Le consentement, par Vanessa Springora
Le consentement est une autobiographie écrite par Vanessa Springora. Dans cet ouvrage l’auteure revient sur sa relation traumatisante avec Gabriel Matzneff. Son récit débute dans les années 80, V. est une jeune fille qui “attend l’amour d’un homme”. Sa mère l’élève seule depuis le divorce de ses parents, son père est “un courant d’air” et elle comble son absence en se plongeant dans la littérature. Lorsqu’elle rencontre G.M. à un dîner mondain auquel sa mère l’avait trainée, elle est intriguée par l’attention particulière qu’il lui porte. Un vrai homme s'intéresse enfin à elle... mieux qu’un homme, c’est un écrivain. Agée de treize ans à l’époque, elle ne connaît pas la réputation sulfureuse de l’écrivain et c’est naïvement qu’elle tombe sous le charme de “cet homme de cinquante ans aux faux airs de bronze.” Omniprésent et obsédé par la jeune V., l’auteur fait tout pour provoquer leur rencontre: il lui écrit des lettres et rôde dans son quartier. Par la beauté de sa plume il réussit à l’avoir, V. qui vient de fêter son quatorzième anniversaire se donne corps et âme à G.M. Personne ne s’oppose fermement à cette relation, les menaces de la mère ou de la brigade des mineurs suffisent à renforcer cette idylle dangereuse en lui donnant des airs romanesques mais ne parviennent pas à y mettre un terme. La désillusion est alors terrible quand V. brave l’interdit imposé par G.M. et finit par lire ses romans les plus problématiques dans lesquels il révèle avec fierté son goût prononcé pour les jeunes filles et les très jeunes hommes...V. comprend qu’il collectionne depuis toujours les adolescents et qu’elle est un trophée parmi tant d’autres. Elle réalise également que, sous ses airs de charmant écrivain, G.M est un prédateur, protégé par le milieu littéraire et son statut d’intellectuel. La rupture est inévitable, nécessaire mais surtout impossible puisqu’après une douloureuse séparation le calvaire continu : l’écrivain ne cesse de réactiver ses souffrances à coup de nouvelle publication à son sujet et de harcèlement direct. Ce récit est libérateur pour Vanessa Springora qui tente de reprendre son histoire en main en l’écrivant à son tour. Mais en plus de nous raconter son passé traumatisant, l’auteure questionne les vices d’une époque où les mœurs doivent être libérées coûte que coûte parfois au prix de la sécurité des plus jeunes et la complaisance d’un milieu littéraire aveuglé par le talent et la renommée.
V., une proie idéale
Vanessa Springora divise son autobiographie en six parties: L’enfant, La proie, L’emprise, La déprise, L'empreinte et l'Écriture. Elle nous raconte à travers ces étapes de sa vie comment G.M. est parvenue à s’immiscer dans son existence pour finalement ne jamais véritablement en sortir. La seule étape dans laquelle G.M n’apparaît pas encore c’est l’enfance mais dans cette partie elle explique comment son vécu à fait d’elle la proie idéale pour ce prédateur.
Dans la première partie, l’auteure revient sur la séparation précoce de ses parents. Elle nous apprend que son père était un mari violent et un père démissionnaire dont elle a toujours tenté d’attirer l’attention, en vain. Chose que G.M comprend très vite. Son attirance pour un homme aussi âgé s’explique par ce manque à combler, lorsqu’elle décrit G.M. elle dit de lui qu’il est “un bel homme au sourire paternel”. V. souligne aussi l’importance de la littérature dans sa vie : sa mère travaille dans l'édition, elle a l’habitude de rencontrer des écrivains et elle est elle-même une fervente lectrice. Autre information que G.M. n’a pas manqué de noter puisque pour la charmer, il use de son talent : il lui écrit des lettres. Elle écrit elle-même “on n’échappe pas à son déterminisme”, son vécu et ses fréquentations ont fait d’elle la proie idéale pour G.M. Comment cet homme qui, a lui seul, répond à son besoin d’une figure paternelle et à son goût pour la littérature aurait-il pu la laisser indifférente? Sans oublier que V. n’a que treize ans à l'époque, elle n’a pas conscience de l’influence qu’un homme de cinquante ans peut avoir sur elle. Elle pense que les choses se déroulent naturellement sans comprendre qu’il est celui qui tire les ficelles, puisque lui, au contraire, sait très bien comment fonctionne les relations entre adulte et mineur. C’est avec du recul qu’elle en prend conscience : G.M. est un prédateur et il a fait d’elle sa proie.
V. et G.M.: pas une relation amoureuse, mais une emprise
C’est avec du recul que l’auteure réalise que si pour elle il s’agissait bien d’amour pour lui il était question d’assouvir un penchant. Pour la jeune V., l'âge ne comptait pas, elle aimait G.M pour sa personne, or, elle sait maintenant que c’est pour son âge que G.M “l’aimait”. Il n’était pas attiré par sa personnalité mais par sa jeunesse. Elle le perçoit aux surnoms affectueux qu’il lui donnait “mon enfant” “mon écolière”, à son goût pour son air enfantin; il ne manquait pas de la critiquer quand elle se maquillait et lui reprochait de vouloir se vieillir. La désillusion est totale lorsqu’elle lit enfin ses “romans interdits” et qu’elle découvre son amour pour les enfants : V. comprend que G.M. l’a vampirisée, ce qu’il aime chez elle c’est son jeune âge et sa virginité. C’est ainsi qu’il peut asseoir une autorité suprême sur son partenaire. L'auteure considère que G.M. s'est servi d'elle à des fins sexuelles et littéraires. Elle était sa nouvelle jeune conquête, faite pour satisfaire ses fantasmes et servir d'héroine pour son nouveau roman. Comme les précédentes et commes les prochaines. Elle assimile alors ce prédateur à la figure de l'ogre, pour elle G.M. représente ce monstre que les enfants ont toujours redouté.
Le statut d'artiste et ses privilèges
Dans son ouvrage, Vanessa Springora critique l'apathie de la société qui ne fait pas grand-chose pour mettre un terme à cette relation alors qu’elle est parfaitement illégale. Elle évoque les regards réprobateurs de certains passants lorsqu’elle se promène avec G.M., la réaction de sa mère quand elle apprend leur relation, les actions de la brigade des mineurs qui se contente de gentiment interroger G.M. sans jamais l’arrêter. Selon elle, si personne ne réagit c’est parce qu’à l'époque, après les manifestations de Mai 68, il est devenu interdit d’interdire. On ne peut donc pas interdire aux enfants d’avoir une sexualité. G.M. écrit lui-même une pétition pour défendre la dépénalisation des relations sexuelles entre adultes et mineurs, celle-ci est signée par de nombreux intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir. Ce besoin outrancier de liberté nuit fortement à la sécurité et au bien-être des plus jeunes qui ne sont alors plus vraiment protégés par les lois et les tabous. Mais c’est surtout son statut d’intellectuel et sa notoriété qui lui offre un passe-droit. Si les relations entre un adulte et un mineur de moins de quinze sont illégales, pourquoi personne n'arrête Matzneff qui se vante partout dans ces romans d’avoir des conquêtes âgées de moins de quinze ans? La société comme la communauté littéraire font preuve de complaisance face aux vices des Matzneff en raison de sa renommée et de sa belle plume. C’est certainement moins problématique d’écrire que l’on paye pour avoir des relations sexuelles avec des petits garçons à Manille si c’est fait avec une belle langue et un style endimanché. Comme l’écrit l’auteure: “le statut d’écrivain a protégé ce prédateur”, et il le protège encore. Gabriel Matzneff n’a jamais eu à répondre de ses actes, pas plus que Roman Polanski. La réflexion menée par Vanessa Springora entre cruellement en résonance avec l’actualité. Des artistes accusés de crime très graves continuent de recevoir des prix, de circuler librement, pourquoi cette impunité des artistes? L’auteure répond “Il faut croire que l’artiste appartient à une caste à part, qu’il est un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de toute-puissance, sans autre contrepartie que la production d’une œuvre originale et subversive, une sorte d’aristocrate détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle doit s’effacer”. Mais vraisemblablement rien ne justifie cela, il n’y aucune réponse valable: l’auteure le sait et le souligne.
L'ambiguité de son rapport livre
A cause de sa passion pour la littérature, entre autre, V. est tombée dans les filets de ce prédateur. Elle est aussi devenue malgré-elle l'héroine de bon nombre de ces écrits. Par la littérature, son identité a changé elle n'est plus Vanessa mais V. car c'est ainsi qu'il la désigne dans ses ouvrages ; elle a "quatorze ans pour la vie c'est écrit" puisqu'il a figé son existence sur le papier. Si c'est bien trois décennies plus tard que Vanessa Springora publie ce roman, il s'agit pourtant du témoignage de la jeune V. tout juste âgée de quatorze ans : l'auteure est enfermée à tout jamais à cet âge là. Gabriel Matzneff, dans ses livres, a fait d'elle une eternelle jeune fille de quatorze ans alors qu'il lui a arraché son enfance et son innocence. Ainsi, pour elle le livre est un poison. Mais le poison s'avère aussi être le remède. Malgré tout, Vanessa Springora finit par trouver un poste dans l'édition. Elle comprend aussi que l'écriture est sa seule chance pour guérir de ses blessures: "pour prendre le chasseur à son propre piège, il faut l'enfermer dans un livre". L'écriture est donc cathartique. Loin du style lyrique et prétentieux de son bourreau, elle rédige son témoignage avec un style introspectif et factuel qui en fait la force. Et elle achève son ouvrage avec un avertissement au lecteur très clair "La littérature se place au-dessus de tout jugement moral mais il nous appartient en tant qu'éditeurs de rappeler que la sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas atteint la majorité sexuelle est un acte répréhensible puni par la loi." Ce rappel à l'ordre répond à son analyse sur le statut de l'artiste : s'il n'appartient pas à la littérature de juger, cela ne doit jamais dispenser les écrivains de répondre de leurs actes face à la loi. C'est un fait qui, apparemment, doit être rappelé puisqu'il n'a pas été respecté.
Vanessa Springora par ce puissant récit relance le débat sur la complaisance de notre société face aux dérives de certains artistes au nom de leur talent tout en souligant que débat il ne devrait pas y avoir.