La reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères face à l’ordre public et aux lois de police à la lumière de la Convention de New York de 1958 et des législations française et russe.

Khetag Kesaev M2BDE 

La reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères face à l’ordre public et aux lois de police à la lumière de la Convention de New York de 1958 et des législations française et russe. 

 

Le principal traité de droit international dans le domaine de l’arbitrage commercial est la convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juillet 1958. L’article VII alinéa 1 de la Convention prévoit que les parties au litige ont le droit de faire appel au droit national de l’État dans lequel la reconnaissance et l’exécution d’une sentence arbitrale sont demandées. 

Lorsqu’on parle du droit national d’un État, on parle de sa souveraineté et donc de son ordre public. Dans son article V alinéa 2b, la Convention de New York dispose que la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale étrangère peut être refusée si elle est contraire à l’ordre public de l’État sur le territoire duquel la reconnaissance ou l’exécution est demandée.

Une étude comparative entre le système français et le système russe, en ce qui concerne l’arbitrage international, peut s’avérer interessante car en Fédération de Russie existe tout un système juridictionnel d’arbitrage étatique qui n’existe pas en France. D’autre part, il est tout aussi intéressant de comparer les conceptions de l’ordre public de ces deux États. 

La législation française prévoit des conditions très souples pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères par rapport à la Convention. C’est pour cette raison que les personnes bénéficiant d’une décision arbitrale favorable préfèrent s’appuyer sur les normes de droit français en ce qui concerne l’exécution. Quant à la législation russe, elle reprend en général les dispositions de la convention de New York. On ne peut pas dire que le législateur ait établi un régime plus souple par rapport à la Convention.  

Les dispositions du droit français sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont contenues dans le code de procédure civile et dans le code des procédures civiles d’exécution. Une sentence arbitrale étrangère est reconnue et exécutée après l’obtention de l’exequatur. L’exequatur est à son tour délivrée par le tribunal de grande instance de Paris, en ce qui concerne les sentences arbitrales étrangères.

Le système juridique russe est caractérisé par le dualisme de la procédure civile. La procédure de la reconnaissance et de l’exécution d’une sentence arbitrale étrangère est réglementée par le code de procédure d’arbitrage (chapitre 31) et par le code de procédure civile (chapitre 45). Ainsi, deux formes processuelles de reconnaissance et d’exécution des décisions étrangères existent: l’une dans le cadre de l’arbitrage étatique et l’autre dans les cadre de la procédure civile. Dans certains cas, ces formes processuelles peuvent avoir de grandes différences.

La compétence des juridictions d’arbitrage étatiques ou des juridictions de droit commun dépend du caractère du litige. Les juridictions d’arbitrage de l’État sont compétentes si la décision est rendue dans un litige économique. Dans les autres cas, c’est le juge de droit commun qui est compétent. Une décision d’arbitrage commercial international rendue dans un litige commercial doit être reconnue et exécutée par une cour d’arbitrage de la Fédération de Russie. Si un arbitre étranger rend une décision dans un litige lié au droit du travail, au droit des successions, ou aux droits d’auteur, c’est le juge de droit commun qui doit reconnaitre et exécuter la décision. 

L’exequatur existe aussi bien en Russie qu’en France. En vertu de l’article 1516 du code de procédure civile (France) « La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une ordonnance d'exequatur émanant du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elle été rendue ou du tribunal de grande instance de Paris lorsqu'elle a été rendue à l’étranger ». En Russie, d’après l’article 246 du code de procédure d’arbitrage, c’est la cour d’arbitrage qui délivre un document appelé « acte exécutoire ». Le principe général de la procédure d’exequatur réside dans l’absence du pouvoir chez le juge national de réexaminer l’affaire sur le fond. Cette prohibition fait partie du principe de l’irréfutabilité de la sentence arbitrale.

Le problème qui se pose est donc de savoir dans quelle mesure l’ordre public limite la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Pour y répondre, il convient de montrer que le respect de l’ordre public est un préalable à l’exequatur (I), mais que le contenu même de cet ordre public ainsi que son articulation avec les lois de police soulèvent de réelles difficultés. (II). 

 

 

 

I) Le respect de l’ordre public international comme préalable à l’exequatur. 

 

L’article V alinéa 2b de la convention de New York consacre clairement l’application de la loi du for en ce qui concerne les questions de l’ordre public. Le mécanisme de l’ordre public est appliqué sur initiative du juge, et non sur initiative des personnes participant au litige, ce qui ne les empêche pas de faire appel à l’ordre public. C’est le juge qui doit donner l’interprétation de la notion d’ordre public. L’article V alinéa 2 b de la Convention limite la possibilité d’exécuter la sentence arbitrale étrangère par l’ordre public de l’État sur le territoire duquel l’exécution est demandée. Les parties au litige, ainsi que les arbitres, ne peuvent influer sur la décision du juge refusant la reconnaissance et l’exécution. Ils peuvent seulement prendre en compte les normes de droit de l’État correspondant lors de la formulation de leurs positions. 

La convention de New York, dans son article V alinéa 2 b, ne précise pas s’il s’agit de l’ordre public interne ou international. Cependant, les auteurs de la Convention avaient pour objectif d’assurer un régime propice à l’exécution des sentences arbitrales étrangères et partaient de la conception étroite de l’ordre public. Les commentateurs de la Convention (P. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, 1996) estiment qu’il s’agit bien de l’ordre public international. Cette conception a été adoptée dans la jurisprudence des États parties lors de l’application des dispositions de la Convention. 

Les dispositions de la convention de New York posant les conditions de refus de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales étrangères sont transposées dans la législation processuelle civile et arbitrale russe. Plus précisément, l’article V alinéa 2b de la Convention a été transposé dans l’article 417 du code de procédure civile et dans l’article 244 du code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie.

En vertu de l’article 1514 du code de procédure civile français, « Les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international ». En vertu de l’article 1525 de ce code, « La décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est susceptible d’appel ». Cet article renvoie à l’article 1520, contenant les conditions d’annulation. L’alinéa 5 dispose que « le recours en annulation n'est ouvert que si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international ».  Cette disposition est semblable à celle contenue dans l’article V alinéa 2b de la convention de New York.

Contrairement à la législation française, la législation russe n’utilise pas le concept «d’ordre public international ». Tous les textes législatifs font référence à « l’ordre public de la Fédération de Russie ». Cependant, dans le droit russe, l’ordre public se divise quand même en deux types. L’un se rapporte seulement aux rapports internes, nationaux, et l’autre doit être respecté lors de l’application des lois étrangères, ainsi que lors de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales ou autres décisions de justice étrangères. La notion d’ordre public international est cependant utilisée par les juges. Il est possible de supposer que la construction terminologique contenue dans les articles 417 du code de procédure civile et dans l’article 244 du code de procédure d’arbitrage suppose bien l’ordre public international dans le sens où on peut parler de l’ordre public seulement lorsque les rapports juridiques sont liés à un ordre juridique étranger, lorsqu’il y un élément d’extranéité.  

En France, l’article 1520 du code de procédure civile dispose que le refus d’exequatur peut se justifier si la sentence est contraire à l’ordre public international. L’ordre public national n’est pas évoqué. L’arbitrage français distingue ces deux notions. La différence entre ces deux concepts existe quand même dans le droit international privé. La jurisprudence française montre qu’avant d’examiner si une sentence arbitrale étrangère ne viole les simples normes de l’ordre juridique français, il faut voir si cette sentence n’est pas contraire à l’ordre public (article 1492 alinéa 5 CPC, Cass. Civ. 1, 19 décembre 2012, Cass. Civ. 6 mai 2009). Si la sentence arbitrale étrangère est contraire à l’ordre public interne de l’État d’exécution mais n’est pas contraire à l’ordre public international, l’exequatur doit être accordée. 

En ce qui concerne la France, il serait opportun d’introduire une frontière claire entre le droit français interne et le droit international de l’arbitrage puisque lors de l’examen de la décision étrangère et du contrôle de sa conformité à l’ordre public international, le juge ne peut refuser l’exequatur à cause de la mauvaise application des normes faisant partie de l’ordre public interne. La violation de l’ordre public français par une sentence arbitrale étrangère n’est pas suffisante pour la reconnaitre contraire à l’ordre public international.

Dans la législation russe, la distinction entre l’ordre public interne et l’ordre public international existe de fait, même si c’est dans une terminologie différente, ce qui pourrait aller à l’encontre du principe de sécurité juridique. Malgré cela, la jurisprudence russe, en général, démontre une approche plus étroite de l’ordre public lors de la reconnaissance et de l’exécution des décisions étrangères. 

Il est nécessaire d’introduire la notion d’ordre public international au niveau législatif en Fédération de Russie en précisant que ce sont les principes fondamentaux de droit ayant une force impérative, universelle, une importance sociale particulière et formant les fondements du système économique, politique et juridique, et prenant en compte les obligations internationales de la Fédération de Russie et ses rapports avec les ordres juridiques étrangers. 

 

 

II) Le contenu incertain de l’ordre public international et la question des lois de police.

 

Il est pratiquement impossible de définir le cercle des normes composant l’ordre public car c’est précisément le fondement du système juridique national et de la culture juridique nationale. La nature même de l’exception d’ordre public exclut la possibilité d’établir une liste exhaustive des normes de droit national susceptibles d’être appliquées indépendamment des circonstances. Le refus d’appliquer la loi étrangère se fonde souvent sur des principes généraux et non sur des normes précises. L’exception d’ordre public s’appuie plutôt sur des normes non exprimées, non écrites, et s’applique dans les situations où il est difficile de trouver une norme de droit concrète. L’exception d’ordre public comprend des principes comme l’équité et la proportionnalité, la bonne foi des parties, la légalité des contrats et des actes, l’impossibilité de contourner le loi, de violer les normes impératives. Ces principes sont aujourd’hui communs à beaucoup d’Etats. 

En Russie, les juges ont tendance à interpréter largement la notion d’ordre public pour y inclure des catégories qui n’ont rien à voir avec le droit. Par exemple, le Cour d'Arbitrage fédérale du district de Nord Ouest, à Saint-Petersbourg, dans son arrêt du 18 septembre 2009, a inclu dans la définition de l’ordre public de la Fédération de Russie la morale et les principaux postulats religieux. Cette formulation est absolument anticonstitutionnelle et viole l’article 14 de la Constitution, d’après lequel « La Fédération de Russie est un Etat laïc. Aucune religion ne peut s'instaurer en qualité de religion d'Etat ou obligatoire et les associations religieuses sont séparées de l'Etat et égales devant la loi ». 

De nombreux juristes russes, et notamment les juges, ont du mal à admettre que l’application d’un droit étranger à un contrat de commerce international puisse violer une norme impérative du droit russe. Cela les conduit à assimiler toutes les normes impératives en cause à des lois de police. Or, cette approche est contraire aux instructions données par la Cour Supérieure d’Arbitrage dans sa lettre d’information du 9 juillet 2013, selon laquelle il n’est pas possible de considérer toutes les normes impératives du droit russe comme des lois de police.

Mais le droit international privé d’aujourd’hui comporte une autre exception limitant l’application de la loi étrangère. Il s’agit des lois police qui sont les normes impératives d’application immédiate. C’est une institution juridique différente de l’ordre public, mais ces deux catégories juridiques distinctes sont connexes. Aussi bien la doctrine russe que la doctrine française soulignent que le mécanisme des lois de police se distingue de l’exception d’ordre public. 

Le règlement Rome I, dans son article 9, définit ainsi les lois de police : «Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ». Ce règlement s’applique en France mais pas en Russie, qui ne fait pas partie de l’Union européenne. Cependant cette définition a inspiré la Cour Supérieure d’Arbitrage, laquelle, pour préciser ce que sont les lois de police, a repris, dans sa lettre d’information du 26 février 2013, la définition du règlement Rome I. 

Dans la conception juridique russe de l’ordre public, les lois de police font partie du noyau de l’ordre public international. En Fédération de Russie, la jurisprudence nationale et internationale, la législation et les engagements internationaux voient dans les lois de police un élément de l’ordre public. Leur respect doit alors être défendu, notamment par la voie de refus de reconnaitre et d’exécuter les sentences arbitrales étrangères qui y seraient contraires. 

Les lois de police sont souvent considérées comme des normes impératives internationales, des normes d’application immédiate ou des lois d’ordre public. Leur lien avec l’ordre public est souvent mis en avant. Cependant, jusqu’à présent la Cour de cassation en France a résisté à la tentation d’inclure les lois de police de l’État du for dans l’ordre public international de celui-ci. En effet, si les lois de police françaises faisaient partie de l’ordre public international, la simple violation des lois de police aurait été considérée comme une violation de l’ordre public international. Or, ce n’est pas l’approche adoptée par la Cour de cassation. Le refus de délivrer l’exequatur sur la base de la non-conformité de la sentence arbitrale à l’ordre public peut avoir lieu seulement dans le cas où la violation de la loi de police a un caractère évident, réel et concret. Parmi les décisions les plus importantes allant dans ce sens, il convient de citer l’arrêt SNF contre Cytec du 4 juin 2008. Il est ainsi possible de voir que la position de la Cour de cassation est très favorable à l’arbitrage. 

Le contrôle de la conformité de la sentence arbitrale étrangère aux lois de police est problématique car il remet en cause l’autorité de la sentence arbitrale. Or, cette autorité de la décision arbitrale représente le principal intérêt pour les parties ayant introduit une clause d’arbitrage dans leur contrat de commerce international. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence française refuse de reconnaitre la simple violation des lois de police par une sentence arbitrale étrangère comme une violation de l’ordre public international et donc comme une raison pour refuser l’exequatur, considérant qu’un litige du commerce international a moins de liens avec la France. Cependant, si on reconnait que la simple violation de la loi de police ne mène pas à une violation de l’ordre public international, on peut se demander pourquoi une violation évidente, réelle et concrète d’une telle norme mène à une telle violation. On peut supposer qu’une violation évidente est une espèce de déformation de la loi de police. Il est possible que l’arbitre prenne en compte les lois de police de l’État de l’exécution de la sentence afin d’éviter le refus de l’exequatur par le juge. Autrement dit, l’application des lois de police par l’arbitre n’est pas une simple formalité. Cependant les lois de police peuvent être  violées si elles sont mal interprétées. En définitive, ce n’est pas la mauvaise application des normes mais leur non application qui sert de prétexte pour refuser l’exécution de la sentence. C’est à dire que si l’arbitre prend en compte les lois de police mais en fait une mauvaise interprétation, le juge peut quand même accorder l’exequatur car les normes matérielles sont respectées mais pas les normes processuelles. En revanche, si l’arbitre ne prend pas du tout en compte les lois de police et que la sentence arbitrale viole ces lois, l’exequatur est refusée car il y a une violation évidente, réelle et concrète. 

 

 

 

 

Bibliographie