Attribution du nom et citoyenneté européenne : le droit international privé des Etats Membres remis en question par le droit communautaire par Julien de CRUZ
Depuis quelques années, il est clair que l’intégration européenne touche plus de domaines que les simples questions économiques. Ainsi, une nouvelle génération émerge de citoyens mobiles vivant et se déplaçant dans plusieurs Etats Membres. Pourtant, les droits nationaux des Etats Membres pour les questions touchant, par exemple, au droit des personnes sont encore très différents. C’est pourquoi les décisions Konstantidinis, Avello et les conclusions de l’avocat général dans la très récente affaire Grunkin Paul montrent toutes une volonté de la Cour de faciliter le mouvement de ces citoyens mais semblent s’y prendre de façon un peu cavalière et au détriment des méthodes classiques du droit international privé. Encore un pan de droit national bouleversé par les nouvelles réalités juridiques européennes? Sources notamment commentées : Affaire C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I-16613 et Affaire C-353/06 Epoux Grunkin et Paul conclusions de l’avocat général Sharpston du 24 avril 2008
En 2006, moins de 2% des citoyens de l’Union Européenne (UE) des 25 vivaient et travaillaient dans un Etat Membre autre que leur Etat d’origine, une proportion qui n’a guère changé depuis trente ans. (source: Eurostat et site de l’Union sur la mobilité des travailleurs http://ec.europa.eu/employment_social/workersmobility_2006/index.cfm?id_...)Il s’agissait à l'époque d’un peu moins de 3 millions de personnes. Ce chiffre a sûrement légèrement augmenté depuis l’élargissement à 27 Etat Membre. La mobilité de ces Européens a donné lieu à une jurisprudence fournie de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) notamment dans le domaine des prestations sociales que ces citoyens peuvent recevoir dans les Etats Membres, les discriminations étant souvent légion pour ces travailleurs pas toujours reconnus sur un pied d’égalité avec les ressortissants locaux. Dans ce domaine, les principes de non-discrimination et de citoyenneté européenne sont graduellement devenus la justification principale pour assurer l’égalité de traitement entre les citoyens de l’UE.
Si cette extension de l’emprise de l’UE dans le domaine sensible de l’Etat providence est de plus en plus acceptée, les Etats Membres gardent encore des domaines réservés concernant le droit des personnes. Ainsi, lorsque ces citoyens mobiles se trouvent confrontés à des problèmes d’Etat Civil ou de successions c’est le droit international privé de chacun de ces Etats Membres qui reste la règle. Pourtant la jurisprudence récente de la CJCE montre que celle-ci s'immisce de plus en plus dans le domaine du statut personnel en droit international privé. Les jurisprudences Konstantinidis et Avello (Affaires C-168/91 Christos Konstantinidis contre Stadt Altensteig Recueil 1993 p I-01191 et C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I-16613) , et les toutes récentes conclusions de l’avocat général Sharpston dans Grunkin et Paul (Affaire C-353/06 conclusions de l’avocat général du 24 avril 2008) sont significatives de cette tendance, concernant toutes des problèmes d’attribution du nom, ces affaires montrent que les questions techniques d’Etat Civil de ces citoyens mobiles concernent désormais l’Europe. Assiste-t-on aux prémisses d’une harmonisation des règles du statut personnel en Europe? Il est trop tôt pour le dire mais on peut déjà anticiper que ces questions vont prendre de plus en plus d’importance. A l’heure actuelle, la littérature concernant le droit privé des personnes et le droit communautaire est assez peu fournie. Les spécialistes du droit communautaire et du droit international privé commencent néanmoins à s’y intéresser avec des réactions différentes de part et d’autre du continent et selon leur spécialité.
Cet article s’attachera à résumer les récentes décisions pertinentes. Il rappellera que ces décisions restent toujours inscrites dans une logique de renforcement de la liberté de circulation des personnes. Les frictions entre les provisions du traité et le droit international privé des Etats Membres seront ensuite étudiées à la lumière des différentes opinions doctrinales qu’elles ont suscitées. La question restant encore relativement neuve, quelques pistes de réflexions seront ensuite données pour tenter d’imaginer quelles directions prendra l’UE concernant la question du statut personnel, appelé à se développer avec la mobilité des enfants de l’Eurogénération. Pour y répondre, il est intéressant de se pencher sur les différentes conceptions doctrinales des Etats-Membres en droit international privé. Cette comparaison montre que les privatistes continentaux semblent bien plus préoccupés par la conservation d’une certaine rigueur juridique que leurs voisins britanniques. Deux modèles se dessinent et la CJCE semble avoir déjà fait son choix.
A. Attribution du nom et droit communautaire, panorama des récentes décisions
Les systèmes d’attribution du nom sont presque tous identiques entre les Etats Membres de l’UE. Dans la plupart d’entre eux, l’enfant reçoit simplement le nom de famille de son père. Pourtant il y a quelques différences notables quand pour les règles posées par les Etats Membres dans les cas de noms combinés. Au Danemark, les noms des deux parents peuvent être combinés à la condition de l’ajout obligatoire d’un trait d’union. En Espagne, la règle générale d’attribution du nom consiste à attribuer à l’enfant la première partie du nom de famille de son père suivie de la première partie du nom de famille de sa mère. Il est aussi possible d’inverser l’ordre des deux sur demande. Au Portugal, un enfant se voit attribuer un nom de famille composé de quatre éléments maximum choisis parmi les noms de famille des parents ou des grands-parents mais dans les faits, les noms de familles sont souvent formés “à l’espagnole”. Au Royaume Uni, il n’existe pas de règle formelle gouvernant l’attribution du nom de famille. Les parents peuvent donc choisir théoriquement le nom de famille qu’ils désirent mais en pratique c’est presque toujours le nom du père qui est choisi.
1. L’arrêt Konstantinidis
Face à ces différences techniques mais bien réelles, il est surprenant que les questions d’attribution du nom dans les différents Etats Membres aient fait l’objet de si peu de contentieux de la CJCE. La première affaire significative, Konstantinidis, concerne un ressortissant Grec travaillant en Allemagne. Les services de l’Etat Civil allemand avaient transcrit son nom hellénique en une écriture latine d’une façon qui lui portait préjudice car ne respectant pas la prononciation de son nom. La Cour Européenne lui donna raison en se basant sur l’article 52 du Traité sur la liberté d’établissement. Il considéra que les autorités allemandes devaient autoriser le plaignant à être enregistré avec la transcription du nom qui lui convenait car dans le cas contraire il serait dans une situation désavantageuse par rapport à des ressortissants allemands dans l’exercice de sa liberté d’établissement.
Ici le droit international privé allemand n’était pas remis en cause par l’arrêt. Il posait simplement le principe que les règles d’attribution du nom des Etats Membres devaient être compatibles avec les libertés garanties par le traité.
2. L’arrêt Garcia Avello
L’arrêt Garcia Avello, quelques années plus tard, a pour sa part fait couler beaucoup plus d’encre puisqu’il mettait directement en jeu un arbitrage entres les ordres juridiques de deux Etats Membres. Dans cette affaire, un ressortissant espagnol, M. Garcia Avello, s’était marié à une ressortissante belge Mme Weber. Tous deux vivaient en Belgique. Ils eurent des enfants qui furent enregistrés par l’Etat Civil belge selon les règles belges d’attribution du nom. Ils reçurent donc le nom de leur père “Garcia Avello”. Les parents demandèrent le changement du nom de leurs enfants pour “Garcia Weber” conformément à la loi espagnole. Les autorités belges refusèrent au motif que les enfants étaient de nationalité belge et devaient se voir appliquer la loi belge. Le Conseil d’Etat belge demanda donc à la CJCE si le choix par les autorités belges de faire primer la loi belge sur la loi espagnole en ce qui concerne l’attribution du nom d’enfants qui ont les deux nationalités était contraire au traité.
La CJCE a répondu par l’affirmative en construisant son raisonnement en plusieurs étapes. En premier lieu, elle affirme que l’affaire relève du champ d’application rationae personae du droit communautaire car les deux enfants possédant la nationalité d’un Etat Membre de l’Union, ils étaient citoyens européens au titre de l’article 17 du traité. Puis se référant à ses jurisprudences antérieures (Affaires C-184/99 Grzelzcyk Recueil 2001 p I-06193 et C-224/98 D’Hoop Recueil 2002 p I-06191), la Cour réaffirma qu’en tant que tels ils étaient bénéficiaires de l’égalité de traitement avec les autres ressortissants des Etats Membres pour les situations qui ressortissent du champ d’application rationae materiae du traité notamment pour ce qui est de la liberté de circuler et séjourner dans un autre Etat Membre de l’article 18 TCE.
Puis, reconnaissant que les questions d’attribution du nom ne ressortissent pas du champ d’application rationae materiae, la Cour affirma que les Etats Membres étaient néanmoins tenus de respecter le droit communautaire dans l’exercice de cette compétence (para. 25). La Cour déclara donc dans un premier temps infondé la pratique belge de faire primer la nationalité belge sur la nationalité espagnole des enfants et examina ensuite si la pratique incriminée constituait bien une discrimination à la lumière du traité. Elle considéra que tel était le cas car ces enfants ayant la double nationalité étaient dans une situation différente des ressortissants belges ayant la seule nationalité belge. Du fait de leur situation ils pouvaient avoir des inconvénients dans leur vie future dans l’autre Etat Membre si celui-ci leur reconnaissait un nom différent. Cela était le cas en espèce puisque l’ambassade espagnole avait enregistré les enfants sous le nom conforme à la loi espagnole. Par conséquent, la Cour affirma clairement que les règles d’attribution du nom belges étaient contraires aux articles 12 et 17 du traité.
3. Les conclusions de l’avocat général dans Grunkin Paul
Enfin, la suite d’affaire plus récente concernant les époux Grunkin et Paul (Affaire C-353/06 conclusions de l’avocat général du 24 avril 2008) vient confirmer la tendance démarrée par l’arrêt Avello. Cette affaire concerne des ressortissants allemands vivant au Danemark et dont le fils s’est vu attribuer leurs noms respectifs accolés par un trait d’union conformément à la loi danoise. Mme Paul divorça ensuite de son mari et celui-ci se réinstalla avec son fils en Allemagne. Les autorités allemandes refusaient de reconnaître le nom Grunkin-Paul car le droit international privé allemand prévoyait une règle de conflit par laquelle le nom était attribué conformément à la loi de la nationalité de l’enfant. Le droit allemand ne connaissant pas le nom composé séparé par trait d’union refusa de reconnaître ce nom à l’enfant.
Les époux Grunkin et Paul attaquèrent d’abord cette décision par une suite de recours administratifs au sujet desquels la CJCE refusa de se prononcer car la procédure de question préjudicielle ne peut pas concerner des décisions administratives prises sans qu’il ait été besoin de trancher un litige. La juridiction qui posait la question préjudicielle n’avait pas été celle qui avait pris la décision litigieuse et avait été saisie par les époux pour une autre cause (voir Affaire C-96/04 Demande de décision préjudicielle: Amtsgericht Niebüll - Allemagne Recueil 2006 p. I-03561). Les époux ont donc entrepris de nouveau leur procédure devant une juridiction différente comme le requiert le droit allemand et qui a à son tour posé une question préjudicielle à la CJCE. Cette affaire est encore pendante mais les conclusions de l’avocat général Sharpston (celui-ci n’a pas contesté la compétence de la juridiction allemande a posé une question préjudicielle à la CJCE) ont été publiées le 24 avril 2008 et confirment la “méthode Avello”. Pour déterminer si la mise en œuvre de la règle de conflit est compatible avec le traité, l’avocat général procède d’abord à l’examen de l’affaire au regard du champ d’application du traité. Puis, il détermine si il y a discrimination par l’application de cette règle et ensuite si une liberté du traité a été méconnue. Ici, suivant à peu près le même raisonnement que dans l’affaire Avello, l’avocat général a considéré que l’enfant Grunkin-Paul pouvait voir sa liberté de séjourner et circuler dans un autre Etat Membre affectée par les règles de droit international privé allemandes. De façon encore plus intéressante, il a également l’occasion d’expliciter plus avant le raisonnement juridique justifiant cette “méthode”, de nombreux enseignements ressortent de cet exposé et donne aussi des clés pour anticiper des décisions à venir. Plusieurs tendances se dégagent de ces conclusions. D’une part, l’avocat général réaffirme l’approche très fonctionnaliste de cette méthode, qui a pour but premier de renforcer la liberté de circuler et séjourner dans un autre Etat Membre formulée par le traité. D’autre part, on assiste à un élargissement du principe de non-discrimination à des situations qui ne touchent pas directement la discrimination basée sur la seule nationalité. Enfin, bien que cela ne soit pas toujours explicite, ces décisions confirment que de plus en plus de domaines du droit international sont susceptibles d’entrer en friction avec le droit communautaire. Cet article va maintenant s’attacher à examiner ces différentes tendances.
B. Des décisions servant les objectifs du traité
Les décisions précitées ont toutes des incidences plus ou moins directes sur le droit national des Etats Membres en matière d’Etat Civil, un des domaines les plus attachés à leur souveraineté. Il ne faut cependant pas oublier que toutes ces décisions et avis répondent à une logique de respect du traité dont l’objectif principal est d’en renforcer l’effectivité notamment en ce qui concerne la liberté de circulation des personnes. L’arrêt Konstantinidis affirme que la pratique de translittération du nom par les autorités allemandes méconnaît le principe de liberté d’établissement de l’article 52. L’arrêt Avello est basé sur une interprétation plus large combinant les dispositions sur la non-discrimination et la citoyenneté européenne. Quant à l’affaire Grunkin Paul, la question portait sur la conformité des règles de conflit allemandes par rapport au principe de non discrimination couplé avec les dispositions de l’article 18 du traité concernant la liberté de séjour et de circulation pour les citoyens de l’Union Européenne.
La CJCE ne se départit donc pas de son rôle qui est d’assurer la bonne application du traité par les Etats Membres, il ne semble pas judicieux de considérer qu’elle vienne s’approprier la compétence d’évaluation des règles sur le statut personnel des Etats Membres. Dans chacune des affaires concernées, les règles mises en places au niveau national ont pour conséquence ou pour conséquence potentielle d’entraver la libre circulation et le séjour d’un citoyen européen en lui créant des difficultés. L’idée est que chaque disparité législative ou chaque “tracasserie” administrative pouvant créer un frein à la circulation des personnes est susceptible d’être sanctionnée par la Cour. Ainsi son interprétation peut être particulièrement large comme le montre son raisonnement dans Avello où elle considère que de simples difficultés potentielles et futures dans la vie de ces enfants résultant d’une disparité de leur nom en Belgique et en Espagne représentent une entrave au traité (paragraphe 25 de l’arrêt). Le raisonnement de l’avocat général dans Grunkin Paul est le même. Au paragraphe 78, il raisonne de façon très concrète par analogie. Il explique qu’une personne dans le cas de cet enfant “s’il y a désaccord entre son acte de naissance et ses documents de voyage sera exposé à des inconvénients. ... Il se peut très bien qu’il se rende dans un Etat membre tiers et qu’il y rencontre des difficultés administratives parce qu’il porte des noms différents dans différents documents.”
La Cour montre très clairement une intention pragmatique de simplifier la vie de ses enfants à double nationalité ou à double résidence. Ecartant assez vite la méthode traditionnelle du conflit de loi, elle adopte une approche très fonctionnaliste pour renforcer les libertés prévues par le traité, l’effectivité de la citoyenneté européenne tout en donnant forme à l’espace de liberté, sécurité et justice promu par le traité.
Plus encore, elle introduit en matière de statut personnel sa doctrine bien connue de la reconnaissance mutuelle. Un nom donné par un Etat Membre vaut bien celui d’un autre et reconnaître comme valide celui attribué par un autre n’a qu’un seul but: faciliter l’exercice des libertés du citoyen européen dans leurs manifestations les plus concrètes.
Bien qu’il soit à saluer que des initiatives soient prises pour éviter de longues discussions doctrinales pour aboutir à une solution satisfaisante et sensée pour les parties, on peut tout de même se poser des questions quant à la méthode employée par la Cour. N’est-il pas un peu cavalier de sa part de s’introduire au coeur du droit international privé, branche d’un droit national et d’en redéfinir les méthodes et finalement d’en vider quelque peu le contenu ?
C. Incursions du droit Européen dans le droit international privé des Etats Membres
Après que la décision Avello soit rendue, la Cour a été critiquée pour son approche et sa méthode. A la lumière des conclusions de l’avocat général Sharpston dans Grunkin et Paul, on se rend compte que les mêmes critiques restent d’actualité.
Ce qui frappe d’abord dans l’approche adoptée par la Cour, c’est l’extension considérable que subit le principe de non-discrimination. A l’origine, celui-ci prévoit qu’un traitement similaire doit être accordé aux ressortissants de tous les Etats Membres dans les domaines qui rentrent dans le champ d’application du traité. Or, les questions d’Etat Civil ne sont mentionnées nulle part dans le traité. La Cour a donc décidé de raisonner de façon purement prospective. Si les enfants ont un rattachement avec deux Etats Membre, ils sont donc citoyens de l’Union et l’Etat Membre est tenu à cet égard de respecter le droit communautaire pour les questions d’Etat Civil (voir para 25). La Cour se justifie ensuite en signalant que les conséquences d’une disparité de nom pour les enfants auraient des conséquences préjudiciables quand ceux-ci exerceront leur liberté de circulation. Ici, la Cour applique le principe de non-discrimination à une situation non couverte par le traité. Elle s’arroge de juger sur le fond sur une situation ayant un rapport indirect et seulement potentiel à la libre circulation des personnes. Dans ce cas, il est tout à fait plausible d’imaginer que la décision dans Avello puisse trouver à s’appliquer dans d’autres contextes comme les successions, les régimes matrimoniaux ou encore la forme ou les effets du mariage. Puisque toutes les disparités culturelles dans ce domaine vont à terme créer des situations complexes pour les couples inter-Etats Membres, il y a désormais une possibilité pour que la Cour joue un rôle d’arbitre dans ces domaines.
Cela pose un problème simple, celui de l’appropriation ou l’englobement pur et simple du droit international privé par le droit communautaire. Ce problème montre aussi une autre faiblesse de l’arrêt. Même si la Cour a sûrement été guidé par le bon sens, il n’en reste pas moins qu’elle a favorisé la forme espagnole du nom des enfants et donc directement choisi quelle loi serait applicable. Comme l’a fait remarquer Paul Lagarde, la Cour aurait très bien pu reconnaître que le droit belge devait être appliqué. Cela signifie qu’elle a directement mis en oeuvre le choix de la loi et qu’elle l’a fait finalement de façon arbitraire. Dans les conclusions de l’avocat général dans Grunkin et Paul, on retrouve le même problème car celui-ci marque sa préférence pour l’utilisation du nom danois mais dans ce cas elle marque une préférence pour la loi de son lieu de résidence et non de sa nationalité. Finalement, sans vouloir le déclarer franchement, la Cour voit les règles de droit international privé comme des obstacles à l’application du traité.
Il est intéressant de constater qu’il y a eu assez peu de littérature à la suite de la jurisprudence Avello. Les principales critiques ont émané des doctrines françaises (notamment Paul Lagarde, Revue critique de droit international privé 2004 p.192-202) et allemandes (voir Thomas Ackermann in Common Market Law Review 2004 p 141-154), pays où le droit international privé a une histoire longue et riche. La discipline est également très rodée dans ces pays et les décisions mettant en jeu la méthode des règles de conflits sont très nombreuses. Il est assez normal donc que cette approche de la Cour en total décalage avec cette pratique très systématique a provoqué des réactions. Aucun auteur britannique n’a par exemple commenté la décision (les revues de langue anglaise comportent des commentaires de la décisions écrits par des professeurs néerlandais ou allemands. Les revues entièrement consacrées à la matière au Royaume Uni sont du reste peu nombreuses et récentes et s’intéressent plutôt aux relations entre le droit international privé et les libertés fondamentales comme le Journal of Private International Law). Le raisonnement très pragmatique de la Cour a en effet beaucoup de points communs avec la méthode judiciaire britannique, les intérêts des parties ont plus d’importance que le maintien d’une méthode rigoureuse. Comme on l’a dit plus il n’y a d’ailleurs pas de règles strictes sur l’attribution du nom en Grande Bretagne et le droit international privé quant à lui est une discipline moins développée et moins enseignée.
La Cour a sûrement approché les problèmes d’histoire dans une optique proche de la Common Law sans attacher une grande importance aux conséquences pour les pays où le droit international privé et le droit des personnes en général repose sur des valeurs plus traditionnelles. A-t-elle pêché par naïveté ou cherche-t-elle à dépoussiérer les règles nationales dans ce domaine? Il est encore trop tôt pour le dire mais il reste que la méthode est plutôt à déplorer car elle va engendrer des confusions, mais il existe sûrement une façon plus franche d’aborder le sujet du statut personnel et du droit communautaire.
Conclusion
Comme on l’a vu plus haut, les règles d’attribution du nom sont loin d’être anecdotiques. Elles reflètent aussi pour une large part la culture d’un pays, cela est particulièrement vrai pour l’exemple espagnol. D’un autre côté, tout comme la Belgique l’avait avancé vainement pour sa défense, il faut tenir compte de l’intégration des individus dans la société d’accueil. On peut donc regretter que ces questions fassent irruption par la petite porte dans des décisions jurisprudentielles sans que les Etats Membres aient pu définir des principes directeurs. De plus, les conventions existantes sur le nom signées sous les auspices de la CIEC (mais il est vrai par seulement quelques Etats membres) risquent de se voir court-circuitées ou inopérantes par ce système européen de reconnaissance mutuelle du nom de famille établi aux contours encore flous. Le débat finalement plus large de l’identité européenne et de sa nécessité se pose par l’irruption de ces litiges. L’identité européenne passe-t-elle par un nivellement de certaines différences ou reste-t-elle à l'état de concept? Il est clair que la Cour cherche à donner vie à la citoyenneté européenne mais cette approche par petites touches et un peu hasardeuse risque de la desservir et provoquer un repli des Etats Membres sur leur droit national.
Bibliographie
Jurisprudence
Affaire C-168/91 Christos Konstantinidis contre Stadt Altensteig Recueil 1993 p I-01191
Affaire C-148/02 Carlos Garcia Avello contre Etat belge Recueil 2003 p I-16613
Affaire C-353/06 Epoux Grunkin et Paul conclusions de l’avocat général Sharpston du 24 avril 2008 (http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=EN&Submit=Rechercher$docrequire=alldocs&numaff=C-353/06&datefs=&datefe=&nomusuel=&domaine=&mots=&resmax=100)
Articles
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Verlinden, Johan: The Columbia Journal of European Law 2005 p.705-716