Coopération judiciaire et faillite internationale: les limites du principe de comity dans le traitement international des entreprises en difficultés illustrées par l’arrêt Canadien Re Matlack Inc., par Julia Sedef

La globalisation du droit des affaires a rendu inévitable la confrontation du droit des entreprises en difficultés avec la scène internationale. L’arrêt canadien Re Matlack de la Cour Suprême de la province de l’Ontario en est une illustration topique. Cet arrêt de principe fixe les conditions d’une bonne coopération judiciaire des liquidations à travers les principes de comity et de communication de tribunal à tribunal. Le juge ne s’attaque cependant pas aux limites présentées par les principes de territorialité et de réciprocité que la loi type et le règlement CE 1346/2000 de l’Union ne permettent de résoudre que partiellement.

Suite à l’émergence de larges multinationales disposant de filiales implantées dans plusieurs pays, la période de récession des années 1980-1990 a créé pour le juge des situations de liquidation complexes pour lesquelles le droit n’apportait aucun éclaircissement. En effet, dans un contexte international le corps de règles procédurales et substantielles du for en matière de procédure collective s’est avéré insuffisant et inefficace pour répondre aux problèmes posés par l’internationalité d’une liquidation. Outre la reconnaissance du jugement étranger se posent les problèmes de la protection des créanciers, des biens situés à l’étranger et de l’exécution d’une décision sur la saisie d’un bien localisé sur un territoire autre que celui du for. Une coordination et coopération judiciaire en matière de liquidation internationale était donc inévitable et nécessaire.

L’arrêt Re Matlack (2001) s’inscrit précisément dans ce contexte. En l’espèce, la société demanderesse est une société américaine spécialisée dans le transport de produits chimiques aux Etats-Unis, au Mexique et au Canada. Une filiale de la société est implantée dans l’Ontario au Canada. Suite à des difficultés financières la société demande l’ouverture d’une procédure de liquidation conformément au principe du chapitre 11 du texte de loi américain en matière de liquidation auprès du tribunal canadien, empêchant ainsi l’ouverture d’une procédure collective par un tribunal américain.

La confusion des patrimoines ne pose aucun problème de droit - la succursale étant totalement dépendante de la société mère tant d’un point de vu financier que d’un point de vue structurel et managérial. La liquidation de la société s’étend donc aux Etats-Unis et au Canada. Les questions classiques de droit international privé telles que posées par le conflit de juridictions et de lois entre l’ordre juridique canadien et américain se profilent alors. En l’absence de règles propres à la liquidation internationale, où l’affaire doit-elle être jugée et selon quelles règles procédurales ?

Le juge Farley commence par s’attaquer aux problèmes de compétence du juge et de reconnaissance du jugement. Vu la complexité du droit de la faillite et l’importance du juge dans une procédure de liquidation, diviser l’affaire entre une juridiction américaine – pour traiter des créanciers américains de la société – et une juridiction canadienne – pour traiter des créanciers canadiens – ne ferait que limiter leurs recours aux biens situés dans leur ressorts réciproques. Il en résulterait alors une opacité procédurale et une inégalité de traitement des créanciers dans la gestion des biens de la société débitrice.

Cet arrêt surprend par sa franchise et sa simplicité. Le juge ne s’étend pas sur les complexités juridiques et divergences des deux systèmes juridiques ; il se contente d’affirmer les deux principes fondamentaux de la liquidation internationale: principe de comity et communication, gage de coordination et coopération entre juridictions concernées. Ainsi l’arrêt s’apparente-t-il à un véritable arrêt de principe affirmant le besoin de coopération judiciaire en la matière.

C’est dans le principe de comity – courtoisie envers l’ordre juridique étranger qui présente des points de rattachement suffisant avec l’affaire – que le tribunal canadien trouve d’abord une solution. La procédure de liquidation doit être unique et décidée par un seul juge dont le jugement doit être rendu exécutoire à l’étranger par le juge de l’exequatur.

L’importance de cette décision est illustrée ici par la reconnaissance expresse du juge d’une coordination afin d’éviter la multiplicité des procédures, l’existence de deux jugements contradictoires et de ce fait l’incertitude quant au caractère exécutoire de la décision dans l’ordre juridique étranger, notamment sur une question délicate telle que la saisie de biens qui nécessite le recours à la force publique. Une telle approche permet en outre d’éviter la fraude par la société débitrice et le forum shopping par les créanciers. Dans le premier cas, le débiteur, en délocalisant ses biens dans un pays où la loi les rend insaisissables, empêche le recouvrement par les créanciers. En effet, les biens ainsi délocalisés feront l’objet d’une procédure distincte et ne pourront pas être rattachés à la procédure principale. Cette première appliquera la loi du lieu de situation des biens qui seront donc protégés des créanciers. Or, une procédure unique permet de remédier à cet éparpillement opportuniste des biens. Dans le second cas, les créanciers pourraient choisir d’ouvrir une procédure dans le système juridique le plus favorable à leur cause selon la localisation des biens. Ils pourraient choisir, par exemple, d’ouvrir une procédure dans un pays en voie développement où les lois de liquidation sont parfois encore punitives et donc favorables aux créanciers, lorsque des biens du débiteur s’y trouvent. Une procédure centralisée permet, encore une fois, d’éviter cette attitude opportuniste.

Il aborde ensuite le problème de la loi applicable. La procédure en elle-même requiert la coopération des divers ordres juridiques intéressés par la liquidation, notamment lorsque le for est amené à appliquer une norme qui lui est étrangère comme en l’espèce (le juge canadien se devant d’appliquer le chapitre 11 de la loi américaine). Ainsi Lord Farley fait-il mention expresse des directives du American Law Institute en matière de communication de tribunal à tribunal en cas de faillite transfrontalière. L’arrêt se distingue ainsi par sa reconnaissance expresse d’une coopération judiciaire en matière de liquidation internationale.

Une analyse comparée des différents droits des entreprises en difficultés permet de comprendre ce besoin. L’approche qu’un ordre juridique a du droit des entreprises en difficultés est unique. Il existe quelques exemples éloquents. Certains pays optent par exemple pour une liquidation quasi-systématique de la société en difficulté tandis que d’autres privilégient la sauvegarde des entreprises. Le Chapitre 11, par exemple, comme la loi française de sauvegarde des entreprises de 2005 favorisent une restructuration de la société tandis que le texte de loi britannique sur l’insolvabilité contient une présomption en faveur de la liquidation de la société débitrice. De plus, si le Royaume Uni favorise le principe du dessaisissement comme le fait le Code de Commerce français et la loi sur la liquidation allemande de 1999, le droit autrichien favorise une participation minimaliste du juge.

Même la distinction classique entre Common Law et civil Law ne permet pas d’expliquer les différences ici soulignées (les Etats-Unis et le Royaume-Uni ayant une tradition juridique similaire mais une position contraire en termes de règlement du passif et des difficultés des sociétés.) On comprend ainsi le besoin d’une coopération judiciaire en matière de liquidation internationale et les principes énoncés dans l’arrêt Matlack. Le principe de comity se veut gage de prévisibilité et de coopération entre juges. Il ne correspond ni à une obligation légale des juges ni à une preuve de courtoisie pure et simple du juge du for. Il correspond au contraire à la reconnaissance de la légitimité d’un système juridique étranger dans un souci de mise en balance de ses obligations internationales et des droits de ses citoyens selon la loi du for. (voir l’arrêt Morguard Investments Ltd v De Savoye 1990)

Or, les principes affirmés par le juge Farley, surprenant par leur franchise et leur simplicité, laissent le lecteur avisé quelque peu dubitatif. Le principe de comity se heurte en effet à deux problèmes centraux faisant obstacle à la reconnaissance des jugements étrangers: le principe de territorialité (a) et le principe de réciprocité. (b)

(a) En effet, selon le principe de territorialité, les effets d’un jugement ne se produisent que sur le territoire où la procédure collective est ouverte. Cette vision est fondée sur le principe de souveraineté des Etats selon lequel la décision d’un juge n’a pas vocation à s’appliquer dans un autre Etat. Le problème de cette approche, comme le souligne à juste titre le juge Farley, réside dans la multiplication des procédures collectives ainsi que dans un traitement inégalitaire des créanciers selon le droit applicable mais aussi selon la valeur des biens de la société mise en liquidation situés dans chaque pays.

Indubitablement, le principe de territorialité est incompatible avec une idée de coopération judiciaire dans un contexte de liquidation internationale. C’est dans cette perspective que le Canada et les Etats-Unis ont adopté l’approche universaliste comme le démontre l’arrêt Matlack. Selon l’approche universaliste, une procédure de liquidation ouverte dans un pays aura un effet erga omnes. En ce sens, la procédure collective sera opposable à tous et reconnue dans tous les Etats. Cela permet une centralisation de la procédure et de l’administration des biens de la société débitrice.

Une approche locale voire régionale de la coopération judiciaire limite l’efficacité et la prévisibilité d’une procédure collective internationale à échelle planétaire. Ceci explique les efforts de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et de l’Union Européenne vers une coopération judiciaire plus poussée en matière de liquidation internationale. Un effort bienvenu en la matière grâce à la loi type de 1997 et a la R No 1346/2000 du 29 mai 2000 sur les procédures de liquidation.

(b) Le principe de comity se heurte néanmoins à un second obstacle, le principe de réciprocité. En effet, le juge de l’exécution d’une demande de saisie est fréquemment amené à tenir compte des considérations d’ordre public international. Par exemple, si le principe de comity encourage une coopération judiciaire en matière de liquidation internationale il reste cependant dépendant du respect des droits de la défense et doit s’assurer notamment que la lex fori respecte les garanties nécessaires de représentation du créancier étranger. Dans cette perspective, le principe de comity reste parfois dépendant du principe de réciprocité lorsque ce dernier à vocation à s’appliquer. Ainsi, si la lex fori ne respecte pas les lois publiques du pays d’exécution, le principe de réciprocité fera parfois obstacle à la reconnaissance du jugement étranger et ceci en dépit du principe de comity. Toutefois, selon la Cour d’Appel de New York dans l’arrêt Johnston v Compagnie Générale Transatlantique, le principe de réciprocité n’aurait vocation à s’appliquer qu’en droit international public et non dans des situations de droit international privé comme en matière de liquidation internationale. Dans cet arrêt,le juge de l’Etat de New York a considéré que le juge français était compétent et avait fait une application correcte du droit applicable en matière de droits de la défense. Cette approche est à encourager. Le principe de réciprocité a pour conséquence de réduire la prévisibilité offerte par le principe de comity et de nuire à la coopération internationale en matière de liquidation internationale qui s’est développée depuis les deux dernières décennies du siècle dernier ; d’autant que le juge de l’exécution étant étranger à la loi du for, il sera difficile pour lui d’en apprécier les tenants et les aboutissants.

Du reste, The Uniform Act de 1948 en matière de procédure civile américaine, s’il ne mentionne pas expressément le principe de réciprocité, ne semble pas adopter cette approche. Malgré le principe de comity, le juge Américain - avant de donner force exécutoire à la décision étrangère - pourra s’assurer de la compétence du juge du for et du respect les droits fondamentaux des parties à la procédure. Il convient de noter cependant que dans l’arrêt précédent, s’il n’était pas nécessaire que le droit français constitue une réplique verbatim des dispositions législatives américaines, le droit français offrait les garanties nécessaires en termes de droit de la défense. En cas contraire, la Cour d’Appel aurait pu faire une application du principe de réciprocité afin d’éviter qu’une procédure jugée inadéquate soit rendue exécutoire sur le sol américain.

Néanmoins, la tendance vers plus de coopération judiciaire en la matière se fait sentir. On peut prendre pour exemple l’arrêt Roberts v Picture Butte Municipal Hospital où le Queen’s Bench de la province de l’Alberta a reconnu l’application du principe de comity dans l’exécution d’un jugement américain. La cour a notamment spécifié que « le principe de comity s’inscrit dans une logique de coopération judiciaire de plus en plus importante en matière de liquidation dans un contexte d’internationalisation des procédures. Ce principe est d’autant plus fondamental qu’il évite la multiplicité des procédures, l’imprévisibilité des décisions et les contradictions entre juridictions. » C’est précisément là ce qu’affirme le juge Farley dans l’arrêt Matlack.

La loi type ne prévoit ni l’application ni l’inapplicabilité du principe de réciprocité. Les Etats membres restent libres d’en tenir compte ou non. Dans une perspective de coopération judiciaire internationale il est conseillé d’abroger tout texte qui intégrerait ce principe.

La communication de tribunal à tribunal est une facette tout aussi intéressante du jugement de Farley J. Le règlement CE 1346/2000 reste tatillon et se limite aux pays de l’Union et de nombreux Etats, tel que la France, n’ont toujours pas adopté la loi type. En soit, la complexité des procédures collectives rend inopportune une loi internationale des liquidations. En outre, les conventions internationales prévoyant une coopération procédurale manquent d’uniformité et de consensus. Tout ceci contribue à faire des principes de territorialité et de réciprocité des freins importants.

Dans cette perspective, le second temps du raisonnement du juge Farley est intéressant. En l’espèce ce dernier reconnaît l’applicabilité d’un Protocole d’accord conclu entre le Canada et les Etats-Unis (conformément à l’alinéa 4 du protocole selon lequel un tribunal qui entend employer les Directives doit les adopter formellement). Ce protocole contient des directives sur la coopération entre juges, la communication de documents et les garanties procédurales. Le problème de cette approche est que l’accord est limité aux Etats parties et donc les problèmes d’exécution se posent pour les Etats tiers. On se trouve dans une situation du « serpent qui se mort la queue » où la loi est trop complexe pour permettre un accord international sur le traitement des liquidations transfrontalières et où les accords régionaux ou bilatéraux se heurtent à une internationalité globale et non régionale des procédures de liquidation.

En substance, cette analyse de l’arrêt Matlack permet de constater les efforts opérés en matière de coopération judiciaire des juges de la procédure collective internationale mais la complexité de ce pan du droit rend cette coopération encore embryonnaire.

Bibliographie :

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3. Précisions sur le traitement des faillites intercontinentales : quelques pistes sur la coopération judiciaire a l’échelle européenne et Nord-Américaine :
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