L’arrêt Kahn v. M&F Worldwide Corp. du 14 mars 2014 quant aux devoirs du conseil d’administration lors d’une freeze-out merger en droit américain – Edouard Bourguet

 

Résumé : La décision Kahn v. M&F Worldwide Corp. de la Cour Suprême du Delaware consacre pour la première fois une présomption de bonne appréciation au profit des administrateurs qui approuvent la fusion de la société avec l’actionnaire de contrôle, à la double condition qu’un comité d’administrateurs indépendants soit spécialement créé au préalable pour négocier la proposition et que celle-ci soit ensuite approuvée par une majorité d’actionnaires minoritaires. Ce dispositif d’évincement des actionnaires minoritaires contraste avec le régime adopté en la matière en droit français, qui sanctionne un possible déséquilibre par la notion d’abus de majorité et envisage différemment le processus d’adoption des projets de fusion.

 

       Les conventions passées entre la société et son actionnaire de contrôle font l’objet d’une attention particulière des tribunaux américains, soucieux du caractère équitable de la transaction à l’égard des actionnaires minoritaires. Ce contrôle est renforcé lorsque l’opération envisagée affecte significativement la société, telle qu’une cession d’une part substantielle de l’actif de l’entreprise ou une fusion-absorption. Le conseil d’administration est ainsi soumis à des devoirs d’information et d’impartialité en vertu de ses obligations fiduciaires – fiduciary duties – à l’égard des actionnaires et de la société. En présence d’un actionnaire en position de contrôle qui soumet une offre de rachat de parts dans le cadre d’une fusion, le conseil est tenu de négocier la proposition comme si celle-ci émanait d’un initiateur sans lien d’intérêt avec la société. En effet, dans cette hypothèse, les administrateurs représentant le bloc de contrôle se trouvent en situation de conflit d’intérêts, d’autant plus que ces derniers sont très souvent des mandataires sociaux de la société initiatrice. Des garanties substantielles et processuelles ont donc été instituées pour protéger les actionnaires minoritaires contre une opération potentiellement inéquitable. A cet égard, la jurisprudence américaine a progressivement élaboré un ensemble de critères à l’aune desquels l’action du conseil doit être examinée en cas de conflit d’intérêts : les administrateurs doivent négocier la transaction dans un souci d’équité totale – entire fairness –, qui a trait à la fois à la compensation prévue pour les actionnaires – fair price – et à l’intégrité du processus décisionnel – fair dealing. Cet examen porte donc sur les caractéristiques essentielles de la proposition de fusion ainsi que les conditions de la négociation, et s’avère plus poussé que le standard de la business judgment rule, principalement procédural, qui est retenu dans le cas d’une offre par une société tierce.

       Cependant, la Cour Suprême du Delaware dans sa décision Kahn v. M&F Worldwide Corp. du 14 mars 2014[1] a opté pour l’application de la business judgment rule à la proposition de fusion offerte par l’actionnaire de contrôle, avec une compensation en numéraire – cash-out merger, et avalisée par le conseil d’administration, sous réserve de la mise en place de deux mécanismes d’approbation. En effet, selon la Cour ce degré d’examen prévaut si la convention a été négociée par un comité d’administrateurs indépendants, et si elle a été approuvée par une majorité des actionnaires minoritaires. Cette solution est inédite dans la mesure où les tribunaux du Delaware n’avaient jusqu’à présent été amenés qu'à statuer sur des opérations pour lesquelles seul l’un des deux procédés avait été employé. Cependant, en faisant le choix du standard moins contraignant de la business judgment rule, l’arrêt pousse à s’interroger sur la réelle protection des actionnaires minoritaires dans les fusions négociées avec l’actionnaire de contrôle. Cette décision permet de questionner les solutions récemment avancées pour résoudre les conflits d’intérêts survenant inévitablement à l’occasion de l’absorption d’une société par son actionnaire de contrôle.

       La comparaison avec le régime des fusions en droit français montre que l’évincement des actionnaires minoritaires dans le cadre d’une fusion initiée par l’actionnaire de contrôle est apprécié sous l’angle de l’abus de majorité et de l’abus de pouvoirs.

       Il convient donc d’étudier dans un premier temps les normes qui viennent sanctionner un éventuel déséquilibre dans l’opération de fusion avec l’actionnaire de contrôle, conduisant à l’éviction des actionnaires minoritaires (I). L’analyse portera dans un second temps sur les processus de ratification du projet de fusion dans les deux ordres juridiques et la protection qu’ils confèrent respectivement aux minoritaires (II).

 

I.     Des fondements normatifs différents pour la protection des actionnaires minoritaires en droit américain et en droit français dans le cadre d’une fusion avec l’actionnaire de contrôle

       L’arrêt Kahn v. M&F Worldwide Corp reconnaît pour la première fois l’application de la business jugdment rule à la décision du conseil d’administration validant une squeeze-out merger avec l’actionnaire de contrôle, et abandonne le standard plus strict de l’entire fairness, si des conditions procédurales sont respectées (A) ; comparativement, le droit français fait référence à l’abus de majorité et à l’abus de pouvoirs pour sanctionner une transaction inéquitable, concepts aux critères plus exigeants mais dont la reconnaissance est plus délicate (B).

 

A.   Le choix novateur de la business judgment rule au détriment du standard d’entire fairness

       La décision de la Cour Suprême du Delaware revêt une importance particulière étant donné qu’elle affirme la décision de la Chancery Court[2] qui s’était prononcé pour première fois sur la validité d’une fusion pour laquelle un comité d’administrateurs indépendants avait été formé et un vote de la majorité des actionnaires minoritaires requis. En l’espèce, la holding MacAndrews & Forbes détentrice de 43% des actions de M&W Worldwide (MFW), proposait la fusion des deux entités par voie d’absorption et offrait aux autres actionnaires de MFW une compensation en numéraire de 24 dollars par action. La holding conditionnait cependant son offre à la constitution d’un comité spécial composé des administrateurs « désintéressés » et cumulativement à l’approbation du projet par une majorité des actionnaires minoritaires, c’est-à-dire non-affiliés à l’actionnaire de contrôle. Le comité indépendant s’est réuni à huit reprises en l’espace de trois mois pour évaluer l’offre et négocier avec la holding, obtenant l’augmentation du prix à 25 dollars par action. Cette offre remaniée a été ensuite approuvée par 65% des actionnaires minoritaires. Certains actionnaires opposés à cette fusion ont par conséquent demandé le prononcé de dommages-intérêts pour manquement aux obligations fiduciaires des administrateurs.

       Les défendeurs soutenaient que la double validation par le comité indépendant et une majorité d’actionnaires désintéressés les faisait bénéficier de la présomption de la business jugdment rule, normalement applicable aux fusions avec des sociétés tierces,  qui interdit au juge de se substituer à l’avis des administrateurs si ceux-ci se sont raisonnablement informés et ont délibéré de façon mûrement réfléchie avant d’approuver l’offre qu’ils soumettent au vote des actionnaires[3]. La charge de réfuter la présomption pèse alors sur le requérant.

       En matière de fusions avec un actionnaire de contrôle, les tribunaux du Delaware ont reconnu la nécessité de faire usage d’un standard plus élevé. Ainsi, il incombe à l’actionnaire de contrôle, qui « se trouve des deux côtés de l’opération », de démontrer la totale équité de la fusion, quant au prix et aux conditions de la négociation[4]. Toutefois, l’arrêt Lynch rendu en 1994 renverse la présomption et commande au demandeur de prouver le non-respect de l’entire fairness si un comité spécial indépendant a été formé ou l’approbation majoritaire des minoritaires acquise[5]. A la suite de cette décision, les conseils d’administration confrontés à des projets de fusion à l’initiative de l’actionnaire de contrôle employèrent alternativement l’un ou l’autre des systèmes ; utiliser les deux simultanément ne leur procurerait en effet aucun avantage légal et constituerait alors une démarche superflue et coûteuse.

       Dans l'arrêt Kahn v. MFW, la Cour estime qu’une structure transactionnelle comprenant cumulativement ces deux mécanismes est fondamentalement différente d’une opération ne comportant qu’une seule de ces protections, telle la fusion à l’étude dans l’arrêt Lynch. Seule la combinaison des deux dispositifs présente des garanties suffisantes, semblables à celles mises en place pour les fusions avec une tierce partie, pour que les minoritaires bénéficient d’un traitement équitable, sans que le standard de l’entire fairness doive être invoqué. La Cour estime que la business judgment rule a vocation à s’appliquer dans ce cas, sous réserve que : le comité spécial indépendant soit réellement en mesure de rejeter l’offre et soit libre de consulter des conseillers juridiques et financiers indépendants ; le comité satisfasse à son devoir de vigilance – duty of care – en étant raisonnablement informé ; que l’approbation par une majorité des actionnaires minoritaires ne soit obtenue par pression et procède d’une information complète.

       L’association du comité indépendant et de la ratification par une majorité des minoritaires pour toutes les situations de freeze-out avait été suggérée obiter dicta dans l’arrêt Cox de 2005[6]. L’arrêt Kahn v. M&F Worldwide Corp. consacre donc le choix de la business judgment rule pour les fusions avec l’actionnaire de contrôle si des conditions procédurales strictes sont respectées, et met ainsi fin à l’incertitude qui demeurait depuis la décision Lynch sur le standard pertinent d’évaluation de l’action du conseil.

 

B.   La protection des minoritaires lésés sous l’angle de l’abus de majorité et de l’abus de pouvoirs en France

       En droit français, la préservation des intérêts des actionnaires minoritaires passe par la constatation d’un abus de majorité commis par l’actionnaire de contrôle. L’abus de majorité dans le cadre d’une fusion est constitué lorsque la décision litigeuse a été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. Les minoritaires s’opposant à la fusion doivent établir cette double condition ; cependant, la caractérisation de l’abus peut s’avérer délicate. En effet, il n’y a pas de rupture d’égalité entre les actionnaires s’il n’est pas relevé de décote des titres des minoritaires, ou une surcote du bloc majoritaire ; d’autre part, le majoritaire n’acquiert pas un avantage indu lors de la fusion-absorption, celle-ci n’occasionnant pas l’émission d’actions nouvelles, si la compensation est jugée valide par le commissaire à la fusion[7]. Aussi, le critère du non-respect de l’intérêt social est difficilement démontrable, dans la mesure où les juges n’ont pas à apprécier le bien-fondé des considérations économiques justifiant l’opération[8].

       En théorie, l’abus de majorité s’apparente à la notion d’entire fairness en terme de degré de contrôle de l’équilibre de la transaction, dans la mesure où il s’agit d’évaluer de façon substantielle si l’égalité entre les actionnaires a été respectée ;  cependant la référence à l’intérêt social distinct de celui des actionnaires, conformément à l’approche plus institutionnelle de la société retenue en droit français, rend plus ardue en pratique la reconnaissance de tels abus.

       En ce qui concerne les administrateurs des sociétés anonymes, leur responsabilité pénale est susceptible d’être engagée pour abus de pouvoir et de voix qui est caractérisé par le fait de « faire de mauvaise foi, des pouvoirs ou des voix dont ils disposent en cette qualité, un usage qu'ils savent contraire aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement »[9]. Par exemple, la fusion de la société avec sa holding alors que cette dernière n’a que des dettes, contractées d’ailleurs dans le seul but d’acquérir la société cible, ne se justifie pas économiquement ; le président du conseil d’administration des deux sociétés organisant la fusion se rend coupable du délit d’abus de pouvoir[10]. Ce type d’abus est le plus souvent rencontré à l’occasion d’opération de LBO où la holding emprunte la somme nécessaire à l’acquisition et en fait supporter le coût du remboursement à la société cible, au moyen de conventions de trésorerie ou de prestations de services, sans réelle contrepartie.

        Le droit du Delaware ne prévoit pas de sanctions pénales à l’encontre des administrateurs qui voteraient un projet de fusion aux conditions inéquitables, favorisant l’actionnaire de contrôle ; la violation de leurs obligations fiduciaires à l’égard de la société et de ses actionnaires ne donne lieu qu’à la mise en jeu de leur responsabilité civile. Cependant, comme pour l’abus de majorité, la caractérisation de l’usage de pouvoirs ou de voix contraire aux intérêts de la société peut s’avérer problématique, et limitent effectivement la portée de cette infraction aux cas les plus graves.

 

II.   Des processus de ratification de la fusion distincts entraînant des disparités de traitement des actionnaires minoritaires en droit français et en droit américain

       Le choix de la business judgment rule comme référentiel de l’examen de l’équité de la fusion vis-à-vis des minoritaires apparaît justifié dans la mesure où il s’agit d’encourager l’élaboration de projets de fusions équitables et de mettre un terme aux divergences constatées avec les tender offers (A). La décision Kahn v. M&F va certainement servir de guide pour la structuration des futurs projets de fusions, et l’on peut se demander si les garanties qu’elle requiert ne protègent pas plus efficacement les actionnaires minoritaires que le système de ratification mis en place en droit français (B).

 

A.   L’effet d’incitation et d’harmonisation de la business jugment rule

      Dans l'arrêt Kahn v. MFW, la Cour explique en premier lieu que l’emploi d’un seul processus de validation de la fusion ne suffit à accorder le bénéfice de la business judgment rule. En effet, recourir uniquement au comité d’administrateurs indépendants spécialement formé tend seulement à résoudre le problème de l’action collective des actionnaires en négociant le prix de la transaction, et ne permet pas aux actionnaires de juger par eux-mêmes de l’équité de la transaction. De même, la seule ratification par une majorité des minoritaires donne simplement à ces derniers l’opportunité de se prononcer sur une offre de fusion, sans que celle-ci soit au préalable négociée de manière indépendante. Ces deux mécanismes sont donc insuffisants individuellement mais deviennent efficaces une fois associés. Dans ces conditions, la justification de l’adoption de la business judgment rule plutôt que l’entire fairness est d’ordre incitatif. La Cour indique que l’actionnaire de contrôle et ses représentants au conseil d’administration sont ainsi plus susceptibles d’offrir le projet de fusion le plus conforme aux intérêts des minoritaires. En effet, le majoritaire et les administrateurs sont plus disposés à constituer un comité indépendant et soumettre ensuite l’offre au vote des minoritaires, se sachant protégés dans ce cas, et dans ce cas uniquement, par une présomption de bonne conduite plus difficilement réfutable.

       Cette décision procède d’une volonté d’unifier les normes de contrôle qui gouvernent les différentes formes de fusions évinçant les actionnaires minoritaires. En effet, en cas de fusion consécutive à une offre publique d’achat directement adressée aux minoritaires – tender offer –, les tribunaux du Delaware appliquent depuis 2001 la business judgment rule si l’offre a été revue par un comité spécial indépendant et conditionnée à l’approbation d’une majorité de minoritaires. Seules l’absence d’une de ces deux garanties ou la constatation de manœuvres coercitives ou de manquements à l’obligation de divulgation entraînent l’application du standard d’entire fairness. Si l’initiateur obtient plus de 90% des actions suite à la tender offer,  il peut procéder à une fusion simplifiée – short-form merger – qui ne requiert pas de vote des actionnaires restants. Contrairement à la fusion négociée où le conseil est exclusivement compétent pour soumettre l’offre au vote des actionnaires, l’avis du comité spécial indépendant lors d’une tender offer ne lie pas l’initiateur qui peut soumettre l’offre aux actionnaires dans sa forme initiale. Les actionnaires en position de contrôle étaient donc plus enclins à initier une tender offer ­plutôt qu’une fusion négociée, et l’analyse empirique a démontré que les minoritaires recevaient une compensation inférieure suite à une tender offfer à celle reçue dans le cadre d'une fusion négociée[11]

       Suite à l’hypothèse d’harmonisation des standards avancée obiter dicta dans l’arrêt Cox, un recul du nombre de freeze-out tender offers a été enregistré et lorsque ce schéma de fusion était employé, les minoritaires ont bénéficié de compensations supérieures à celle allouées antérieurement à l’arrêt Cox, qui se sont sensiblement rapprochées de celle obtenue suite à des fusions négociées. Pour ces dernières, le recours au vote des minoritaires a augmenté de 33% à 50% des opérations[12]. Les acteurs économiques ont donc globalement anticipé la solution conjecturée dans Cox, pourtant non-créatrice d’un précédent jurisprudentiel, et ont progressivement organisé les offres de fusion de manière à intégrer les deux conditions ouvrant désormais droit à la protection de la business judgment rule.

       Dans cette lignée, la consécration de ce principe par l’arrêt MFW devrait donc sans aucun doute effacer la différence de traitement constatée entre les freeze-out tender offers et les fusions négociés. D’autre part, la préférence pour la business judgment rule, plus protectrice de l’opinion du conseil d’administration, devrait limiter les recours contestant la fusion, fondés sur le standard de l’entire fairness, devenus quasiment systématiques et utilisés pour presser l’actionnaire majoritaire de revoir son offre à la hausse, et générant d’importants frais de contentieux, sans toutefois que cet arrêt conduise à la diminution du niveau de protection des minoritaires au vu des conditions requises[13].

 

B.   En définitive, un niveau de protection des actionnaires minoritaires possiblement plus élevé qu’en droit français

       Une différence majeure entre l’ordre juridique français et celui des Etats-Unis réside dans l’implication de l’assemblée générale des actionnaires, et notamment s’agissant du nombre de votes favorables devant être recueillis. En effet, alors que le droit du Delaware ne requiert qu’une ratification par les actionnaires à la majorité simple, sauf si les statuts de la société en disposent autrement (ce qui en pratique est très rare), les projets de fusion de sociétés françaises doivent être approuvées à la majorité des deux-tiers de l'assemblée générale extraordinaire pour les sociétés anonymes, et pour les SARL constituées après 2005 (pour les SARL crées antérieurement, la majorité est fixée aux trois-quarts des parts sociales). Les SAS bénéficient d’un régime plus souple dans la mesure où les modalités de consultation de l’assemblée des actionnaires sont déterminées par les statuts. L’actionnaire en position de contrôle doit donc en apparence obtenir le soutien d’un plus grand nombre de minoritaires pour voir son projet de fusion réussir. Cependant, la condition posée par l’arrêt Kahn v. M&W d’obtenir une majorité de votes favorables parmi les minoritaires vient pondérer cette observation. En effet, selon ce régime, pour toute participation initiale dans la société cible supérieure à un tiers du capital, l’actionnaire-initiateur de la fusion doit mathématiquement réunir le soutien d’une plus grande proportion de minoritaires que l’actionnaire d’une SA ayant une participation identique, dont le vote correspondant à sa participation est intégré dans le calcul de la majorité aux deux-tiers. En conséquence, dans tous les cas de fusions avec un actionnaire détenant plus d’un tiers des parts de la société, hypothèse fréquente, l’exigence d’un vote favorable d’une majorité des actionnaires minoritaires telle que posée par l’arrêt Kahn v. M&F nécessite l’assentiment d’un plus grand pourcentage d’actionnaires désintéressés, et à cet égard assure plus efficacement l’expression des minoritaires. 

       S’agissant du rôle conseil d’administration, s’il participe à l’élaboration du projet de fusion, aucune obligation de créer un comité indépendant ne lui est imposée ; cependant, le conseil doit émettre un rapport justifiant le projet de manière détaillé, et pour les sociétés cotées, l’AMF préconise que les administrateurs puissent faire part de leur opinion dissidente s’il y a lieu, sans que cela ne remette en cause le principe de collégialité des délibérations. De plus, il est requis l’intervention de commissaires à la fusion indépendants, qui ont pour mission de vérifier la pertinence des informations divulguées aux actionnaires et l’équité du rapport d’échange. Le commissaire à la fusion remplit ainsi une fonction similaire à celui du comité spécial indépendant du conseil d’administration, sans toutefois être habilité à renégocier les termes de la fusion mais seulement en contrôler le caractère équitable. Il constitue le principal moyen de protection des minoritaires quant à la juste rétribution de leur participation, mais n’a qu’un pouvoir de blocage de la transaction ; le régime du comité d’administrateurs indépendant retenu en droit américain semble à cet égard favoriser la recherche d’un compromis de nature à satisfaire autant l’actionnaire initiateur que les minoritaires.

 

       Si l’arrêt Kahn v. M&F établit une présomption de bon jugement d’affaires  au profit des membres du conseil d’administration difficilement réfutable, celle-ci est soumise à la constatation de deux mécanismes dont l’emploi cumulé semble assurer un niveau suffisant de protection des minoritaires ; l’absence de ratification par une majorité des minoritaires ou le défaut de constitution d’un comité indépendant, ou la remise en cause de l’indépendance de ses membres, fera échec à la présomption et la transaction sera examinée substantiellement sous l’angle de l’entire fairness. Si en France, l’importance accordée à l’assemblée extraordinaire des actionnaires en droit français et le recours obligatoire à des experts indépendants, extérieurs à la société, semblent en théorie garantir efficacement la protection des minoritaires, le régime de validation des fusions consacré par la décision Kahn v. M&F peut être considéré comme plus propice à la satisfaction des intérêts des actionnaires minoritaires.




[1] Kahn v. M & F Worldwide Corp., 2014 WL 996270 (Del. Mar. 14, 2014). Disponible sur : http://www.wlrk.com/docs/MFW.pdf

 

[2] In re MFW Shareholders Litigation, 67 A.3d 496 (Del. Ch. 2013). Disponible sur : http://courts.delaware.gov/opinions/download.aspx?ID=189940

 

[3] Smith v. Van Gorkom, 488 A.2d 858 (Del. 1985)

 

[4] Weinberger v. UOP, Inc., 457 A.2d 701 (Del. 1983)

 

[5] Kahn v. Lynch Commc’n Sys., 638 A.2d 1110 (Del. 1994)

 

[6] In re Cox Communications, Inc. Shareholders Litigation, 879 A.2d 604 (Del. Ch. 2005).

 

[7] CA Douai, 2e ch., 7 juill. 1994, Adam et autres c/SA La Redoute

 

[8] Cass. Com., 25 mai 1970, n°67-11.088

 

[9] Art. L.242-6, 4° du Code de commerce

 

[10] Cass. Crim., 10 juill. 1995, n° 94-82.665

 

[11]Guran SUBRAMANIAN, Post-Siliconix Freezeouts: Theory and Evidence. Journal of Legal Studies, 2007, vol. 36, n°1, p.1-26.

 

[12] Fernan RESTREPO, Guran SUBRAMANIAN, The Effect of Delaware Doctrine on Freezeout Structure and Outcomes, Rock Center for Corporate Governance, Working Papers Series n° 153, Juillet 2013. Disponible sur : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2297707

 

[13] Katharine M. ATLAS, James Edward MALONEY, Delaware Chancery Court : Business Judgment Rule Applies to Going-Private Transaction, Business Law Today [en ligne], Juillet 2013. Disponible sur : http://www.americanbar.org/publications/blt/2013/07/keeping_current_maloney.html

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

Theresa MAYNARD, Mergers and Acquisitions : Case and Materials, 3ème éd., Aspen Publishers, 2013.

Bruno DONDERO, Droit des sociétés, 3ème éd., Dalloz, 2013.

 

Articles :

J. Robert Jr. BROWN, « The Management Friendly Nature of Delaware Decisions: In re MFW Shareholders Litigation », The RacetotheBottom.org [en ligne], 18 juin 2013.

Guran SUBRAMANIAN, Post-Siliconix Freezeouts: Theory and Evidence, Journal of Legal Studies, 2007, vol. 36, n°1, p.1-26.

Katharine M. ATLAS, James Edward MALONEY, Delaware Chancery Court : Business Judgment Rule Applies to Going-Private Transaction, Business Law Today [en ligne], Juillet 2013.

Fernan RESTREPO, Guran SUBRAMANIAN, The Effect of Delaware Doctrine on Freezeout Structure and Outcomes, Rock Center for Corporate Governance, Working Papers Series n° 153, Juillet 2013.