Le don de denrées comme outil de lutte contre le gaspillage alimentaire. Une analyse comparée franco-italienne.

Résumé : Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, le don de denrées se révèle l’une des mesures les plus efficaces. Des efforts ciblés dans cette direction sont menées aussi bien au niveau international qu’européen. Mais c’est surtout au niveau national que la majorité de ces actions peut être réalisée. Cet article vise à analyser les réglementations en la matière en France et en Italie.

Le gaspillage alimentaire est un enjeu pressant dans notre temps. Au niveau mondial, selon l’étude « Global food losses and food waste » de la FAO de 2011, chaque année 1,3 milliard de tonnes d'aliments destinés à la consommation humaine sont gaspillées. Le gaspillage a lieu tout au long de la chaîne alimentaire. Parmi les 17 objectifs du développement durable adoptés par l’Assemblée générale de l’ONU le 25 septembre 2015, le douzième objectif (Établir des modes de consommation et de production durables) aborde la question du gaspillage alimentaire. Cet objectif vise à réduire les déchets alimentaires de la moitié au niveau international d’ici à 2030 par la prévention, la réduction et le recyclage.

Au niveau européen, selon le projet Fusions du 2016 (Estimates of European food waste levels), créé dans le cadre du septième programme-cadre de recherche et de développement technologique de l’Union Européenne, chaque année nous assistons à un gaspillage de plus de 88 millions de tonnes de denrées alimentaires. Afin de lutter contre cette tendance, depuis quelques années, l'Union Européenne a mené plusieurs actions ayant pour but la lutte contre le gaspillage alimentaire, par exemple dans le plan d'action pour l'économie circulaire. L’un des objectifs le plus important est celui de réduire les déchets alimentaires de 30 % d'ici à 2025, et de 50 % d'ici à 2030, par rapport aux niveaux de 2014, comme prévu par la Résolution du Parlement européen du 16 mai 2017 sur l’initiative relative à l’utilisation efficace des ressources : réduire le gaspillage alimentaire, améliorer la sécurité alimentaire.

Toutes les initiatives internationales comme européennes ont considéré le don alimentaire comme un élément essentiel pour limiter le gaspillage alimentaire. Le don alimentaire est la récupération des aliments invendus et encore consommables et leur redistribution gratuite aux personnes démunies. Donc, le don des denrées alimentaires est un moyen essentiel pour réduire le gaspillage alimentaire et, en même temps, atténuer la pauvreté alimentaire et l'exclusion sociale.

Plusieurs États membres de l’Union européen ont adopté des réglementations anti-gaspillage alimentaire en prévoyant souvent des possibilités de don alimentaire. Nous étudierons dans cet article, les législations française et italienne en la matière (I), en mettant en évidence leurs limites et leurs aspects à améliorer (II).

I – DEUX MODELES DIFFERENTS ENCADRANT LE DON ALIMENTAIRE 

Dans la même période, la France (A) et l’Italie (B) ont adopté deux réglementations très différentes relative au don alimentaire.   

A - La loi française de 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire
 

La loi n° 2016-138 du 11 février 2016 ajoute au code de l’environnement (et en particulier à la section 3 du Chapitre Ier du titre VI du Livre V), une sous-section (1 bis) intitulée « Lutte contre le gaspillage alimentaire ». Tout d’abord, le nouvel article L .541-15-4 du code de l’environnement expose par ordre de priorité les mesures à prendre pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Il s’agit de la prévention, l’utilisation des denrées alimentaires invendues par don ou transformation, leur destination pour l'alimentation animale et la production de compost destiné à l'agriculture ou à l’utilisation à fin énergétique. Nous constatons que « l'utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation » représente la deuxième mesure par ordre d’importance. Ensuite, selon l’article L. 541-15-5-I du même code, les distributeurs du secteur alimentaire doivent agir en respectant la susdite hiérarchie. De plus, la loi prévoit l’interdiction, pour les sujets susmentionnés, de rendre impropres à la consommation les denrées alimentaires encore consommables et de se débarrasser des aliments invendus.

La nouvelle loi ajoute que le don alimentaire, prévu par une convention entre une association et un opérateur du secteur alimentaire, ne peut pas être interdite par une stipulation contractuelle.
Si la surface d’un commerce de détail alimentaire est supérieure à 400 m2 (comme prévu par le premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972), tout don alimentaire doit être réglé par une convention. A ce sujet, la loi prévoit aussi que les susdites commerces de détail doivent proposer une convention aux associations caritatives (habilitées par l’autorité administrative selon l'article L. 230-6 du code rural et de la pêche maritime). Pour appliquer et préciser ces dernières dispositions, l’adoption d’un décret est prévue. A cet égard le Décret n° 2016-1962 du 28 décembre 2016 a été adopté. Ce décret ajoute une section 23 à la partie réglementaire du code de l’environnement. Il précise les conditions en vertu desquelles les denrées alimentaires peuvent être données et notamment dans les hypothèses où les aliments ont une date limite de consommation ou lorsque l’étiquetage n’est pas correct. Le décret définit aussi le contenu que la convention de don entre un commerce de détail alimentaire et une association d’aide alimentaire doit avoir, comme, par exemple, les modalités de transport, de stockage et de traçabilité. 

Enfin l’article L. 541-15-6-I du code de l’environnement prévoit que si la susmentionnée convention de don n’a pas été adoptée dans un délai donné, une amende pour les contraventions de troisième classe est encourue. En outre, des sanctions sont aussi prévues pour punir les distributeurs alimentaires qui détruisent volontairement les denrées alimentaires encore consommables : en l’espèce, il s’agit d’une amende de 3 750 € et d’une peine complémentaire de diffusion de la décision prononcée. Les articles suivants de la loi traitent d’autres aspects de la lutte contre le gaspillage alimentaire.

 

B- La loi italienne n.166 de 2016

La loi 166/2016 dite "loi Gadda" a pour but de réduire le gaspillage alimentaire et, en même temps le gaspillage d’autres produits (par exemple les médicaments). Par son article 1 a, elle vise à favoriser le don alimentaire pour une finalité sociale. Ce sujet avait été déjà partiellement réglé par plusieurs lois concernant les différents aspects du don alimentaire. Toutefois la loi de 2016 a le mérite de « réorganiser » le cadre réglementaire, avec des mesures de simplification, d'harmonisation et d'incitation. 

Tout d'abord, la loi 166/2016, dans son article 2, donne des définitions plus précises, par exemple du don, du gaspillage alimentaire et des opérateurs du secteur alimentaire.
Ensuite, elle prévoit que les opérateurs du secteur alimentaire puissent donner gratuitement le surplus alimentaire à des sujets publics ou privés, ayant un but non lucratif, lesquels, à leur tour, vont le redistribuer prioritairement aux personnes démunies.  La loi clarifie que les aliments, ayant un étiquetage erroné, mais qui ne concerne pas la date limite de consommation ou les produits allergènes, peuvent être donnés. Il est important de souligner que le don en question est possible même au-delà de la date de durabilité minimale, à condition que l'intégrité de l'emballage et les conditions de stockage appropriées soient garanties.

Grace à cette loi, il est possible aussi de donner le pain invendu dans les 24 heures suivant sa production et les produits agricoles non récoltés ou laissés sur les champs.

D’ailleurs, il est prévu que les opérateurs du secteur alimentaire doivent respecter des bonnes pratiques pour assurer la sécurité hygiénique et sanitaire des aliments donnés, comme prévu par le Règlement (CE) n° 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires. Les susdits opérateurs sont responsables de la sécurité hygiénique et sanitaire des produits jusqu’au moment de la cession aux associations ayant un but non lucratif qui s’occupent de la distribution. A propos de ces dernières, l'une des plus importantes innovations est celle qui élargit le nombre des sujets qui peuvent redistribuer les denrées alimentaires données aux démunis, par rapport à la réglementation précédente.

En outre, la loi propose toute une série d'activités pour la promotion de comportements et de mesures visant à réduire les gaspillages alimentaires, au niveau national et local.

Enfin, elle accorde des avantages fiscaux et des simplifications des procédures administratives aux sujets intéressés : par exemple, les municipalités peuvent réduire les taxes sur les déchets aux entreprises qui décident de donner, ou encore, les formulaires écrits ne seront pas nécessaires pour les dons gratuits de produits alimentaires et pharmaceutiques.

II- REMARQUES CRITIQUES SUR LES DEUX DISPOSITIONS LEGISLATIVES

Tout d’abord nous comparerons les deux réglementations (A) pour ensuite mettre en évidence les limites et les possibilités d’amélioration (B)

A- Comparaison entre les deux réglementations

Nous pouvons affirmer que les deux réglementations ont une logique diamétralement opposée. Dans le cas français, des obligations et des interdictions sont prévues pour les distributeurs du secteur alimentaire et le commerce de détail alimentaire possédant certaines caractéristiques. Si ces obligations ne sont pas respectées, les sujets concernés sont sanctionnés. Par conséquent, dans cette situation, les sujets concernés sont obligés à donner. Par contre, dans le cas italien, toutes les opérations prévues par la loi sont faites sur une base volontaire : des avantages sont prévus pour favoriser le don des denrées alimentaires : il s’agit d’une législation basée sur les incitations et la valorisation de bonnes pratiques. Parce que les deux réglementations sont très récents, il faudra attendre quelques années et des données plus précises pour juger de l’efficacité de ces deux différentes méthodes.

Nous pouvons remarquer d’autres différences. 

Premièrement, dans la loi italienne, nous ne trouvons pas une hiérarchie des actions pour lutter contre le gaspillage alimentaire, contrairement à la loi française où ceci est prévue expressément. Plusieurs articles de la réglementation italienne affirment que les excédents alimentaires impropres à la consommation humaine peuvent être utilisées comme aliments pour les animaux et pour l'auto-compostage. Toutefois il serait souhaitable d’indiquer un ordre de priorité plus claire dans les mesures à prendre pour lutter contre le gaspillage.

Deuxièmement, aucune définition précise sur les notions fondamentales (par exemple du don, du gaspillage alimentaire et des opérateurs du secteur alimentaire) est présente dans la réglementation française, alors que dans la réglementation italienne, on définit exactement ces notions (dans le deuxième article). La réglementation française devrait en tenir compte pour réduire au minimum le risque d'interprétation et fournir des informations précises aux sujets concernés.

Par ailleurs, l’Italie n’a prévu aucun décret d'application pour la loi, tandis que la France l’a fait : effectivement le décret 2016 a le mérite de préciser un certain nombre d'éléments essentiels à respecter, comme nous l’avons mentionné précédemment.

Au-delà de toutes ces différences, les deux réglementations ont des points communs comme l'attention portée aux actions d'éducation et à la promotion des bonnes pratiques concernant la lutte contre le gaspillage alimentaire.

B- Les limites et les aspects à améliorer

Le gaspillage alimentaire s’effectue pendant toute la chaine alimentaire. Mais la loi française du 2016 ne concerne « que » les supermarchés de plus de 400 mètres carrés.
Depuis la loi de 2016, la France a complété et élargi sa réglementation en la matière, par exemple avec la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (qui modifie les articles L. 541-15-5 et L. 541-15-6 du code de l’environnement), qui étend  les dispositions de la loi de 2016, concernant le don alimentaire, à certains opérateurs de l'industrie agroalimentaire et de la restauration collective. Elle se rapproche de cette manière de la réglementation italienne.

  En revanche, la réglementation italienne du 2016 est plus complète que la réglementation française, car elle ne concerne pas seulement la grande distribution, mais aussi d’autres opérateurs de la chaine alimentaire. La réglementation italienne pourrait encore se perfectionner, par exemple, en ce qui concerne l’amélioration des contrôles sur la qualité des aliments donnés.

De plus, les deux règlementations italiennes et françaises pourraient être améliorées à travers la mise en place de moyens de partage des bonnes pratiques, suivant l’exemple de l’Union Européenne.  La Commission Européenne a réalisé en 2016 la EU Platform on Food Losses and Food Waste : il s’agit d’une plateforme virtuelle qui, entre autres choses, permet l’échange des pratiques vertueuses des États membres sur le don alimentaire. La France et l’Italie participent déjà à cette plateforme : mais il serait souhaitable que les deux États réalisent une plateforme nationale pour mieux développer les bonnes pratiques au niveau local.

  

En conclusion, nous pouvons affirmer que, même si les réglementations italienne et française peuvent être améliorées, actuellement, elles représentent deux modèles à suivre pour les États qui n’auraient pas adopté de réglementations similaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie 

 

Ouvrages spécialisés  

MUSELLA M., VERNEAU F., Il contrasto allo spreco alimentare tra economia sociale ed economia circolare, Torino, Giappichelli Editore, 2017.

PARISIO V., Food safety and quality law: a transnational perspective, Torino, Giappichelli Editore, 2016.

SQUILLACCI F, (H)ave Cibus. Le nuove frontiere del diritto alimentare, Padova, Primiceri Editore, 2017.

 

Articles
 ARCURI, S. “Food poverty, food waste and the consensus frame on charitable food redistribution in Italy”, Agric Hum Values 36, pp. 263–275 (2019).

BEAUSSONIE G., SEGONDS M., « Ordonnance n° 2019-1069 du 21 octobre 2019 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2019, n° 4, pp. 889-890.

CHEVALIER E., « Le 7e programme d’action pour l’environnement de l’Union européenne ‘Bien vivre, dans les limites de notre planète’ : un modèle européen en quête de légitimité », Revue juridique de l’environnement, 2015/2 (Volume 40), pp. 298-309.

COPPO G., “Le donazioni alimentari: pratiche virtuose di sostenibilità”, Iuav giornale dell’università, 2018, p. 2.

YOUNAN M. D, « Gaspillage alimentaire et équilibre nutritionnel », Option/Bio Volume 27, Issues 541–542, April 2016, pp.  4-5

MANUS J., « Gaspillage alimentaire : une affaire d’État ? », Revue Francophone des Laboratoires Volume 2017, Issue 491, April 2017, p. 74.

MASSINA M. et GOJARD S., « Le gaspillage alimentaire dans les foyers français », Cahiers de Nutrition et de Diététique, Volume 54, Issue 4, August 2019, pp. 240-246.

PATUREL D., « Le droit à l’alimentation durable, un nouveau droit ? », Forum, 2019/3 (n° 158), p. 36-44.

PEPE F., “Approvata la legge contro lo spreco alimentare”, Rivista di diritto alimentare, Anno X, numero 3, 2016, pp.  56-57.

ROUQUETTE L., « L’aide alimentaire en Europe », Pour la solidarité, 2017, pp. 12-15.

Règlementations 
 

International 

Nations Unies - Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 25 septembre 2015, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030
 

Européenne   

Résolution du Parlement européen du 16 mai 2017 sur l’initiative relative à l’utilisation efficace des ressources : réduire le gaspillage alimentaire, améliorer la sécurité alimentaire

Règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 modifié concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires
 

Française

 

Loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, JORF n° 0036 du 12 février 2016 texte n° 2

 

Loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés

Décret n° 2016-1962 du 28 décembre 2016 relatif aux dons de denrées alimentaires entre un commerce de détail alimentaire et une association d'aide alimentaire habilitée en application de l'article L. 230-6 du code rural et de la pêche maritime, JORF n° 0303 du 30 décembre 2016
texte n° 128

LOI n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF n° 0253 du 1 novembre 2018 texte n° 1

Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, JORF n°0035 du 11 février 2020 texte n° 1
 

Italienne 

Loi 166/2016 Disposizioni concernenti la donazione e la distribuzione di prodotti alimentari e farmaceutici a fini di solidarietà sociale e per la limitazione degli sprechi. (16G00179) (GU Serie Generale n.202 del 30-08-2016)

 

 

Sites internet

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/gaspillage-alimentaire-0    (24 avril 2020)

https://agriculture.gouv.fr/don-alimentaire-un-modele-de-convention-entr... (1 mai 2020)

https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/development-agenda/  (1 mai 2020)

https://ec.europa.eu/food/safety/food_waste_en     (7 mai 2020)

http://www.patriziatoia.info/images/ebooks/Dallo_spreco_al_dono.pdf (27 avril 2020)

https://www.banquealimentaire.org/  (7 mai 2020)