La Loi « PACTE » et son incidence sur le brevet d’invention français : l’opportunité d’une comparaison transatlantique portant sur l’attractivité des régimes de propriété industrielle

En octobre 2017, l’actuel ministre de l’économie Bruno Le Maire dévoilait un projet de loi intitulé « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » dont l’objectif annoncé était de donner aux entreprises françaises, particulièrement les petites et moyennes entreprises, les moyens de créer, d’investir, d’innover afin de pousser à la création d’emplois Un projet de loi modifié après plusieurs passages devant le Parlement a finalement été adopté dans sa version finale le 11 avril dernier. Ce projet aussi important que controversé, vise entre autres à réformer le régime français du brevet d’invention. Une étude menée par France Brevet (fond d’investissement en propriété industrielle créé par l’Etat français), démontre un écart abyssal entre le nombre de brevets déposés par les PME allemandes et françaises. Cette comparaison peut être critiquée à plusieurs échelles : d’une part les PME (« mittelstand ») allemandes sont une institution et un pilier de l’économie outre Rhin , ce qui n’est pas le cas en France où la dépendance aux grands groupes industriels est plus prononcée. D’autre part, le nombre de brevets délivrés doit être compris à l’aune de critères tels que la valeur moyenne des dépôts et la difficulté d’obtention. En revanche, les chiffres tous types de dépôts confondus de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle semblent confirmer le constat énoncé plus tôt : à savoir 176 235 dépôts en 2017 pour l’Allemagne contre 70 939 pour la France sur la même année à comparer avec les 524 935 brevets déposés par des entreprises américaines. On note que les Etats-Unis, véritable mastodonte de l’innovation, sont réputés comme ayant un système d’attribution de brevets très performant. Le projet du gouvernement se nourrit donc du postulat que c’est le régime de la propriété industrielle français, peu attractif, qui freine l’innovation dans notre pays.

 

 

Au regard du succès du régime du droit des brevets américain (« patent law »), la loi PACTE peut-elle être considérée comme susceptible de favoriser le développement de l’octroi de brevets en France ?

 

Comme souvent en matière de propriété intellectuelle, les approches propres au droit français et au droit américain diffèrent sensiblement en ce qui concerne la justification apportée à l’existence d’une protection juridique. Le législateur français de l’époque révolutionnaire voyait dans le brevet d’invention la consécration des droits humains face aux privilèges de la noblesse. Le patent américain, née dans une société fondamentalement plus égalitaire, trouve sa justification essentielle dans l’encouragement de la diffusion de la technologie en garantissant aux inventeurs la protection, pour une durée limitée, de leurs découvertes. Le brevet français prend forme pour la première fois en 1791 par la loi du 7 janvier de la même année. Adoptée dans un contexte préindustriel, la loi change en 1844 pour être mise en conformité avec l’ère du temps. Le droit américain des brevets ou « patent law » tire son existence tout comme le droit d’auteur ou « copyright », de la Constitution des Etats Unis d’Amérique et de sa célèbre « Intellectual Property clause » (Article 1, Section 8, Clause 8) qui confère au Congrès les pouvoirs nécessaires pour protéger l’innovation scientifique. L’essentiel du droit des brevets d’invention américain dits « utility patents » est codifié au titre 35 du United States Code et proviens du Patent Act, amendé à de multiples reprises et qui a la particularité d’avoir été promulgué avant la Constitution américaine elle-même.

Le brevet est donc un instrument ancien, qu’il faut comprendre et adapter dans un monde fondamentalement différent de celui qui l’a vu naître. Alors que ces différences de conception subsistent encore aujourd’hui, les justifications substantielles à l’élaboration de tels régimes se sont sensiblement rapprochées : la propriété industrielle de nos entreprises représente une valeur technologique et commerciale incontournable de notre époque. D’ailleurs la loi PACTE adopte une approche purement utilitariste visant à promouvoir l’innovation. Une réforme du droit de la propriété industrielle telle que celle-ci peut avoir plusieurs objectifs : Premièrement, rendre un régime plus attractif que les autres, afin de pousser les entreprises y compris étrangères à déposer leurs demandes de brevets. On est ici dans la compétition entre les droits. Il ne faut pas oublier que le dépôt de brevet en lui-même constitue une véritable industrie. Deuxièmement, inciter à innover en offrant des garanties de protection aux entreprises et aux inventeurs, ce qui correspond à l’approche utilitariste. Ce second objectif paraît plus difficile à atteindre, il repose en effet sur l’idée que la qualité de la protection fournie par le brevet d’invention est susceptible de déclencher le processus intellectuel de l’innovation ou d’influer sur les stratégies d’entreprises.

Le projet de loi PACTE contient trois mesures phares affectant le droit du brevet d’invention français. La promotion du certificat d’utilité (I), un « petit brevet », le renforcement de l’examen des demandes par l’INPI (II) ainsi que, la mise en place d’une procédure d’opposition (III). A ce titre, il est important de préciser que les articles qui seront évoqués proviennent du projet tel que définitivement adopté par le Parlement. Ainsi, c’est la section 2 du projet intitulé « protéger les inventions et libérer l’expérimentation de nos entreprises » qui introduit la première mesure destinée à élaborer la transformation voulue. Elle porte sur un aspect particulier du régime de la propriété industrielle français, qui ne concerne pas directement le brevet d’invention à proprement parler.

 

La promotion du certificat d’utilité et l’explicitation de la demande provisoire de brevet :

 

Ce certificat, présent en tant qu’alternative au brevet d’invention à l’article L 611-2 du Code de la propriété intellectuelle présente la particularité d’engendrer moins de coûts et de formalités qu’un brevet. En effet le dépôt de brevet à proprement parler est assorti d’une taxe de 520 euros. En revanche, il dispose d’une durée moindre (6ans). Il est par ailleurs l’équivalent du « Gebrauchsmuster » ou « utilité » allemand. Le projet de loi PACTE adopté le 11 avril 2019, dans son article 118 dispose que la durée de ce certificat est étendue à 10 ans (point 3). Il modifie également l’article L.612-15 du CPI par une seconde mesure qui est l’ajout de la possibilité de transformer le certificat d’utilité en brevet. Par le passé l’inverse était possible. La procédure précise reste à déterminer, elle le sera en effet par décret (point 7). L’objectif affiché est de le rendre plus attractif sur la durée et de le rendre également plus flexible. Le certificat d’utilité reste néanmoins un titre assez peu attractif, en effet il ne donne lieu à aucun rapport de recherche d’antériorités ou examen approfondi devant l’INPI. Il est donc naturellement moins valorisable. Notons également que le certificat d’utilité n’a pas d’équivalent américain.

La loi « PACTE » prévoit également de rendre explicite la possibilité de présenter une demande préalable de brevet d’invention. Ces changements n’auront pour conséquence que d’inscrire clairement cette démarche déjà rendu possible par l’article L 612-2 du code de propriété intellectuelle. Le « dépôt provisoire » est ainsi plus visible pour les entreprises de taille moyenne. Le USPTO américain a mis en place une telle mesure à l’égard des demandeurs en 1995 (35 U.S.C. §111(b)). La « provisional application » prévoit elle aussi un formalisme réduit ainsi qu’un délais de 12 mois pour cette fois déposer une demande formelle de brevet. En revanche, l’US Patent and Trademark Office va quant à lui demander le paiement d’une taxe, d’un montant modeste (70 à 260 dollars). Cette demande préalable sert dans le cas où un inventeur doit justifier de l’antériorité de son dépôt et s’il se situe dans une situation où il n’a pas la possibilité de déposer une demande complète dans l’immédiat.

Si l’absence d’un dispositif comparable au certificat d’utilité en droit américain peut être vu comme une remise en cause de l’intérêt ce celui-ci, très peu utilisé ces dernières années en France, il faut néanmoins rester prudent. En effet, un tel titre renforcé créera sans aucun doute une antériorité, qui pourra être utilisée par le titulaire des droits. Il peut s’agir là d’une réelle protection d’appoint, permettant à une entreprise, quelle que soit sa taille de n’apporter à ses découvertes que celle qu’elle juge adéquate. En revanche, un tel certificat n’aura aucun intérêt au-delà d’une protection purement nationale et constitue un titre très fragile dû à l’absence d’examen lorsque comparé au patent américain. Cette réforme du certificat d’utilité semble viser essentiellement les petites et moyennes entreprises, particulièrement les « start-up », qui ont un besoin de flexibilité particulier propre à leurs moyens plus limités. Quant à la mise en évidence de la procédure de demande préalable, celle-ci améliore sans aucun doute la visibilité de l’instrument qui peut se rendre utile pour les entrepreneurs de petite taille ou pour les cas urgents. Néanmoins, cela ne doit pas inciter ces derniers à précipiter leurs demandes, en bâclant la description de leurs inventions car seule celle-ci sera prise en compte, à la date du dépôt de demande préalable dans le cas d’un conflit avec une demande de brevet d’invention en bonne et due forme. La « provisional application » américaine, bien établie dans la pratique et disposant d’un coût raisonnable peut expliquer l’absence d’un « petit brevet » outre-Atlantique. Le certificat d’utilité français peut néanmoins se révéler stratégique dans certaines circonstances : Sur un marché où les produits se renouvellent très vite, une protection d’appoint devient particulièrement utile car il offre une véritable protection (qu’une entreprise peut utiliser à des fins de dissuasion) dans des délais très intéressants (2 mois) pour une invention à « durée de vie courte », ce qu’une demande de type « provisional » ne peut véritablement permettre. Il faut donc prendre la position que le certificat d’utilité est une véritable alternative au brevet, lorsqu’il est correctement utilisé et que la loi PACTE contribue à le renforcer en lui ajoutant durée et flexibilité dont bénéficieront les déposants. Néanmoins, la cohabitation entre un certificat d’utilité pouvant être transformé en brevet et une demande préalable reste un axe important de questionnement.
 

Un des reproches les plus importants régulièrement faits à l’égard du brevet d’invention français est que sa procédure d’examen devant l’INPI est sensiblement moins rigoureuse que celle de ses concurrents étrangers. En plus d’une réforme du certificat d’utilité, la loi PACTE ambitionne de renforcer l’attractivité du brevet d’invention à proprement parler.

 

Le renforcement de la procédure d’examen par l’INPI :

 

L’article 122 du projet de loi prévoit de modifier l’article L612-12 en ce qu’il suit : il ajoute une condition de brevetabilité lors de l’examen qui correspond à l’activité inventive telle qu’énoncée par l’article L611-10. En d’autres termes, alors que comme rappelé plus haut, l’INPI ne peut aujourd’hui pas refuser d’attribuer un brevet sur le fondement du défaut d’activité inventive, la loi PACTE prévoit de lui en donner les moyens. L’INPI ne refuse l’octroi d’un brevet que pour « défaut manifeste de nouveauté ». Le défaut d’inventivité ou « obviousness » est une condition d’examen du patent américain (35 U.S.C. §103). Aux États-Unis, toutes les demandes de brevet passent par le United States Patent and Trademark Office. La demande est très couteuse comparée à la moyenne européenne (généralement entre 10,000 et 30,000$). Le formalisme est relativement important et la durée de la procédure entière est d’environ 3 ans. Tout titre doit donc être délivré à l’issu d’une procédure coûteuse et approfondie devant l’examinateur désigné par le USPTO, lors de laquelle la demande est examinée selon les critères de nouveauté (« novelty » 35 U.S.C. §102) et de « non-obviousness » (35 U.S.C. §103 « doit résulter d’une activité inventive »). De la même manière que le brevet d’invention français, le patent se doit d’être nouveau par rapport à l’état de la technique et de constituer un « saut » qui caractérise la notion même d’invention. Comme en droit français, ce second critère d’obtention est examinée vis-à-vis de l’hypothétique « homme du métier (L611-14 CPI)», normalement qualifié et confronté au même problème technique que l’inventeur (L611-10 CPI). Par contre, la différence majeure se situe dans le fait que l’INPI ne dispose pas de la possibilité de refuser l’octroi d’un brevet pour défaut d’activité inventive. L’USPTO peut tout à fait refuser l’enregistrement à une demande qui ne satisfait pas ce critère essentiel. La durée de la procédure d’obtention peut être sensiblement réduite dans le cas où la demande initiale est réalisée de sorte à ce que l’examinateur ne professe aucune réserve. Cela limite le nombre de correspondances et réduit naturellement le délai de délivrance d’un brevet d’une durée de 20 ans. Le patent ainsi obtenu reçoit une présomption de validité (35 U.S. Code § 282). Néanmoins une demande d’utility patent parfaitement formulée aura un coût très élevé.

Cette mesure ambitionne à son échelle de renforcer la valeur du brevet d’invention français. Elle amène plus de sécurité juridique pour les titres créés et pour les ayants droit, car un brevet fort d’un examen approfondi et des modifications apportés lors de la procédure administrative confère un titre d’une plus grande qualité, plus difficile à remettre en cause par le biais d’une procédure judiciaire ou administrative. Comparé au brevet américain, le brevet d’invention français aurait été trop facile à obtenir. Le projet promet également de remplacer le langage de l’article L612-12 qui énonce que le refus peut s’effectuer pour « défaut manifeste de nouveauté ». Le nouvel article ne devrait contenir qu’une référence au « défaut de nouveauté », ce qui tempère le caractère incertain de l’article actuel. De la même manière, cette ambiguïté assez étrange n’est pas plus présente dans les textes de droit américains. Il faut néanmoins relativiser l’impact de ce passage du projet de loi. En réalité, il est possible de demander à l’INPI un examen approfondi une fois qu’un brevet d’invention est octroyé. Cette procédure comprend une analyse explorant le caractère inventif du brevet obtenu par le demandeur et permet de renforcer celui-ci. Le brevet d’invention français a pu être par le passé considéré comme faible, par rapport à un « utility patent » américain mais surtout vis-à-vis du brevet européen. Ce changement opéré par la loi PACTE le rapproche de celui délivré par l’office européen et satisfera sans doute les partisans d’un brevet d’invention français « fort ». On pourrait douter qu’un tel changement renforce le brevet d’invention en général, car la force de chaque brevet découle souvent de l’invention présentée plutôt que de la procédure d’examen qui ne fait que constater la force de celui-ci. En revanche, une procédure d’examen renforcée ne peut que pousser les déposants à réévaluer leurs dépôts et les expurger de ce qui pourrait les rendre fragiles sur le fond comme sur la forme. De ce point de vue, la procédure américaine étant très approfondie, fondée sur de nombreux échanges entre examinateur et déposant et de surcroît très coûteuse permet généralement de faire émerger des brevets d’une plus grande qualité. Parallèlement, alors que la procédure américaine est souvent critiquée pour sa lenteur ainsi que son coût, la loi PACTE ne semble pas présenter la garantie que la nouvelle procédure instituée ne suivra pas le même chemin. Parallèlement au renforcement de la procédure d’examen par l’INPI des demandes de brevets d’invention, la loi PACTE opère des changements qui semblent peu susceptibles de rendre le régime français plus attractif pour les déposants.

 

La mise en place d’une procédure d’opposition et l’allongement des délais de prescription des actions en nullité d’un titre de propriété industrielle :

 

En matière de propriété intellectuelle, une procédure d’opposition permet à un tiers (intéressé ou non) de formuler une opposition à suite de la délivrance d’un titre. La loi PACTE adopte l’idée qu’un contrôle accru de l’INPI lors de la procédure d’examen, combinée à la possibilité d’une opposition par des tiers, rend le régime français de la propriété industrielle plus attractif.

C’est l’article 121 du projet de loi PACTE telle qu’adoptée par le Parlement qui énonce la création d’une procédure d’opposition aux brevets d’invention d’ores et déjà délivrés par l’INPI. Ceci afin de permettre la révocation ou la modification d’un brevet existant. L’article mentionne également la nécessité de prévenir le risque d’abus d’une telle procédure d’opposition, afin que les droits sécurisés ne soient pas bafoués. Il s’agirait ici de renforcer la valeur du brevet d’invention français en le soumettant à une procédure contradictoire telle que celle mise en place par l’Office Européen des Brevets. Les seules procédures existantes aujourd’hui sont en contrefaçon et nullité et se déroulent devant le Tribunal de grande instance de Paris. Une procédure d’opposition existait pourtant déjà devant l’INPI en matière de marques. Plusieurs questions restent néanmoins en suspend car le texte, incomplet, se repose sur les futurs décrets d’application. Il s’agit des délais, des motifs d’opposition (défaut d’activité inventive), le coût d’une opposition, les voix de recours ainsi que celle de l’intérêt à agir. En effet, sur ce dernier point, l’office européen des brevets ne prévoit pas la nécessité d’un tel intérêt, prévu par l’article 31 du code de procédure civile. En revanche, le recours aura vraisemblablement lieu comme c’est déjà le cas pour les autres décisions prise par l’INPI, devant le TGI de Paris.

La procédure d’opposition à l’enregistrement d’un brevet d’invention existe déjà dans de nombreux pays européens : Espagne, Suisse, Allemagne, Italie entre autres. Aux Etats-Unis, une telle procédure est disponible sous l’appellation « post-grant review ». C’est la section 321 du titre 35 du United States Code qui énonce que toute personne n’ayant aucun droit relatif à un certain brevet détient la possibilité de déposer une demande de réexamen devant l’USPTO moyennant une certaine somme d’argent, déterminée en fonction du coût d’un tel examen. Une telle demande ne peut être déposée lorsque 9 mois ont passé depuis d’attribution d’un patent. En revanche, en cas d’échec d’une telle procédure, le demandeur peut faire appel devant le district fédéral (Washington D.C.) qui est le seul district compétent en matière de brevet (mis à part la Cour Suprême), seulement s’il justifie d’un dommage (« injury in fact ») en démontrant qu’il est « inévitable » et « concret ». Le droit américain des brevets ne laisse donc que peu de place au risque d’une opposition formulée de mauvaise foi par un tiers et possède une procédure d’opposition très proche de celle mise en place par la loi PACTE. En revanche, le patent américain jouit d’une présomption de validité très puissante, qui relativise le risque présenté par une opposition (Microsoft Corp. v. i4i Ltd. Partnership). Cette approche consacrée par la Cour Suprême renforce l’exigence d’un dossier de preuves épais pour celui qui conteste la validité d’un brevet. La question est donc de savoir quelle sera la position française sur ce point et pour quelle influence sur la procédure d’opposition (ainsi que sur l’action en nullité). A noter que certains auteurs voient un artifice dans cette présomption de validité, qui ne renforcerait pas un brevet, celui-ci n’étant valable que du fait de sa qualité d’élaboration.

Concrètement, la mise en place d’une mesure d’opposition à un brevet devant l’INPI est une étape supplémentaire dans l’harmonisation avec le droit européen de la propriété industrielle qui s’opère par un rapprochement vers les règles déjà établie par l’OBE. Elle pose néanmoins la question d’un potentiel abus de droit par des tiers malintentionnés. Il faudra nécessairement prendre en compte ce risque lors de la mise en place des mesures d’application quant au délai et au coût de la procédure, qui se devront d’être dissuasifs. Le rajout d’une procédure d’opposition vise principalement à faciliter les recours formulés par les tiers. Pour ces derniers, les sommes engagés devraient être moindre et les délais d’opposition rapides, dans le cas où la délivrance d’un brevet gêne leurs activités. Néanmoins, la nouvelle procédure d’examen compense cette dernière et ne devrait pas laisser les titres récemment conférés à la merci de la première opposition formée. Menée devant l’INPI, l’opposition permettra aux tiers de bonne foi de contester un titre devant une autorité spécialisée et non devant un juge du tribunal de grande instance, renforçant dès alors la légitimité du titre victorieux. La loi fait également le pari que lorsque le délai d’opposition prendra fin, la validité d’un brevet apparaîtra comme renforcée, favorisant la sécurité juridique des brevets d’invention les plus solides. Concrètement, il faut espérer que cela mènera à une présomption de validité renforcée pour les titres restants pour atteindre un effet dissuasif pour les tiers.

Toujours dans un contexte d’harmonisation avec le régime européen, la loi PACTE (article 124) ne prévoit plus aucun délai de prescription pour les actions en nullité (devant un juge civil) d’un titre de propriété industrielle (brevet à l’article L615-8-1 du CPI) alors que la réforme du 17 Juin 2008 plaçait auparavant celui-ci à cinq ans. Cette mesure va à l’encontre d’un renforcement du brevet d’invention français car il pourra être remis en cause à tout moment. Il en est de même aux États-Unis où le USPTO peut reçoit une demande de réexamen « Inter Partes Review » pendant toute la durée de vie d’un brevet. Néanmoins une telle procédure voit sa recevabilité conditionnée à un examen de fond. En effet l’USPTO demande que la requête présente des grandes chances d’aboutir « reasonable likelihood that the petitioner would prevail » (35 U.S.C. §311 - §319). Elle est disponible en corolaire de la « post-grant review » lorsque le délai limite de celle-ci est expiré (9 mois). La possibilité d’user de cette procédure de manière abusive est sensiblement réduite par des frais administratifs prohibitifs (17000 dollars environs). A noter que depuis la réforme instituant l’inter partes review ayant entre autres plus que doublé le prix de la procédure, le nombre de demandes similaires à chuté de moitié. Il est ici apparent que si la loi PACTE affiche la volonté de rendre le brevet français plus attractif, cet objectif se conjugue mal avec les mesures d’harmonisation que celle-ci contient. Un rapprochement de la législation française avec les règles de l’OEB, sans une politique sensiblement tournée vers la prévention du « patent troll » comme celle mise en place par les Etats-Unis à partir de 2012, ne peut pas être bénéfique pour amener les entreprises vers le brevet d’invention français. A choisir entre le brevet français et le brevet à effet unitaire européen, aux règles désormais plus proches mais au spectre de protection incomparable, il y a de fortes chances que le brevet français ne fasse plus le poids en particulier pour les entreprises étrangères.

 

Conclusion et perspectives d’avenir :

Les changements mis en place par la loi « PACTE », entrant en vigueur à l’été 2020, affichent l’ambition de changer de manière profonde le régime français de la propriété industrielle en parallèle à la mise en place progressive du brevet européen à effet unitaire. D’une part les changements opérés semblent dirigés essentiellement vers les petites et moyennes entreprises car : Le renforcement du certificat d’utilité vise les entreprises n’ayant pas forcément les moyens d’investir systématiquement dans un dépôt de brevet et leur offre une véritable alternative. En effet, ces certificats réinventés restent abordables, permettent une véritable protection d’appoint et acquièrent la capacité d’être transformés en brevets à proprement parler. De plus les PME disposent désormais d’une procédure administrative moins longue et moins couteuse pour contester les critères d’admissibilité d’un brevet dans le cas d’un conflit avec un concurrent. Tous ces changements illustrent la volonté d’inciter les entreprises de petite taille à innover (ou simplement à déposer des demandes) en leur apportant la flexibilité dont elles ont besoin. Sur cet aspect, la loi semble à première vue réussie. On notera qu’en l’absence de certificat d’utilité et disposant d’une procédure de demande de brevet qualitative mais très couteuse, le système américain de la propriété industrielle, porté par les grands groupes, n’adopte pas cette démarche.

Quant à la réforme du brevet d’invention en lui-même, elle ambitionnait de redonner une certaine attractivité au brevet d’invention à proprement parler. Le brevet français rentrerait dans la catégorie des brevets dits « forts », comme l’utility patent américain. Si la nouvelle procédure d’examen devant l’INPI est de nature à renforcer la valeur intrinsèque du brevet accordé, la mise en place d’une procédure d’opposition peut être perçue comme allant dans le sens contraire. Le législateur semble faire le pari que celle-ci, plus rapide et accessible pour les tiers, permettra d’écarter plus rapidement les risques de remise en cause des brevets les mieux élaborés, leur transférant ainsi une présomption de validité. Le bilan sur la sécurité juridique du brevet d’invention français reste néanmoins mitigé lorsque l’on prend en compte le fait que la loi consacre définitivement la fin de toute prescription d’une action en nullité. La mesure aura au moins le mérite de faciliter l’élimination des titres obtenus sans droit, ce qui satisfera les adeptes d’une concurrence saine. Il est en revanche trop tôt pour affirmer si ces mesures auront un quelconque effet sur le nombre de brevets déposés par les entreprises françaises. En effet, l’idée même que les adaptations d’un régime de droit de la propriété industrielle puissent être un facteur déterminant dans un processus complexe comme celui de l’innovation est bien débattue. Les stratégies d’entreprises propres à l’innovation, par exemple concernant la rétribution financière des déposants, sont plus à même d’inciter ces derniers à innover. De plus, l’approche utilisée pour justifier une évolution du régime se focalise sur le nombre de demandes et délaisse une analyse moins superficielle portant sur la qualité des demandes effectuées. Alors qu’un brevet ne devrait pas exister en dehors d’une véritable innovation, la réalité est bien plus contrastée. En définitive, la refonte annoncée du brevet d’invention français semble presque malgré elle essentiellement consister en une harmonisation avec les règles en vigueur à l’échelle européenne, (suivant les règlements européens formant le « paquet brevets ») le brevet français se calquant ostensiblement sur son analogue européen pour ce qui est du renforcement de la procédure d’examen et de la mise en place de l’opposition. Pourtant, le brevet français évolue dans un « écosystème » dans lequel le brevet européen est un concurrent puisqu’il fait de l’obtention d’un titre dans un pays membre une simple formalité administrative. A ce titre, la stratégie des entreprises concernant le brevet français pourrait être affectée négativement par cette loi. En effet, pour beaucoup d’entre elles, il s’agissait jusqu’alors d’enregistrer un titre en droit français à titre préalable, car plus facile à obtenir avant de poursuivre par une demande de brevet européen ou international. En effet, sans effet unitaire le brevet européen doit être enregistré dans chaque pays où la protection est souhaitée, ce qui peut impliquer des coûts très importants (notamment de traduction). Seul l’avenir dira si cet intérêt stratégique pour le brevet français demeurera après l’entrée en vigueur de la réforme et face au nouveau brevet européen à effet unitaire. Il faudra également surveiller la mise en place de la nouvelle procédure d’examen devant l’INPI, qui devra afficher un coût abordable ainsi que des délais favorables aux entreprises. Elle devra également être assortie de garanties contre la possibilité de formuler des oppositions sans autre intérêt à agir que de gêner la concurrence. Enfin, on peut craindre un double effet négatif sur le niveau d’octroi du brevet d’invention français. Les grandes entreprises pourraient délaisser ce dernier pour une procédure purement européenne ou internationale et les PME se tourner vers le certificat d’utilité réinventé. Un scénario tout à fait probable serait que le brevet d’invention français ne résiste finalement pas à l’émergence du brevet européen à effet unitaire dont le coût devrait rester raisonnable, pour une protection dans les 25 Etats signataires des accords.

 

 

 

 

 

 

Sources et bibliographie sélective :

www.economie.gouv.fr : La loi Pacte adoptée par le Parlement. lien: https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte

www.conseil-constitutionnel.fr : Décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019 « Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris ». lien: https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/20191RIP.htm

www.senat.fr : Avis sur la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur» du projet de loi de finances pour 2018 de M. Daniel DUBOIS, sénateur de la Somme. lien: https://www.senat.fr/rap/a17-109-5/a17-109-5-syn.pdf

www.usinenouvelle.com : Les PME Allemandes protègent mieux leurs technologies. lien: https://www.usinenouvelle.com/article/les-pme-allemandes-protegent-mieux...

www.francebrevets.com

www.wipo.int : Statistiques de propriété intellectuelle par pays. lien: https://www.wipo.int/ipstats/fr/statistics/country_profile/

www.uspto.gov : Post Grant Review. lien: https://www.uspto.gov/patents-application-process/appealing-patent-decis...

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