LE GOUT DE LA NECTARINE : L’amour au temps de la PMA

Avec onirisme, Lee Lai raconte les dommages collatéraux d’une séparation amoureuse. Sans trame narrative particulière, avec des scènes dialoguées, rythmées par les silences.  La force du récit, ce sont ces petits moments de vie simples qui racontent des relations compliquées, et un choix de graphisme sobre : quatre cases par page ou de grandes doubles pages, un trait noir délicat, un bleu-gris brumeux.

 

Deux femmes, Max et Bron, s’aiment d’un amour inconditionnel. Leur vie est rythmée par la garde de la petite Nessie, la nièce de Max. Transformées en monstres aux allures de lézards, elles arpentent la forêt, grisées par la vitesse et la chasse d’un chien argenté. Malgré ces moments d’échappatoire où l’imaginaire débordant de la petite Nessie les entraîne, le couple est au bord de la rupture. Ces deux femmes ont appris à se soutenir coute que coute, avec tendresse et empathie. Mais un mal habite Bron, qui ne sait plus comment aimer Max. Cette dernière la porte à bout de bras : quand la société nous rejette, créant des relations d’interdépendance, paradoxalement fragiles. Le poids du regard des autres l’écrase. Surtout celui de sa famille catholique et conservatrice. Ses parents n’accepte pas sa transition, son homosexualité, et le fait que leur fille vive avec une femme racisée : le fossé n’a cessé de se creuser entre eux jusqu’à ce que le lien se rompe. Max, elle, ne sait plus comment communiquer avec sa sœur qui voit son amour avec Bron d’un mauvais œil. La réalité de leur vie, entre rejet et tensions familiales les rattrape et les ramène sous forme humaine. Bron et Max s’aiment, mais quelque chose se brise. Le politique s’est vicieusement engouffré dans cette faille qui maintenant les sépare. Tout en finesse et sans jugement, Lee Lai traite de sujets très actuels : la lesbophobie et la transphobie des proches, le racisme, et surtout, ce qui fait famille. Ce qui est plaisant dans Le goût de la nectarine, c’est que l’autrice ne cantonne pas les relations LGBT au coming out. Elle parle de l’après et ça fait du bien : la vie des personnes LGBT, c’est autre chose que la sortie du placard.

Au début, on pourrait croire que Nessie est leur fille. Ce qui soulève des questions : qu’est ce qui fait famille, au fond ? Celle qu’on a choisi ou celle avec qui on s’efforce de garder le lien ? Pour la petite Nessie, c’est une évidence. Bron et Max sont comme elles sont, l’aiment, s’occupent bien d’elle. Ça, c’est une famille. Mais est-ce que la naïveté des enfants suffit à sauver les meubles ?

Dès les premières pages, l’image du monstre est saisissante par ce qu’elle nous raconte : être monstre c’est être soi-même. Mais c’est aussi une manière pour l’autrice de parler de ce que c’est que d’être à la marge : comme Max et Bron, couple lesbien. Pour Bron, aux yeux de la société, c'est la double peine. On apprend au chapitre deux qu'elle est transgenre, ce qui l'a éloignée de sa famille . 

Ce qui frappe aussi, c’est la représentation des corps de ces deux femmes, éloignés des stéréotypes qui leur sont assignés. Une représentation qui fait du bien : avec des poils, des cernes, des bourrelets… Des corps considérés comme monstrueux, même sans leur allure amphibienne. Cette représentation des corps loin des normes se retrouve dans tout le travail de Lee Lai. 

Leur rupture va les obliger à renouer avec leur sœur respective, pour retrouver le sens de la famille, celle des liens du sang, celle qui est imposée. Quand les vieux démons de Bron ressurgissent, son obsession de renouer avec sa famille la pousse à quitter Max, et à partir rejoindre sa famille qui l’a reniée ; mais les choses ne se passent pas comme prévu. « Je ne sais pas ce que tu cherches en revenant ici » lui dit sa mère, qui restera froide et muée dans l’incompréhension de sa fille, alors que celle-ci s’efforce de faire un pas vers elle. Bron ne trouvera refuge qu’auprès de sa petite sœur, Gracie, adolescente en pleine crise identitaire. Gracie, avec ses mots, se fait l’intermédiaire entre Bron et ses parents qui ne savent plus comment se parler. Max, de son côté, doit apprendre à vivre avec le manque et n’aura d’autre choix que de se tourner vers sa sœur à elle, Amanda, la mère de Nessie. Représenté par une double page qui fait le parallèle entre les deux sœurs, Max et Bron réapprennent peu à peu à se réconcilier avec leur famille imposée. Rien n’est facile, et l’autrice nous montre la complexité de leurs rapports à travers des petits moments très signifiants : une sortie au cinéma, fumer une cigarette sur une balançoire en silence… 

L’autrice ne juge pas ses personnages, elle les regarde évoluer avec leurs défauts et leurs idées bien arrêtées. On comprend alors que le retour de Bron chez elle n’aura pas vraiment de fin heureuse, puisque ses parents restent fermés. Mais l’important est fait : essayer. 

Max, qui vit avec la lourdeur de sa tristesse, n’a d’autre choix que de s’ouvrir à sa sœur, Amanda. Leurs réalités respectives n’arrivaient plus à communiquer : la sœur de Max, mère célibataire de la petite Nessie, ne trouve plus sa place ntre Max et Bron, qui semblent de rendre Nessie plus heureuse qu’elle. Le lecteur attend un dénouement heureux pour les deux femmes, mais l’autrice ne nous le donnera pas. C’est ce qui est beau et authentique aussi, l’autrice ne cherche pas à nous donner une leçon de tolérance et d’ouverture. On ne sait pas si ses personnages trouveront résolution à leurs problèmes. Max et Amanda se réconcilient, mais ne deviendront jamais les meilleures amies du monde. Bron, après cette déception, décide de rentrer à la maison. 

Bron et Max marchent ensemble, derrière la petite Nessie, la seule qui réussit à les rassembler et à leurs faire tout oublier. Elles font le bilan : est-ce qu’on recommence tout à zéro ? 

 

 

 

 

 

 

 

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