Les Carnets de Cerise, Une bande dessinée pas comme les autres
Les Carnets de Cerise, Une BD pas comme les autres
Une découverte fortuite
Le mois dernier j’ai découvert une pépite. Depuis, j’ai une passion pour les bandes dessinées jeunesses.
M’occupant des enfants des autres à droite à gauche, comme à mon habitude ; je suis tombée sur la bande dessinée de la petite fille dont j’avais la garde. Prise dans ma lecture, je me suis trouvée déçue de l’arrivée de la maman, signal de fin de ma lecture fascinante. La bande dessinée en question : Les Carnets de Cerise, tome 1, « Le zoo pétrifié », par Joris Chamblain et Aurélie Neyret, paru en 2012.
Couverture du premier tome des Carnets de Cerise
A priori, Les Carnets de Cerise est une bande dessinée à l’histoire plutôt banale : on suit les aventures de Cerise, 10 ans, qui mène ses petites enquêtes dans la ville où elle réside. Mais après quelques pages, la lecture devient toute autre. On se trouve embarqué dans cette aventure formidable de mots et d’images toutes plus colorées les unes que les autres.
Je me suis donc retrouvée à la bibliothèque du coin, à emprunter un tome après l’autre toutes les semaines, les dévorant telle une fanatique.
Un travail de mots et d’images
La bande dessinée Les Carnets de Cerise est composé de cinq tomes dont l’histoire se suit, mais où chacun raconte une aventure différente.
Dès le premier tome, le livre nous fait sentir qu’il y a plus à découvrir que cette petite enquêtrice qui résout les énigmes des passants. Une histoire cachée et plus émouvante encore, celle de Cerise elle-même, sous-tend tout le récit. Un tome des Carnets de Cerise commence ainsi : il s’ouvre sur le carnet que tient Cerise, son journal intime où elle raconte ses vacances, parle de ses amis, sa maman et ses mystères à résoudre, faisant ainsi la transition avec la bande dessinée en planches.
Mais là où Cerise évoque ses amitiés, ses craintes, ses doutes, ses pensées, le second parent de Cerise n’est jamais évoqué. Dans le premier tome, Cerise nous parle de la relation quelque peu houleuse qu’elle entretient avec sa mère. On comprend alors deux choses : qu’elle ne vit qu’avec sa mère et qu’il s’est passé quelque chose.
Joris Chamblain a su trouver les mots pour nous raconter cette histoire et en faire un récit profond et touchant sur ce que peut être la vie et les relations aux autres. Le travail artistique éblouissant de la dessinatrice Aurélie Neyret n’est pas en reste. Elle donne à chaque personnage sa particularité, lui trouve son propre éclat, son coup de pinceau particulier.
Le premier tome, celui qui invite le lecteur à se plonger dans cette aventure avec Cerise sans pouvoir ensuite y sortir avant la fin du tome 5, « Le zoo pétrifié », s’ouvre comme un spectacle de couleurs et de mots. Le lecteur se retrouve rapidement happé par l’histoire qui se déroule devant lui. Ce tome se concentre sur l’histoire d’un vieil homme, artiste-peintre non reconnu, qui peint à même la roche dans un espace naturel, autrefois zoo dans lequel il travaillait, des animaux, afin de les maintenir en vie et de se maintenir en vie lui-même face à une réalité difficile : le zoo, lieu plein de vie n’est plus, et lui, qui a vieilli, ne trouve plus sa place. Les peintures de l’homme, pleines de couleurs et de vivacité rendent notamment ce tome visuellement remarquable.
Planche du viel homme et l'une de ses peintures, "Le zoo pétrifié", Les Carnets de Cerise, tome 1
Les mises en abyme de la bande dessinée dans le texte ajoutent à son intérêt littéraire et pictural. Dans ce premier tome donc, le personnage de peintre permet de montrer le dessin dans le dessin, permettant ainsi à la dessinatrice de prendre des libertés et de changer de style le temps de quelques planches. Aussi l’écriture est sans cesse mise en abyme dans le texte où un des personnages principaux est elle-même romancière, et où l’activité préférée de Cerise est l’écriture d’invention avec son journal et la création de ses propres personnages et leurs mystères.
Une bande dessinée sincère et réaliste
Au fur et à mesure de la lecture, on découvre une bande dessinée sincère, qui ne cache pas à son jeune public les douleurs et obstacles que l’on peut connaître dans la vie. C’est une bande dessinée axée sur le passé et son poids dans le présent, qui l’illustre à travers les relations entre les personnages et par l’importance donnée au souvenir. Le genre de la bande dessinée, qui permet beaucoup d’interactions entre les personnages, est particulièrement adaptée à l’histoire de Cerise où la communication est toujours vectrice d’amélioration des relations et de résolution des problèmes. Aussi les émotions fortes que connait Cerise sont-elles, par le biais du dessin, mises en valeur et ancrées dans les corps.
Enfin, Les Carnets de Cerise ne reprend pas les codes traditionnels de la littérature jeunesse qui ne veut pas choquer les mœurs et faire outrage à la bienséance. Cerise n’est pas la petite fille modèle et classique des contes de fées ou de princesses. Cette bande dessinée, que je considère à titre personnel comme féministe et progressiste, met en avant une enfant plus qu’une petite fille. Cerise ne se réduit pas aux stéréotypes pourtant communs aux bandes dessinées jeunesses (notamment celles à destination d’un public féminin), sa personnalité se développe et se déploie à mesure de l’avancée dans le récit. La bande dessinée illustre les relations humaines en tout genre, elle prône l’acceptation et la diversité. L’auteur amène au sein du récit une histoire d’amour entre deux femmes, détail qui m’a semblé audacieux pour de la littérature jeunesse. Dans Les Carnets de Cerise, les relations et amitiés intergénérationnelles sont aussi omniprésentes, preuve de la capacité des auteurs à montrer une réalité hétéroclite.
La bande dessinée mêle réflexions philosophiques sur la vie et ses difficultés. Elle ne cache pas le quotidien, la vie telle qu’elle est, dans ses joies et ses peines, et elle le fait avec brio.
Le tome cinq met un point final à ce qu’on aimerait voir durer toujours. Le lecteur adulte reste avec ce double sentiment étrange de peine et de tendresse, à l’idée de voir s’achever cette histoire qu’il a suivie avec attention et bienveillance. Ce qu’il reste du récit est entre les mains de Cerise au dernier tome, personnage qui sort grandi de cette aventure (tout comme le lecteur), pour enfin parvenir à faire état de sa propre expérience, ayant acquis la maturité nécessaire pour le faire.
Dernière planche du tome 5, "La déesse sans visage", qui annonce le recentrement sur l'histoire personnelle de Cerise, Les Carnets de Cerise
Le synopsis des Carnets de Cerise présent sur la quatrième de couverture de chaque ouvrage est le suivant :
" Il était une fois...
Quand j'étais petite, je me suis fait la promesse que si un jour,
j'avais un journal intime, il commncerait comme ça.
Il était une fois... ben moi, Cerise !
J'ai dix ans et demi et mon rêve, c'est de devenir romancière.
Mon truc à moi pour raconter des histoires,
c'est d'observer les gens, imaginer leur vie, leurs secrets.
On a tous un secret enfoui que l'on ne dit pas, qui fait
de nous ce que nous sommes... En ce moment, avec les copines,
on observe quelqu'un de vraiment mystérieux..."
Pour résumer, Les Carnets de Cerise est une bande dessinée accessible, ce qui lui permet d’entrer dans la catégorie de littérature jeunesse, mais que je recommanderais aussi bien aux enfants qu’à leurs parents.