La double qualité de victime-témoin face à la présomption d’innocence : la preuve des violences conjugales - par Pauline Leroyer

L’Espagne est un pays pionnier en matière de protection des victimes de violences de genre et inspire de nombreux pays européens et particulièrement  son homologue français. La décision du Tribunal Suprême espagnol du 23 septembre 2008 reflète la difficulté de rapporter la preuve des violences conjugales qui se déroulent dans la sphère la plus privée et la problématique de la crédibilité de la victime quand elle est le seul ou du moins le principal témoin.

Commentaire de la Décision du Tribunal Suprême espagnol du 23 septembre 2008.

 

 

INTRODUCTION :

 

Longtemps passées sous silence, les violences conjugales sont aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, tant législatives que gouvernementales. Les législateurs français[1] (Voir notamment l’introduction des violences conjugales comme circonstance aggravante des violences dans le Code Pénal en 1994. Le décret du 21 décembre 2001 créant la Commission Nationale contre les violences envers les femmes. La loi du 26 mai 2004 relative au divorce qui permet au JAF d’autoriser la victime à continuer à résider dans le logement conjugal en cas de violences avérées. La Loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression au sein des couples ou commises sur des mineurs, La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui renforce le suivi socio-judiciaire de l’auteur de violence conjugales…)  et espagnol[2] (En Espagne voir la Ley 3/2007, la LO 1/2004 du 28 décembre 2004  “Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género”, la creación de los Juzgados de Violencia de Género.) ont adopté ces dernières années différents textes qui organisent et renforçent les moyens du juge afin de prévenir les violences conjugales et d’éviter leur renouvellement. Les caractéristiques principales de la délinquance conjugale résident dans son caractère occulte et continu ; elle vise les femmes à titre principal, étant précisé que les violences physiques sont souvent précédées de violences psychologiques.

L’un des obstacles à l’efficacité de la lutte contre les violences faites aux femmes et dans les couples réside dans la grande difficulté d’en rapporter la preuve.

La famille peu devenir le lieu de brutalités, de vexations, de pressions psychologiques, actes d’autant plus pernicieux qu’ils sont commis dans le secret des alcôves, loin des regards. Les situations de flagrants délits sont rares, les témoins peu nombreux ; les atteintes psychologiques sont par définition invisibles et le demeurent bien souvent jusqu’à ce que leurs effets destructeurs sur la personne puissent être médicalement constatés, ce qui, parfois, advient trop tard.

Pour le justiciable qui se trouve dans l’incapacité pratique d’établir la preuve des violences dont il est victime, l’adoption de qualifications pénales peut se révéler un leurre. Le cercle familial privé transforme rapidement l’exigence de la preuve en une diabolica probatio.

 

Comment faire entendre sa parole de victime ? Comment lever le voile sur les agissements des proches ? Surtout, comment prouver que l’on subit des violences quand les agissements se déroulent dans la sphère la plus privée ? Les modifications apportées aux textes par les législateurs français et espagnol tentent de répondre à ces questions. Il importe dès lors de s’intéresser à la manière dont chacun des deux pays, avec ses particularités culturelles, aborde la problématique.

 

Une remarque préliminaire et générale en matière de violence faite contre les femmes dans les deux pays mérite d’être effectuée. Si la violence conjugale est un thème qui suscite l’intérêt des deux côtés des Pyrénées, la péninsule ibérique parait avoir pris une certaine avance notamment grâce à la création en 2008 du Ministère de l’égalité[3]( Actuel Ministère de la Santé, de la Politique Sociale et de l’Egalité. ) et à l’établissement par la LO 1/2004 des  «Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género », et des  « Juzgados de Violencia sobre la Mujer », des tribunaux spécialement compétents en matière de violence faite aux femmes, aussi bien au civil qu’au pénal. Pionnière, l’Espagne, fait ainsi figure d’exemple pour la France qui s’est largement inspirée de plusieurs dispositions[4]( Voir  - les propos de Guy Geoffroy lors de son déplacement à Madrid le 29 novembre 2009 : « ce qui se fait en Espagne est éloquent, exemplaire et va nous permettre d’avancer à notre tour ». Deux mesures ont particulières séduit les autorités française : le portable d’urgence et le bracelet électronique.     - les dispositions de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, s’inspire très largement de la Loi Organique espagnole 1/2004) et mesures espagnoles.

 

La décision du Tribunal Suprême espagnol du 23 septembre 2008 met parfaitement en exergue les difficultés que suscite l’appréciation par le juge de la déclaration de la victime de violences conjugales, notamment quand il s’agit de l’unique preuve rapportée. Dans cette affaire, le demandeur au pourvoi  est accusé d’avoir infligé à sa jeune compagne brésilienne des violences physiques et psychologiques de manière continue de 2003 à 2008. L’arrêt attaqué l’a condamné à de multiples peines dont l'une pour délit de contrainte, deux pour délits de menaces, quatre pour violences domestiques et une autre pour détention illégale d’arme.

L’objet principal du recours en cassation qui est débattu dans cet arrêt est l’éventuelle violation du droit fondamental à la présomption d’innocence reconnu par l’article 24.2 de la Constitution Espagnole. En effet, le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas avoir mené de manière « rigoureuse » l’activité probatoire pour établir chacun des faits. Il allègue que la demanderesse s’est limitée, en première instance et en appel, à dénoncer les faits sans apporter aucune autre preuve, directe ou indirecte. Il argue que la plaignante agit dans les seuls buts d’emporter la garde de leur fils et d’obtenir la résidence espagnole (le RD 2393/2004 prévoit en effet qu’une victime étrangère de violence de genre puisse obtenir la régularisation de sa situation. Cette disposition a été conçue pour prémunir les victimes contre toute forme de chantage en les encourageant à porter plainte, quelle que soit leur situation migratoire).

 

Le demandeur au pourvoi s’appuie sur le fait que les juges de première instance se sont fondés sur la preuve unique du témoignage de la victime qu’ils jugent « crédible ». La décision d’appel utilise trois critères d’appréciation des déclarations de la victime : la persistance dans l’accusation, l’absence d’obstacles à la crédibilité subjective et l’existence de faits qui corroborent la déclaration de la victime. L’arrêt attaqué fait lui-même apparaitre certains doutes quant aux motivations de la supposée victime de maltraitance concernant la demande de régularisation et la volonté de récupérer son fils.  Il est fait mention que d’autres preuves auraient pu être rapportées, notamment le témoignage d’une amie de la victime avec qui elle avait prévu de rentrer au Brésil et celui d’un agent de police qui connaissait les faits.

La Cour rappelle qu’une jurisprudence constante[5]( Voir par exemple : STS 568/2007, 26 juin 2007) considère  que le témoignage de la victime de violences conjugales peut, si le principe du contradictoire est respecté, être une preuve suffisante pour entrainer la conviction du juge et donc  déjouer la présomption d’innocence.  Dans ce cas particulier où seule la déclaration de la victime est apportée, on peut aisément craindre que le principe de la présomption d’innocence ne soit pas totalement garanti puisqu’il existe uniquement deux versions : celle de la victime et celle de l’accusé, qui sont par définition diamétralement opposées. L’arrêt se réfère à ce cas particulier comme « une situation de crise de la présomption d’innocence ».

Les juges ont donc une lourde tâche dans l’appréciation de ce type de preuve quand elle est seule rapportée. La question déterminante sera donc celle de la crédibilité du témoignage de la victime. Le principe, en droit espagnol comme en droit français, est celui de la preuve libre : le juge l’apprécie donc souverainement. En ce qui concerne les trois critères d’appréciation du témoignage de la victime établis par la jurisprudence, la Cour précise qu’ils n’ont pas valeur de  « règles d’appréciation mais de « raisonnements pouvant être utiles dans l’expression d’un jugement. ».

 

Les critères dégagés par la jurisprudence en droits français et espagnol:

 

 L’arrêt rappelle les critères déjà dégagés antérieurement (STS 16 février 1998, 23 mars 1999, 19 juin 2006, 2 octobre 1999.)

 

-       absence d'obstacles à la crédibilité subjective due aux relations entre accusé et accusateur qui pourraient conduire à la déduction de l’existence d’un mobile de ressentiment, de non amitié ou un intérêt ou de tout autre indice qui priverait la déclaration de l’aptitude nécessaire pour pouvoir  engendrer une certitude. En d’autres termes, le fait que la victime ait un intérêt ou un désir de vengeance à ce que l’accusé soit condamné, tels que l’étaient en l’espèce la volonté de récupérer son fils et la régularisation de sa situation, rendent les faits allégués par celle-ci peu crédibles et feront obstacle à emporter la conviction du juge.

-       Vraisemblance : constatation par le juge de l’existence de corroborations périphériques de caractère objectif.

-       Persistance de l’accusation : elle doit être prolongée, continue dans le temps, réitérée, sans ambigüités, ni contradictions car il s’agit souvent de l’unique preuve présentée face à la négation de l’accusé. La possibilité d’éviter le non respect des droits de défense et une interrogation efficace du témoin mettront en exergue les contradictions que le juge considère et suppose erronées.

 

Les décisions adoptées par la Cour d’appel et le Tribunal Suprême nous montrent bien que l’appréciation souveraine de la déclaration de la victime peut être difficile et aléatoire. Si, en appel, la Cour a jugé crédible et constant le témoignage de la compagne, le Tribunal Suprême estime, quant à lui,  le pourvoi valable  aux motifs qu’il existait des motivations impures (obtenir la résidence légale et la garde de son fils) et qu’il n’y avait pas de plaintes antérieures, qu’aucune institution de protection de la femme n’est intervenue (assistante sociale, associations…) et que d’autres preuves auraient pu être apportées (les témoignages de son amie brésilienne et de l’agent de police).  En l’espèce, la décision de la Cour d’appel n’était pas suffisamment motivée pour permettre de déjouer.

Ces critères qui ont vocation à orienter le juge dans l’appréciation de la déclaration de la victime ne sont pas aussi bien identifiés par la doctrine française. En effet, bien qu’utilisés par le juge français,  la doctrine s’avère moins riche en la matière.

 

Ici une remarque plus générale mérite d’être effectuée. En effet, le constat que la doctrine a, sur le sujet qui nous intéresse et de manière plus générale, moins traité la violence de genre peut être vérifié facilement lors de recherches sur les bases de données en ligne, les revues juridiques ou encore les ouvrages de droit, de sociologie ou de psychologie. En Espagne, les ressources en matière de violence conjugale sont particulièrement nombreuses et si l’on sort du registre strictement juridique, le thème est abordé absolument partout (campagnes en permanence à la télévision, des affiches sont placardées partout dans les rues et le métro…).

 

 Si l’on prend un échantillon de décisions (C.Cass 1er déc. 2010, C.Cass 10 nov 2020, CA Douai 17 juin 2010, CA Douai 19 nov. 2009, CA Douia 7 juin 2007…) en matière de violence conjugale, on observe que le juge utilise les même critères. On retrouve par conséquent la constance dans les déclarations, la cohérence du récit (absence de contradiction) et la réitération des déclarations. Le critère de la vraisemblance est également particulièrement approfondi à l’occasion de l’adoption de la nouvelle loi du 9 juillet 2010 relative« aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants », qui crée l’ordonnance de protection et un système dérogatoire du droit commun entièrement inspirée des dispositions espagnoles. Il s’agit d’un nouvel outil applicable à toutes les formes de conjugalité pour lutter contre les violences au sein des couples qui se substitue au référé-violence français (Article 515-10 du CC : « l’ordonnance de protection est délivrée par le juge, saisi par la personne en danger, si besoin assistée, ou avec l’accord de celle-ci, par le Ministère public » qui convoquera la victime pour une audition la partie demanderesse et la partie défenderesse). Le juge peut ainsi recourir à des ordonnances générales de protection, telles les ordonnances d’éloignement, et accorder la jouissance exclusive du domicile commun au profit de la victime des violences.

 

 

La question de l’établissement de la preuve est encore plus délicate en matière de violences psychologiques. En France, l’adoption de la loi du 9 juillet 2010, qui crée un nouveau délit de violence psychologique, a suscité de vives critiques au sein de la magistrature, « où l’on craint des problèmes de définition et de preuve »[6]( Article paru dans le Point: Le Parlement crée le délit de « violence psychologique » conjugal dans la rubrique Société. ) dans un Code pénal qui réprime déjà les violences, le harcèlement moral, les menaces… L’exemple espagnol, où ce délit est reconnu depuis 2004, peut cependant rassurer le juge français. En Espagne, la preuve des violences est rapportée peut être établie par différents moyens tels les certificats médicaux faisant état d’une dépression nerveuse, la correspondance du couple (lettres, emails, et sms), et les témoignages de proches ayant assisté aux scènes de violences du couple. La reconnaissance de ce nouveau délit peut donc être saluée, notamment pour son utilité préventive : les violences psychologiques s’inscrivent souvent dans une première phase de domination (insultes, vexations, menaces) d’un partenaire sur l’autre avant qu’il n’en vienne aux mains.

 

La rétractation et les contradictions de la victime entre la phase d’instruction et l’audience compliquent encore davantage l’appréciation de la déclaration de la victime. Cependant, le juge peut, en principe, considérer qu’une des premières versions de la victime est plus vraisemblable que celle entendue lors de l’audience où elle nie les faits, se contredit ou se rétracte. Il convient de rappeler que la victime prête serment et peut être condamnée pour faux témoignage alors que l’accusé pourra user de tous les mensonges pour parfaire sa défense. Si ce postulat est évident et fondamental en droit français comme en droit espagnol, il serait peut-être plus efficace d’agir en amont plutôt que de recourir à la voie pénale en dernier ressort.  En effet, criminaliser la conduite de quelqu’un qui peut agir paralysé par la peur peut paraître disproportionné. Il serait dès lors intéressant d’agir en amont en encadrant la déclaration de la victime, comme il est prévu pour la protection  des témoins mineurs à qui l’on évite, dans la mesure du possible, la confrontation visuelle avec l’accusé « par tout moyen technique qui permet de pratiquer la preuve »[7](Voir article 707. 2 de la Ley de Enjuiciamento Criminal), en imposant systématiquement la présence d’un expert médical et en conférant à cette preuve le caractère de preuve préconstituée. Afin de ne pas mettre à mal les garanties procédurales et notamment le principe de la contradiction, cette déclaration pourrait être visionnée en direct par le juge, les avocats et la partie adverse à travers n’importe lequel des multiples moyens audiovisuels mis à notre disposition aujourd’hui. Cette vidéo pourrait être apportée comme preuve lors du procès et économiser à la femme (ou l’homme), supposée victime de maltraitance par son conjoint, partenaire ou ex compagnon[8]( La loi française (nouveauté de la loi du 9 juillet) et la loi espagnole englobent toutes les formes de conjugalité (pas seulement conjugale) et y compris les anciens partenaires.), de revivre sans cesse à travers les multiples interrogatoires, évènements qui peuvent être à plus d’un titre traumatisant. La reproduction par vidéo de la déclaration de la victime, toujours à la condition que les garanties procédurales soient respectées, pourrait alors suffire à déjouer la présomption d’innocence. 

 

De plus cette proposition s’ajusterait au droit communautaire qui considère que la victime de maltraitance est une victime particulièrement « vulnérable » et oblige les Etats membres, à l’article 8. 4 de la Décision-Cadre de l’Union Européenne du 15 mars 2001 relative au  Statut des victimes dans le cadre des procédures pénales, à garantir“lorsqu'il est nécessaire de protéger les victimes, notamment les plus vulnérables, contre les conséquences de leur déposition en audience publique, qu'elles puissent, par décision judiciaire, bénéficier de conditions de témoignage permettant d'atteindre cet objectif, par tout moyen approprié compatible avec les principes fondamentaux de son droit.”

 

Une réforme de l’article 416 LECrim est-elle nécessaire en Espagne ?

La législation espagnole à travers la LO 1/2004, fait  de la victime  un des piliers de la procédure judiciaire, en tant que principale source de connaissance des faits de la notitia criminis, mais il se trouve que dans la majorité des cas, après avoir porté plainte ou avoir mis en marche la procédure judiciaire, elle se rétracte (art 416 LEC).

La position procédurale de la victime des délits de violence de genre a connu une profonde métamorphose avec l’entrée en vigueur de la LO 1/ 2004 (LOMPIV) en passant d’un simple sujet passif secondaire du délit à un élément déterminant du procès, en faisant dépendre de sa déclaration au jugement oral (audience) la condamnation de l’agresseur. 

En Espagne, les articles 416 et 707 de la “Ley de Enjuiciamento Criminal” font l’objet d’un débat doctrinal et nombreux sont les défenseurs d’une réforme urgente du droit de la victime de genre à ne pas témoigner. Cette question est particulièrement intéressante car le choix de la victime de ne pas témoigner influe directement sur la valeur probatoire des déclarations de la victime effectuées pendant la phase d’instruction (« las declaraciones sumariales »). Outre le fait que ce choix est souvent le fruit de pressions et de menaces provenant de l’agresseur, cette prévision légale peut se retourner, comme nous allons le voir dans les arguments avancés par les défenseurs de la réforme, contre victime elle-même.

L’article 416.1 de la LECrim prévoit une dispense de l’obligation de témoigner en faveur : « des parents de l’accusé en ligne directe ascendante et descendante, son conjoint, ses frères consanguins et collatéraux jusqu’au deuxième degré civil (…) ». Dans l’article 416 LEC, il est fait mention du seul conjoint au sens strict. Dans la LOMPIV en revanche, qui élargit la dispense de l’obligation de déclarer aux sujets passifs des délits de Violence de Genre au conjoint, concubin ou ex-concubin (il n’y a donc pas une obligation de vie commune).

 

Perspectives de réformes :

De nombreux auteurs[9] (Voir notamment :  Marco Servet, Vicente : La imposibilidad de conceder a las victimas de la Violencia de Género la dispensa de declarar contra sus agresores. Art 416 LECrim: ¿Es necesaria una reforma legal? Diario la Ley, num 6333,2005).) proposent une réforme de l’article 416 LEC à travers l’exclusion littérale des victimes-témoins de la dispense de témoigner afin de garantir une sécurité juridique absolue et élargir le cadre de la protection des victimes.  Le Groupe d’Experts en Violence Domestique et de Genre du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire Espagnol s’est également prononcé en faveur de cette réforme qui voit la victime comme « un témoin privilégié eu égard au fait que dans bon nombre de cas, les faits ont lieu hors de portée des tiers, étant dans beaucoup de cas commis au domicile commun ou à celui de la victime » et allant jusqu’à dire que l’usage de l’article 416 et 707 de la LECrim pourrait supposer un cas de fraude à la loi.[10](CGPJ : Informe  del Grupo de expertos y expertas en violencia de género y Doméstica del Consejo acerca de los problemas técnicos detectados en la aplicación de la LO 1/2004, de Medidas de Protección Integral contra la Violencia de Género y sugerencias de reforma legislativa que los abordan, Madrid abril del 2006).)

La Fédération des Associations et la Fédération des Femmes Progressistes de Femmes Divorcées et Séparées suivent le même argumentaire en ajoutant que «le fait d’inviter les victimes de violences à reconsidérer et voire même à se libérer de l’obligation de déclarer après l’effort dont elles ont fait preuve aurait des « effets pernicieux ».[11] (Fédération des Femmes Progressistes de Femmes Divorcées et Séparées. Proposition de réforme des articles 416 et 418 de la LECrim)

Il convient de préciser que la jurisprudence n’est pas unanime quant au fait de s’appuyer sur  les déclarations prêtées par la victime dans la phase d’instruction mais, comme nous l’avons signalé, il est tout à fait possible que les garanties procédurales soient respectées quand l’accusé a eu la possibilité d’interroger la victime et d’entendre ses déclarations, condition fondamentale de l’acception de ces déclarations.

La problématique que pose ces propositions de réformes est que cette exclusion telle qu’elle est présentée par les défenseurs mentionnés ci-dessus pourrait se retourner contre la victime elle-même. En effet, la victime soumise à l’obligation de dire la vérité, qui, sous le coup de menaces ou de contraintes, décide de nier ce qu’elle a affirmé dans ses déclarations précédentes, s’expose alors à une accusation pour faux témoignage.

La solution retenue par le droit français pourrait alors être une source d’inspiration au projet de réforme espagnol de l’article 416 LECrim qui opte en faveur d’une solution plus rationnelle pour la victime. En effet si le Code de Procédure Pénale français impose bien l’obligation de déclarer, sans exceptions, l’article 448 du CPP exonère de prêter serment :«1ºau père, à la mère ou de tout autre ascendant du prévenu ou de l'un des prévenus présents et impliqués dans la même affaire ; 2º Du fils, de la fille ou de tout autre descendant ; 3º Des frères et sœurs ; 4º Des alliés aux mêmes degrés ; 5º Du mari ou de la femme ; cette prohibition subsiste même après le divorce». Le fait de ne pas déclarer sous serment leur permet donc d’échapper à l’éventualité d’encourir une peine pour faux témoignage. Le problème en droit français est déplacé sur le terrain de la valeur probatoire et il appartiendra au juge de pondérer la valeur, en terme de crédibilité, de déclarations effectuées sans prêter serment.

Le débat sur cette question reste ouvert en Espagne et il faudra attendre la solution qu’adoptera le législateur espagnol mais la celle retenue par son homologue français pourrait être utile à prendre en considération dans les travaux et réflexions.

Nous nous sommes attaché jusqu’à présent à étudier la valeur probatoire de la déclaration de la victime en tant que preuve unique ou en ne faisant référence qu’à ses propres caractéristiques. Il est intéressant de terminer cette approche par l’étude de la déclaration face aux autres preuves souvent produites dans les cas de violences de genre, et nous nous limiterons au certificat médical et à la preuve tirée des résultats des prélèvements ADN pratiqués sur la victime et l’accusé.

Dans le cas d’espèce, le juge a d’ailleurs relevé le manque de preuves apportées à l’instance et signalé que deux autres témoignages auraient pu être rapportés, celui d’une amie et celui de l’agent de police. L’importance des autres modes de preuve est cruciale dans ce genre d’affaire et nous le comprenons aisément suite aux nombreuses problématiques qui ont été soulevées concernant la valeur probatoire de la déclaration de la victime de genre.

Le certificat médical prend une place très importante aux côtés de la déclaration de la victime. Cependant, même quand il y a plusieurs certificats apportés comme preuve, ceux-ci n’assurent pas la réussite de l’accusation et se retournent même parfois contre la victime (c’est le cas quand des violences ont effectivement été constatées mais que la preuve qu’elles sont imputables à l’accusé n’a pu être rapportée).

Mais même s’il existe des cas dans lesquels, alors que des certificats médicaux ont été apportés, le juge a considéré que la réalité des violences n’était pas suffisamment démontrée, le certificat médical joue un rôle crucial. Ce pourquoi, la formation, l’éducation et les moyens d’accès aux associations et autres organismes d’aide aux victimes sont primordiaux car toutes ces démarches contribueront à emporter la conviction du juge. Il convient de rappeler ici la remarque que nous avons faite plus haut, à savoir que l’Espagne dans ce domaine est bien plus avancée et que la France doit continuer de prendre exemple sur l’approche et le traitement du gouvernement et de la société espagnole des violences de genre. (On notera que dans cette lancée. la violence contre les femmes a été déclarer grande cause nationale en 2010).

La preuve par ADN mérite également qu’on s’y attache car s’agissant d’une preuve scientifique, sa valeur probatoire est particulièrement forte. Pour que la preuve soit recevable, l’accusé doit s’y être soumis de manière volontaire. Ce cas de figure se présente quand l’analyse d’échantillon ADN n’a pu être prélevé sur le lieu du crime. La problématique de ce dispositif est que certains tribunaux accordent une valeur probatoire au refus du prévenu à se soumettre au test. Personne ne peut s’empêcher de penser, et le juge n’y échappe pas, que  celui qui refuse un prélèvement est coupable. En effet, quelles seraient les autres raisons de cette objection ? Le débat est complexe et mériterait plus de temps mais nous signalerons simplement que si ces prélèvements venaient à être obligatoires, nous tirerions certainement davantage du grand potentiel probatoire de ce mode de preuve. Cette obligation susciterait évidemment le problème du respect des droits fondamentaux et notamment de la liberté de disposer de son corps et du respect de l’intégrité physique de l’individu  mais peut être est-elle envisageable en cas de délits graves.  Les restrictions aux libertés fondamentales pourraient alors être justifiées

 

Bibliographie

 

-       Testigo y victima: Dispensa a declarar, Igor Piñeiro Zabala, Diario La LEY, Nº 7519, sección Doctrina.

-       Particularidades de la prueba en los delitos de violencia de género, Manuel Miranda Estrampes.

-       La protección del testimonio de la mujer víctima de violencia de género, Carmen Navarro Villanueva

-       Violencia de género : La violencia sexual a debate, Tirant Monografías 722. Coordinadoras Maria Lameiras Fernández et Inés Iglesias Canle.

-       “La Evaluación de la credibilidad del testimonio de víctimas”, Jaume Masip y Hernán Alonso.

-       « Quelle protection contre les violences au sein des couples ? » Etude par Mélina Douchy-Oudot.

-       La répression des violences conjugales : contribution du juge pénal à la victoire de Lilith sur Eve. Droit de la famille nº7, juillet 2008, étude 18

-       Intensification de la lutte contre les violences conjugales. Commentaire de la loi nº2010-769 du 9 juillet 2010. Etude par Isabelle Corpart.