Exit l’Europe – L'avant et l'après Lisbonne, par Héloïse DE LA TOUR

L’Union européenne – organisation internationale et régionale – est constituée par des traités. Or, le droit de l’Union européenne ne prévoit pas explicitement à l’heure actuelle de possibilités pour mettre fin à l’adhésion d'un Etat membre. Le Traité de Lisbonne, une fois ratifié, introduira une clause explicite de retrait au nouvel article 50 UE, mettant ainsi fin aux débats sur l'applicabilité le droit international. Article 50 du Traité UE (version consolidée par le Traité de Lisbonne, non entrée en vigueur)

Introduction

L’Union Européenne, organisation internationale selon les critères du droit international général, a été constituée par des traités fondateurs et modificatifs successifs, « le droit primaire ». Ces traités sont le reflet du consentement des États à abandonner une partie de leur souveraineté pour la transférer à l’UE. On peut donc légitimement se poser la question de savoir si l’absence d’une clause de retrait ne va pas à l’encontre du principe d’indépendance. En effet, le droit de l’Union européenne ne prévoit pas encore explicitement de possibilités pour mettre fin à l’adhésion d’un État membre, formant ainsi une « prison des peuples » (selon la formule originale du Président Thomas Woodrow Wilson, qualifiant l'empire austro-hongrois). Or, en théorie, ce qu’une loi ou un traité ont fait, une autre loi ou un autre traité peut le défaire. Le Traité de Lisbonne, reprenant la disposition I-60 du Traité dit « constitutionnel » (2004), non ratifié, introduit avec son article 49a, un nouvel article 50 dans la version consolidée du Traité sur l’Union européenne. Celui-ci consacre le droit des États membres de se retirer, selon une procédure précise et dans le respect des règles constitutionnelles nationales (article in extenso*). L’avenir de cette réforme est toutefois incertain. Cela dit, les Traités instituant les Communautés et l’Union européennes ont été négociés, signés, ratifiés selon les règles du droit international général. Partant, il est possible de se référer à la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, entrée en vigueur en 1980. La circonstance que 3 États membres, parmi les 27, n’aient pas ratifié cet instrument (France, Malte, Roumanie), est à cet égard invoquée en vain, dans la mesure où la majorité des articles est une codification de la coutume. Quels sont par conséquent, les moyens dont disposent les États membres pour sortir de l’Europe ? Certaines dispositions de la Convention de Vienne semblent applicables à l'UE, puisqu'il s'agit d'une organisation internationale. Nous nous en assurerons dans un premier temps. Une deuxième partie sera consacrée aux solutions régionales du droit communautaire, notamment celles qui entreront en vigueur avec le Traité de Lisbonne.

I. Possibilités de terminaison prévues par le droit international public

Il existe tout d’abord les solutions de terminaison consensuelle. C’est le cas lorsque les États ont prévu dès l’origine la date d’extinction du traité qui créait l’organisation internationale (art. 54 a) CV69). Un exemple issu de la pratique est le Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, comportant une clause résolutoire de 50 ans, à l’article 97. L’entrée en vigueur se fit le 23 juillet 1952 et la CECA cessa ainsi d’exister le 22 juillet 2002. Le principe de consensualisme est ainsi illustré par la décision des États membres, à l’avance, de mettre fin à leur participation à la CECA. Toutefois, concernant les Traités instituant les CE et l’UE, la dissolution de l’organisation internationale est peu probable. En effet ils ont été signés sans limitation de durée, selon les articles 312 TCE et 51 TUE. Ceci laisse penser que la volonté des États membres n’était pas de prévoir une fin à leurs relations. Par le biais d’une révision des accords (art. 48 TUE), les États pourraient en revanche convenir pour l’avenir de la « mort » de l’Union. Cependant, une telle révision nécessiterait l’approbation des 27 membres actuels, consensus dès lors difficilement envisageable. Il ne s’agirait plus d’ailleurs pour un pays de quitter l’UE, mais pour tous de l’anéantir (art. 54 b) CV69). Enfin, un traité dont le but serait atteint perdrait son objet, déliant ainsi les États signataires selon l’art. 70 CV69 (« extinction par exécution du traité » Daillier/Pellet). Or, la durée illimitée des Traités donne une indication quant à l’impossibilité de remplir, une fois pour toutes, leur objectif des Traités. Par conséquent, les États ne disposent pas d’échappatoire sur ce fondement.

Différents motifs sont invocables pour suspendre ou mettre fin à un traité, et tout d’abord l’impossibilité d’exécution objective qui résulte de la « disparition ou destruction définitives d’un objet indispensable à l’exécution de ce traité » (art. 61 CV69). Les Traités instituant les Communautés et l’Union européennes ne portent pas sur un objet, donc cet article ne serait pas pertinent. Un État pourrait également invoquer le changement fondamental de circonstances comme porte de sortie de l’UE (art. 62 CV69). Il convient néanmoins de préciser que la clause « rebus sic stantibus » est interprétée de façon très stricte (CIJ, 25.09.97, arrêt Gabcikovo-Nagymaros) et qu’elle n’entraîne pas, en tout état de cause, la terminaison automatique du traité. Celle-ci doit être sollicitée. Une guerre, par exemple, pourrait être invoquée comme changement fondamental de circonstances. Pourtant – à supposer qu’un tel moyen soit accueilli, puisque l’objet des Traités est justement de maintenir une coopération entre les États européens, d’apporter une certaine stabilité qui exclue la guerre entre eux, en les rendant économiquement interdépendants – une telle hypothèse entraînerait plutôt la suspension que l’extinction des Traités, l’État l’invoquant demeurant membre de l’UE. Par ailleurs, les Traités ne seraient suspendus qu’entre belligérants. Enfin, un conflit armé pourrait éventuellement remplir la condition de l’art. 62 2. b) CV69 (« nemo auditur »), de telle sorte que l’État ne pourrait pas, in fine, invoquer le changement fondamental de circonstances. Enfin, il faut préciser que pour le cas où la divisibilité des Traités serait avérée, ils seraient soumis au régime de la suspension et non de la terminaison (art. 44, 72 CV69). Quant aux conditions procédurales – qu'il s'agisse de l'extinction, du retrait ou de la suspension de l'application d'un traité – celles-ci sont prévues aux articles 65 et suivants de la Convention de Vienne.

La Convention de Vienne prévoit en outre, selon le principe de réciprocité, que la violation substantielle par une partie du traité (art. 60 CV69) permet aux autres de le suspendre ou d’y mettre fin. La violation d’une disposition « essentielle pour la réalisation de l’objet ou du but du traité » ou le rejet du traité lorsqu’il n’est pas autorisé constitue des motifs d’exclusion. Cependant, l’État qui l’invoque ne peut se prévaloir de ses violations pour quitter une organisation internationale ; il reste ainsi dépendant de la volonté des autres membres. Cette solution reste donc incertaine. Concernant l’Union européenne, elle prévoit sa propre procédure devant la CJCE, en cas de violation des Traités. Il serait en effet malaisé de contribuer à l’intégration européenne, alors qu’elle-même serait sujette à des remises en cause potentiellement récurrentes. La procédure des articles 226 à 228 TCE prévoit, à l’initiative de la Commission ou d’un État membre, la possibilité d’introduire un recours en manquement. Dans le cadre européen, pour des motifs diplomatiques en réalité, il est peu probable que les États décideraient l’exclusion d’un État en vue de sanctionner une violation. L'échec des sanctions diplomatiques prises contre l'Autriche en février 2000 (après la mise en place d'un groupe de trois « sages ») est édifiant. L’externalisation de la décision au profit de la CJCE prouve à cet égard que les tiers sont mieux placés pour intervenir. Cela étant, la Cour ne peut ni exclure un État de l’Union ni suspendre son adhésion ; il s’agit uniquement de sanctions pécuniaires ou juridiques.

Une dernière hypothèse peut être envisagée, celle de la disparition d’un État membre (art. 73 CV69). Il faut distinguer la situation où l’État membre disparaît au profit de la création d’un nouvel État, de celle où un nouvel État apparaît par sécession. Dans le premier cas, il a été d’usage de considérer que le nouvel État a succédé à l’ancien et s’est substitué en tant que membre. C’est l’exemple de l’Allemagne réunifiée qui a remplacé la RFA. Dans le deuxième cas, l’État cessionnaire pourrait décider de devenir candidat à l’adhésion à l’Union européenne ou de rester en dehors. Par conséquent, il existerait – au moins en théorie – une possibilité pour la Flandre de quitter l’Europe, en se séparant du reste de la Belgique.

Ces questions qui relèvent du droit international public général seront sans doute bientôt dépassées puisque le nouveau TUE (après la ratification du Traité de Lisbonne) mettra en place une procédure de retrait unilatéral au futur article 50.

II. La voie choisie par le droit de l’Union Européenne

Préliminairement, il convient de rappeler qu’aucune procédure d’exclusion n’est pas prévue par les Traités, pas plus qu’une procédure de retrait. Pour le retrait (c'est-à-dire la dénonciation d’un traité multilatéral), la doctrine oppose les clauses expresses aux clauses implicites. Lorsque les Traités sont muets à ce sujet, les États doivent se conformer à leurs obligations sans pouvoir s’en délier, en vertu du principe « pacta sunt servanda ». La Convention de Vienne prévoit elle-même les conditions de renonciation si le retrait n’est pas expressément autorisé, mais les Traités UE et CE ne remplissent pas les exigences de l’art. 56 CV69. Néanmoins, il est inconcevable au niveau national d’avoir ratifié des traités de façon irréversible ; d’où le double discours tenu par les politiques (défenseurs des principes de souveraineté et démocratie) et les juristes.

Jusqu’à présent, il serait légalement impossible de quitter l’Union européenne. La pratique apporte cependant des solutions originales avec notamment la politique de la chaise vide, pratiquée par le Président De Gaulle, qui paralysa le processus décisionnel au sein des Communautés entre juillet 1965 et janvier 1966. Sans constituer une renonciation à l’appartenance à l’Europe, ce comportement démontre une certaine prise de distance, critiquable et critiquée, qui ne constitue pourtant pas fondamentalement une remise en cause. De plus, aucun État membre ne s’est élevé par le passé contre l’organisation en 1975 d’un référendum sur le maintien ou non de la Grande Bretagne dans les CE. Pas davantage de réactions contre le Livret Blanc danois du 9 octobre 1992, publié après le premier référendum sur le Traité de Maastricht, et prévoyant un retrait unilatéral. Ces deux initiatives eurosceptiques auraient pu conduire à un retrait. Or, selon la maxime « qui ne dit mot consent », on peut considérer que les autres membres avaient approuvé ou à défaut n’avaient pas objecté à cette situation. Il existe d’ailleurs un précédent : le Groenland, en tant que province danoise, a pu se retirer des Communautés en 1985, après qu’il a obtenu le statut de territoire autonome appartenant au Danemark. « L’opinion juris » et la pratique des États tendraient donc à confirmer l’existence coutumière d’un droit de retrait. L’art. 50 se contente par conséquent de reconnaître et consacrer un droit préexistant. Il assure ainsi le rôle – didactique – de rassurer les peuples sur le maintien d’une démocratie et de processus transparents au sein de l’UE.

Le retrait équivaut, dans le cas des organisations internationales, à une dénonciation de traité constitutif (cf. art. 54, 56 CV69). L’article 50 prévoit donc une procédure pour encadrer le processus de retrait ainsi que ses conséquences. Cela dit, le retrait volontaire n’est pas soumis à des conditions très restrictives car il s’agit seulement pour l’État membre de le notifier au Conseil. Il ne participe alors aux délibérations de cette institution que de façon limitée. Concernant le respect des règles constitutionnelles nationales, une révision constitutionnelle serait nécessaire en Allemagne comme en France, dans la mesure où l’intégration européenne fait l’objet des articles 16, 16a, 23, 24, 28, 45, 50, 52, 88, 104a, 106, 108, 109 de la Loi Fondamentale et du Titre XV de la Constitution de 1958. Des négociations sont également prévues pour déterminer le contenu de l’accord final (mise au point des étapes du retrait, collaboration future…), sans pour autant constituer une obligation de résultat. En effet, pour éviter que les négociations ouvertes entre l’État sortant et l’Union ne se prolongent indéfiniment, et qu’elles ne soient utilisées qu’à des fins tactiques, l’art. 50 fixe un délai de 2 ans après la notification du retrait, au-delà duquel il devient automatique. Les Traités cessent alors d’être applicables de plein droit. La conclusion même de l’accord est votée à la majorité qualifiée par le Conseil, et ne requiert pas l’unanimité, contrairement à la procédure d’adhésion. Ce manque de parallélisme des formes se retrouve quant à la violation des valeurs de l’art. 6 TUE : elle empêche l’adhésion mais ne conduit pas à l’exclusion (art.7). L’approbation du Parlement est en revanche nécessaire pour parvenir à un accord, mais ne constitue pas un obstacle formel très dissuasif. Par contre, l’État se retirant devra suivre la procédure d’adhésion de droit commun, ce qui ne facilite pas le retour dans l’Union européenne. Cette clause tend en conséquence à limiter les « allers-retours ».

Perspectives

Le processus de ratification du Traité de Lisbonne a été suspendu par le résultat négatif du référendum irlandais. Jusqu’à l’entrée en vigueur du Traité, il est difficile de prévoir si les États membres pourront oui ou non renoncer à l’Europe sur le fondement de l’article 50, même s’il apparaît qu’une telle clause est superflue, au regard de la pratique. « Exit l’Europe » est certes envisageable, pourtant pas réellement réalisable. Plus qu’une question juridique en effet, se pose en fait la question de l’opportunité d’un renoncement aux avantages procurés par l’appartenance à l’Union européenne. Un retrait constituerait en tout état de cause une sorte « d’ultima ratio ».

* Article 50 TUE

1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union. 2. L'État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l'Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union. Cet accord est négocié conformément à l'article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il est conclu au nom de l'Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. 3. Les traités cessent d'être applicables à l'État concerné à partir de la date d'entrée en vigueur de l'accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l'État membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai. 4. Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l'État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent. La majorité qualifiée se définit conformément à l'article 238, paragraphe 3, point b), du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 5. Si l'État qui s'est retiré de l'Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l'article 49.

Références bibliographiques

Manuels et commentaires

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Articles

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Sites internet

http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l14550.htm http://untreaty.un.org/ilc/texts/instruments/francais/traites/1_1_1969_f... http://www.ceri-sciencespo.com/publica/critique/article/ci08p06-12.pdf http://www.ceri-sciences-po.org/publica/critique/article/ci10p32-36.pdf http://www.ensemble-europe.fr/spip.php?article119 http://www.france.attac.org/spip.php?article7449&artpage=3 http://www.m-pep.org/spip.php?article506

Abréviations

CE : Communautés Européennes CECA : Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier CIJ : Cour Internationale de Justice CJCE : Cour de Justice des Communuatés Européennes CV69 : Convention de Vienne sur le droit des Traités TCE : Traité instituant les Communautés Européennes TUE : Traité instituant l’Union Européenne UE : Union Européenne