« Sans témoins, il n’y aurait pas de procès» - par Ludivine Herdewyn

Le 11 février dernier, le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.). a décidé d’ajourner l’audition, devant la Chambre, de témoins à charge dans l’affaire Procureur c. Vojislav Seselj (Décision relative à la requête de l’accusation aux fins d’ajournement avec en annexe l’opinion dissidente du juge Antonetti, du 11 février 2009) en invoquant « l(eur) sécurité et l’intégrité de leur témoignage ». La Chambre envisage cependant de les entendre « en raison de l’importance de leur témoignage ». On mesure ainsi l’importance accordée aux témoins et à leurs déclarations par les juges dans les affaires qui leur sont soumises.

Les Procureurs des Tribunaux Pénaux Internationaux (T.P.I.) ont également à plusieurs reprises attiré l’attention sur le fait que « sans témoins, il n’y aurait pas de procès» (article Hirondelle « Première poursuite pour faux témoignage devant le T.P.I.R. » du 02.07.07) pour inciter les victimes et autres témoins à venir relater ce qu’ils avaient vu ou entendu dans le but d’aider la justice et d’amener les juges à décider de la culpabilité ou non des individus mis en accusation pour crime de génocide, crime contre l’Humanité et/ou crime de guerre. Cette opinion est partagée par L. Walphen pour lequel « Le succès d’un procès dépend souvent de la qualité du témoignage d’une victime » ( L. Walphen, « Quelles considérations sur la direction des enquêtes d’un Tribunal pénal international », consultable à partir du site de la Cour Pénale Internationale). En matière pénale, la recherche de preuve est gouvernée par le principe de la liberté de la preuve. Il est consacré par l’article 89 c) du Règlement de Preuves et de Procédure (R.P.P.) du T.P.I..R et T.P.I.Y. : « La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent dont elle estime qu’il a valeur probante ». Or, il est important de souligner qu’« aujourd’hui ce sont les témoignages et non les documents qui représentent la majorité des preuves devant les institutions pénales internationales. » (CATALDI G., DELLA MORTE G., « La preuve devant les juridictions pénales internationales », in La preuve devant les juridictions internationales, Contentieux international, Ed. Pedone, 2007, p. 200). « Moreover, documentary evidence needs, in order to have full effect, to be associated with testimony » (De plus, les preuves documentaires pour avoir force probante, doivent être corroborées par un témoignage) (Frank Terrier, The Procedure before the Trial Chamber, in CASSESE, GAETA, JONES, The Rome Statute of the International Criminal Cour : a Commentary, Oxford University Press, 2002, p.1299). Il faut ajouter que par témoignage, il faut ici entendre les témoignages oraux mais aussi en vertu de l’article 92 bis du R.P.P. des T.P.I.Y. et T.P.I.R. les déclarations écrites d’un témoin. Le témoignage, entendu comme un « acte par lequel une personne atteste l’existence d’un fait dont elle a eu personnellement connaissance » (Dictionnaire juridique Dalloz) constitue donc la principale source de preuve, « le moyen de preuve privilégié » (CATALDI G., DELLA MORTE G) à la disposition de l’Accusation et des avocats de l’accusé devant les juridictions internationales. C’est à ce titre qu’il semble particulièrement intéressant de s’arrêter sur ce moyen de preuve. En effet, bien qu’étant une source d’informations précieuse, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une déclaration faite par un individu animé par une motivation personnelle qui peut malheureusement parfois s’écarter de l’intention d’apporter son aide à la justice comme l’atteste l’expérience des T.P.I. de La Haye et d’Arusha. Les témoignages doivent ainsi être pris en considération par les juges à la lumière de certains critères et satisfaire en quelque sorte à un « test de crédibilité » qui déterminera si le témoignage est recevable ou non. C’est la question de la valeur probante du témoignage. Nous étudierons ainsi dans un premier temps les différents aspects touchant à la qualité du témoignage (I) pour ensuite étudier quelles sont les problèmes qu’ont rencontrés les T.P.I. et notamment la critique faite aux T.P.I. d’avoir recours de manière excessive à cet élément de preuve (II).

La qualité du témoignage

Il est tout d’abord essentiel d’examiner qui sont les témoins amenés à témoigner devant le Tribunal et quelles sont les obligations auxquelles ceux-ci sont soumis.

Les différentes catégories de témoins

Lorsque l’on étudie l’activité des juridictions pénales internationales compétentes pour juger des crimes les plus graves et rendre ainsi justice aux « millions d’enfants, de femmes et d’hommes (qui) ont été victimes d’atrocités qui défient l’imagination et heurtent profondément la conscience humaine » ( Préambule al.2 du Statut de Rome), une première catégorie de témoins vient directement à l’esprit, celle des victimes. Cette catégorie de témoins mérite une attention particulière. En effet, les victimes survivantes attendent beaucoup de la justice pénale, elles attendent « la reconnaissance de leur victimité et la défense de leur droits » (FOFE DJOFIA MALEWA J.J, La question de la preuve devant le Tribunal pénal pour le Rwanda, 2006 p.195). Mais cela ne doit pas conduire à une dénaturation des faits, qui s’explique par le fait que ces témoignages peuvent être «  (…) affectées par les changements d’attitude des témoins et par les menaces dont ils font l’objet » (réf). La question de la crédibilité de ces témoins est délicate mais les T.P.I. ont rendu quelques décisions relatives à cette catégorie de victimes. Le fait, par exemple d’avoir été victime d’un crime commis par les membres du groupe auquel l’accusé appartient ne prive pas le témoin de sa crédibilité. Il a également été reconnu que le témoignage d’une personne ayant eu une expérience profondément traumatisante et qui par conséquent souffre de nombreux troubles psychologiques n’a pas à être d’office écarté ; en effet les juges estiment qu’« il n’y a pas de raison que cette personne ne puisse pas être un témoin crédible » (Procureur c. Furundzia, T.P.I.R, Jugement, Ch de première instance II, 10 décembre 1998, §§108-109). Ces difficultés peuvent expliquer certaines contradictions ou incohérences que les juges doivent prendre en compte (Procureur c. Akayesu, T.P.I.R., Jugement, Chambre de première instance I, 2 septembre 1998, §§142, 144).

Les T.P.I. ont également fait appel à d’autres personnes qui ont également la qualité de témoins, ce sont par exemple les experts. L’objectif de ces témoins est d’apporter aux juges un éclaircissement sur la situation sur le terrain ou sur un point historique, c’est à dire pour le T.P.I.R. sur le Rwanda et pour le T.P.I.Y. sur l’Ex-Yougoslavie. Par exemple, sur la répartition géographique de certaines ethnies ou de certains groupes religieux. Leur aide est indispensable, car contrairement aux témoins-victimes, ils présentent l’avantage, à priori d’être impartiaux même si certaines affaires ont montré que là aussi les juges se doivent d’être attentifs à leurs témoignages (voir notamment l’affaire des Médias où la datation inexacte d’un article par un témoins expert a été soulevée par les avocats de la Défense, Procureur c. Nahimana, Barayagwiza et Ngueze, TPIR, Jugement, 3 décembre 2003, §160). Dans l’affaire Procureur c. Vojislav Seselj, là encore l’Accusé a tenté de démontrer que l’expert « était partiale au motif qu'elle est employée par l'Accusation et qu'elle s'est appuyée, pour rédiger son Rapport, sur une liste de réfugiés établie par les autorités Croates. Selon L'Accusé, l'Expert aurait manipulé les chiffres et n'avait à sa disposition aucun élément de preuve établissant qu'il y aurait eu des réfugiés Croates originaires d'Hrtkovci ou de Voïvodine » mais en l’espèce, ces arguments ont été rejetés par la Chambre (Décision relative à l’admission des éléments de preuves présentés lors du témoignage d’Ewa Tabeau, 25 février 2009). Il apparaît donc que la qualité d’impartialité des experts ne va pas de soi et constitue en pratique une difficulté. Difficulté que le R.P.P. du T.P.I.R. et T.P.I.Y. essaie de limiter en exigeant, en vertu de son article 94 bis, que le rapport d’un l’expert soit communiqué à la Chambre et à la Partie adverse, afin que celle-ci ait la possibilité de demander à la Chambre un contre-interrogatoire. Ce contre-interrogatoire permet ainsi à la partie adverse, le cas échéant d’avancer des arguments mettant en avant la partialité de l’expert. De plus, comme tout témoin, l’expert doit prêter serment «solennellement » de dire «la vérité, toute la vérité et rien que la vérité » (article 92 bis du R.P.P.).

Les enquêteurs de l’O.N.U. mis à la disposition des parties pour recueillir des éléments de preuve peuvent également être appelés à témoigner. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces enquêteurs ont travaillé pour le compte des parties et qu’il faut donc être vigilant quant à la véracité de ce qu’ils rapportent aux procès. C’est donc pertinemment que Frank Terrier pose l’interrogation suivante : « may experts, i.e. those with no direct knowledge of the facts who tell judges their viewpoint based on technical or scientific knowledge, and the incestigators who have worked for one of the parties and are called on to testify, be examined in the same way ? » (Faut-il entendre de la même manière les experts par exemple, ceux qui n’ont pas connaissance directement des faits et qui donnent aux juges leur point de vue fondé sur des connaissances techniques ou scientifiques et les investigateurs qui ont travaillés pour une des parties ?) (Frank Terrier, The Procedure before the Trial Chamber, préc., p.1303). Il faut ici rappeler que les règles prévues par le R.P.P. du T.P.I.Y et T.P.I.R. pour garantir leur impartialité s’appliquent à ces deux catégories d’experts et souligner que dans les deux cas les juges ne sont pas liés par les rapports et déclarations des experts, et que c’est aux juges qu’il revient en dernier lieu de statuer.

Les obligations relatives aux témoignages

La première obligation pour le témoin est celle de témoigner. Le témoin doit offrir son aide à la justice internationale, et à ce titre, le témoin n’a pas le droit de refuser de témoigner (sauf circonstances exceptionnelles prévues par les R.P.P.). Cette obligation de témoigner en personne est un principe bien connu de tous les systèmes juridiques. En cas de refus du témoin de témoigner, la Chambre a la possibilité de le contraindre: « a Witness refusing to be called by a party may be compelled to do so by an order from the Chamber » (un témoin qui refuse de témoigner peut y être obligé par ordonnance de la Chambre) (Frank Terrier, The Procedure before the Trial Chamber, préc., p.1300). A cette obligation s’ajoute le fait que la personne doit en principe le faire de vive voix, viva voce, mais il existe des mesures protectrices (voir Partie 2 B)) qui viennent nuancer le principe. (article 69 2) R.P.P. C.P.I.). En outre, toujours dans un souci de crédibilité et de fiabilité, le témoin avant de témoigner doit faire le serment de dire la vérité (article 66 du Statut de Rome, article 90 b) R.P.P. TPIR) et, à ce stade, il est aussi informé des conséquences d’un faux témoignage qui « constitue en effet une transgression du serment prêté par le témoin » (site Vie publique). Certes, l’emploi du serment n’est pas une garantie absolue, mais bien qu’il ne soit pas un gage de vérité le serment présente l’avantage de prévenir le témoin de ses obligations et des conséquences qui résulteraient de leur violation. Pour Domat, le serment renvoie à la notion de confiance : c’« est une sûreté que les lois exigent en plusieurs occasions, pour confirmer un témoignage ou une déclaration sur la vérité d’un fait ; et cette sûreté consiste en la confiance qu’on peut avoir, que celui qui jure ne violera pas un devoir où il prend Dieu pour témoin» (J. Domat , Les Lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, Durand, 1777).

Il faut noter le cas particulier des enfants en raison de leur vulnérabilité. Si les enfants sont dans l’incapacité de comprendre l’étendue de leurs obligations découlant du serment, ils doivent en être exempté. Dans ces circonstances, la valeur probatoire attachée à leur témoignage est réduite. Cela est consacré aux article 90 C) R.P.P. T.P.I.Y. et T.P.I.R. et 66 2) R.P.P. St. de Rome: « Un enfant qui, de l’avis de la Chambre, ne comprend pas la nature d’une déclaration solennelle, peut être autorisé à témoigner sans cette formalité, si la Chambre estime qu'il est suffisamment mûr pour être en mesure de relater les faits dont il a eu connaissance et qu'il comprend ce que signifie le devoir de dire la vérité. Un jugement ne peut cependant être fondé exclusivement sur ce seul témoignage ».

Les critiques formulées à l’encontre des témoignages

Un recours massif aux témoignages

Les affaires traitées devant les T.P.I., comme l’illustre en ce moment l’affaire Vojislav Seselj, montrent que le témoignage a été continuellement la clé de voûte de l’Accusation. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que les crimes qui sont jugés devant les Tribunaux ont été commis il y a déjà quelques années et que la collecte d’autres types de preuves est rendue ainsi plus difficile. Mais il existe d’autres éléments de preuve envisageables comme les vidéos (utilisées comme pièces à conviction notamment dans le procès Rutaganda (ICTR-96-3-T) ou les photographies. Certains avocats de la Défense pointent ainsi du doigt cette « sur-utilisation » du témoignage. C’est notamment le cas de Maître FOFE DJOFIA MALEWA qui considère que s ‘il « requiert du procureur beaucoup de moyens, beaucoup de sacrifice et de rigueur dans la conduite des investigations », il n’en demeure pas moins que « s’il l’on veut donner du crédit aux décisions de justice à intervenir, il faut consentir cet effort et éviter de verser dans la facilité en se limitant au moyen qui semble à la portée de la main, à savoir le témoignage. » (FOFE DJOFIA MALEWA J.J, La question de la preuve devant le Tribunal pénal pour le Rwanda, 2006 p.189). Les juges se doivent d’« évaluer » chaque preuve et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un témoignage, les juges ont dégagé plusieurs critères permettant d’estimer la crédibilité d’un témoin. Il doit ainsi être apprécié au regard « des motifs qu(e le témoin) aurait de faire un faux témoignages » (Procureur c/ Tadic, TPIY, Jugement, 7 mai 1997, §541) et «  du comportement du témoin, de la cohérence et le crédibilité ou du défaut de crédibilité des réponses qu’il a donné sous serment » (Procureur c/ Akayesu, Jugement, 2 septembre 1998, §47). Dans l’affaire Imanishimwe (Procureur c/ Ntagerura, Bagambiki et Imanishimwe, Jugement, 25 février 2004) , la crédibilité des témoins était notamment affectée par le fait qu’ils ont avoués leur participation dans le génocide, ce qui permet légitimement de douter de leur autorité morale. Dans un autre cas, l'affaire Simic, l'avocat bosno-serbe de l'accusé, n'a pas hésité à recourir à des menaces de mort, et a tenté d’obliger un témoin à revenir sur sa déposition. Il lui faisait répéter à l'aide d'un enregistreur « la nouvelle version ». Dans son jugement du 31 juillet 2003 dans l’affaire Stakic, le T.P.I.Y. a reconnu que : « la plupart des témoins se sont efforcés de dire ce qu’ils pensaient être la vérité. Toutefois, l’implication personnelle dans des tragédies telles que celle qu’a connue l’ex-Yougoslavie influence souvent, consciemment ou non, un témoignage.» (Procureur c. Milomir Stakic, T.P.I.Y., Jugement, 31 juillet 2003, §15). De cette crédibilité dépend la valeur probante qui est attachée à l’élément de preuve, ainsi pour les juges : « les incohérences sont de nature à semer le doute sur la valeur probante d’un élément de preuve donné ou, quant elles sont substantielles, sur l’intégralité de la déposition. » (Procureur c. Akayesu, Jugement, Chambre de 1ère instance I, 2 septembre 1998, §142, Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Jugement, Chambre de 1ère instance II, 21 mai 1999, §77). On comprend dès lors l’importance de la corroboration des preuves pour convaincre les juges même s’« il est de jurisprudence constante que  les déclarations d’un témoin sur des faits matériels peuvent être admises au nombre des preuves sans corroboration » (Procureur c. Bagilishema, T.P.I.R., arrêt, 3 juillet 2002, §79). Les juges disposent d’un pouvoir discrétionnaire d’exiger une corroboration.

Devant ce défi de la crédibilité, en octobre 2000, un accusé, Mladen Naletilic a déposé une requête aux fins d’être soumis au détecteur de mensonge dans le cadre de son interrogatoire. Sa requête a été rejeté d’une part car le R.P.P. « ne prévoit pas l’utilisation du détecteur de mensonge », d’autre part car les juges se sont référés au « consensus de la communauté scientifique », à la jurisprudence des Etats Unis d’Amérique, d’Allemagne et du Royaume-Uni, selon lesquels « l’utilisation du détecteur de mensonge ne permet pas de recueillir des témoignages fiables et que dès lors l’utilisation d’un tel appareil ne saurait constituer une dépense nécessaire et raisonnable ». Enfin, « la présentation d’un témoignage ainsi recueilli ne serait pas à même d’accélerer la procédure » dans la mesure où, si la Chambre de première instance devait l’admettre, « elle ne manquerait pas d’avoir à examiner des questions connexes, comme la fiabilité de ce type de témoignage et les conditions dans lesquelles il aurait été recueilli. » (Procureur c. Naletilic, T.P.I.Y., Décision relative à la requête de l’accusé aux fins d’être soumis au détecteur de mensonge dans le cadre de son interrogatoire, 27 novembre 2000). Il apparaît ici important de souligner que la recevabilité d'un élément de preuve est subordonnée au fait qu'il ne suscite pas un ralentissement excessif de la procédure.

La difficile conciliation entre droits de la défense et protection de la victime

« Le témoignage est source de conflit entre deux droits fondamentaux » ( J.L. MABIALA, « La place des victimes devant les juridictions internationales », mémoire) à savoir la protection à l’égard des témoins et le droit de l’accusé à un procès équitable et public, bien qu’il soit discutable que ce deux droits aient le même caractère fondamental. La protection des témoins au détriment des droits de l’accusé est une seconde critique souvent formulée par les avocats de la Défense et soutenue par certains juges (lire notamment l’opinion dissidente du juge Jean-Claude Antonetti à l’occasion de la décision d’ajournement de témoins dans l’affaire Procureur c. Vojislav Seselj). C’est au niveau du témoignage anonyme, c’est-à-dire la non divulgation de l’identité du témoin à l’accusé, que le conflit entre ces deux principes est le plus visible. C’est lors du procès de Tadic que les juges ont pour la première dû faire face à cette difficulté. En effet, quel intérêt doit prévaloir ? Celui de la sécurité de la victime ? ou celui de l’accusé ? Les juges ont déclaré que le pouvoir d’appréciation de la Chambre d’accorder des mesures d’anonymat doit être exercé « équitablement » et seulement « dans des circonstances exceptionnelles » (comme par exemple l’existence d’un conflit armé). Les juges ont dégagé plusieurs critères : l’existence « d’une peur réelle pour la sécurité du témoin », importance du témoignage pour l’argument du Procureur, absence « d’indices sérieux du manque de crédibilité du témoin », « l’inefficacité ou l’inexistence d’un programme de protection des témoins », caractère nécessaire de la mesure d’anonymat « afin que l’accusé ne souffre d’aucun préjugé excessif évitable ». Il convient de noter que la mesure d’anonymat est une mesure attentatoire aux droits de l’accusé et que les juges y ont recours que si aucune autre mesure, par exemple une mesure de confidentialité, c’est-à-dire de non divulgation au public de l’identité du témoin ou toute autre information permettant de l’identifier, ne peut assurer effectivement la protection du témoin. Cela témoigne de la volonté des juges des T.P.I. de ne pas faire prévaloir à tout prix les droits des victimes sur ceux des accusés car c’est à ce prix que la justice pénale peut être considérée comme équitable et non comme une revanche des victimes. On peut encore citer le cas des violences sexuelles, le Tribunal a refusé d’accorder une mesure de confidentialité en déclarant que « d’autres méthodes (que le circuit de télévision fermé), comme l’installation d’écrans provisoire dans ladite salle, placé de sorte que le témoin ne puisse pas voir l’accusé mais que l’accusé puisse voir le témoin par le canal des écrans de la salle » fournissent à la victime une protection adéquate. La lecture de la décision d’ajournement d’audition des témoins dans l’affaire Seselj du 11 février 2009 illustre encore le travail de conciliation des juges entre les intérêts des témoins et intérêt de l’accusé. En l’espèce, il a été décidé que « l’obligation (de la Chambre) de préserver l’intégrité et l’équité de la procédure doit prévaloir sur les conditions d’ordre temporel vu les circonstances exceptionnelles de l’espèce. » Les circonstances exceptionnelles étant liées au souci de garantir la sécurité des témoins.

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES : - RUIZ FABRI H., SOREL J.M.(Dir.), La preuve devant les juridictions internationales, Contentieux international, Ed. Pedone, pp.253. - FOFE DJOFIA MALEWA J.J, La question de la preuve devant le Tribunal pénal pour le Rwanda, 2006, L’Harmattan, pp 292. - CASSESE A., GAETA P., JONES J., The Rome Statute of the international criminal Court : a Commentary, 2002, Oxford University Press. - SCHABAS, W.A., An Introduction to the International Criminal Court, 2007, Cambridge University Press, pp.548.

ARTICLES: -Communiqué de l’agence Hirondelle : «  Première poursuite pour faux témoignages devant le T.P.I.R. » du 02.07.07. disponible sur le site : http://fr.hirondellenews.com/content/view/59/272/

DECISIONS DE JUSTICE : - Affaire Procureur c. Vojislav Seselj (IT-03-67-T) : Décision relative à la requête de l’accusation aux fins d’ajournement avec en annexe l’opinion dissidente du juge Antonetti, du 11 février 2009. Décision relative à l’admission des éléments de preuves présentés lors du témoignage d’Ewa Tabeau, 25 février 2009. - Procureur c. Naletilic, T.P.I.Y., Décision relative à la requête de l’accusé aux fins d’être soumis au détecteur de mensonge dans le cadre de son interrogatoire, 27 novembre 2000. - Procureur c. Milomir Stakic, T.P.I.Y., Jugement, 31 juillet 2003. - Procureur c/ Tadic, TPIY, Jugement, 7 mai 1997. - Procureur c. Furundzia, T.P.I.R, Jugement, Ch de première instance II, 10 décembre 1998. - Procureur c. Akayesu, T.P.I.R., Jugement, Chambre de première instance I, 2 septembre 1998. - Procureur c. Nahimana, Barayagwiza et Ngueze, TPIR, Jugement, 3 décembre 2003. - Procureur c. Kayishema et Ruzindana, Jugement, Chambre de 1ère instance II, 21 mai 1999. - Procureur c. Bagilishema, T.P.I.R., arrêt, 3 juillet 2002.

TEXTES : - Résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité portant Statut du Tribunal pénal international pour l’ex- Yougoslavie, 25 mai 1993, tel qu’amendée par la résolution 1660 (2006). - Règlement de procédure et de preuve du T.P.I.Y., 11 février 1994, tel qu’amendé le 12 juillet 2007. - Résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité portant Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, 8 novembre 1994. - Règlement de procédure et de preuve du T.P.I.R., 29 juin 1995, tel qu’amendé le 10 novembre 2006.