L’élection des membres du conseil d’administration à la majorité absolue : analyse comparée des récentes évolutions du droit du Delaware
Résumé : Le Delaware a récemment adopté des mesures facilitant l’adoption par les sociétés du scrutin à la majorité absolue pour les élections des administrateurs, tout en maintenant le traditionnel standard de la majorité relative en tant que règle par défaut. Cependant, le départ d’un administrateur n’ayant pas reçu une majorité de votes en sa faveur est loin d’être systématique : en effet, le conseil d’administration est en mesure de refuser de le démettre, ce qui se produit régulièrement en pratique. Malgré ces changements, les administrateurs non-réélus sont donc le plus souvent reconduits. Cette solution contraste fortement avec la règle invariablement retenue en droit français qui requiert une majorité absolue des voix de l’assemblée générale des actionnaires pour les nominations des administrateurs, et dont la violation est frappée de nullité. Cette divergence illustre les conceptions différentes des deux ordres juridiques quant à la distribution des pouvoirs au sein de la société, le rôle prépondérant du board étant un principe solidement ancré en droit américain.
Un des principes fondamentaux du droit des sociétés américain est que le pouvoir de diriger les affaires de l’entreprise au nom de ses actionnaires est dévolu au conseil d’administration[1]. De cette différentiation essentielle entre propriété et contrôle de la société naît cependant le risque latent que les administrateurs n’agissent pas dans le meilleur intérêt de l’entreprise. Ce problème d’intérêts divergents se manifeste tout particulièrement au sein des sociétés cotées dont l’actionnariat est très dispersé, configuration très courante aux Etats-Unis.
L’un des principaux mécanismes permettant aux actionnaires d’exercer ce contrôle et d’assurer l’alignement des intérêts des administrateurs à ceux de la société est sans conteste le droit de nommer les membres du conseil d’administration. Notamment, la menace de perdre son siège au conseil lors de la prochaine élection incite supposément l’administrateur à remplir ses fonctions conformément aux attentes des actionnaires. Mais en réalité, la probabilité qu’un administrateur d’une société du Delaware – et plus largement aux Etats-Unis – soit évincé à la suite d’une élection perdue est insignifiante : l’administrateur, en dépit de l’élection perdue, va très souvent rester en poste. Ceci s’explique par le fait que le traditionnel mode de scrutin pour la nomination des administrateurs est la majorité relative, et les récents changements, ci-après détaillés, entrepris pour permettre l’instauration du vote à la majorité absolue n’ont pas significativement modifié le résultat jusqu’alors observé. Aussi, les actionnaires souhaitant remplacer certains administrateurs doivent lancer de coûteuses campagnes de sollicitation de mandat – proxy fights –, tandis que le conseil d’administration s’appuie sur les fonds de la société pour proposer ses candidats aux postes à pourvoir. Par conséquent, les candidats en lice sont le plus souvent ceux du board. Enfin, les candidats choisis par le conseil sont le plus souvent des administrateurs en poste se présentant à leur réélection, et ces candidats sont la plupart du temps réélus à la suite d’élections pour lesquelles ils ne faisaient face à aucune opposition. Le mode de scrutin employé lors de la nomination des administrateurs, et plus particulièrement le choix entre majorité relative et majorité absolue mis en place par la réforme du DGCL en 2006, sera l’objet de la présente analyse en relation avec les autres facteurs énoncés ci-dessus, afin d’évaluer si constitue un réel renforcement du pouvoir des actionnaires.
A l’inverse, en droit français un consensus est depuis longtemps établi sur ce point puisque la nomination des membres du conseil d’administration par l’assemblée générale des actionnaires s’effectue invariablement à la majorité absolue. Cette solution est conforme à la vision de la prééminence de l’assemblée des actionnaires sur le conseil d’administration, position antithétique à celle du Delaware selon laquelle le board est l’organe dominant au sein de la société[2]. Néanmoins, sous l’impulsion des organisations et associations de promotion des droits des actionnaires, le Delaware a amendé sa législation en 2006 de façon à permettre aux entreprises d’opter pour le vote à la majorité absolue pour la nomination des administrateurs. Il convient alors de s’interroger si l’instauration d’un tel mode de scrutin a effectivement permis de résoudre l’apparente impunité des administrateurs créée et perpétuée par la traditionnelle règle de l’élection à la majorité relative. L’avantage que le scrutin à la majorité relative confère au board sera d’abord étudié (I) ; l’analyse portera dans un second temps sur l’impact très limité des nouvelles dispositions, dans la mesure où comme sous l’empire du standard de la majorité relative, les administrateurs sont presque immanquablement réélus, ce qui confirme la forte résistance en pratique à la remise en question de la souveraineté du board (II).
I. Le déséquilibre créé par le scrutin à la majorité relative au bénéfice du conseil d’administration
Le vote à la majorité relative est la norme par défaut en droit américain, et permet aux administrateurs de se maintenir en poste (A). On observe une forte réticence au scrutin à la majorité absolue car celui-ci affecterait la traditionnelle prépondérance du board, opinion singulière d’un point de vue français (B).
A. Le scrutin à la majorité relative, mode traditionnel de nomination des administrateurs en droit du Delaware favorable au board
L’article 216(3) du DGCL dispose que les « administrateurs sont nommés à la majorité relative des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés par procuration et autorisés à participer au vote pour la nomination des administrateurs »[3]. L’élection des administrateurs est l’unique circonstance pour laquelle une majorité relative – plurality voting – suffit ; en effet, toutes les autres décisions sur lesquelles les actionnaires doivent se prononcer requièrent un vote à la majorité absolue[4]. Les administrateurs sont nommés pour une période d’un an, ce qui implique que la composition du conseil est entièrement renouvelée chaque année; cependant, il est possible pour les entreprises d’échelonner le renouvellement du conseil par tranches en le scindant en deux ou trois groupes – staggered board. La courte durée du mandat d’un administrateur, qui en tout état de cause ne peut excéder deux ou trois ans dans le cas d’un staggered board, contraste avec la norme retenue en droit français selon laquelle cette durée est fixée par les statuts et ne peut excéder six ans[5], le code AFEP-MEDEF et l’AMF préconisant une durée maximale de quatre ans[6]. Il en résulte que la fréquence des élections des administrateurs est bien plus élevée outre-Atlantique.
Le scrutin à la majorité relative signifie que le candidat qui recueille le plus grand nombre de votes en sa faveur remporte l’élection. L’effet recherché est que chaque siège mis en jeu pour l’élection sera effectivement occupé à la suite du processus de nomination, et ainsi permet d’éviter toute vacance au sein du conseil. Néanmoins, lors d’une élection incontestée, c’est-à-dire lorsque le nombre de candidats est égal au nombre de sièges à pourvoir, ce système implique que tous les candidats sont assurés d’être élus, dans la mesure où ils se partageront tous les votes exprimés, quelque soit le pourcentage qu’ils obtiennent individuellement. En d’autres termes, une seule voix favorable suffit aux candidats sans concurrents pour être désigné administrateurs.
Ce mode d’élection se révèle avantageux pour le conseil d’administration. En effet, ce dernier sélectionne les candidats pour les élections à venir, généralement les administrateurs en poste dont le mandat arrive à échéance, et établit documents relatifs aux procurations – proxy materials –, qui seront distribués aux actionnaires. Ces documents ne contiennent ordinairement que la liste des prétendants soutenus par le board ; les actionnaires n’ont pas la possibilité d’inscrire le nom d’autres candidats sur cette liste. Les actionnaires peuvent donc seulement voter en faveur des postulants choisis par le conseil ou bien s’abstenir, ce qui n’aura aucun effet négatif sur l’élection des candidats en raison de l’exigence a minima du scrutin à la majorité relative. Par conséquent, le candidat du board – quasi-constamment un administrateur visant sa réélection – sera élu, car il recevra à coup sûr au moins une voix favorable.
Les actionnaires souhaitant opérer un changement au sein du conseil d’administration peuvent bien présenter leurs candidats pour affronter ceux du board, et espérer rallier plus de votes que ces derniers, mais ils se heurtent à de nombreuses difficultés. En effet, contrairement à ce qui s’observe en France, la large dispersion de l’actionnariat des sociétés cotées américaines induit logiquement une apathie des titulaires d’actions, dans la mesure où ceux-ci préfèrent rationnellement maintenir le statu quo sans frais, étant donné la petite fraction d’actions qu’ils détiennent, plutôt que de se lancer dans une bataille électorale coûteuse, nécessitant de démarcher des soutiens auprès des autres actionnaires et distribuer leur propres documents de procurations. A l’inverse, le conseil d’administration emploie les fonds et le personnel de la société afin de rédiger et d’envoyer leurs proxy materials. Il bénéficie alors d’un avantage considérable par rapport aux actionnaires dissidents.
Le résultat prévisible des nominations des administrateurs serait certainement une moindre source de mécontentement des actionnaires si les élections incontestées n’étaient pas tant récurrentes. En effet, entre 1996 et 2005, hors contexte d’acquisition de la société, seules 118 élections ont donné lieu à un affrontement entre des candidats différents[7]. Comparé aux 15,000 sociétés recensées par la Securities and Exchange Commission, ce chiffre paraît insignifiant. Et parmi ces 118 élections contestées, seules 45 d’entre elles ont débouché sur la victoire des candidats proposés par les actionnaires dissidents, et seules 8 se sont déroulées au sein de sociétés au capital supérieur à 200 millions de dollars. Ces résultats valident l’hypothèse selon laquelle les actionnaires sont très peu enclins à présenter leurs propres candidats, dissuadés par le coût important de telles manœuvres et la probabilité quasi-inexistante de succès. En conclusion, certains auteurs de doctrine soutiennent que sous l’empire du scrutin à la majorité relative, l’élection des candidats choisis par le conseil d’administration (et parmi eux une très large proportion d’administrateurs briguant un nouveau mandat) est « un résultat connu d’avance »[8].
B. Une opposition tenace au vote à la majorité absolue, inconnue en France
Le vote à la majorité relative est décrié par une large frange des actionnaires car il pérennise un manque de responsabilisation des membres du conseil en privant d’effet en pratique le droit des actionnaires d’élire les administrateurs. A l’inverse, le scrutin à la majorité absolue est le seul permettant de sanctionner efficacement les mauvaises performances ou la conduite discutable d’un administrateur ; il rend réel le risque de perdre son siège suite à l’élection et ainsi encourage l’administrateur à poursuivre au mieux les intérêts de la société.
Cependant, une opposition au scrutin à la majorité absolue assez conséquente s’est développée. Il est principalement soutenu, que si démocratique que ce système soit, sa mise en place pour la nomination des administrateurs soulève des problèmes significatifs et qui en définitive s’avérerait préjudiciable pour la société[9]. L’argument le plus souvent cité est celui du risque accru d’élections sans vainqueur si le standard de la majorité absolue est appliqué pleinement, c’est-à-dire sans intervention du board a posteriori. Avec des postes rendus vacants si aucun candidat ne parvient à emporter l’adhésion d’une majorité d’actionnaire, le conseil pourrait alors connaître de sérieux dysfonctionnements. Si la ou les vacances affectent des sièges dans les comités indépendants d’audit ou de rémunération, l’entreprise pourrait ne plus satisfaire les exigences des régulations boursières du NYSE et du NASDAQ. En plus du danger de déstabilisation du conseil, les détracteurs de la majorité absolue allèguent que des administrateurs expérimentés pourraient être évincés pour des motifs futiles, ou servir de boucs émissaires pour des critiques adressées au conseil dans son ensemble. Ce système découragerait les candidats compétents qui refuseraient de prendre place au sein du board, réduisant ainsi l’échantillon de potentiels prétendants alors que le processus de sélection s’avère déjà long et onéreux.
Pour une partie de la doctrine américaine, l’exigence de la majorité absolue serait plus dommageable que bénéfique pour la société. Cette question est paradoxalement non-débattue en France, puisque la doctrine est unanime sur la question de la nomination des administrateurs à la majorité absolue des voix. En effet, bien que l’alinéa 3 de l’article L225-98 du Code de Commerce énonce que l’assemblée générale ordinaire statue « à la majorité des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés » sans préciser expressément la nature de la majorité requise, il est communément admis qu’il est fait référence à la majorité absolue[10] [11] [12]. Si de rares et anciennes décisions ont pu valider la nomination d’un administrateur élu à la majorité simplement relative en s’appuyant sur cette indétermination de la loi[13], cette solution semble très difficilement soutenable à ce jour. Un récent arrêt de la Cour d’appel de Limoges a jugé que la nomination d’un administrateur ne requérait pas nécessairement l’obtention de la majorité absolue des voix ; cette décision reste cependant marginale et a été critiquée pour son interprétation confuse des dispositions de l’article L255-98[14].
Une autre différence de taille avec la solution retenue par le Delaware est la nature impérative du scrutin à la majorité absolue pour les assemblées générales ordinaires. Les règles relatives à la majorité ne sauraient être modifiées par des clauses statutaires, bien qu’il soit parfois soutenu qu’une majorité plus forte pourrait être adoptée à la condition de ne pas faire obstacle à la révocabilité ad nutum des administrateurs. En tout état de cause, une réduction du nombre de voix requises par les statuts semble inconcevable. De plus, la violation des règles de majorité est obligatoirement sanctionnée par la nullité des résolutions adoptées[15].
Les nombreuses questions soulevées aux Etats-Unis par l’aménagement du principe séculaire de l’élection à la majorité relative pour permettre l’adhésion au scrutin à la majorité absolue apparaissent singulière d’un point de vue français. Ceci s’explique par le fait que l’adoption de la majorité absolue rétablirait quelque peu l’équilibre de la balance de la distribution des pouvoirs entre board et actionnaires, qui jusqu’à présent penchait fortement du côté du premier. La configuration de l’actionnariat, avec une dispersion de celui-ci plus importante aux Etats-Unis qu’en France, est un facteur déterminant du problème de l’action collective et de la passivité des actionnaires lors des élections d’administrateurs.
II. L’inefficacité de la réforme, révélatrice de l’attachement à la prépondérance du board en droit américain
L’amendement législatif de 2006 n’a pas aboli le mode de scrutin à la majorité relative mais permet désormais aux sociétés d’adopter dans leurs statuts ou règlements le standard de la majorité absolue pour la nomination des administrateurs (A). La réforme ayant opéré un aménagement assez minimal des règles d’élection, elle n’a eu qu’un effet très modeste, confirmant la primauté accordée au board (B).
A. La transition vers le scrutin à la majorité absolue
Sous la pression des organisations d’actionnaires souhaitant assurer une meilleure représentation des intérêts des actionnaires au sein du conseil d’administration, le Delaware a voté un amendement à sa loi relative aux sociétés commerciales entré en vigueur le 1er août 2006 pour faciliter l’adoption du scrutin à la majorité absolue pour l’élection des administrateurs. Quelques entreprises avaient déjà introduit ce principe, poussées par des propositions des investisseurs institutionnels (la majorité relative n’étant qu’une règle par défaut, les entreprises étaient autorisés à y déroger) : en effet, dès février 2006, 16 % des sociétés du S&P 500 avaient déjà instauré une version de ce système par le biais de règlements du conseil d’administration ; en novembre 2007, cette proportion s’élevait à 66%[16].
L’amendement de 2006 n’a pas opéré de glissement de la majorité relative à la majorité absolue : la première reste la norme par défaut pour la nomination des administrateurs. Le principal aspect de la réforme concernait l’aménagement nécessaire de la règle de la prohibition des vacances de postes au sein du conseil d’administration – holdover rule. Les administrateurs sont en effet tenus de rester en poste jusqu’à la nomination de leur successeur, ou jusqu’à leur démission anticipée. Le conseil a alors l’autorité de désigner un administrateur pour pourvoir le poste vacant. La conséquence de cette règle est qu’un directeur qui ne parviendrait pas à recueillir le nombre nécessaire de votes en sa faveur dans le cadre d’un vote à la majorité absolue instituée par règlement du conseil, peut continuer à exercer son mandat car il n’a aucune obligation légale de démissionner. S’il choisit de démissionner, c’est au board que revient le droit de nommer son successeur, et il est tout à fait envisageable qu’il désigne à cet effet l’administrateur démissionnaire. Par conséquent, avant la réforme, la holdover rule prévalait sur toute règle de majorité absolue qu’une société avait pu mettre en place. La holdover rule a donc été modifiée de manière à permettre expressément au conseil d’administration d’outrepasser cette règle lorsque les règlements de la société prévoient au préalable que l’administrateur qui ne reçoit un nombre spécifique de votes favorables doit soumettre sa révocation inconditionnelle[17].
Par la suite, par la voie de règlements d’entreprise à l’initiative du conseil d’administration ou des actionnaires, ou plus rarement par le biais d’une modification des statuts, une grande partie des sociétés a instauré un mode de scrutin à la majorité absolue qui ne s’applique que lorsqu’un administrateur échoue à se faire réélire. Les élections pour lesquelles le nombre de candidats – y compris les administrateurs-candidats – est supérieur au nombre de sièges à pourvoir, le standard de la majorité relative continue de s’appliquer. La procédure prévoit que l’administrateur qui n’obtient pas une majorité de votes en sa faveur a l’obligation de présenter promptement sa démission au conseil d’administration, qui décide ensuite de l’accepter ou de la rejeter.
En tout état de cause, la réforme n’a pas véritablement modifié le rapport de force entre les actionnaires et le conseil d’administration puisque ce dernier est en mesure de reconduire dans ses fonctions un administrateur pourtant défait lors de l’élection en refusant sa démission forcée. En octroyant une grande latitude aux entreprises pour s’accommoder des modifications faites à la holdover rule et en maintenant la majorité relative comme mode de scrutin par défaut, combiné à la discrétion laissée au conseil d’administration quant à l’acceptation de la démission d’un administrateur désavoué par une majorité d’actionnaires, la réforme semble plus une mesure superficielle qu’un changement de fond, conduisant certains auteurs à la qualifier de « poudre aux yeux »[18].
B. Le bilan mitigé de la mise en application du scrutin à la majorité absolue
L’étude des pratiques actuelles révèlent que si la majeure partie des sociétés cotées a désormais mis en place l’une des formes de majorité absolue identifiées ci-dessus, cette transition n’a eu aucun impact significatif sur l’issue des nominations des administrateurs ; en effet, comme sous l’empire du scrutin à la majorité relative, ces derniers sont presque constamment réélus. En 2013, plus de 80% des sociétés du S&P 500 avaient institué un système de vote à la majorité absolue[19]. Cependant, entre 2009 et 2012, seulement 5% des « votes de défiance » qui se sont produits au sein des sociétés de l’indice Russell 3000 ont entraîné la démission effective de l’administrateur visé (175 administrateurs de 113 entreprises étaient concernés par ces votes)[20]. Le départ de l’administrateur défaillant n’est donc en rien automatique.
La cause principale d’une telle inefficacité est sans conteste le large pourvoir discrétionnaire attribué au conseil d’administration s’agissant du rejet ou de l’acceptation de la démission des administrateurs non réélus. Le board peut refuser la démission sans nécessairement devoir se justifier, ou bien l’approuver pour immédiatement réintégrer l’administrateur pour remédier à la vacance. De surcroît, un récent arrêt de la Cour Suprême du Delaware accorde au board le bénéfice de la très favorable présomption de la business judgment rule quant à sa décision de rejeter la démission[21]. En définitive, du fait ce mode intermédiaire de scrutin, entre majorité relative et véritable majorité absolue, les actionnaires ne peuvent pas véritablement influer sur le résultat des nominations des administrateurs. Ce système hybride permet aux « conseils d’administration récalcitrants de rester récalcitrants »[22].
En définitive, la mise en place d’un scrutin à la majorité absolue avec un contrôle a posteriori du board ne semble guère plus qu’un moyen peu onéreux et inoffensif pour administrateurs d’apaiser pour un temps les inquiétudes des actionnaires et de se donner bonne presse. Le Delaware ne paraît d’ailleurs pas disposé à aller plus loin; les appels répétés des organisations d’actionnaires pour l’établissement d’un véritable scrutin à la majorité absolue comme règle par défaut ont été constamment rejetés au nom de la préservation de la flexibilité du droit des sociétés du Delaware qui favorise un modèle d’entreprise centré sur le board[23]. Il paraît donc impossible que la solution depuis longtemps retenue en droit français puisse être transposé outre-Atlantique ; inversement, l’intransigeance du droit français sur la question de la majorité absolue pour la nomination des administrateurs, témoignant de l’autorité conservée par l’assemblée générale en la matière, ne permet pas d’envisager une quelque application des solutions élaborées en droit américain.
[1] Delaware General Corporations Law, tit. 8, § 141(a) : «The business and affairs of every corporation organized under this chapter shall be managed by or under the direction of a board of directors, except as may be otherwise provided in this chapter or in its certificate of incorporation».
[2] Sofie COOLS, The Real Difference in Corporate Law Between the United States and Continental Europe: Distribution of Powers, Delaware Journal of Corporate Law, 2005, vol. 30, n°3, p.738.
[3] Del. General Corporations Law, tit. 8, § 216(3) : «Directors shall be elected by a plurality of the votes of the shares present in person or represented by proxy at the meeting and entitled to vote on the election of directors».
[4] Del. General Corporations Law, tit. 8, § 216(2) : «In all matters other than the election of directors, the affirmative vote of the majority of shares present in person or represented by proxy at the meeting and entitled to vote on the subject matter shall be the act of the stockholders».
[5] Code de Commerce, art. L225-18.
[6] Autorité des Marchés Financiers, Recommandation AMF n° 2012-02, 4 déc. 2013, p. 4.
[7] Lucian A. BEBCHUK, The Myth of the Shareholder Franchise, Virginia Law Review, 2007, vol. 93, pp. 682-687.
[8] William K. SJOSTROM JR., The Case Against Mandatory Annual Director Elections and Shareholders' Meetings, Tennessee Law Review, 2007, vol. 74, p. 216.
[9] The ISS Institute for Corporate Governance, Majority Voting in Director Elections: From the Symbolic to the Democratic, 2005, p.12. Disponible sur : http://maga.econ.msu.ru/Work/США%20-%20Presentations/Majority_Voting_White_Paper.pdf
[10] Jacques MESTRE et al., Lamy Sociétés Commerciales, Lamy, 2014.
[11] Francine MANSUY, Assemblées d’actionnaires – Règles communes à toutes les assemblées – Tenue de l'assemblée, Jurisclasseur Sociétés Traité, Fasc. 136-25, LexisNexis, 2011.
[12] Yves GUYON, Assemblées d’actionnaires, Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, 2013.
[13] Com. Seine, 29 juin 1870, Solvain c. Caisse générale de réassurances et Vavin fils.
[14] CA Limoges, 1ère ch. civ., 19 oct. 1992, n° 718, note Paul LE CANNU, Bulletin Joly Sociétés, 1er fév. 1993 n° 2, p. 217.
[15] Code de Commerce, art. L. 225-121.
[16]Claudia H. ALLEN, Study of Majority Voting in Director Elections, 12 nov. 2007, p. i-iii. Disponible sur : http://www.ngelaw.com/files/uploads/documents/majoritystudy111207.pdf
[17] Delaware General Corporations Law, tit. 8, § 141(b) : «A resignation is effective when the resignation is delivered unless the resignation specifies a later effective date or an effective date determined upon the happening of an event or events. A resignation which is conditioned upon the director failing to receive a specified vote for reelection as a director may provide that it is irrevocable».
[18] William K. SJOSTROM JR., Young Sang KIM, Majority Voting for the Election of Directors, Connecticut Law Review, 2007, vol. 40, pp. 459-497.
[19] Institutional Shareholder Services, 2013 Proxy Season Review : United States, 2013, p. 29.
[20] Kimberly GLADMAN, Agnes GRUNFELD, Michelle LAMB, The Election of Corporate Directors : What Happens When Shareowners Withhold a Majority of Votes from Director Nominees ? IRRC Institute, 2012.
[21] City of Westland Police & Fire Retirement System v. Axcelis Technologies, Inc., 1 A.3d 281 (Del. 2010).
[22] Vincent FALCONE, Majority Voting in Director Elections : a Simple, Direct, and Swift Solution ? 2007, Columbia Business Law Review, 2007, p. 874.
[23] Council of the Corporation Law Section of the Delaware State Bar Association, Response to Council of Institutional Investors, 26 mars 2013. Disponible sur: http://www.cii.org/files/issues_and_advocacy/correspondence/2013/03_26_13_DE_bar_response_letter.pdf
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages:
Jacque MESTRE et al., Lamy Sociétés Commerciales, Lamy, 2014.
Yves GUYON, Répertoire de droit des sociétés, Dalloz, 2013.
Articles, commentaires et notes de jurisprudence:
Francine MANSUY, Assemblées d’actionnaires – Règles communes à toutes les assemblées – Tenue de l'assemblée, Jurisclasseur Sociétés Traité, Fasc. 136-25, LexisNexis, 2011.
Paul LE CANNU, Vote pour le renouvellement des fonctions d'un administrateur: exclusions des pouvoirs en blanc et nombre de voix nécessaires, Bulletin Joly Sociétés, 1er fév. 1993 n° 2, p. 217.
Sofie COOLS, The Real Difference in Corporate Law Between the United States and Continental Europe: Distribution of Powers, Delaware Journal of Corporate Law, 2005, vol. 30, n°3, p.738
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