ESPAGNE - Impact de l’acquis communautaire et de son harmonisation en matière de protection des consommateurs en droit espagnol et en droit français, par Virginie MAURY

Le bilan de l’acquis communautaire dans le domaine de la protection du consommateur n’est pas celui escompté, de nombreuses incohérences existent tant entre les directives elles-mêmes qu’au sein des ordres juridiques nationaux les ayant transposées. L’état de cet acquis est source d’insécurité juridique, il décourage les consommateurs et fausse la concurrence. Pour y remédier des mesures doivent êtres prises au niveau communautaire mais pour que le résultat soit optimal les Etats membres devraient comme l’Espagne réaliser le « deuxième travail d’harmonisation ».

A l’heure où tous les regards se tournent vers une future et hypothétique uniformisation du droit civil au sein de l’Europe, les organes communautaires et nationaux s’affèrent à une tâche d’une ampleur plus sectorielle mais non moins essentielle : L’harmonisation effective du droit de la consommation.

L’harmonisation du droit de la consommation n’est pas un objectif nouveau de la Communauté européenne mais cette volonté de lui donner toute son effectivité est le résultat d’un constat peu probant de l’état de l’acquis communautaire dans ce domaine: la méthode actuelle d’harmonisation sectorielle minimale suivie par l’Europe depuis maintenant plus de vingt ans n’a pas donné les résultats escomptés et son efficacité est remise en cause. C’est dans ce contexte que la Commission européenne a lancé le processus de révision de l’acquis communautaire en matière de protection du consommateur en 2004, elle a proposé diverses solutions mais à l’heure actuelle n’a toujours pas adopté de mesures concrètes. L’Espagne, quant à elle, n’a pas attendu que la Communauté européenne corrige le tir, elle a pris les devants et a adopté des mesures pour que son droit de la consommation soit plus cohérent en ordonnant, simplifiant et explicitant le droit national issu en partie des différentes transpositions.

La Communauté Européenne veut pallier les incohérences de sa politique sectorielle mais les Etats membres n’auraient-ils pas déjà isolément prévu les moyens d’y remédier, au moins en partie ? Les organes communautaires seraient-ils les seuls à s’atteler à cette tâche d’harmonisation et d’amélioration du droit de la consommation ?

Le parallélisme reconnu entre le système juridique français et le système juridique espagnol, élément pertinent dans un travail de comparaison, nous permettra d’étudier le réel impact de l’acquis communautaire matière de protection des consommateurs et de son éventuelle harmonisation. Nous verrons qu’une co-action est nécessaire pour pallier les nombreux problèmes qui entachent l’effectivité de l’harmonisation du droit de la consommation, il conviendra d’exposer les plus fondamentaux. Certains sont inhérents aux directives et à la politique sectorielle des organes communautaires et de ce fait nécessitent une intervention communautaire (I), d’autres, sont directement liés au choix des Etats et à leur marge de manœuvre lors des transpositions et pourraient être résolus grâce à une initiative nationale telle que celle réalisée en Espagne (II).

I. Une réponse communautaire attendue face aux problèmes intrinsèques de l’acquis communautaire en matière de protection du consommateur.

Ce que l’on appelle communément l’acquis communautaire dans le domaine de la protection du consommateur est composé de huit directives qui répondent à une démarche sectorielle. Celle-ci serait la cause des nombreuses critiques dont les directives font l’objet : elles sont dites trop prescriptives, inadéquates et parfois même inintelligibles. Les organes communautaires, ayant pris conscience des problèmes intrinsèques à cet acquis, souhaitent y remédier et lui donner toute son effectivité.

A. L’incohérence de la démarche sectorielle : Problèmes intrinsèques à l’acquis communautaire

Ces huit directives, socle de l’acquis communautaire en matière de protection du consommateur, ne couvrent cependant pas l’ensemble de la législation de l’Union européenne relative à la protection des consommateurs et de nombreuses règles sont contenues dans d’autres normes européennes notamment dans les normes relatives au commerce électronique. L’harmonisation sectorielle menée par les organes communautaires a conduit à adopter ces directives dans des domaines aussi variés et spécifiques que les vacances, les voyages et les circuits à forfait (Directive 90/314/CEE) ou encore la vente en time-share (Directive 94/47/CE) et d’autres ayant des champs d’application plus transversaux, comme la directive 1999/44/CE sur les garanties des biens de consommation, ou encore celle concernant les clauses abusives (93/13/CEE). Prises isolément ces directives sont complètes et adaptées à leurs objets, mais lorsqu’elles sont mises en relation au sein de cet acquis des incohérences surgissent.

Le cloisonnement des directives entre elles est un des problèmes majeurs de l’acquis communautaire, chacune d’elle apporte des solutions particulières à des problèmes spécifiques, telle que la situation du consommateur en cas d’achat de biens time-share ou encore en cas d’achat suite au démarchage à domicile, mais elles ne posent pas de réels principes communs à tous les Etats membres. Alors même qu’ils pourraient permettre aux Etats membres de mettre leur réglementation en harmonie avec ces directives et d’éviter ainsi la superposition et la cohabitation maladroite de règles nationales dont l’application est rendue difficile faute de socle réglementaire conséquent. Cependant lors de l’adoption de la directive 99/44 les organes communautaires ont démontré la volonté d’élaborer une protection du consommateur plus transversale et moins cantonné à des cas spécifiques.

Le manque de cohérence des directives est une des conséquences directes de la politique d’harmonisation sectorielle menée depuis vingt ans, il ne peut être nié bien sûr qu’il existe au niveau communautaire une réelle base juridique pour assurer la protection du consommateur lors de ces transactions mais à l’heure de mettre en pratique cet acquis les règles qui le composent s’articulent difficilement. Cette incohérence se reflète lorsque différentes directives peuvent être appliquées dans un même cas concret et que leurs dispositions sont inconciliables. Ce cas est assez fréquent notamment en ce qui concerne l’obligation d’information du professionnel ou encore le délai de rétractation du consommateur. Celui-ci varie alors de 7 jours a 10 jours naturels en passant par 7 jours ouvrés selon que ce soit la directive sur le démarchage à domicile (directive 85/577/CEE), sur l'utilisation à temps partiel de biens immobiliers (directive 94/47/CE) ou encore celle sur les ventes à distance (directive 97/7/CE) qui est appliquée.

Pour pallier les incohérences de sa politique d’harmonisation, la Commission européenne dans le cadre des engagements pris par l'initiative "mieux légiférer", a lancé le processus de révision de l’acquis communautaire en matière de protection du consommateur en 2004, à l’heure actuelle rien n’a cependant été adopté.

B. Une action indispensable et attendue :la Communauté européenne.

Dans son livre vert sur la révision de l’acquis communautaire en matière de protection des consommateurs, la Commission présente différentes solutions et invite les parties intéressées à s’exprimer sur l'objectif affiché de moderniser, simplifier et améliorer le cadre réglementaire existant afin de parvenir à la mise en place d’un marché intérieur des consommateurs effectif, point d’équilibre entre un niveau élevé de protection des consommateurs et une compétitivité des entreprises réelle.

La démarche verticale ou sectorielle consisterait à réviser chacune des huit directives pour combler leurs lacunes, supprimer leurs incohérences, coordonner la terminologie et enfin adapter ces directives aux évolutions du marché. Ainsi la Communauté européenne continuerait avec sa politique sectorielle en s’efforçant d’éviter de nouvelles incohérences dans la réglementation future.

La démarche horizontale ou mixte consisterait à créer un instrument horizontal, socle commun de ces directives, qui reprendrait les principes essentiels de la protection du consommateur, il y serait intégré notamment les définitions du «consommateur» et du « professionnel», le régime des clauses abusives, de l’obligation d’information, du droit de rétractation, et du contrat de vente. Son champ d’application serait non seulement les transactions transfrontalières mais aussi nationales. Ces questions seraient ainsi régies de manière systématique, donnant ainsi une même base juridique à chaque consommateur européen et assurerait une libre circulation des marchandises en Europe. Le Cadre Commun de Référence pourrait jouer un rôle essentiel à cet égard. Il serait complété, le cas échéant, par des réglementations sectorielles, offrant ainsi au consommateur une base juridique cohérente, claire et solide.

Le degré d’harmonisation de l’instrument choisi est essentiel pour faire face aux objectifs fixés par la Communauté européenne. Actuellement, le degré d’harmonisation est minimal, les Etats peuvent donc imposer des niveaux de protection plus élevés que ceux des directives, par conséquent les consommateurs ne peuvent avoir confiance dans les transactions transfrontalières ne sachant pas le niveau de protection de l’autre Etat pourtant européen. Pour les nouveaux instruments, il pourrait s’agir d’une harmonisation totale : aucun Etat ne pourrait appliquer de règles plus strictes que celles définies au niveau communautaire et les Etats ne pourraient laisser subsister, dans ce domaine, leur réglementation d’origine, cette harmonisation totale serait envisageable dans ce domaine car elle répondrait a une politique définie de protection du consommateur (art.153 TCE). Il pourrait encore s’agir d’une harmonisation minimale, comme actuellement, mais accompagnée de clauses de reconnaissance mutuelle. Ainsi les Etats pourraient imposer des exigences supplémentaires aux professionnels nationaux mais ne pourraient pas les imposer aux professionnels d’autres Etats membres, ceux-ci devant seulement respecter les exigences imposées par leurs propres pays.

Le travail d’amélioration du cadre réglementaire existant est indispensable pour que le consommateur se sente effectivement protégé lors de ces transactions. En améliorant la qualité du cadre réglementaire, le consommateur a un meilleur accès au droit et aura davantage confiance lors de ces transactions transfrontalières ; Cependant cette confiance ne pourra être acquise si dans son pays le second travail d’harmonisation n’est pas réalisé.

II. Un second travail d’harmonisation corollaire et nécessaire : l’initiative espagnole

Lors de la transposition des directives communautaires les Etats membres sont liés par le résultat à atteindre, la protection du consommateur, mais non par les moyens à employer pour arriver à cette fin. Cette grande marge de manœuvre entraîne des disparités entre les ordres juridiques des différents Etats membres mais peut aussi entraîner des incohérences au sein même de ces ordres juridiques. Le législateur national n’est pas pour autant impuissant et, dans une certaine mesure, il peut agir pour ordonner et simplifier son propre droit national mais encore faut-il qu’il en prenne l’initiative à l’instar de l’Espagne et de sa Loi d’amélioration de la protection du consommateur.

A. Incohérence et fragmentation des droits nationaux issus des diverses transpositions.

L’incohérence au sein des Etats membres entre les règles juridiques issues des transpositions et celles d´origine « purement étatique » est due à la marge de manœuvre dont dispose les Etats lors de la transposition. De nombreuses directives contiennent des dispositions qui permettent aux Etats de continuer d’appliquer leur droit national d’origine en parallèle des règles issues des directives et donc d’instaurer ainsi une dualité de protection créatrice d’insécurité juridique. La transposition effective des directives nécessite bien souvent une adaptation bien plus importante du système juridique national que ne le prévoit la directive, sous peine d’incohérence dans l’ordre juridique national, le consommateur se retrouvant alors face à une multitude de règles dont l’articulation est difficile.

La fragmentation de la réglementation entre les différents Etats membres est due à la politique d’harmonisation minimale qui empêche une harmonisation effective des droits des différents Etats membres. Les différentes directives relatives a la protection des consommateur prévoient des normes de protection plancher et permettent aux Etats d’adopter ou de laisser subsister des règles de protection plus stricte. La protection est donc plus ou moins élevée selon les Etats et les consommateurs se retrouvent donc avec des protections différentes selon l’Etat ou il se trouve. Par exemple en France dans le champ d’application de la Directive 1999/44/CE sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation le consommateur à un recours direct contre le producteur en cas de non-conformité du bien et non pas seulement contre le vendeur comme cela est le cas dans la législation espagnole issue de cette même transposition. La directive s’entend alors comme un minimum imprescriptible. Ce degré d’harmonisation minimale ne peut permettre d’uniformiser le droit existant.

Les distorsions qui résultent de la transposition de ces directives dans les systèmes juridiques français et espagnol sont une démonstration à petite échelle des différences existantes entre tous les Etats membres. Alors même que ces Etats ont des systèmes juridiques ressemblants la marge de manœuvre laissé par les organes communautaire lors de la transposition des directives et en particulier le principe d’harmonisation minimale permettent a chaque Etat de faire des choix différents et provoquent des différences de protection, les consommateurs ne pourront pas faire valoir les mêmes droits d’un Etat à l’autre alors même que les Etats ont transposé la même directive.

B. Une action nationale essentielle et réalisée : l’Espagne

Lors de la transposition de la directive 1999/44/CE, le législateur espagnol, a l’instar de la France ne saisi pas l’occasion pour réformer en profondeur son droit civil, mais il s’engage à adopter une loi qui regroupera dans un instrument national cohérent la Ley General para la Defensa de los Consumidores y Usuarios (Equivalent de notre code de la consommation mais non « codifié ») et les différentes transpositions de droit communautaire dans ce domaine. Il ne s’est pas seulement engagé à consolider ce domaine du droit mais bien à ordonner, simplifier et expliciter la réglementation dans ce domaine et ainsi faciliter aux consommateurs un meilleur accès au droit. Cette loi adoptée le 29 décembre 2006 est la Ley 44/2006 de mejora de la protección de los Consumidores y Usuarios (Loi espagnole d’amélioration de la protection des consommateurs et des usagers).

Le « second travail d’harmonisation » réalisé par le gouvernement espagnol avec cette loi est une démarche qui incombe aux Etats et qui est souvent négligée, il s’agit de mettre en harmonie les règles nationales transposées avec celles existantes hors du champ d’application des directives. Cette démarche qui pourrait paraître logique n’est pourtant pas souvent réalisée par les Etats membres, elle permettrait pourtant d’améliorer considérablement l’environnement règlementaire national de chacun des Etats. Par ce travail, l’Espagne n’a bien sur pas mis plus en harmonie son droit de la consommation avec ceux des autres Etats européens, la politique d’harmonisation minimale étant la raison de cette fragmentation des réglementations, mais elle a réalisé une étape essentielle qui permet de rendre plus cohérent son propre droit national : elle a adapté sa réglementation pour que le consommateur ne soit plus tiraillé entre diverses règles et se sente effectivement protégé.

La France, quant à elle, n’a pas réalisé ce travail, elle a choisi à de nombreuses reprises de laisser cohabiter maladroitement sa réglementation d’origine purement nationale à coté de celle issue de transpositions sans pour autant adapter sa réglementation d’origine avec les exigences communautaires laissant le consommateur dans un flou législatif qui décourage ces achats transfrontaliers. Par exemple en cas d’achat d’un bien qui résulterait non-conforme à la description qui en était faite lors de l’achat, le consommateur se retrouve à la tête de différentes actions complexes et inconciliables : la garantie de conformité issue de la directive 99/44/CE, la garantie contre les vices cachés de l’art. 1641 C.civ. et l’action pour non délivrance conforme, construction prétorienne à partir de l’art. 1603 C.civ alors même qu’il aurait pu se saisir de l’occasion de la transposition de la Directive 1999/44 pour faire fusionner ces notions ou du moins les ordonner et simplifier.

Bien sur ce travail d’harmonisation ne peut remplacer le travail indispensable qui doit être mené par la Communauté européenne pour rendre l’acquis communautaire cohérent mais menées en parallèles ces deux actions permettraient à chacun des consommateurs d’être effectivement protégé non seulement dans les transactions nationales mais aussi dans les transactions transfrontalières en mettant en place un marché intérieur des consommateurs avec un niveau de protection équivalent et non plus seulement minimal.

Bibliographie :

  • A. Marais, « Cadre commun de référence et Code civil », Revue des contrats 2005, p. 1204
  • S. Vogenauer et S. Weatherill, « La compétence des communautés européennes pour harmoniser le droit des contrats – une analyse empirique », Revue des contrats 2005, p. 1215
  • S. Sánchez Lorenzo, « Faut-il oublier l’idée d’un Code civil européen ? » et « La création du droit européen des contrats » in « Le droit européen et la création du droit », Chronique de droit européen et comparé n° XII, Les Petites affiches 2007, n°112, p. 8
  • B. Fauvarque-Cosson, « Faut-il un code civil européen ? », RTD civ. 2002, p. 463
  • Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité Économique et Social et au Comité des Régions - Stratégie pour la politique des consommateurs 2002-2006, COM/2002/0208 final (JO C 137, du 8 juin 2002)
  • Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil - Un droit européen des contrats plus cohérent - Un plan d'action COM/2003/0068 final JO C 63 du 15.3.2003, p. 1–44
  • Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil –Droit européen des contrats et révision de l’acquis : la voie à suivre. COM(2004) 651 final JO C 255 du 13.09.2001
  • Livre vert sur la révision de l’acquis communautaire en matière de protection des consommateurs COM (2006) 744 final du 8.02.2007
  • Proposition de résolution du Parlement européen sur le livre vert sur la révision de l'acquis communautaire en matière de protection des consommateurs (2007/2010(INI))
  • Décision n°1926/2006/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 établissant un programme d’action communautaire dans le domaine de la politique des consommateurs (2007-2013) JO L 404 du 30.12.2006, p. 39-45
  • Compendium CE de Droit de la consommation - Analyse comparative - Sous la dir. du Prof. Dr. Hans Schulte-Nölke, Avril 2007 Préparé pour la Commission européenne.
  • Ley 44/2006, de 29 de diciembre, de mejora de la protección de los consumidores y usuarios.