourra viser que les biens d'entités directement liées au contentieux. Ces conditions risquent de compromettre un peu plus les chances des créanciers, qui souvent agissent vite et avec peu d'informations sur les biens dont ils demandent la saisie. Le procédé mis en place par l’article 24 de la loi «Sapin II» limite donc les chances d’une éventuelle application par la Fédération de Russie de l’article 4 de la loi russe à l'encontre des biens français situés en Russie. Cependant, l'article 4 de la loi russe n’ayant encore jamais été utilisé, le flou persiste quant aux conditions dans lesquelles il sera réellement appliqué.

L’hypothèse la plus raisonnable serait l'utilisation de cet article dans une situation future ou actuelle analogue sur le territoire de la Fédération Russie. Si on reprend l'exemple cité plus haut, d'une saisie par la France qui va à l'encontre de la loi du 1er janvier 2016 suite a une demande de la société Youkos. La situation similaire serait une future saisie par la Fédération de Russie des biens de la France se trouvant sur son territoire suite à la même situation sur le territoire de la Russie. Une saisie qui pourra alors aller au-delà de ce que prévoit la loi du 1er janvier 2016, mais sans aller au-delà de l'action Française à l'égard de la Russie. Autant dire qu'une telle application de cet article serait extrêmement rare et difficile à mettre en place car cela suppose, comme il a déjà été dit, la présence d'une situation similaire en Russie.

Si l’article 24 de la loi Sapin est vraiment la conséquence de la loi Russe étudiée elle résulte alors de la seconde hypothèse de l'éventuelle application de l'article 4 qui consisterait en une saisie pure et simple des biens de l’État Français se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie dans le cas où des biens russes seraient saisis en violation de la loi du 1 janvier 2016. Une telle application serait bien osée de la part de la Fédération de Russie et il est difficile d'affirmer qu'elle puisse se réaliser sans aller à l'encontre de l'article 1 de la même loi, c'est-à- dire sans enfreindre un accord international de la Fédération de Russie. Rappelons que l'article 1 de la loi du 1er janvier 2016 dispose que «si un traité international ratifié par la Fédération de Russie prévoit d'autres règles que celles prévues par la présente loi fédérale, les règles de l'accord international prévalent». Ce qui limite d'une certaine manière l'application de l'article 4. Cela veut dire aussi que si un jour la Russie ratifie la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens et que cette dernière rentre en vigueur, l'article 4 de la loi russe n'aura probablement plus aucun effet car la convention ne prévoit pas de mesures de rétorsion basées sur le principe de réciprocité.

Beaucoup de médias et un certain nombre d'hommes politiques ont de suite affirmé que cet article allait permettre à la Russie de répondre aux différentes saisies illégales des biens de la Fédération de Russie effectués par certains pays occidentaux. Il est évident que cette loi fédérale n'est applicable que sur le territoire de la Russie, de sorte qu'elle ne pourra en aucun cas protéger directement la propriété de la Fédération de Russie dans un pays étranger.

L’article 4 semble être davantage un moyen de pression à l’encontre des États procédant à des saisies intempestives des biens de la Fédération de Russie. Il inciterait ces Etats à prendre des mesures comme celle de l’article 24 de la loi «Sapin II» pour éviter des mesures de rétorsion de la part de la Russie.


Bibliographie

Droit français 

  • Rapport sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention des Nations unies. http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r3387.asp
  • Loi n° 2011-734 du 28 juin 2011 autorisant la ratification de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens
  • Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens
  • Code de procédure civil d’exécution
  • Projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

Droit russe