ALLEMAGNE – L’obligation de minimiser son propre dommage – arrêt du 25 novembre 2008 de la Cour fédérale de justice – Explications d’un mécanisme qui n’existe pas en France – Par Hélène SCHIELLEIN

''Un accident de la circulation a eu lieu. L’assurance du responsable est condamnée à prendre en charge les dommages subis par la victime, dont le véhicule est complètement détruit. Le problème auquel doit répondre la Cour fédérale de justice allemande se concentre sur l’achat d’une nouvelle voiture : la victime aurait pu/dû, selon l’assurance, pour minimiser son dommage, faire un choix différent afin d’obtenir un rabais d’impôt. La Cour ne partage pas cet avis et rejette, dans son arrêt du 25 novembre 2008, la requête de l’assureur : la victime n’avait pas, dans le cas d’espèce, à limiter ainsi son dommage.''

Cette décision récente, bien que d’espèce, rappelle les différences entre les deux droits français et allemand et pousse à se lancer dans le jeu de la comparaison juridique : l’obligation de minimiser son propre dommage divise en effet les deux ordres juridiques. Alors qu’en France, une telle obligation n’a pas été accueillie, le droit allemand lui réserve une place dans le BGB (Code civil allemand), au II du §254. Celui-ci prévoit en effet que la faute de la victime peut être retenue dans le cas où cette dernière s’est abstenue d’éviter ou d’amoindrir le dommage qu’elle a subi.

Une limitation à l’indemnisation dont la Cour de cassation ne veut pas. C’est la deuxième chambre civile qui l’affirme très clairement dans deux arrêts du 19 juin 2003 : « la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Dans les deux affaires, un accident de la circulation a eu lieu. Les victimes se fondent sur l’article 1382 du Code civil pour demander une indemnisation de leur préjudice à l’auteur du dommage. Dans la première espèce, c’est un préjudice économique qui doit être réparé : l'exploitante d'un fonds de commerce de boulangerie et sa fille ont été blessées lors d’un accident. Après plusieurs mois d'incapacité totale, toutes deux restèrent atteintes d'une incapacité partielle. Ni l'une ni l'autre n’étaient donc en mesure d'assurer l'exploitation du fonds que la mère comptait laisser à sa fille après sa retraite. Resté inexploité pendant 6 ans, le fonds perdit toute valeur, la clientèle ayant disparu et le matériel étant devenu obsolète. Le problème de droit était le suivant : le préjudice économique résultant, pour la mère, de la perte de son fonds de commerce, et, pour la fille, de la perte d’une chance d’avoir pu reprendre l’exploitation de la boulangerie doivent ils être pris en compte dans l’évaluation de leurs indemnités ? Selon le défendeur et son assureur, la boulangère aurait pu faire exploiter le fonds par un tiers et la perte de valeur ne devrait alors pas être de la responsabilité de l’auteur de l’accident. Contrairement à la Cour d’appel qui considéra que la périclitation du fonds n’était pas une conséquence de l’accident, la Cour de cassation se rangea du côté des victimes qui invoquaient le principe de la réparation intégrale : selon elles, tant les préjudices physiques que leurs conséquences économiques devaient être indemnisés. Dans la deuxième affaire, la victime a été atteinte de troubles psychiques suite à l’accident. Elle avait décliné l’invitation de ses deux médecins à pratiquer une rééducation. Selon la Cour d’appel, le refus des soins concourt à la persistance des troubles : elle décide donc de réduire l’indemnisation. Encore une fois, la Cour de cassation en décide autrement et indique que la victime n'avait pas l'obligation de se soumettre aux actes médicaux préconisés par ses médecins et « qu'elle n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ».

Apparue dans les systèmes juridiques de Common Law, l’obligation de minimiser son propre dommage n’a donc pas été accueillie par la jurisprudence, en tout cas sur le terrain du droit de la responsabilité civile. (Car depuis l’adoption de l’article 77 de la convention de Vienne de 1980, l’obligation est ancrée dans le droit de la vente internationale de marchandises). L’isolement du droit français est donc très claire, quand on sait de plus que les principes relatifs aux contrats du commerce international rédigés par les juristes d'UNIDROIT contiennent un principe analogue, tout comme les principes du droit européen des contrats issus des travaux de la Commission Lando. Et encore : L’avant projet Catala de réforme du droit des obligations qui vise à moderniser le droit civil introduit, lui aussi, le principe de la minimisation du dommage par la victime. D'après l'article 1373 « Il sera tenu compte de l'abstention de la victime par une réduction de son indemnisation lorsque cette victime avait la possibilité par des moyens sûrs, raisonnables et proportionnés, de réduire l'étendue de son préjudice ou d'en éviter. »

Un principe introduit par le législateur et mis en œuvre par le juge allemand. On doit immédiatement préciser qu’il n’existe pas de principe de réparation intégrale en Allemagne : la réparation, contrairement à ce que nous connaissons en France, n’a pas vocation à être intégrale, mais équitable (« billige Entschädigung »). Cet argument ne pouvait alors pas être avancé pour faire obstacle à l’introduction d’une règle de minimisation du dommage. Les juges fixent le montant de l’indemnisation en fonction notamment de la situation financière des parties et de la gravité de la faute : la réparation fait ouvertement office de peine privée.La Cour fédérale de Justice allemande, dans son arrêt du 25 novembre 2008, décide que l’obligation pour la victime de minimiser son dommage contenue dans le §254 II du BGB n’est pas applicable en l’espèce. Car même si le législateur allemand, contrairement au français, a fait une place à la « mitigation » dans le Code Civil, c’est toujours au cas par cas, in concreto, que le juge allemand décide de valider l’application de cette « obligation contre soi-même » (« Obliegenheit »).

Les critiques ne sont pas que françaises : le critère de contrôle de la Cour fédérale de Justice a un temps fait débat au sein de la doctrine allemande. En effet, c’est sur le fondement de la bonne foi (« Treu und Glauben ») et d’une appréciation in concreto que le juge s’appuie pour déterminer si oui ou non, la victime aurait du minimiser son dommage. Si on apprécie le choix en ce sens qu’il permet de ne pas rendre des décisions sur le principe du « Tout ou rien », les mauvais côtés de cette méthode sont par ailleurs soulignés. En effet, ce genre de critères ne permet pas aux justiciables de pouvoir prédire – au moins dans un premier temps – les chances d’indemnisation qui s’offrent à eux, et il est difficile de comprendre, pour une victime, que le fait de ne pas se soigner ou de ne pas agir dans son propre intérêt puisse être sanctionné.

La pratique allemande Certes, la matière en devient totalement casuistique, mais la jurisprudence de la Cour suprême est maintenant assez constante et il devient plus simple de savoir ce qu’adviendra de la demande d’indemnisation d’une victime. Si on prend l’exemple des dommages corporels, des règles claires se sont dégagées au fil du temps : la victime doit demander une prise en charge médicale, sauf à ce que les blessures soient superficielles. Dans ce contexte, la victime doit également suivre les conseils médicaux qui lui sont prodigués, comme par exemple la prescription d’un régime diététique. En ce qui concerne les opérations, la victime est obligée de les subir si elles sont simples, sans danger, ne provoquent pas de douleurs particulières et qu’elles permettent la guérison ou une amélioration importante de leur état (« einfach, gefahrlos und nicht mit besonderen Schmerzen verbunden ist sowie sichere Aussicht auf Heilung oder wesentliche Besserung bietet »). Le fait de nécessiter une anesthésie ne rend pas par exemple à elle seule l’opération dangereuse.

Si on fait un état des lieux sur la présence d’une obligation de minimiser son propre dommage dans le paysage juridique franco allemand, on peut dire qu’elle est présente dans tous les domaines en Allemagne, de la responsabilité civile aux actions en indemnisation contre l’Etat et nulle part en apparence en France, surtout pas dans le domaine de la responsabilité civile, sauf si on s’intéresse aux ventes internationales de marchandises. Est-ce à dire qu’en France, on considère que l’indemnisation intégrale d’une victime qui par négligence grossière laisse se développer un dommage qu’elle aurait pu facilement limiter est normale ? La doctrine, si elle critique le principe de la « mitigation », ne tombe pas dans cet excès. Elle se demande alors quels moyens pourraient être utilisés en France pour réagir à ces comportements de la victime. On s’intéresse alors naturellement à l’article 1151 du Code civil selon lequel : « même en cas de dol commis par le débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et des gains dont il a été privé, que ce qui est la suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention. » L’application de cette disposition pour priver le créancier de la possibilité d’obtenir l’indemnisation des aggravations dues à tout autre chose que l’inexécution de la convention elle-même serait pour certains la solution. Pour d’autres, le fait qu’elle soit complètement délaissée par la jurisprudence prouve qu’elle n’est pas une solution de remplacement valable pour la « mitigation of damages ». Il ne fait de toute façon aucun doute que l’évaluation par le juge des dommages et intérêts à accorder prend déjà en compte une certaine exigence de diligence à la charge de la victime : il est aujourd’hui admis que la faute de la victime ou le fait du créancier, même lorsqu’ils ont seulement contribué à l’aggravation du dommage initial, ont un effet exonératoire ! Le fait d’évaluer le montant des dommages et intérêts au jour où le juge statue permet en outre de faire jouer ce mécanisme de réduction.

Le juge français semble alors disposer des moyens nécessaires pour éviter les comportements discutables de la victime quant à la limitation de son propre dommage, et peu importe l’isolation dans laquelle notre droit se trouve, les changements ne se profilent pas vraiment à l’horizon. Parallèlement, son voisin allemand continue de construire sa jurisprudence sur le §254 II, notamment par cette décision de 2008 qui précise encore l’étendue de l’obligation pour la victime de minimiser son propre dommage.

Bibliographie

• Décision commentée: - BGH, Urteil vom 25. 11. 2008 – VI ZR 245/07

• Autres décisions: - Cass. 2e civ., 19 juin 2003 (deux arrêts) : Juris-Data n° 2003-019462 ; JCP G 2003, IV, 2427

• Ouvrages généraux: - Ph. MALAURIE – L. AYNES – P. STOFFEL-MUNK, « Les obligations », édition Defrénois – Droit civil- 2004 - PALANDT BGB Kommentar 69. Auflage 2010, §254 II

• Ouvrages spécialisés: - G. VINEY – « responsabilité civile » - La Semaine Juridique Edition Générale n° 1, 7 Janvier 2004 - A. METTETAL, « L’obligation de modérer le préjudice en droit privé français » - Revue de la recherche juridique, droit prospectif, 2005 n°4 - S. REIFERGESTE – «Pour une obligation de minimiser le dommage » - Thèse PUAM 2002

• Site internet : - http://de.wikipedia.org/wiki/Schadensminderungspflicht