Retour sur ce début de saison 2021-2022
Retour sur ce début de saison 2021-2022
Suite à deux années très difficiles, les artistes sont plus que jamais prêts à partager leurs œuvres et leurs imaginaires avec les spectateurs. Les théâtres ont réouvert, et les comédiens foulent les planches des scènes avec une rage et une envie brûlante.
Cet article proposera quelques pièces de ce début de saison 2021-2022 à voir absolument. Restez, il y en a pour tous les goûts !
Chroniques Pirates, Paul Balagué
© Loïc Bernard
« Levez bien haut les mains, je veux les voir ! ». C’est cet accueil haut en couleur qui ouvre le bal de Chroniques Pirates, mis en scène par Paul Balagué avec la Compagnie en Eaux Troubles. Si vous comptiez vous installer tranquillement sur les doux fauteuils du théâtre, c’est raté. En entrant dans la salle, chaque spectateur devient un prisonnier prêt à être envoyé dans les nouvelles colonies d’Amérique. Cette mise en scène immersive nous plonge directement au XVIIIème siècle, âge d’or de la piraterie. Les gardes hurlent (« Toi ! Remets ton masque ! », « Silence ! »), et au bout de plusieurs longues minutes de cohue, une voix se fait entendre :
« J’ai ici la proclamation du Duc Philippe d’Orléans, Régent de France, qui ordonne ceci : En vertu des lois de peuplement des territoires outres-mers de notre royaume, les occupants des prisons de Paris et de sa région seront rassemblés en un même lieu, le 15 décembre 1717 puis ils seront conduits en convoi au port de La Rochelle, où ils embarqueront pour la Louisiane… »
L’agitation reprend de plus belle. Tous les prisonniers vont être embarqués pour les colonies. Mais, lors de la traversée, des pirates attaquent le navire, tuent le capitaine, libèrent les prisonniers, et proposent à l’un d’eux de se rallier à leur équipage. Tristan Deslandes, exproprié de sa ferme de Picardie par son peuple, rejoint la piraterie.
RACKAM. C’est pour l’enfer que tu embarques.
RICHARD. N’aies pas peur c’est l’endroit le plus joyeux.
PHILIPPE. Plus de pays.
ROBERT. Plus de roi.
RACKAM. Mais des frères.
L’espace est ordonné par deux structures en bois modulables à l’infini. Deux portants laissent visibles les costumes des comédiens qui se changent devant nous. Les comédiens jouent avec ce décor avec l’insouciance d’enfants sur un terrain de jeu. Les jeux de lumières, des couleurs, des sons, de la musique viennent eux aussi permettre au plateau de se transformer selon les besoins du récit (champs de batailles, port de Nassau, bateau etc.). Ce théâtre de tréteaux plonge petit à petit chaque spectateur dans ce monde d’écumeurs des mers. Nous sommes transportés en plein océan, sur un bateau pirate vaguant de terre en terre et de navire en navire. Tous les spectateurs retrouvent leur âme d’enfant. Les pirates jouent dans toute la salle et vont parfois jusqu’à s’assoir dans les couloirs ou les derniers sièges libres lorsque les spectateurs sont réellement intégrés à l’histoire.
Mais ce récit n’est pas seulement immersif, il vient aussi nous montrer la société de l’époque sous un autre point de vue, et cela nous amène à questionner notre propre monde. Chroniques Piratestranscende la violence de la piraterie pour nous embarquer dans une poétique qui nous fait voir et vivre ce monde sous un nouveau jour. Les pirates ne sont plus uniquement des barbares sanguinaires, ils sont aussi les porteurs d’un idéal, d’un rêve communautaire de liberté et de justice.
TRISTAN. Non ! Mais on pourrait vivre là. Rester, planter, vivre simplement.
RICHARD. Pas tant qu'il y aura des royaumes, des prisons et des gens qui se tordent de faim. La seule terre libre, c’est le bateau.
VANE. Partons ! Et qu’importe la mort ! Dansons, dansons avec elle ! Qui a peur de la corde ou du canon ? Qui veut vivre vieux ici ? Une vie courte et flambante les gars. Mieux vaut quelques minutes désagréables qu’une vie à genoux.
Dans une interview effectuée par Tony Abdo-Hanna de la MC93, Paul Balagué explique : « On se focalise souvent sur les actions hostiles des pirates, c’est une réalité. Mais l’on se penche assez peu sur leur organisation interne qui est de fait une organisation politique (…) locale ». Les pirates deviennent alors pour la compagnie un « laboratoire permanent et très intéressant de démocratie directe ». Sur ce bateau, tout le monde est égal, on vote pour élire le capitaine, on choisit ensemble les missions, les butins sont répartis de manière presque égalitaire, et enfin, il existe même une cotisation générale qui sert à s’occuper des malades et des blessés. Mais, leurs objectifs restent locaux. « Ils n'ont pas de volonté de territoire, ils n'ont pas de volonté de contrôler les différents métiers de l'agriculture et de constituer une nation (…). C'est un projet radicalement révolutionnaire et à la fois très local ».
RACKAM. Je suis né ici, dans un petit atoll où j’ai joué et grandi. Je n’ai jamais vu l’Angleterre, le Roi, sa cour. Je n’ai jamais compris pourquoi des hommes s’embarquent sur un rafiot, traversent le globe et posent leur pied sur une terre inconnue pour y planter un drapeau et la déclarer leur propriété.
Les pirates sont des expropriés, des vagabonds, des dissidents, des surnuméraires, des « problématiques d’un système européen », qui tentent d’échapper au monde qui les rejette.
RICHARD. Sont rassemblés dans cette île tous ceux que l’Europe a vomi depuis deux décennies. Les marins révoltés, les soldats renvoyés, les déportés de force, les évadés, tous ceux que l’espoir d’une vie meilleure a fait se dresser contre leurs maîtres, tous ceux à qui l’or fait transpirer les yeux, tout ceux partis en lutte contre le monde entier.
Finalement, ces deux heures de spectacle nous font traverser trois années de piraterie. Nous rencontrons de multiples personnages très attachants qui nous font parfois rire aux éclats. Nous suivons une grande histoire de pirates et des anecdotes, de violents combats et des moments plus paisibles, des renaissances de pirates et des morts, des histoires de haine et des histoires d’amour. Chroniques Pirates nous fait passer du rire aux larmes en l’espace d’un claquement de doigts. Nos cœurs d’enfants balancent au rythme des vagues que fendent les bateaux, et nous ressortons le sourire aux lèvres, et la larme à l’œil.
Dates à venir :
- Créé en 2019, Chroniques Pirates n’a pas encore été reprogrammé dans un théâtre pour le reste de la saison 2021-2022. Vous pouvez malgré tout retrouver la nouvelle création de la compagnie : El Dorado du 7 au 15 mars 2022 au Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet
Zéphyr, Mourad Merzouki
© Laurent Philippe
Zephyr est un spectacle de danse hip-hop contemporaine du chorégraphe Mourad Merzouki. Les danseurs évoluent dans une grande structure qui vient redessiner l’espace de la scène. De toute part, des hélices apparaissent, incrustées dans ces murs artificiels. Mourad Merzouki nous invite alors à rentrer dans un monde régi par le vent. Les danseurs s’y confrontent, l’apprivoisent, s’y mêlent, et se laissent dompter par lui. Ils deviennent parfois de simples poussières poussées par cette brise, ce souffle, ou par cette tempête.
La force de ce spectacle est qu’il ne nous amène pas dans un récit chorégraphique déjà tracé. Chaque mouvement des danseurs, chaque mouvement de groupe, et chaque image qui apparaît ouvre la porte à des imaginaires très variés. De la vision d’une usine à celle d’un monde de science-fiction, en passant par la mythologie, chacun réussit à se créer une histoire à partir de cette rêverie dansée.
Les mots manquent pour décrire ces images et ces danses, mais dans tous les cas, la fresque que nous proposent Mourad Merzouki et ses danseurs méritent d’être mise en valeur dans cet article car elle nous offre une évasion qui panse nos maux l’espace d’un instant.
Dates à venir :
- Du 11 au 22 janvier 2022 à la Maison de la Danse de Lyon
- Le 9 avril 2022 au Palais des Congrès d’Issy-Les-Moulineaux
- Du 2 au 4 juin 2022 à Wolubilis, Bruxelles
La mouette, Cyril teste et le collectif MxM
© Simon Gosselin
« Avec la complicité d’Olivier Cadiot, Cyril Teste revisite le grand classique du théâtre russe, et compose une œuvre totale, au carrefour du théâtre et du cinéma. C’est une libre adaptation de La Mouette que nous offre Cyril Teste à travers cette nouvelle « performance filmique ». – Site du théâtre des Gémeaux.
Lorsque j’ai lu la feuille de salle de cette pièce je me suis dit que je n’allais pas aimer. Encore une pièce utilisant à foison des caméras sans rien y apporter… Cette reprise de La Mouette partait donc très mal de mon point de vue. Ma surprise n’en a donc été que plus grande lorsque j’ai réalisé que, cette fois ci, la caméra et l’usage du numérique avait plus que sa place sur scène.
La mouette de Cyril Teste n’est pas une énième pièce ajoutant des caméras sans véritable nécessité. Des murs, séparant l’espace scénique en deux, projettent la majeure partie du temps des images filmées en direct des visages des acteurs. Les personnages sont donc souvent dédoublés par cette projection. Ils envahissent parfois même tout l’espace. On ressent très vite la nécessité de ces projections. Celles-ci viennent, en même temps que le récit se déroule, disséquer les personnages, leurs histoires, leurs peurs, et leurs faiblesses. Ils deviennent des peintures mouvantes dont l’intimité même est propulsée au-devant de la scène.
Mais le travail autour de la caméra ne s’arrête pas là. Ici, les images filmiques deviennent une véritable matière plastique qui est sans cesse détournée, modifiée, transformée. Ces images qui envahissent les murs structurent et déstructurent continuellement le plateau. Les paysages de forêt qui sont projetés amènent l’extérieur de la maison à l’intérieur de la scène. Ce qui se passe dans la face cachée de la maison, derrière les murs, est projeté sur ces mêmes façades. Enfin, ces murs de projections sont modulables car de grandes toiles vierges sont placées devant modifiant donc les images, surtout lorsque celles-ci sont déplacées et laissent place à de larges ouvertures.
Le parti pris de cette adaptation de La mouette est donc un vrai succès. Le jeu est extrêmement intense et juste, et l’utilisation de ces dispositifs techniques le met parfaitement en valeur, tout en ajoutant une dimension plastique très intéressante.
Dates à venir :
- Les 5 et 6 janvier 2022 à La Coursive, La Rochelle
- Les 13 et 14 janvier au théâtre Points communs, Cergy-Pontoise
- Les 20 et 21 janvier au théâtre de L’Archipel, Perpignan
- Les 26 et 27 janvier au Parvis, Ibos
- Les 10 et 11 février au CDN de Sartrouville
- Les 16 et 17 février au Théâtre + Cinéma, Narbonne
- Du 2 au 12 mars aux Célestins, Lyon
- Du 22 au 26 mars au TnBA, Bordeaux
- Du 31 mars au 2 avril au théâtre-Sénart, Lieusaint
- Du 6 au 8 avril à La condition publique, Roubaix
- Du 14 au 30 avril à Nanterre-Amandier, Nanterre
- Les 12 et 13 mai au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
- Du 17 au 19 mai au TAP, Poitier
- Les 15 et 16 juin au CDN d’Orléans
- Du 25 au 30 juin à la MC93, Bobigny
Chère Chambre, Pauline Haudepin
© Jean Louis Fernandez
Chimène, jeune fille de vingt ans, a tout pour être heureuse : des parents aimant, une amoureuse, une vie remplie de possibles où tout reste encore à construire et à découvrir. Pourtant, un soir, elle quitte sa maison pour aller offrir son corps à un inconnu sans abri atteint d’un mal contagieux et incurable, signant ainsi son arrêt de mort.
Pauline Haudepin nous entraîne alors dans un monde oscillant entre réalisme et onirisme. Conte et récit contemporain s’entremêlent à travers des situations et des personnages hybrides. Face à cet acte inconcevable, la raison ne suffit plus à expliquer les évènements. Le déploiement de cette maladie de théâtre et de fiction fait basculer le drame familial dans un monde onirique et cauchemardesque régit par un mystère sans réponse pour expliquer de ce geste. Théraphosa Blondi, un personnage qui ne s’exprime que par la danse, semble être la manifestation physique d’un rêve de Chimène. Personnage tout droit sorti d’une fable, il interagit avec les proches de Chimène, comme le représentant du mal qui se propage et s’empare d’eux.
Mais, peu à peu, cette fable contemporaine se transforme en laboratoire à ciel ouvert de l’être humain. Comment peut-on penser un tel passage à l’acte ? Est-ce la conséquence d’une offrande sacrificielle, ou d’une pulsion autodestructrice ? Comment peut-on en arriver à saboter une vie dotée de tant de possibles pour un inconnu ? Chère Chambre nous fait nous interroger sur l’être humain, sur la société, et sur nous-mêmes. Les rapports à l’autre, à celui dont on ne comprend pas les actions, et aux personnes marginales sont entièrement remis en question. Il s’agit à la fois d’un drame familial, intime, et fondamentalement humain. Dans un entretien fait par le TNS, Pauline Haudepin explique : « Par un acte de douceur, un acte de don − et non par un acte de violence, c’est ce qui m’intéresse − elle vient renverser le petit ordre établi autour d’elle (…). C’est ce qui me passionne : comment un acte de douceur peut être aussi subversif, voire plus, qu’un acte de violence. Et comment il peut renverser, à son échelle, la vision du monde ». Finalement, Chère Chambre vient dépasser le simple mystère autour de cet acte incompris pour interroger les réactions qu’il suscite. « J’ai envie de cette forme de renversement : que l’incompréhension et ce qu’elle génère chez les proches – les déchets qui remontent à la surface, les contradictions et les hypocrisies qui se révèlent – apparaissent finalement beaucoup plus choquant et incompréhensible que l’acte de Chimène, qui s’opère, lui, dans la transparence, dans une grande évidence ». C’est alors la thématique de la maladie incurable, en tant qu’elle amène le deuil, qui se joue ici. Peut-on regagner une confiance en l’avenir malgré cette perte soudaine ? Entre déni, colère, et résilience, tous les personnages semblent démunis face à la mort imminente de Chimène. L’acte de Chimène et les réactions de ses proches soulèvent en nous un océan de questions et de doutes. En tout cas, il est impossible d’y rester indifférent.
Dates à venir :
- Du 17 au 29 janvier 2022 au Théâtre de la Cité internationale, Paris.
Un sacre, Lorraine de Sagazan
© Christophe Raynaud de Lage
Un sacre est une expérience cathartique proposée avec beaucoup de justesse. Cette pièce est un incontournable de ce début de saison 2021-2022. Pour en savoir plus, je vous laisse vous référer à l’article de Mathis Leroux « Un sacre – Lorraine de Sagazan ».
Dates à venir :
- Du 12 au 14 avril 2022 au Théâtredelacité – CDN de Toulouse Occitanie
- Du 3 au 7 mai 2022 au Théâtre des Célestins, Lyon
- Du 18 au 20 mai 2022 à La Comédie - CDN de Reims
Tous des oiseaux, Wajdi Mouawad
© Simon Gosselin
Je ne détaillerai pas non plus la pièce de Wajdi Mouawad, Tous des oiseaux, puisque je lui ai déjà consacré un article entier publié sur ce blog (« Tous des oiseaux, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad »). Pour autant, il convient de souligner que cette pièce reste selon moi, l’une des meilleures que j’ai pu voir jusqu’alors. Elle mérite donc amplement de faire partie de cet article retraçant quelques pièces phares de ce début de saison.
Dates à venir
- Créé en 2017, cette pièce ne semble malheureusement pas être reprogrammée pour le reste de la saison 2021-2022.
Pour finir…
Évidemment, il ne s’agit que d’un échantillon de pièces de ce début de saison 2021-2022. Il témoigne néanmoins qu’en cette période, les artistes sont toujours là pour nous amener dans leurs rêveries, nous faire nous questionner sur notre monde, et surtout nous permettre d’y échapper l’espace d’un moment.