ITALIE : Cassazione, Sezione Prima Civile, sentenza n.23934/2008 : réelle avancée en faveur de l’égalité homme femme sur le régime de transmission du nom de famille aux enfants légitimes ? - Par Anne-Sophie DUPIRE
Résumé L’Ordonnance de la Cour de Cassation porte sur la question de la transmission automatique à l’enfant légitime du nom de famille du père, règle coutumière en vigueur en Italie. La Cour considère que cette norme n’est pas conforme à un certain nombre de normes constitutionnelles et supranationales et préconise la création d’une réglementation prenant en compte le principe d’égalité homme femme. Le litige n’ayant pas été tranché, la question reste donc pendante. Cependant, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne pourrait inciter le législateur à adopter une règle qui respecterait le principe de non discrimination fondée sur le sexe.
NOM DE FAMILLE DE L ENFANT LEGITIME, PRINCIPE DE NON DICRIMINATION
Le nom de famille constitue le symbole de l’identité de la personne et de l’unité de la famille. La question de la transmission du nom de famille aux enfants est un sujet du droit de la famille étroitement liée à la parité entre hommes et femmes. Mme Err et M. Masson, membres de la Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme, dans leur rapport du 16 juillet 1997 sur la discrimination entre les femmes et les hommes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants soulignent cette idée en faisant remarquer que « les discriminations constatées actuellement dans le droit du nom sont l'héritage d'une époque où la société reposait sur des rapports fondamentalement inégalitaires entre l'homme et la femme. Aujourd'hui, les choses ont complètement changé et la logique voudrait donc que l'on mette en harmonie le droit du nom avec les principes d'égalité reconnus ». Ainsi, de nos jours, de plus en plus de pays européens, dont la France, adoptent des législations visant à supprimer la discrimination que subissait la femme en ce qui concerne l’attribution à l’enfant du nom de famille. L’Etat italien, quant à lui, n’a toujours pas établi de législation sur la question malgré la présentation de nombreux projets ou propositions de loi en la matière. En effet, depuis 1979, l’Italie a connu une succession de propositions ou projets de loi voulant réglementer la matière, mais ils n’ont jamais été adoptés faute d’accord ou d’interruption de législature. Seule la coutume selon laquelle le nom de famille du père est automatiquement transmis aux enfants légitimes est la norme en vigueur. L’absence de texte clair et de respect du principe d’égalité homme femme a conduit la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle à se prononcer en faveur de solutions plus protectrices du principe d’égalité précité. Quel est l’impact de l’ordonnance n° 23934 de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 septembre 2008 sur la règle de la transmission automatique du nom de famille paternel à un enfant légitime? Laisse t’elle entrevoir une réelle solution qui respecterait le principe de non discrimination fondée sur le sexe ? L’ordonnance de la Cour de Cassation de 2008 incite une nouvelle fois le législateur à adopter un texte qui garantirait le principe de non discrimination fondée sur le sexe. L’ordonnance représente un pas de plus vers la parité dans le droit de la famille. Elle se démarque des nombreuses autres décisions en ce qu’elle envisage l’application directe du traité de Lisbonne et ainsi de la Charte des droits fondamentaux pour répondre favorablement à une demande de transmission du nom maternel.
Un arrêt critique s’inscrivant dans la lignée des jurisprudences antérieures Selon le droit italien, le fils légitime se voit attribuer nécessairement le nom de famille du père. Les parents n’ont aucun choix dans la transmission du nom de famille. Cette règle est de nature coutumière. En effet, aucun texte spécifique ne traite directement de cette question. La disposition qui sont la plus proche de cette dernière est l’article 262 al. 1 du Code civil italien qui attribue à l’enfant naturel reconnu concomitamment par les deux parents le nom de famille du père. Le statu quo concernant la transmission à l’enfant légitime du nom de famille a été plusieurs fois confirmé par la Cour de cassation, notamment dans l’arrêt n° 16093 de la Cour de cassation du 14 juillet 2006. Concernant la conformité à la Constitution de cette règle coutumière, la Cour constitutionnelle considérait auparavant que le fait d’attribuer automatiquement à l’enfant légitime le nom du père n’était pas contraire à la Constitution italienne. Ce fut le cas dans ses ordonnances du 11 février 1988 n°176, et du 19 mai 1988 n°586. Pour expliquer sa position, elle déclarait que la restriction du principe d’égalité entre hommes et femmes était justifié par l’exigence de sauvegarde de l’unité de la famille qui aurait été gravement compromise si le nom de famille des enfants légitimes n’avaient pas été déjà prédéterminé dans l’acte de célébration du mariage des parents. En effet, l’article 29 de la constitution italienne dispose que : « La République reconnaît les droits de la famille en tant que société naturelle fondée sur le mariage. Le mariage repose sur l'égalité morale et juridique des époux, dans les limites fixées par la loi pour garantir l'unité de la famille ». Pourtant, bien qu’opposée à la transmission du nom de la mère aux enfants légitimes, elle appelait déjà le législateur à adopter un texte qui respecterait mieux l’égalité entre hommes et femmes. Beaucoup plus tard, la Cour Constitutionnelle, dans sa décision n°61 du 16 février 2006 a dû de nouveau se prononcer sur la conformité du régime en vigueur de la transmission du nom de famille au fils légitime à l’article 29 de la Constitution. Dans cette décision, elle relève le caractère inapproprié du caractère automatique de la transmission du nom paternel à l’enfant légitime. Elle considère que cette règle constitue l’héritage d’une conception patriarcale de la famille qui n’est plus cohérente avec les principes de l’ordre juridique italien. Ainsi, 18 ans après sa première décision rendue sur la question, elle prend une position totalement différente en considérant que la violation de l’égalité homme femme apparaît évidente et que le principe d’unité de la famille est insuffisant pour justifier une restriction au principe d’égalité. Elle considère que la transmission automatique du nom de famille du père n’est pas en conformité avec l’article 29 de la constitution. La Cour retient toutefois qu’elle ne peut se prononcer sur la question et qu’il appartient au Parlement d’introduire une nouvelle réglementation qui respecterait le principe d’égalité. La Cour de cassation, qui avait soulevé la question de la constitutionalité (en Italie, la Cour de Cassation peut poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle portant sur la conformité d’une norme avec la Constitution), rejette donc le pourvoi des demandeurs qui demandaient l’attribution du nom maternel à leur enfant légitime. Ainsi, malgré une position en faveur de l’attribution du nom maternel à l’enfant légitime, l’arrêt de la Cour de cassation n’a pas pu avoir de répercussion sur le plan pratique.
Le raisonnement de la Cour de cassation dans l’ordonnance de 2008 En l’espèce, deux conjoints demandaient d’attribuer à leur fils le nom de famille de la mère à la place de celui du père qui avait été inscrit dans l’acte de naissance. Le tribunal et la Cour d’appel de Milan avaient rejeté la demande au motif qu’aucune règle italienne ne régit la situation dans laquelle des parents veulent substituer le nom de famille de la mère à la place de celui du père. La Cour de cassation italienne, quant à elle, opère un autre raisonnement. La position italienne en la matière, dite « isolée » Elle considère qu’au regard de solutions des autres Etats européens, la solution italienne au problème de l’attribution du nom de famille au fils légitime apparaît « isolée ». En effet, de nombreux pays européens ont adopté ou sont en processus d’élaboration d’une réglementation qui respecte le principe d’égalité entre les époux. Les législations peuvent différer mais ces Etats ont cherché à ne pas donner un régime de faveur au père de famille. La France, par exemple, a adopté une réglementation en la matière par la loi du 4 mars 2002 remplacée par la loi du 1er janvier 2005. Contrairement à l’Italie, le texte régissant le régime de la transmission du nom de famille est souple et prend en compte les aspérités des parents. L’Etat laisse en effet le choix aux parents de choisir pour leurs enfants légitimes le nom de famille du père, ou celui de la mère ou les deux. En cas de double nom, ce sont les parents qui choisissent quel nom de famille mettre en premier. A défaut de choix, l’enfant aura le nom de famille du père. Ainsi, en ce qui concerne la transmission du nom de famille, la France bénéficie d’une législation respectant d’avantage le principe de non discrimination fondée sur le sexe. Il convient de noter que les Etats membres ayant une législation conforme à ce principe influencent indirectement l’Italie et la pousse à adopter une législation similaire. L’influence des autres Etats membres se joue à travers l’action de la CJCE En effet, le droit de l’Union Européenne s’est également senti concerné par la question de l’attribution du nom de famille. La CJCE s’est à plusieurs reprises prononcée sur la question de la reconnaissance dans un Etat membre du nom de famille inscrit à l’Etat civil d’un autre Etat membre. Dans l’affaire C-148/02 Garcia Avello c. Belgique datant du 2 octobre 2003, elle prévoit le droit pour les parents de choisir, pour l’attribution du nom de famille, les règles en vigueur dans l’un des deux pays de la double nationalité de l’enfant, qui a hérité de son père et de sa mère de deux nationalités différentes. Ainsi, du fait de l’appartenance de l’Italie à la Communauté européenne, les législations des Etats membres, qui respectent le principe d’égalité homme femme dans la transmission du nom à l’enfant légitime, ont une influence sur cette dernière. En effet, certains tribunaux italiens, suivant la jurisprudence de la CJCE, ont prononcé une décision ouvrant la possibilité à une mère de transmettre son nom de jeune fille à son enfant légitime. Le tribunal de Bologne, par exemple, le 9 juin 2004, suivant la position de la CJCE, a admis une demande tendant à obtenir la correction des actes d’état civil pour qu’un enfant, ayant la double nationalité espagnole et italienne, puisse être inscrit en Italie avec les mêmes noms de famille inscrits sur les registres espagnoles. Ainsi, les Etats membres et la CJCE, en interprétant de façon extensive le principe de libre circulation des personnes, poussent implicitement l’Etat italien vers une reconnaissance du droit pour la mère de donner, ou au minimum d’apposer à coté du nom de son mari, son propre nom de famille à l’enfant légitime. L’absence de conformité avec les engagements internationaux de l’Italie Dans l’ordonnance, la Cour rappelle que l’Italie est tenue de se conformer à ses engagements internationaux. L’Etat italien a notamment ratifié la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (ci-après : CESDH) et la Convention de New York du 18 décembre 1979 sur l ‘élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. L’article 16 de cette dernière dispose que les Etats signataires prendront les mesures nécessaires pour faire disparaître toute disposition sexiste dans le droit du nom. En ce qui concerne la CESDH, en 1994, la Cour de Strasbourg, lors de deux arrêts Burghartz c. Suisse et Stjerna c. Finlande, a considéré que les normes étatiques qui ne consentent pas que le nom de famille de la mère devienne celui de l’enfant légitime comme contraires au principe d’égalité entre époux et au principe du respect de la vie privée et familiale. La CEDH a confirmé sa position dans divers arrêts, en considérant incompatibles avec la CESDH les normes nationales qui prévoient la nécessaire attribution du nom de famille du mari, rejetant les justifications adoptées par les Etats membres qui prônaient l’importance de répondre à l’exigence de rendre certain et stable le nom de famille. Pour cela, elle fait une interprétation conjointe des articles 8 et 14 de la CESDH, l’article 8 prônant le droit au respect de la vie privée et familiale et l’article 14, la non discrimination fondée notamment sur le sexe. Elle en déduit le principe de non discrimination fondée sur le sexe dans la détermination du nom de famille. C’est le cas de l’arrêt du 16 février 2005 Ünal Tekeli c. Turquie, dans lequel elle déclare que la Turquie n’a pas de raisons assez importantes pour que sa réglementation n’acceptant pas le nom de la mère comme nom de famille soit déclarée conforme à la CESDH. En n’acceptant pas la transmission du nom maternel à l’enfant légitime, l’Italie viole les conventions précitées. La ratification du traité de Lisbonne, un argument fort Enfin, la Cour s’appuie sur le traité de Lisbonne approuvé par les 27 le 13 décembre 2007, traité qui comprend la charte des droits fondamentaux prévoyant, à son article 21, l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe. Le traité ayant été ratifié par l’Italie, cette dernière a alors l’obligation de respecter la Charte et ainsi le principe de non discrimination fondée sur le sexe. C’est la première fois que la Cour s’appuie sur le traité européen pour légitimer l’attribution du nom maternel. Mais également, en supposant l’application directe du traité, les juges de la Cour de cassation poussent le législateur italien à élaborer une réglementation sur la transmission du nom qui respecterait la Charte. La Cour de cassation ajoute que l’attribution exclusive du nom de famille du père constitue « l’héritage d’une conception patriarcale de la famille qui n’est plus en accord avec l’évolution de la société et les sources de droit international ». Ainsi, le Cour confirme sa position antérieure en ce qu’elle se prononce en faveur de la transmission du nom de famille de la mère. Elle ne tranche pas pour autant la question et renvoie l’affaire à la Chambre plénière, afin qu’elle opère une interprétation au regard des normes internationales et communautaire dans le cas où cette interprétation ne l’amènerait pas à outrepasser ses pouvoirs, ou bien afin qu’elle renvoie la question à la Cour constitutionnelle. En agissant ainsi, la 1ère chambre civile a voulu que, dans le cas où la chambre plénière ne se déclare pas compétente pour établir une telle interprétation, la Cour constitutionnelle se prononce une nouvelle fois sur la légalité de la transmission automatique du nom de famille du père à l’enfant légitime. En effet, le traité de Lisbonne ayant été ratifié, l’état italien sera tenu d’adopter une législation à l’article 21 de la Charte qui proclame le principe de non discrimination fondée sur le sexe. En somme, la question reste pendante mais l’impulsion donnée par la Cour dans l’arrêt de 2008 a de grandes chances d’aboutir à une reconnaissance le droit à la mère de transmettre son nom de famille à l’enfant légitime, que ce soit par le biais de l’interprétation de la Chambre plénière de la Cour de cassation ou d’une loi adoptée par le Parlement.
Depuis le 1er décembre 2009, le traité de Lisbonne est en vigueur; la Charte des droits fondamentaux qui est comprise dans le traité a désormais une valeur juridique. L’entrée en vigueur du traité oblige en principe le législateur à intégrer le droit de l’Union et donc se prononcer sur la question en adoptant une réglementation qui reconnaitrait à la mère de transmettre son nom de famille. Aujourd’hui, une proposition de loi est examinée par la deuxième commission de la Chambre des députés. Elle prévoirait l’attribution du double nom à l’enfant légitime. Le choix dans l’ordre des noms de famille serait laissé à la discrétion des parents et à défaut de ce choix, l’ordre serait alphabétique. Cette proposition, ressemblant fortement à la réglementation espagnole, n’est qu’en cours de discussion. Il n’est donc pas dit qu’elle soit adoptée, vu la difficulté à approuver une loi la matière.
BIBLIOGRAPHIE :
Articles : - Il cognome dei figli, in Famiglia e diritto, 2009, 1054 - Cass., ord., 22 settembre 2008, n. 23934, in Famiglia e diritto, 2008, 1093
Texte officiel : - Loi n°2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, J.O n° 54 du 5 mars 2002 page 4159
Sources internet - C. PETITTI, Il cognome del figlio legittimo: libertà di scelta ed applicazione dei principi della Unione europea, http://www.dirittoefamiglia.it/Docs/Giuridici/Dottrina/cognomematerno.html - M. C. CAMPAGNOLI, Liberalizzazione dei cognomi, tra identità personale e valore sociale della famiglia, 1 gennaio 2008, N. 1 http://www.lex24.ilsole24ore.com/ - F. CORBETTA, Cognome del figlio legittimo, certezza del nome della famiglia e parità della madre, 1 luglio 2009, N. 7 http://www.lex24.ilsole24ore.com/