Enjeux et complexité des successions internationales : de l’échec de la Convention de La Haye du 1er août 1989 à l’avènement d’une harmonisation des règles de conflit de lois à l’échelle européenne. Marie Tixier.

 

Le droit des successions présente de nombreuses divergences entre les Etats ce qui rend complexe la mise en place d’une harmonisation des règles de conflit de lois en la matière. L’échec de la Convention de La Haye du 1er août 1989 en est la preuve. L’Union Européenne s’est saisie de la question et a publié un projet de règlement, s’inspirant largement de la Convention, le 14 octobre 2009. Arrivera-t-on ainsi à une codification, si ce n’est à l’échelle internationale, à l’échelle européenne ? Le règlement saura-t-il dépasser les obstacles rencontrés par la Convention ? 
 

 
 
 
Le Ministère des Affaires Etrangères fait état d’une hausse moyenne de 3 à 4 % par an du nombre de français établis à l’étranger. L’inscription au Registre mondial des Français établis à l’étranger étant facultative, il estime que 2 millions de personnes seraient concernées (Rapport du Ministère des Affaires Etrangères sur les Français établis hors de France du 31 décembre 2007). En outre, le marché commun facilite cette mobilité s’agissant des citoyens européens grâce aux libertés qui leurs sont garanties par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (Art. 45, 49, 56 et 63 TFUE). On assiste ainsi  à une véritable migration des populations européennes au sein même de l’Union : cinq millions de citoyens européens résidant dans un autre Etat membre, dont plus d’un million en France (Répertoire du notariat Defrénois, 15 novembre 2007 n° 21, P. 1498). Ce phénomène est en pleine croissance après les élargissements successifs et à venir. A titre d’exemple, le nombre de mariages mixtes célébrés en Allemagne  a augmenté depuis 1995 de 84% (Die Rheinpflatz Ausgabe du 9 août 2006) et l’on estimait, en 2002, à 75 000 le nombre de successions par an présentant un élément d’extranéité (« Etude de droit comparé sur les règles de conflit de juridictions et de conflit de lois relatives aux testaments et successions dans les Etats membres de l'Union européenne », DNotI (Deutsches Notarinstitut), Rapport final : synthèse et conclusions 18 septembre / 8 novembre 2002, p. 12.). Cet inéluctable constat fait naître des problèmes juridiques notamment quant à la situation personnelle et patrimoniale des individus concernés. En effet, déjà de leur vivant, les relations juridiques qu’entretiennent ces personnes avec les autres sujets de droit sont complexes. Le caractère international de ces situations peut, lors du décès, ajouter à la douleur des familles, des complications juridiques tenant notamment à la détermination de la loi applicable aux successions (le contentieux en la matière étant peu courant).
 
 
 
Cela s’explique par les grandes divergences dont font preuve les différentes législations nationales, qu’elles soient matérielles ou de droit international privé. La réserve est ignorée des droits anglo-américains par exemple. Il existe également une forte opposition entre les Etats offrant au de cujus la possibilité de choisir la loi applicable à sa succession (ex. Bulgarie ou Canada) et ceux qui s’y refusent (ex. France ou Corée du Sud). Du point de vue des règles relatives aux droits successoraux, il existe, d’une part, un système de scission appliquant la loi du domicile du défunt pour les meubles et la loi de situation des biens pour les immeubles (ex. France ou Etats-Unis), ou la loi nationale pour les meubles et la lex rei sitae pour les immeubles (ex. Roumanie, Monaco et Bénin). D’autre part, certains Etats ont opté pour un système de l’unité soumettant l’ensemble de la  succession à une loi unique ; divergent ensuite les critères de rattachement suivant les Etats (ex. Allemagne ou Egypte selon le critère de la nationalité / Danemark ou Colombie selon de critère du domicile) (F. Boulanger, Droit international des successions, Nouvelles approches comparatives et jurisprudentielles, Economica, 2004, tableaux annexes). Les incidences fiscales sont également notables. Plusieurs lois peuvent ainsi avoir vocation à s’appliquer à une même situation de fait. L’on comprend alors l’importance de la désignation de la loi applicable et les risques de forum shopping dans les cas peu fréquents de contentieux (faculté de choisir parmi les juridictions potentiellement compétentes, celle qui favorisera le plus ses intérêts) ainsi que de notarium shopping (faculté de choisir parmi les notaires potentiellement compétents, celui qui favorisera le plus ses intérêts) qui y sont liés. L’ensemble de ces divergences rend la pratique notariale complexe et est une source d’insécurité juridique pour le de cujus et les héritiers (Référence d’exemple témoignant de cette complexité : Répertoire du notariat Defrénois, 30 novembre 1992 n° 22, P. 1415). Cette prise de conscience générale a poussé à rechercher des solutions d’unification pour répondre aux besoins des personnes privées en matière de successions internationales. 
 
 
 
La Convention de La Haye du 1er août 1989 « sur la loi applicable aux successions à cause de mort » se voulait être une synthèse de l’ensemble des problèmes posés par les conflits de lois (Texte in Rev. Crit., 1988-807, Comment. P. Lagarde, Rev. Crit. 1989-240). Elle se distingue des autres conventions en la matière par une volonté d’unification générale et non plus thématique (ex. Conventions de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires ou du 2 octobre 1971 sur l’administration internationale des successions,…). Cependant, plusieurs obstacles à la ratification de cette convention peuvent être soulevés. L’article 7 propose un champ d’application limité à la loi successorale. Or le terme « succession » ne recouvre pas les mêmes domaines pour les pays de droit civil (dévolution, transmission et administration largement incluses) que pour ceux de Common Law (dévolution seulement) ce qui crée une première difficulté. Cette convention prévoit également de soumettre « l’ensemble de la succession, quelle que soit la situation des biens » à une loi unique (Art. 7). Cet aspect présente l’intérêt d’éviter le morcellement de la succession et ainsi d’en faciliter le règlement. Il n’en reste pas moins que les Etats scissionnistes restent attachés à leur tradition historique et que cela représente un frein à leur ratification. De plus, ce texte consacre le droit pour le de cujus de bénéficier d’une certaine liberté quant à la désignation de la loi applicable à sa succession (Art. 5). Bien qu’encadrée, cette profesio juris, outre les risques de forum legis ou de fraude à la loi qu’elle entraîne, est vue par la France comme pouvant porter atteinte au principe de la réserve héréditaire (Art. 912 C.Civ. : « part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent. »). En outre, la volonté de faire naître un compromis entre les critères de rattachement utilisés par les différents systèmes (nationalité et domicile) a abouti à la règle confuse et d’application peu aisée de l’article 3 qui apparaît comme la principale raison de l’échec de cette Convention. 
Bien que les notaires, de France par exemple lors du 88e Congrès à Grenoble en 1992 et lors du 96e Congrès à Lille en 2000, conscients des difficultés rencontrées par la pratique, aient appelé à plusieurs reprises à la ratification de cette convention, seuls les Pays Bas l’ont ratifiée et transposée en droit interne. 
 
 
 
Si l’on pouvait, de ce fait, croire à un certain « immobilisme » des Etats en matière de droit international privé des successions, il n’en est rien. L’expansion des codifications nationales reflète un regain d’intérêt tant en Europe qu’en dehors mais démontre la défiance des Etats envers la Convention de La Haye de 1989. Les nouvelles législations témoignent de l’évolution de la société en étant plus explicites sur le choix des rattachements, le domaine de la loi applicable, voire la compétence juridictionnelle. Ainsi de nouvelles réformes, aussi divergentes que nombreuses, se sont mises en place : par exemple en Allemagne par la loi du 15 juillet 1986 prévoyant comme loi applicable la loi nationale et admettant un renvoi aux 1er et 2ème degré ainsi qu’un choix de loi concernant les immeubles situés en Allemagne, en Roumanie par la loi du 22 septembre 1992 prévoyant comme loi applicable la loi nationale pour les meubles et la loi de situation pour les immeubles et fonds de commerce et admettant un renvoi au premier degré ainsi qu’un choix de loi à l’exception des matières impératives, en Europe Orientale avec les « Principes russes de législation civile » du 31 mai 1991 prévoyant comme loi applicable la loi du dernier domicile ou la loi russe pour les immeubles situés en Russie et n’admettant ni renvoi ni choix de loi, au Québec en 1991, au Vénézuela en 1998 ou encore au Burkina-faso par la loi du 26 novembre 1989… 
 
 
 
La conséquence directe est que les successions internationales se trouvent désormais dans l’imbroglio des différents droits nationaux et que, comme le déclarait le Professeur Jacques Foyer lors des douzièmes rencontres Notariat – Université en novembre 2002, la Convention de La Haye de 1989 est bel et bien « enterrée » (J. Foyer : « Le notariat face aux Conventions internationales », Rencontres, 25 novembre 2002, Petites Affiches, 7 août 2003, p. 39).
Cette vague de codification rend d’autant plus complexe la mise en place d’une codification internationale. Elle démontre l’attachement des Etats à leur vision de ce droit qui est le fruit de leur tradition historique. Le fossé qui sépare les différents systèmes – pour l’essentiel ceux des droits anglo-américains et ceux des droits européens nouveaux – se creuse davantage. 
 
 
Le professeur Férid qualifiait l’unité, dans son cours à l’Académie de La Haye consacré à la transmission successorale, de « beau rêve ou fiction dangereuse » (cf. Cours Académie de La Haye, 1974 (T.2), p. 194). Force est de constater que les efforts d’unification internationale ont jusqu’à présent été infructueux et se sont soldés par une consolidation des droits nationaux. 
 
 
C’est désormais à l’échelle européenne qu’un espoir de codification effective réapparaît dans le cadre de l’élaboration d’un « Espace de Justice, Liberté et Sécurité » promouvant la libre circulation des personnes au sein de l’Union et une politique de coopération accrue en matière civile et commerciale ; l’Union ayant le pouvoir d’adopter un règlement en  matière de conflit de lois (Art. 65 TCE). La légitimité d’un tel projet ne paraît pas contestable au regard de la complexité actuelle pour les citoyens de déterminer clairement la loi applicable à leur succession du fait d’un manque de critères stables et uniformes. Ainsi, à la suite du Livre vert sur les « successions et testaments » du 1er mars 2005 (COM (2005) 65 final.), un projet de règlement européen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, s’inspirant largement de la Convention de La Haye de 1989, a été publié le 14 octobre 2009 (COM (2009)154 final). Le champ d’application a été précisé par rapport à la Convention en définissant le terme « succession » à l’article 1er comme incluant « tous les aspects de la succession, en particulier la dévolution, la transmission et la liquidation » ce qui permet de limiter les risques de confusion entre les visions du droit civil et du Common Law. Le chapitre 3 reprend l’essentiel des règles en matière de conflit de lois de la Convention à l’exception de son l’article 3, trop controversé. Le projet prévoit un régime unitaire en soumettant l’ensemble de la succession à la loi de la dernière résidence habituelle du défunt ou à sa loi nationale, s’il en a fait le choix (Art. 16 et 17). Les possibles critères de rattachement ont donc été simplifiés et le choix s’est porté sur le critère de la dernière résidence habituelle, critère coïncidant avec le centre d’intérêt du défunt et correspondant fréquemment à la localisation des biens du défunt (Art. 16). L’instauration d’un régime unitaire présente l’immense intérêt d’une plus grande sécurité juridique pour le testateur et ses héritiers et d’une plus simple application. Un tel régime a désormais plus de chances d’aboutir dans le cadre de l’Union où peu d’Etats restent partisans du système scissionniste. En outre, la France, partisane de celui-ci, commence à assouplir ses règles en vue de l’avènement du règlement (ex. en matière de compétence des tribunaux français s’agissant d’immeubles situés à l’étranger par l’effet du renvoi à la loi française : Cass. 1re civ., 23 juin 2010, n° 09-11901) et prend conscience de la nécessité de l’abandon de ce système pour simplifier le règlement des successions (Rapport d’information de l’Assemblée Nationale n° 2148, p.13).
 
 
 
La professio juris, consacrée par la Convention (Art. 5) et reprise par le projet (Art. 17), est limitée entre la loi du dernier domicile du défunt et la loi nationale. Cet encadrement est présenté comme une protection suffisante de la réserve héréditaire dans la mesure où le testateur peut choisir sa loi de nationalité pour la faire jouer. Pour autant, il peut également se servir de cette opportunité pour y déroger. Son encadrement n’est pas aussi strict que dans la Convention de La Haye ce que n’a pas manqué de faire remarquer, par exemple, la France pour laquelle le mécanisme de la réserve héréditaire est un des éléments fondamentaux du droit civil. Ainsi, la Commission des Affaires Européennes du Sénat a conclu lors de son examen du projet de règlement  que « faute de prévoir un dispositif garantissant que l'unification de ces règles ne pourra avoir pour effet de faire échec à la réserve héréditaire, la proposition ne respecte donc pas le principe de proportionnalité » (COD/2009/0157). L’Assemblée Nationale, forte de ce constat, préconise de s’inspirer de l’article 24§1 d de la Convention de La Haye qui prévoit la possibilité pour un Etat d’émettre une réserve à ce sujet.
 
 
 
Bien que l’essentiel des dispositions centrales du projet semble accepté par les Etats, certains points de discorde persistent et devront encore être discutés avant l’adoption de ce règlement par vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres et vote au sein du Parlement européen Il sera ensuite directement applicable au sein des Etats membres. Aussi nécessaire et attendu qu’il soit, la date d’entrée en vigueur de ce règlement reste donc incertaine. Pour autant, ce manque de précipitation peut être vu comme renforçant l’efficacité de cet instrument car « en droit international des successions, les divergences comparatives ne font que traduire celles existantes en droit interne dues à de fortes traditions historiques. Toute précipitation serait dangereuse et de nature à introduire des complications encore plus graves » (F. Boulanger, Droit international des successions, Economica, p.5). Il n’en reste pas moins qu’à l’échelle internationale, une telle harmonisation ne semble pas réalisable à l’heure actuelle du fait des plus grandes divergences entre les règles nationales ainsi que du manque d’instruments internationaux mettant en place une coopération aussi poussée et garantissant sa mise en place effective.
 
 
 
 
 

  Bibliographie.

 

 

 

Ouvrages généraux : 

F. Boulanger, Droit international des successions, Nouvelles approches comparatives et jurisprudentielles, Economica, 2004.

M-L. Niboyet et G. de Geouffre de La Pradelle, Droit international privé, 2ème édition, L.G.D.J., Lextenso éditions, 2009.

 

 Ouvrages spécialisés :

T. Brandi, Das Haager Abkommen von 1989 über da sauf die Erbfolge anzuwendende Recht, Duncker & Humbolt – Berlin, 1996.

Dr. M. Denkinger, Europäisches Erbkollisionsrecht – Einheit trotz VIelfalt ?, Carl Herymanns Verlag, 2009.

M. Revillard, Stratégie de transmission d’un patrimoine international, Defrénois, Lextenso éditions, 2009.

 

 

 Articles  :

N. Caram-Pertrini, Successions internationales : quelle harmonisation communautaire des règles de conflit de lois ? , Répertoire du notariat Defrénois, 15 novembre 2007 n° 21, P. 1498.

C. NOURISSAT, Le futur droit des successions internationales de l'Union européenne, Répertoire du notariat Defrénois, 28 février 2010 n° 4, P. 394.

H. Péroz, Encore un revirement en matière de succession internationale, L'essentiel Droit de la famille et des personnes, 15 octobre 2010 n° 9, P. 1.

M. REVILLARD, Successions : proposition de règlement communautaire, Répertoire du notariat Defrénois, 30 janvier 2010 n° 2, P. 176.

C. SLOBODANSKY, Entretien avec Me Michiel Van Seggelen, président de la 2e commission, et Me Bertrand Basseville, rapporteur de la 2e commission, Petites affiches, 14 avril 2005 n° 74, P. 28.

 

 

Textes et projets : 

Convention de La Haye « sur la loi applicable aux successions pour cause de mort » du 1er août 1989.

Projet de règlement européen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen du 14 octobre 2009.

Rapport d’information sur le projet de l’avis de la commission des Affaires européennes sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (COM [2009] 154 final).

 

 

Sites internet : 

http://www.hcch.net

http://www.ipex.eu/ipex/cms/home/Documents/dossier_COD20090157/pid/47538

http://www.diplomatie.gouv.fr