L’émergence du statut de réfugié climatique confrontée aux lacunes juridiques du droit international : l’apport de la coopération des droits nationaux

Le centre d’actualité de l’ONU communiquait, fin 2017 « alors que le nombre de personnes déplacées dans le monde à cause d’évènements liés au changement climatique ne cesse d’augmenter, l’ONU et ses partenaires privilégient une approche régionale plutôt que mondiale face à la question de la création d’un statut de réfugié climatique ». Le droit international est aujourd’hui confronté à une impasse, et ne parvient pas à protéger efficacement ces individus, généralement définis comme « réfugiés climatiques. »

A titre d’exemple, la hausse du niveau de la mer est une réelle menace pour les Etats insulaires du Pacifique Sud qui risquent de voir leurs territoires disparaitre. A cela s’ajoutent de nombreuses pénuries agricoles et d’eau potable, dont les conséquences directes sont l’apparition de conflits liés à la lutte pour les ressources énergétiques et naturelles. Ils créent des déplacements massifs de populations et posent des problèmes de sécurité et de gestion des flux migratoires. Les conséquences ne sont donc pas seulement écologiques, mais également sécuritaires et humanitaires et la question des réfugiés climatiques se trouve au centre de ces problématiques. Cependant, aucun instrument juridique contraignant ne prend réellement en compte leur statut, confrontant ces réfugiés à un certain vide juridique.

Il existe en effet de nombreuses dissensions à leur sujet. Originairement, l’immigration appartient au domaine réservé des Etats et repose sur le principe de souveraineté. Malgré l’influence du droit international et l’adoption de conventions, elle reste toujours aujourd’hui un sujet sensible et non-consensuel. Ainsi, le statut de réfugié ne s’applique pas encore aux réfugiés dits « climatiques », car cette notion est bien trop précise et controversée. Cependant, il est important de constater que cette notion n’est pas totalement ignorée par les Etats, qui ont une influence en la matière. Ce sont bien les lacunes juridiques du droit international qui poussent les Etats à agir dans le sens d’une protection plus étendue. C’est l’interaction entre ces différents systèmes juridiques qui est intéressante, car elle démontre une influence réciproque.

Ainsi, l’intérêt de ce sujet est de montrer que l’absence de convention internationale et la complexité de la notion n’impliquent pas forcément que cette nouvelle catégorie soit laissée de côté. Les droits nationaux et les systèmes régionaux jouent un rôle particulièrement important, comblant ainsi les lacunes juridiques du droit international. C’est en initiant un mouvement général que le droit international évolue. L’initiative Nansen, prise par la Norvège et la Suisse a permis l’adoption par 110 Etats en 2015, d’un « Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique[1]. » Ce document, bien que non contraignant, est une avancée en la matière car il s’appuie sur une approche intergouvernementale, et contient de nombreuses recommandations pour les Etats. Il permet de comprendre les interactions entre le droit international qui peine à reconnaitre un statut de réfugié climatique, et les différentes avancées nées de la coopération entre les Etats.

Ainsi, on peut considérer que les approches nationales pourraient constituer une alternative pertinente, ce qui amène à se demander comment l’interaction entre différents systèmes juridiques favorise la prise en compte du statut de réfugié climatique ? Pour y répondre, il convient tout d’abord d’analyser la difficile prise en compte du statut de réfugié, du fait de la spécificité de la notion (I) et enfin, d’étudier l’évolution majeure apportée par l’Agenda, en analysant la nature et les moyens d’élaboration de ce document (II).

I. La spécificité de la notion de réfugié climatique en droit international

Pour comprendre l’apport de l’agenda adopté en 2015, il est tout d’abord nécessaire de comprendre la complexité de la notion de réfugié climatique. Cela explique en partie les lacunes du droit international et la difficulté des Etats à parvenir à un accord. La notion même de réfugié est transversale et recoupe de nombreuses catégories (réfugié économique, politique, climatique). Les raisons provoquant le déplacement vers un autre Etat sont nombreuses et difficiles à cerner. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement a défini le terme de réfugié climatique comme « des personnes forcées de quitter leurs habitations traditionnelles d'une façon temporaire ou permanente, à cause (naturelle ou humaine) d'une dégradation nette de leur environnement qui bouleverse gravement leur cadre de vie et/ou qui déséquilibre sérieusement leur qualité de vie[2]. »  Le terme de réfugié climatique ne fait pas l’objet d’un consensus. Certaines institutions évoquent le terme de « réfugiés environnementaux », qui apparaît être plus global, tandis que l’Organisation Internationale pour les Migrations fait référence aux « migrants environnementaux », enfin, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (ci-après UNHCR) évoque le terme de « déplacés environnementaux ». On observe donc de nombreuses disparités au niveau de la définition même et de la terminologie utilisée. De plus, il est difficile d’analyser spécifiquement ces migrations, tant elles diffèrent et sont difficilement quantifiables. Ceci rend encore plus difficile l’évolution du droit international en la matière.

Christel Cournil[3] retient un problème majeur, à savoir « la confrontation de cette nouvelle catégorie avec les grilles classiques du droit, les catégories juridiques qui relèvent du droit international public s’avérant inadaptées » et rappelle que le terme de réfugié est accordé aux individus reconnus par la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés[4], qui ne contient aucune disposition reconnaissant les réfugiés climatiques. Cette affirmation rejoint les débats concernant l’adoption d’un texte dédié à la protection des réfugiés climatiques et à la reconnaissance d’un statut propre. Plusieurs idées ont émergé, comme la création d’une nouvelle convention, ou l’ajout d’un protocole à la Convention de 1951. Or, il est difficile de parvenir à un consensus lorsqu’il s’agit d’adopter un document contraignant. Comme évoqué précédemment, la gestion de flux migratoires relève de la souveraineté nationale des Etats, et les règles adoptées en la matière diffèrent en fonction de chaque législation nationale. La transposition d’un éventuel accord international pourrait venir modifier les ordres juridiques internes. Or, de nombreux dirigeants politiques considérés comme « climatosceptiques » ne sont pas prêts à adopter de nouveaux instruments internationaux favorables aux réfugiés climatiques. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat en est un exemple. Ceci démontre que les difficultés liées à l’adoption d’un accord international peuvent parfois être un frein à l’évolution du droit, tant les négociations et les désaccords prennent une importance considérable.

Conscient de ces difficultés, Luc Legoux aborde une approche différente. Il estime qu’il est nécessaire de différencier entre les réfugiés entendus au sens traditionnel de la Convention de Genève et les migrants climatiques. Selon lui, c’est justement le fait de différencier qui apporte une protection internationale et donc l’implication possible de la communauté internationale et des Etats. Il soutient en effet que « les réfugiés ne sont pas un groupe homogène, mais ils ont tous en commun de devoir être protégés contre leur État d’origine, contrairement aux migrants climatiques dont la protection internationale peut être réalisée en collaboration avec leur État[5]. » Il démontre l’importance jouée par les Etats en la matière, et la nécessaire collaboration entre le droit international et les droits nationaux. Car il s’agit là, non pas de réfugiés traditionnels, mais bien de nouveaux ayant-droits dont la situation particulière imposerait un traitement spécifique.

La spécificité de la notion de réfugié climatique a été prise en compte dans le système régional africain. La Convention de Kampala[6] a en effet été adoptée par l’Union Africaine en 2012. Bien que ne couvrant que les déplacés dits internes, elle demeure un instrument régional pertinent en la matière. Elle est un signe encourageant pour la communauté internationale. Cette Convention a notamment contribué à l’adoption de l’Agenda de protection des réfugiés climatiques, car ce dernier se base sur les initiatives entreprises au niveau régional.

C’est en effet sous l’impulsion d’Etats et d’initiatives régionales que la notion de réfugié climatique a pu être prise en compte. La coopération entre les droits nationaux témoigne que la diversité des systèmes juridiques peut aussi être un atout pour la reconnaissance d’un nouveau statut juridique.

II. L’approche originale de l’Agenda pour une meilleure protection des réfugiés climatiques.

Il convient d’analyser la technique d’élaboration et la nature de l’Agenda, car elles consistent en une approche ascendante, ce qui en fait son originalité. L’Agenda est en effet le document le plus abouti en matière de protection des réfugiés climatiques.

De nombreux désaccords subsistent concernant l’adoption d’un document juridique contraignant, freinant la reconnaissance du statut de réfugié climatique. Par conséquent, une instance onusienne s’est impliquée en 2011 afin de traiter des problèmes liés aux déplacements de populations dus au climat. L’UNHCR espérait clarifier le paragraphe 14 (f)[7] adopté suite aux Accords de Cancun en 2010, prévoyant « l’adoption de mesures propres à favoriser la compréhension, la coordination et la coopération concernant les déplacements, les migrations (…) par suite des changements climatiques, selon les besoins, aux niveaux national, régional et international. » Cependant, puisqu’aucune mesure ne favorisait la protection de ces nouveaux ayant-droits, la Norvège et la Suisse ont élaboré l’initiative Nansen. Elle est basée sur une approche ascendante qui consiste en l’analyse des pratiques locales et régionales, pour ensuite favoriser l’adoption un document juridique pertinent. La consultation et la coopération entre Etats est donc nécessaire.

Ainsi, l’Agenda est une extension de l’Initiative Nansen qui poursuit et approfondit ses objectifs. Selon le paragraphe 9 de ce document, cette démarche est le résultat « d’une série de consultations intergouvernementales régionales et de réunions avec la société civile organisées par l’Initiative Nansen ». Les pratiques des Etats et de la société civile sont prises en compte. L’objectif est de parvenir à un consensus, qui serait l’œuvre d’une réelle consultation et coopération des acteurs en jeu. L’Agenda vise en effet à offrir des moyens d’actions efficaces aux Etats et organisations régionales. A titre d’exemple, la consultation des Etats insulaires du Pacifique en 2014 a notamment permis aux Etats et à la société civile de se réunir et d’adopter l’Agenda. La situation particulièrement critique des Etats insulaires a favorisé la mobilisation des Etats concernés. Ils redoutent de voir leurs territoires disparaître, au risque de perdre leur nationalité et de devenir apatride. Il convient donc de noter que c’est l’approche ascendante qui permet aux Etats de s’impliquer dans le processus normatif. En élaborant l’Agenda de protection de la sorte, une réelle implication des Etats et organisations régionales est observée, et permet d’évoluer vers la reconnaissance d’un statut. Cette démarche n’est cependant pas suffisante. L’adoption de l’Agenda a aussi été motivée par sa nature non contraignante.

Il convient de souligner que la démarche est efficace, car elle consiste en une démarche incitative. La nature juridique de cet instrument est particulièrement importante, car elle invite les Etats à s’engager en fonction de leurs priorités. Il est en effet soutenu dans l’Agenda que « plutôt que d’appeler à une nouvelle convention internationale contraignante (…) cet Agenda pour la protection soutient une approche centrée sur l’intégration de telles pratiques efficaces par les États et les organisations (sous-) régionales dans leurs propres cadres normatifs, conformément à leurs situations et défis spécifiques »[8]. Selon Philippe Leclerc[9], représentant en France du HCR « cette approche portée par les Etats, ascendante et non contraignante, a plus de chance d’être mise en œuvre qu’une Convention qui serait le résultat du plus petit dénominateur commun ». L’Agenda de protection est un outil efficace qui permet aux Etats d’élaborer des solutions pertinentes en fonction des défis locaux et régionaux, vers une meilleure protection des réfugiés climatiques.

L’Agenda vise à faire coopérer les Etats afin qu’ils parviennent à un consensus en la matière. Il est important de souligner que le droit souple est un outil efficace en droit de l’environnement, et qu’il est à la base de nombreuses évolutions. En effet, les grands principes de cet Agenda ont été recueillis et placés dans le préambule de l’Accord de Paris sur le climat[10]. L’accord prévoit au §50 de « réduire les déplacements de population liés aux effets néfastes des changements climatiques et à y faire face » et ainsi que la mise en place de groupes de travail, pour analyser ces déplacements et parvenir à des solutions. Comme le montre Laurent Neyret, « le terme d’agenda montre bien que l’on s’intègre dans un processus qui doit conduire à d’autres étapes.[11] » C’est donc la nature et l’élaboration de l’Agenda qui font sa force. Elles permettent de combler le déficit normatif, et une meilleure prise en compte des problématiques liées aux réfugiés climatiques.

 

[1] Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique – Décembre 2015

[2] Essam EL-HINNAWI, Environmental refugees, Nairobi : United Nations Environment Programme, 1985, 41 p

[3] Christel COURNIL « Les “réfugiés environnementaux” : enjeux et questionnements autour d’une catégorie émergente », Migrations Société, vol. 128, no. 2, 2010, pp. 67-79.

[4] Article 1er - Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés – 1951

[5] Luc LEGOUX « Les migrants climatiques et l'accueil des réfugiés en France et en Europe », Revue Tiers Monde, vol. 204, no. 4, 2010, pp. 55-67.

[6] Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique – 2012

[7]  Rapport de la Conférence des Parties 16, Cancún - 2010

[8] Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique – décembre 2015

[9] Le Monde - Laeticia VAN EECKHOUT, « 110 Etats adoptent un « agenda pour la protection » des déplacés environnementaux », Le Monde, 13/10/2015

[10] Accord de Paris sur le Climat - 2015

[11] Laeticia VAN EECKHOUT, « 110 Etats adoptent un « agenda pour la protection » des déplacés environnementaux », Le Monde, 13/10/2015