Copyright et droit d’auteur des chorégraphies ; la protection intellectuelle des chorégraphies est-elle adaptée à cet art ?, par Chloé Bordon

Longtemps privées aussi bien de droit d’auteurs que de copyright, les œuvres chorégraphiques sont d’abord protégées par les usages et coutumes développés dans le milieu de la danse aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. La protection intellectuelle désormais offerte aux œuvres chorégraphiques n’est compatible avec ni la nature ni l’essence de la chorégraphie dans aucun des deux systèmes juridiques, comme l’illustre notamment l’affaire Martha Graham.  

En 2004, l’arrêt Martha Graham Sch. and Dance Found., Inc. v. Martha Graham Ctr. of Contemporary Dance, Inc. a créé une onde de choc au sein de la doctrine. A la suite de cet arrêt, la doctrine a dénoncé à quel point la protection intellectuelle censée protéger les chorégraphies aux Etats-Unis est inadaptée à cet art. Le débat sur le besoin et les possibles alternatives au système actuel a été relancé. Le droit d’auteur protège-t-il mieux les chorégraphes dans un pays de civil law comme la France que dans un pays de common law comme les Etats-Unis ? La tradition de protection des droits moraux en France permet-elle une meilleure protection des droits d’auteur des chorégraphes ?  Les chorégraphies sont-elles efficacement protégées par la propriété intellectuelle aux Etats-Unis et en France ?

 

Dans l’arrêt Martha Graham, aux Etats-Unis, la cour a appliqué la doctrine « work-for-hire » afin de déterminer qui de Martha Graham, une des plus grandes figures de la danse moderne, ou de son Centre détenait le copyright de certaines de ses œuvres chorégraphiques. Martha Graham a créé deux organismes à but non lucratif ; le Centre et l’école, qui sont devenus une seul entité : le Centre de Danse Contemporaine Martha Graham, Inc. (« le Centre »). La compagnie de danse Martha Graham est considérée « une des sept merveilles du monde artistique » selon l’expression d’Alan Kriegsman. La doctrine « work-for-hire », c’est-à-dire de « travail sur commande » ou « travail salarié », est une exception à l’article 17 U.S.C. 101 (2000) qui prévoit que la personne qui créée l’œuvre en est l’auteur et donc bénéficie du copyright. Si une œuvre est créée par un employé dans le cadre de son travail, l’employeur sera considéré comme l’auteur de l’œuvre. Il existe une présomption en faveur de l’employeur. Cette doctrine a pour fondement l’idée selon laquelle l’employeur doit être récompensé pour avoir pris l’initiative et le risque financier qui ont permis la création de l’œuvre qui bénéficie au public.

Dans son arrêt, la Cour a du répondre à la question suivante ; la doctrine « work-for-hire »  s’applique-t-elle aux organismes à but non lucratif créées dans le seul but d’aider un artiste à exploiter son œuvre et à l’enrichir aux Etats-Unis? Il n’existe aucune jurisprudence antérieure qui traite de l’application de la doctrine « work-for-hire » aux organismes à but non lucratif créés pour soutenir un artiste. La Cour a souligné qu’il lui revenait d’interpréter les lois qui traitent du copyright et qu’il revient au Congres américain de décider de les modifier ou non. La Cour n’a donc pas suivi la recommandation de l’American Dance Federation (« ADF ») selon laquelle la Cour devrait faire une exception à la doctrine « work-for-hire » pour les organismes à but non lucratif créées dans le seul but d’aider un artiste à exploiter son œuvre et à l’enrichir. En effet, la Cour a refusé de créer une exception à la doctrine « work-for-hire » pour les organismes à but non lucratif créées dans le seul but d’aider un artiste a exploiter son œuvre et à l’enrichir, et ce même dans le cas « d’artistes-génies ». Nous étudierons pourquoi la Cour a rendu une telle décision et son impact sur la protection intellectuelle des œuvres chorégraphiques aux Etats-Unis. Puis nous comparerons les divers moyens de protection intellectuelle des œuvres chorégraphiques en France et aux Etats-Unis.

 

Le Copyright Act de 1909 a ainsi été appliqué par la Cour aux œuvres chorégraphiques de Martha Graham créée avant le 1er janvier 1978, date de mise en œuvre du Copyright Act de 1976.  Pour les œuvres choérgraphiques de Marta Graham créée après le 1er janvier 1978, le Copyright Act de 1976 s’applique pleinement.

Pour déterminer si, selon le Copyright Act de 1909, la doctrine du « work-for-hire » s’applique, la Cour applique le « instance and expense test » qui consiste à déterminer si l’œuvre a été créée à l’initiative de l’employeur (instance) et grâce aux ressources mise à disposition de l’artiste par l’employeur (expense).

Pour les œuvres chorégraphiques créées entre 1956 et 1965, la Cour a applique le « instance and expense test » puisque le Copyright Act de 1909 était en vigueur à cette période. La condition « expense » est rempli car Martha Graham recevait un salaire et avait un accès illimité aux ressources du Centre. Cependant, la condition « instance » n’est pas rempli car à cette époque, le contrat de Martha Graham avec le Centre prévoyait qu’elle enseigne la danse mais la création de nouvelles chorégraphie. Ses œuvres chorégraphiques n’étaient donc pas créées dans le cadre de son contrat de travail. La Cour retient donc logiquement que Martha Graham, et donc désormais son héritier Protas, est titulaire du copyright sur ses œuvres chorégraphiques créées entre 1956 et 1965.

Cependant, pour les œuvres chorégraphiques créées entre 1966 et 1977, la Cour a considéré qu’il s’agissait d’œuvres créées par Martha Graham dans le cadre de son contrat de travail  ; son employeur, le Centre, en détient donc le copyright.Quant aux œuvres chorégraphiques créées entre 1978, après l’entrée en vigueur du Copyright Act de 1976, et 1991, elles ont aussi été jugées comme la propriété intellectuelle du Centre. Le Copyright Act de 1976, article 17 U.S.C. 101 (2000), identifie en effet deux types de travail salarié (« work-for-hire ») ; d’une part, les cas ou le travail est réalisé sur commande entre dans l’une des neufs catégories prévues par la loi et ou il est contractuellement prévu qu’il s’agit d’un travail salarié et d’autre part, les cas ou le travail est effectué par l’employé dans le cadre de son contrat de travail. Les parties peuvent cependant préciser dans le contrat de travail que l’employé sera réputé l’auteur de son œuvre, ainsi il détiendra le copyright sur son œuvre et non pas son employeur.  La Cour du Second Circuit dans l’arrêt Aymes v. Bonelli reprend les facteurs énumérés par la Cour dans l’arrêt Community for Creative Non-Violence v. Reid et précise que les facteurs énumérés dans Reid ne doivent pas être appliqués de façon mécanique mais doivent être chacun pris en compte selon leur degré de pertinence aux vus des faits de chaque espèce. De plus, l’arrêt Aymes v. Bonelli liste les 5 principaux facteurs qui permettent de déterminer si la doctrine « work-for-hire » s’applique ; (1) le degré de control de l’employeur sur la création, (2) les compétences requises, (3) les avantages dont bénéficient l’employé, (4) les mesures fiscales qui s’appliquent a l’employé, (5) si l’employeur a le droit d’exiger d’autres taches de l’employé. La Cour a constaté que ces œuvres chorégraphiques ont été créées dans le cadre du contrat de travail de Martha Graham avec le Centre. De plus, ces œuvres ont été créées au sein du Centre, avec les ressources mises à la disposition de Martha Graham par le Centre tandis que cette dernière recevait diverses sortes de compensation financées par le Centre qui viennent s’ajouter à son salaire. Au vu des faits applicables, la Cour a juge qu’ils pesaient du coté de l’application de la doctrine « work-for-hire » après avoir pris en compte les divers facteurs énoncés dans la jurisprudence.

 

Comme le suggère Judith Beth Prowda, la décision de la Cour a peut être été influence par des considérations d’équité afin de déterminer quelle partie était la plus apte à détenir le copyright des œuvres chorégraphiques de Martha Graham. En effet, il semble que, au vu de la nature d’un art tel que la danse, le Centre, composé de danseurs entrainés par Martha Graham elle-même, est plus apte à protéger l’héritage de cette dernière que son héritier, Protas, qui n’est pas un danseur.

Toutefois, comme le souligne Anne W. Braveman, beaucoup d’organismes à but non lucratif font face à des difficultés financières qui mettent en péril leur survie. Le Centre en est un exemple et a failli disparaître suite à d’importantes difficultés financières dans les années 2000. Parce que les financements se raréfient, le Centre n’est pas l’héritier idéal pour défendre le copyright des œuvres chorégraphiques de Martha Graham.

 

Il est intéressant d’imaginer ce que cet arrêt aurait pu être si les parties avaient été Martha Graham elle-même et son Centre. Martha Graham aurait eu au moins un moyen de s’assurer un certain contrôle sur ses œuvres qu’elle en détienne le copyright ou non. Par exemple, Martha Graham aurait pu faire un procès au Centre pour violation de l’obligation fiduciaire du conseil d’administration de respecter la mission de l’organisme, tel que requit par la loi américaine.

 

Quelle aurait été la décision rendue par une cour française ? En France, l’article 111-1 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit qu’en cas de contrat de travail ou non, c’est- à -dire que l’auteur soit salarié ou non, ce dernier est titulaire des droits d’auteurs sur son œuvre tant patrimoniaux que moraux. Bien sur, l’employeur peut se faire céder les droits d’auteur des œuvres du créateur salarié mais l’article L.131-1 du Code de la Propriété Intellectuelle prohibe la cession globale d’œuvres futures. Une possible solution à un tel obstacle est d’insérer dans le contrat de travail une clause-cadre prévoyant une cession des droits d’auteur sur les œuvres créées par un artiste salarié au fur et à mesure de leur création. D’autre part, l’article L.131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle précise que la transmission des droits d’auteur de l’auteur salarié sur ses créations « est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée».

Cependant, la Cour d’Appel de Paris a décidé dans un arrêt du 16 février 2005 que la cession des droits d’auteur sur ses créations par un artiste salarié à son employeur n’a pas besoin d’être prévu par écrit. Bien qu’en l’espèce il s’agissait de créations de mode, une telle décision pourrait s’appliquer aux œuvres chorégraphiques créées par un chorégraphe salarié.

Néanmoins, la Cour de Cassation, en sa première chambre civile, dans un arrêt du 21 novembre 2006, a rappelé que « les dispositions de l’article L.131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, qui ne visent que les seuls contrat énumérés à l’article L.131-2 alinéa 1er, à savoir les contrats de représentation … ne s’appliquaient pas aux autres contrats ». L’employeur a donc besoin de respecter le formalisme de l’article L.131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle pour obtenir le droit de représentation d’une œuvre chorégraphique créée par un chorégraphe salarié. Etant donné la nature d’une œuvre chorégraphique, sans ce droit, détenir le droit d’auteur sur une œuvre chorégraphique n’a qu’un intérêt très limité (les droits de reproduction étant moins lucratifs que ceux de représentation dans le domaine de la danse).

En conclusion, les droits d’auteur des chorégraphes salariés en France sont mieux protégés que ceux des chorégraphes salariés aux Etats-Unis. Dans un cas comme celui que présente l’arrêt Martha Graham Sch. and Dance Found., Inc. v. Martha Graham Ctr. of Contemporary Dance, Inc., sauf stipulation contraire expresse contenue dans le contrat de travail et respectant le formalisme impose par la loi, l’employée Martha Graham détient le droit d’auteur sur ses chorégraphies et donc en l’occurrence son héritier Protas, et non pas le Centre comme dans la décision de la Cour américaine.

 

Pendant longtemps, les chorégraphies n’étaient protégées ni par le copyright ni par les droits d’auteur. Pour pallier ce manque de protection, le milieu de la danse a développé un ensemble d’usages et de coutumes plutôt efficaces et complets quant aux droits moraux des chorégraphes. Les usages et coutumes internationaux développés dans le milieu de la danse sont respectés par ses membres qui s’assurent aussi que cet ensemble d’usages et coutumes soit observé au-delà du milieu de la danse.

 

Aux Etats-Unis, une première révision du Copyright Act en 1909 a permis de protéger certaines chorégraphies. En effet, le Copyright Act dans sa version de 1909 protègent les « compositions dramatiques et dramatico-musical ». Certaines chorégraphiques purent donc bénéficier de la protection qu’offre le Copyright Act dans la mesure ou elles s’inscrivaient dans une histoire/un scenario, seul moyen de qualifier ces chorégraphies de composition dramatico-musicales.

En France, une protection légale pour le chorégraphe apparaît dans la doctrine et la jurisprudence liées à la loi de 1791 relative aux spectacles. On peut discerner pour la première fois une protection légale pour la chorégraphie dans le jugement du 11 juillet 1962 du Tribunal Civil de la Seine mais seulement dans la mesure où elle s’inscrit dans une œuvre de genre théâtral telle que le ballet d’action. Pour bénéficier de la protection offerte à une « œuvre de collaboration » telle qu’un ballet, la chorégraphie  doit avoir une place au moins aussi importante que le reste des œuvres qui composent l’œuvre complexe indivisible.

Jusqu’en 1957, les chorégraphies ne sont donc protégées ni par le copyright ni par les droits d’auteur en tant qu’œuvre à part entière.

 

En France, la législation de 1957 sur propriété littéraire et artistique étend les droits d’auteur aux chorégraphies dont le mise ne œuvre est fixée dans un support écrit ou autrement en les considérant comme des « œuvres de l’esprit ». L’introduction de l’exigence de fixation est étonnant dans la mesure ou il s’oppose au principe fondamental exprime dans la loi selon lequel le droit d’auteur nait du seul fait de la création d’une œuvre de l’esprit.

En 1976, une révision supplémentaire du Copyright Act a expressément étendu la protection du copyright aux œuvres chorégraphiques originales fixées sous une forme matérielle.

 

Aucune définition d’œuvres chorégraphiques n’est donnée, suite à un choix délibéré du Congrès américain. En droit français non plus, l’œuvre chorégraphique n’a pas été définie. Un tel choix peut se révéler dangereux si la protection du copyright des chorégraphies venait à inclure les pas de danse eux-mêmes par exemple. Mais cela permet aussi de protéger des œuvres chorégraphiques avant-gardistes.

Les tribunaux américains, en se basant sur les travaux préparatoires du Copyright Act 1976, excluent de la protection de copyright les danses folkloriques et les danses traditionnelles ou de société. De la même façon, en France, les danses folkloriques ou de société sont dans le domaine public.

Dans un arrêt de la Cour d’Appel de Paris de 2007, cette dernière a souligne que la mise en place d’enchaînements de position technique, tels qu’une démonstration d’art martial, ne peut être qualifié de chorégraphie et ne bénéficie donc pas de droits d’auteur.

 

Aux Etats-Unis, une chorégraphie est considérée originale tant que le chorégraphe y a ajoute son « individual stamp » c’est-à-dire l’empreinte de sa personnalité. De ce fait, toute réinterprétation d’une chorégraphie préexistante satisfait la condition d’originalité.

En France, la condition d’originalité est aussi définie comme l’empreinte de la personnalité du chorégraphe. Théoriquement, restaurer un patrimoine oublié ne veut pas dire créer une œuvre en droit français. Mais dans une affaire de 2005, le tribunal a considéré la restitution en cause comme une « œuvre de l’esprit ». Cependant le niveau d’originalité requit paraît néanmoins légèrement plus élevé qu’aux Etats-Unis. Dans un arrêt du T.G.I de 2008, le tribunal a jugé que des représentations reproduisant 9 des 11 éléments originaux d’une œuvre chorégraphique préexistante constituaient une contrefaçon de cette dernière.

La protection des œuvres chorégraphiques est un sujet moins sensible que dans d’autre domaine artistique car, dans le milieu de la danse, les divers empreints, les inspirations et réinterprétations sont considérés comme des hommages et non pas comme du plagiat, comme ce serait le cas dans le monde de la musique par exemple. Une telle approche explique pourquoi la condition d’originalité est rarement un obstacle a la protection des chorégraphies aussi bien par le copyright que les droits d’auteur. Cette approche est bénéfique au monde de la danse comme le montre les ballets les plus connus dont les interprétations et réinterprétations n’ont fait qu’enrichir la chorégraphie originale.

 

La condition de fixation, présente dans les deux systèmes juridiques, pose nettement plus de problème que celle d’originalité. En effet, la chorégraphie est une catégorie artistique unique qui, par nature, est intangible, préfigurative et fugitive. Aux yeux des chorégraphes, la condition de fixation est incompatible avec l’essence de la chorégraphie. La condition de fixation a pour conséquence une absence complète de protection du copyright des œuvres chorégraphiques improvisées.

Pour que la condition de fixation soit remplie, l’œuvre chorégraphique doit pouvoir être reproduite en se basant sur sa concrétisation formelle. La forme écrite ou autre sous laquelle est fixée la chorégraphie doit donc lui faire justice en offrant une représentation exacte et suffisamment précise.

Les trois formes de concrétisation formelle présentent de nombreux problèmes. La notation chorégraphique, qui fonctionne sur un schéma comparable aux partitions de musique, requiert l’intervention d’un « traducteur » et se révèle donc compliquée, très longue et chère. Le recours à un logiciel informatique est extrêmement long et peu de chorégraphes savent s’en servir. Quant à l’enregistrement vidéo, c’est une méthode incomplète donc risquée, qui peine à recréer les émotions que dégagent la chorégraphie. De plus, si un des danseurs se trompe dans l’exécution ne serait-ce que d’un pas de la chorégraphie, la chorégraphie en devient inexorablement modifiée.

L’arrêt Martha Graham illustre parfaitement l’incompabilité entre œuvres chorégraphiques et copyright. L’exigence de fixation est une importante restriction de la protection du copyright et du droit d’auteur pour les œuvres chorégraphiques. La condition de fixation est si onéreuse à remplir que soit les chorégraphes perdent leur copyright au profit de leurs employeurs soit ils ne protègent pas du tout leurs œuvres chorégraphiques. Si une chorégraphe aussi réputée que Martha Graham (qui fut sacrée « danseuse du siècle » par le Times) ne peut pas détenir de copyright sur ses propres œuvres, aucun chorégraphe ne peut se considérer protégé par le copyright.

 

Ainsi beaucoup de chorégraphes ont davantage confiance dans l’ensemble d’usages et coutumes développés dans le milieu de la danse pour protéger leurs chorégraphies qu’en le Copyright Act ou les droits d’auteur.

Un des usages les plus respecté reste le « choreographic credit » qui consiste à citer le chorégraphe ayant créé la chorégraphie originale. Le recours au « choreographic credit » est systématique et toujours d’actualité, même depuis que les chorégraphies sont protégées par le Copyright Act aux Etats-Unis et par l’article L. 112-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, même lorsqu’une compagnie de danse a acquis le copyright d’une chorégraphie.

Paradoxalement, les usages et coutumes internationaux développés dans le milieu de la danse ont pour effet principal de protéger les droits moraux des chorégraphes et non pécuniaires alors même que la protection du copyright aux Etats-Unis protège les droits pécuniaires des auteurs et non leurs droits moraux. Ainsi il existe une protection plutôt efficace des droits moraux des chorégraphes sur leurs chorégraphies, même aux Etats-Unis, en particulier le respect de l’œuvre et de la paternité de la chorégraphie.

 

Mais l’ensemble d’usages et coutumes créé par le milieu de la danse ne protège qu’un aspect des chorégraphies. En effet, l’aspect économique des chorégraphies n’est pas protégé sans un recours au copyright ou aux droits d’auteur.

Pourquoi un chorégraphe devrait-il se contenter du renom sans récolter les fruits de son travail de la même façon que le compositeur de la musique d’un ballet? La célèbre chorégraphe Agnès de Mille a été payée un prix fixe pour la création de la chorégraphie de la comédie musicale « Oklahoma ! » tandis que l’auteur de la composition musicale d’ « Oklahoma ! » a non seulement été payé à la création mais perçoit aussi des royalties à chaque fois que la musique de la comédie musicale est jouée. Cette illustration de la disparité de protection du copyright entre les chorégraphies et d’autres domaines artistiques est un exemple frappant que pose le problème d’une protection de copyright et des droits d’auteur inadaptée aux chorégraphies.

 

Une autre technique utilisée pour protéger les œuvres chorégraphiques et pallier les défauts du Copyright Act, toujours très répandue aux Etats-Unis, est le recours aux contrats, notamment les contrats de licences par les chorégraphes. L’avantage que confère le recours à un contrat de licence est double ; il permet au chorégraphe de protéger ses intérêts financiers mais également ses droits moraux (en insérant les clauses adéquates dans le contrat de licence pour le protéger).

En France, le recours à des contrats de représentation est courant et comparable aux contrats de licence aux Etats-Unis. « Le contrat de représentation est celui par lequel l'auteur d'une oeuvre de l'esprit et ses ayants droit autorisent une personne physique ou morale à représenter ladite œuvre à des conditions qu'ils déterminent ». (Article L. 132-18 du Code de la Propriété Intellectuelle).

 

La protection offerte par le copyright aux Etats-Unis est censée promouvoir le progrès, selon l’Article 1, Section 8, Clause 8 de la Constitution des Etats-Unis. Pourtant bien que les chorégraphies n’aient pas été protégées par le copyright avant 1976, l’art de la danse a connu son essor aux Etats-Unis dans les années 60 soit plus de 10 ans avant d’obtenir la protection du copyright. Une telle observation peut mener à la conclusion que la protection du copyright est inutile dans le domaine de la danse. Cependant, une explication possible pour expliquer ce phénomène repose sur le fait qu’aux yeux des chorégraphes, le plus important reste la paternité de leur œuvre, protégée par le recours au « choreographic credit ». Cet « honneur » revient toujours au chorégraphe même s’il ne remplit pas les conditions pour être le titulaire du copyright, d’après le Copyright Act. Néanmoins, l’exemple d’Agnès de Mille et l’arrêt Martha Graham soulignent le besoin d’une protection de copyright adaptée aux œuvres chorégraphiques.

Le besoin de droits d’auteur adaptés aux œuvres chorégraphiques est tout aussi pressant en France que celui d’une protection de copyright adaptée aux Etats-Unis et pour les mêmes raisons.   

En droit américain, la consécration de la « work-for-hire » doctrine, dans l’arrêt Martha Graham, semble laisser les chorégraphes américains dans une situation de désavantage par rapport à leurs collègues français quant à la protection possible de leurs œuvres chorégraphiques. En effet, en France, dès les années 20, la doctrine, commentant une affaire, affirme que « la jurisprudence et la doctrine récentes sauvegardent les droits du créateur même subordonnées par un contrat de travail. Le chorégraphe est titulaire de droits d’auteur. » (Marie Anne Alsne, La chorégraphie et le droit d'auteur en France, [1994] no162, Revue internationale du droit d'auteur). De plus, les droits moraux des chorégraphes remplissant les conditions d’obtention des droits d’auteur sur leurs chorégraphies sont prévus par la loi française tandis qu’aux Etats-Unis, le copyright ne prévoit qu’une protection des droits pécuniaires.

Mais comme l’exigence de fixation rend l’obtention des droits d’auteur aussi difficile que celle de la protection du copyright, les chorégraphes français sont dans la même situation que leurs collègues américains : la seule protection de leurs œuvres chorégraphiques disponible reste l’ensemble d’usages et coutumes développés dans le milieu de la danse. Néanmoins, les chorégraphes salariés français n’ont pas à subir la présomption selon laquelle leurs œuvres chorégraphiques appartiennent à leur employeur, contrairement aux chorégraphes salariés américains.

 


 

 

 

Bibliographie ;

 

 

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Marie Anne Alsne, « La chorégraphie et le droit d'auteur en France », [1994] no162, Revue internationale du droit d'auteur, p.2-119.  

 

« Protéger ses œuvres par le droit d’auteur », le Guide de la Propriété Intellectuelle, IRPI, 2010

 

« Création chorégraphique et emprunt à des œuvres artistiques préexistantes », compte rendu de la rencontre juridique du 1er décembre 2006 organisée en collaboration avec la SACD, Centre National de la Danse

 

« Comment garder une trace de la danse ? Quels documents, quel traitement pour quelle mémoire ? », Mémoire d’Etude, Aubierge Desalme, janvier 2006

 

Textes législatifs ;

 

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17 U.S.C. §101 (2000),

 

17 U.S.C.A. § 201(b),

 

Articles L. 111-1 à L. 113-9 du Code de la Propriété Intellectuelle,

 

Articles L 121-1 à L 123-12 du Code de la Propriété Intellectuelle,

 

Articles L. 131-1 à L. 131-8 du Code de la Propriété Intellectuelle,

 

Articles L. 132-18 à L. 132-22 du Code de la Propriété Intellectuelle,

 

Décret du 13-19 janvier 1793 (loi relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, de compositeurs de musiques, de peintres et des dessinateurs),

 

Loi n57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, art.3 (art. L. 112-2 CPI)

 

Décisions de justice ;

 

Martha Graham Sch. and Dance Found., Inc. v. Martha Graham Ctr. of Contemporary Dance, Inc., 380 F.3d 624 (2d Cir. 2004),

 

Horgan v. MacMillan, Inc., 789 F.2d 157, 160 (2D Cir. 1986),

 

Aymes v. Bonelli, 980 F.2d 857 (2d Cir. 1992),

 

Community for Creative Non-Violence v. Reid, 90 U.S. 730 (1989),

 

T.G.I Paris, 3eme civ., 4 juin 2008, 05/06811,

 

C.A Paris, ch.04 B, 14 décembre 2007, 06/12948,

 

T.G.I Paris, 3eme civ., 20 février 2008, 03/01644,

 

C.A Aix-en Provence, ch.02, 7 septembre 2011, 09/14819,

 

C.A Paris, pole 02 ch.02, 21 janvier 2011, 09/17292,

 

T.G.I Nanterre, 1ere ch.A, 19 janvier 2005,

 

Cass. 1re civ., 21 nov. 2006,

 

C.A Paris, 16 février 2005,

 

Trib. Civ. Seine, 11 juillet 1862 Perrot c. Petitpa, Ann. Prop. Ind. 1863, p.234-237.