Macbeth au Téâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine


crédit photo : Michèle Laurent / Macbeth lors de son couronnement

5 ans après sa représentation en 2014 au Théâtre du Soleil,  grand classique du théâtre élisabetain par le génie shakespearien et mis en scène par l'incourtournable troupe d'Ariane Mnouchkine : Macbeth portrait d'un spectacle qui a marqué les esprits.

C'est à l'occasion du 50ème anniversaire de la compagnie du Théâtre du Soleil, qu'Ariane Mnouchkine décide de présenter un classique du théâtre élisabéthain : La tragédie Macbeth de William Shakespeare (écrite en 1606). Cette pièce met en scène la décadence et la transformation progressive d'un officier heureux et apprécié, Macbeth, en un monstre de cruauté, un tyran avide de pouvoir prêt à tout pour accéder à la gloire. Dans sa mise en scène, si Mnouchkine modernise et réactualise sa pièce par des décors spectaculaires et un travail du corps impressionnant, elle met en avant un aspect fondamental de la pièce : la place du surnaturel et la figure de la malédiction, qui est propre aux tragédies grecques.

 

Des éléments surnaturels.

Le début de la pièce s'ouvre sur une scène où l'on retrouve des femmes, des sorcières emmitouflées dans des sortes d'accoutrement de paille et peaux de bêtes, installant le spectateur dans une atmosphère un peu mystique. On retrouve le dialogue entre les trois sorcières, trois sœurs qui rappellent étrangement les trois Parques dans l'Antiquité (qui par leurs fils tenaient la vie des hommes entre leurs mains). Mnouchkine s'est inspirée pour l'apparence physique de ces dernières, des sorcières bretonnes.

Mnouchkine insiste sur l'aspect surnaturel des sorcières en les faisant apparaitre pour la première fois devant les yeux de Macbeth et Banquo comme des immenses poupées angoissantes par leurs têtes énormes et difformes. Cela donne  une impression de domination sur les hommes qui apparaissent inférieurs devant ces créatures de l'au-delà. Ces sorcières annoncent l'aspect étrange et fataliste de la pièce : les personnages ne seront pas maitres de leurs destins, contrôlés par une entité inconnue et supérieure.

Cette entité inconnue nous est présentée dans le texte comme un fantôme aux pouvoirs supérieurs. Dans sa mise en scène, Ariane Mnouchkine préfère laisser planer le doute sur l'identité de cette entité qui communique par l'intermédiaire d'un ordinateur, ce qui provoque un effet comique devant ce décalage ; mais surtout, elle présente cette entité comme venant de nulle part et ne l'associe ainsi ni au ciel ni à une quelconque référence "religieuse".

L'atmosphère mystique est constamment présente dans cette pièce, par exemple par l'évaporation des sorcières qui sortent de nulle part et sont partout à la fois.

Mais interrogeons-nous : de quelle manière dans les décors et les effets spéciaux Ariane Mnouchkine arrive-t-elle à créer une atmosphère angoissante pour le spectateur ?


crédit photo : Michèle Laurent

Une malédiction qui plane

Si, dans sa pièce, Shakespeare fait planer une astmosphère mystique grâce au thème de la malédiction introduite par les sorcières Ariane Mnouchkine, elle, s'applique à créer une ambiance terrifiante par ses décors, sa gestuelle, le son (qui est joué en direct) et les effets spéciaux, dans certains passages clés de la pièce.

Cependant, elle respecte le texte et ne cherche pas à montrer une situation initiale qui annonce la tragédie ; bien au contraire elle s'inspire de Shakespeare et présente au début de la pièce des scènes de joie avec la victoire de Macbeth et la bonne cohésion entre les personnages.

Dès l'annonce de la prophétie à Macbeth et son compagnon, une malédiction plane et contamine petit à petit l'espace scénique en le rendant de plus en plus inquiétant. On alterne alors avec des moments de joie comme le retour de Macbeth, son arrivée triomphante en hélicoptère,  avec des scènes plus inquiétantes comme  la réaction de Lady Macbeth après avoir appris la venue du roi et de Macbeth. Cette ambivalence crée une tension qui annonce la dégradation de l'histoire et l'érosion de ce bonheur trop parfait.

Dans cette fameuse Scène 5 de l'acte I,  où Lady Macbeth apprend le retour de son mari et l'arrivée du roi, on voit clairement le contraste entre le bien et le mal. Le mal se trouvant dans la nature au début comme s’il planait autour des Macbeth. On passe alors d'une roseraie accueillante, printanière, charmante à une scène de tourment ou des entités surnaturelles viennent troubler la tranquillité de la pièce par de nombreux effets spéciaux : un pot de fleurs qui s'écrase au sol, le vent qui se déchaîne et fait grincer et claquer la grille.

La lumière du jour éclatante, qui parait grâce à un plafond lumineux au-dessus de la scène, presque naturelle, décline d’un coup : de la fumée apparait comme un brouillard inquiétant dans ce jardin qui était quelques minutes auparavant si accueillant. Le spectateur se sent alors oppressé devant ce jardin qui semble habité par des esprits frappeurs, une malédiction.

Ce déchaînement de la nature réapparaît lors de la scène du meurtre du roi, lorsque le couple Macbeth se retrouve dans l'écurie où la panique et la violence des personnages semblent se reporter sur les chevaux de l'écurie qui s'agitent furieusement.

L'utilisation de la lumière, notamment du plafond lumineux, permet l'évocation de différentes temporalités dans la pièce : celle du jour et de la nuit, d'une scène en exterieur ou en interieur, ou encore l'ambivalence entre songe et réalité. La bande-son, par des bruits de cordes très aigus, rappelle le son du violon et installe une ambiance troublante ; un jeu de fumée crée des nuages qui renforcent l’atmosphère sombre, rappelant les ténèbres. Ariane Mnouchkine par ces effets spéciaux sollicite presque tous nos sens pour nous troubler et nous installer dans une réalité, un contexte historique proche du nôtre,  et nous pousser ainsi à y croire un peu plus.

Mais si cette malédiction est présente dans une nature inquiétante et angoissante, elle va rapidement se répandre dans les personnages de Macbeth et Lady Macbeth. Comment cette malédiction d'abord extérieure, s'intériorise dans le couple et transforme ainsi ces personnages en monstres de cruauté ?


crédit photo : Michèle Laurent 
 

Macbeth et lady Macbeth : la folie meurtrière.

C'est très justement qu’Ariane Mnouchkine met en scène l'image du couple soudé qui plonge ensemble dans une folie meurtrière en réponse à leur avidité de pouvoir.

Lady Macbeth dans la scène 5 de l’acte I énonce son discours qui glace le sang. Nous pouvons y voir une sorte d'invocation spirituelle aux forces du mal, qui est accentuée dans la mise en scène par les éléments naturels autour d'elle qui se déchaînent. Cette malédiction viendrait-elle d'elle ?

Si dans la pièce, Lady Macbeth apparait comme complice de Macbeth, elle est dans cette mise en scène diabolisée. Pendant que Macbeth doute de tuer le roi(md), éprouve des remords, et semble retrouver sa raison  "Nous n’irons pas plus loin dans cette affaire. Il vient de me combler d’honneurs, et j’ai acquis parmi les hommes de toutes les classes une réputation brillante comme l’or, dont je dois me parer dans l’éclat de sa première fraîcheur, au lieu de m’en dépouiller si vite." (Acte I scène VII.), celle-ci fait alors tout pour le convaincre du contraire et le pousse à tuer, jusqu'à le faire culpabiliser : elle associe ce crime à un acte d'amour. Le couple se lie maintenant par un acte de sang, un acte de barbarie. Cette domination de Lady Macbeth sur Macbeth, qui est suggérée par Shakespeare, est encore plus explicitée par Ariane Mnouchkine :

Dans cette même scène le couple mime un rapport sexuel de manière très ambiguë : elle est au-dessus de son mari  ce qui la place dans une position de domination.  Cependant cet acte peut aussi avoir une seconde signification : il est dit dans la prophétie que ce sont les héritiers de Banquo qui seront rois et non ceux de MacbethEn effet cette "stérélité" du couple suggère donc par ce rapport sexuel, durant lequel ils jouissent à l'élaboration d'un plan démoniaque, que naitra de cet acte uniquement la terreur et le chaos à venir. 

Si Macbeth avait au début de la pièce quelques remords, traces de son ancienne "humanité" et moralité, le mal semble le corrompre et le pourrir de l'intérieur comme un venin. Cela se traduit par  des expressions du visage et un ton de voix plus cynique et sombre.

Le personnage de Macbeth plonge dans la folie meurtrière : Il est devenu l'incarnation du mal : la violence de cette folie se traduit par le meurtre de ses fidèles sujets dont Banquo son bon ami. L'homme n'a plus aucun frein à sa folie, il assassine femmes et enfants.

La scène du massacre de la famille de Macduff est représentée de façon incroyablement violente. Si celle-ci n'est pas faite pour être représentée à l’origine, Ariane Mnouchkine décide de la représenter tout en la suggérant : elle plonge la salle dans le noir et sont tendus devant la scène des draps blancs tachés de sang qui sont éclairés par des flashs d'appareils photos sur des sons et percussions très violents. Encore une fois elle parvient par l'usage de sons, d'éclairages et de simples draps à montrer et faire ressentir la violence de la scène qui bouleverse le spectateur.

Cependant, le couple Macbeth se retrouvent complètement submergés et plongent tous deux dans la folie : dans la scène 4 de l'acte III durant la scène du banquet, nous nous retrouvons plongés dans la psychose de Macbeth : Mnouchkine dans sa mise en scène, nous donne à voir et à ressentir la scène et son atmosphère terrifiante au travers du regard de Macbeth. Nous nous retrouvons plongés dans sa folie: Banquo revient d'entre les morts en sortant de la terre, fumée et lumière tamisée ; sur la scène les autres personnages font comme si de rien était et continuent le banquet. Seul Macbeth et le spectateur peuvent comprendre ce qu'il se passe.

La violence et la réaction de démence de Macbeth devant ses invités complètement choqués par le personnage qui semble possédé, communique une inquiétude et une tension générale sur le plateau, ressentie par le spectateur.

A la fin, la folie de Lady Macbeth la conduit à la mort après l'avoir rendue malade, comme si le mal l'avait contaminée petit à petit pour finir par la tuer. La scène de nuit où elle relate les crimes dans un état de somnambulisme figure bien la panique et le déchirement intérieur du personnage.

Finalement, cette malédiction, ce sort du ciel et cette folie meurtrière les ont tués, mais cependant est-il bien question seulement d'une malédiction ? Quel message veut transmettre Mnouchkine par cette mise en scène ?

 


crédit photo : Michèle Laurent

Tyran des autres, tyran de soi.

Si dans cette mise en scène Mnouchkine privilégie l'aspect maléfique qui montre un couple prédestiné à une issue fatale, elle transmet surtout un message politique et social aux spectateurs. En effet, par la réactualisation d'une pièce qui semble se situer dans notre époque actuelle par l'incorporation de nombreux éléments traduisant la modernité  (ordinateur, télévision...),  elle transmet quasiment le même message que Shakespeare. De cette façon, elle recontextualise les même enjeux qui ont habité l'auteur de la pièce quelques siècles plus tôt : le danger de la soif du pouvoir et la question de la liberté.

Un tyran prive les autres de toutes libertés pour le monopole du pouvoir, mais qui est le moins libre finalement ? N'est-ce pas lui qui,  plongé dans sa psychose, perd tout sens de la logique, de la raison, se méfie de tout, perd tous ses proches, ne dormant plus affirmant qu'il a "assassiné le sommeil "? Il ne vit plus. Il ère, comme un fantôme, esclave de sa propre tyrannie dont il en sera la victime.

Dans cette bataille sanglante s'affronteront le bien et le mal et si, comme dans les tragédies grecques les deux héros meurent, il n'en demeure pas moins qu'à la fin le bien triomphe.

 


crédit photo : Michèle Laurent 

 

Mnouchkine monte Macbeth comme pour raconter un conte à des grands enfants dans une volonté d'une meilleure compréhension et d'une accessibilité à cette oeuvre majeur du théâtre pour tous, mais surtout pour faire voyager les spectateurs dans une histoire vieille de quatre siècles, qu'elle réactualise avec adresse.

Dans cette mise en scène, spectaculaire, Ariane Mnouchkine plonge les spectateurs dans un texte classique et malgré l'aspect tragique, inquiétant et maléfique,  nous en ressortons  complètement émerveillés. C'est par des effets spéciaux et la poésie du texte qu'elle retranscrit sur scène que le spectateur s'abandonne complètement dans son univers et se laisse emporter par l'histoire.

Elle transmet cependant un message important : celle de la dénonciation de la course effrénée au pouvoir et pointe du doigt les tyrannies actuelles qui  sont d’une part le fruit de la folie de dirigeants mais également les petits tyrans de tous les jours, prêts à tout pour avoir un peu plus de pouvoir que le voisin d'à côté.

 

 

 

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