L’évolution de la liberté de la presse aux Etats-Unis et en France : comment en fixer les limites sans la menacer ? par Maelys Herbere
“Congress shall make no law (…) abridging the freedom of the press” U.S.C.A. Const.Amend. 1, tel est le libellé du premier amendement à la Constitution américaine qui consacre, entre autre, la liberté de la presse. Cette liberté a toujours eu une place centrale au sein du système américain qui ne lui impose aucune limite. De plus, les arrêts rendus par la Cour Suprême et qui mettent en jeu la liberté de presse face à d’autres considérations ont presque systématiquement la même issue : la Cour fait prévaloir la liberté de la presse. Toutefois, même si celle-ci semble intouchable, elle a été malmenée par le Gouvernement qui a tenté plusieurs fois de la restreindre, mais la solide tradition américaine aura finalement le dessus.
Avant même l'entrée en vigueur de la Constitution en 1789, les protagonistes de la Révolution américaine étaient profondément convaincus que la liberté de chaque individu ne pouvait exister sans une presse libre. Ainsi, l‘auteur de la Déclaration d’Indépendance, Thomas Jefferson, a déclaré : “ Notre liberté dépend de la liberté de la presse”. Dès lors, il semble logique que le premier amendement à la Constitution américaine énonce que « le Congrès ne fera aucune loi (...) qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». Les décisions rendues par la Cour Suprême des Etats-Unis illustrent bien ce grand principe et rappellent que la Constitution, qui garantit la liberté de la presse, prime sur la loi. Dès 1931, dans l’affaire Near v. State of Minnesota ex rel. Olson, 283 U.S. 697, 51 S.Ct. 625, 75 L.Ed. 1357,(1931), la Cour Suprême étend la protection de la presse. En effet, jusqu’alors la liberté de la presse n’était protégée qu’au niveau fédéral. A partir de cet arrêt, chaque Etat a le droit d’adopter ses propres lois sur le sujet, offrant ainsi à la liberté de la presse un degré de protection local et donc plus efficace. Cet arrêt qui fait date, interdit aussi la plupart des formes de restriction de la liberté de la presse. Au cours des dix dernières années, La Cour Suprême s’est fondée sur le premier amendement à la Constitution des États-Unis pour déclarer anticonstitutionnels une vingtaine de lois fédérales. Force est de constater que le premier amendement garantissant la liberté de presse semble inébranlable, intouchable. Toutefois, les événements récents qui ont touché les Etats-Unis tels que les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre en Irak menée par le gouvernement Bush, ont conduit à une forte remise en cause de la liberté de presse, faisant chuter les Etats-Unis au 54ème rang dans le classement mondial des pays respectant la liberté de presse, selon Reporter sans Frontières. En France le texte garantissant la liberté de la presse prévoit lui-même les limites dans lesquelles cette liberté s’exerce de façon légale ainsi que des mécanismes de sanctions en cas d’abus. Il serait donc intéressant de comparer ces deux systèmes juridiques afin de voire si l’un est plus protecteur de la liberté de presse que l’autre.
On peut donc légitimement se demander quelles sont les conditions pour que la liberté des médias puisse s’exercer pleinement et cette liberté peut-elle rencontrer certaines limites dans chacun des deux pays?
Cette analyse comparative va permette de démontrer que dans les pays de tradition démocratique tels que les Etats-Unis et la France, la liberté de la presse est considérée comme une garantie de la démocratie. Toutefois, même dans les pays ou elle est consacrée par la Constitution, elle demeure menacée.
Aux Etats-Unis, la conception qui prévaut est une conception maximaliste de la liberté de presse, ce qui de facto va aboutir à un rejet par les juridictions américaines de tout système de régulation qui serait fondé sur un principe d’interdiction. Par exemple, la Cour Suprême a invalidé récemment une loi (le Decency Act ,47 U.S.C. § 223) qui interdisait la communication via un site Internet de données “indécentes” ou “ouvertement choquantes”. Pour la Cour, le titre V violait le 1er amendement à la Constitution garantissant la liberté d’expression. La Cour a même ajouté qu’en « tant que moyen d'expression de masse le plus développé existant actuellement », l' Internet avait “le droit d'être protégé du mieux possible contre toute forme d'ingérence du Gouvernement”. Cette décision n’est guère surprenante et se fond totalement dans la continuité de la jurisprudence de la Cour Suprême qui a, selon une jurisprudence constante, fait primer la liberté de la presse tel que le suggèrent les arrêts dans la lignée de l’affaire New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254, 279-280, 84 S.Ct. 710, 726, 11 L.Ed.2d 686 (1964), dans lequel elle déclare qu'un agent public ne peut pas obtenir des dommages et intérêts à cause de la publication d'informations fausses et diffamatoires relatives à l'exercice de ses fonctions officielles à moins qu'il ne prouve que ces informations ont été diffusées dans l'intention de nuire. Cette décision a été ensuite étendue à toutes les personnalités. Plus tard, elle va réaffirmer cette décision dans l’arrêt Hustler Magazine v. Falwell 480 U.S. 945, 107 S.Ct. 1601, (1988) et déclare que la presse a le droit de parodier des personnalités même lorsque la parodie est extravagante et qu'elle cause un trouble émotionnel. Il apparaît très clairement, à la fois de la formulation même du premier amendement ainsi que de la jurisprudence, que la liberté de presse ne connaît pas de limites légales puisqu’elle prévaut a chaque fois sur toute autre considération.
La liberté de la presse, établie en France par une loi en 1881, est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Quelles sont les conditions pour que la liberté des médias puissent s’exercer pleinement et cette liberté peut-elle rencontrer certaines limites? La Constitution française présente une approche beaucoup plus pragmatique de la liberté de presse. En effet, le texte qui la garantie énonce également les limites dans lesquelles elle peut s’exercer légalement. L’article 11 de la Constitution française énonce que “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi”. On peut constater a la lecture que le mot “presse” a été escamoté, il est de lege feranda limité par l‘hypothèse d‘un abus. Selon la rédaction française ce sont les individus qui sont libres et c’est dans le cadre de leur liberté que s’instaure celle de la presse. De plus, nul n’est sensé ignorer le principe général affirmé par l’article 4 de la Déclaration des droits de l‘Homme et du Citoyen : la liberté consiste à ne pouvoir faire que « ce qui ne nuit pas à autrui » et la loi fixe les bornes indispensables. La loi accorde des libertés mais définit aussi ses limites pour les garantir. Il existe des délits de presse qui instaurent des responsabilités individuelles et collectives à la fois (depuis le distributeur jusqu'à l’éditeur de publication). Ces délits de presse sont tout d’abord les délits dits “contre la chose publique” qui sanctionnent l’offense au Président de la République par la publication de fausses nouvelles, et les délits contre les personnes tels que l’atteinte a l’honneur ou a la considération d’un citoyen, la diffamation… Pour ces délits, la loi accorde le droit de réponse qui protège le citoyen mis en cause dans une publication et l’autorise à répondre. La loi française prévoit également l’interdiction de publication de certains écrits tels que les actes d’accusation et de procédure criminelle ainsi que le compte rendu des délibérations des juges.
Alors que la Cour Suprême semble être le garant de la liberté de presse aux Etats-Unis et que la loi française prévoit A la fois les conditions d’exercice de cette liberté ainsi que les sanctions du non-respect de ces limites, la liberté de presse est néanmoins menacée et connait quelques dérives dans les deux pays. Aux Etats-Unis tout comme en France, la liberté de presse a été mise a mal ou s’est trouvée menacée très récemment, faisant ressortir encore davantage le rapport entre liberté de la presse et démocratie. On peut dès lors constater les menaces que les pouvoirs politique ou financier font peser sur les libertés publiques.
En 2006, les Etats-Unis font une chute fulgurante dans le classement RSF des pays ou la liberté de la presse est respectée et ont été inclus dans la liste des pays américains qui violent la liberté de la presse pour emprisonner les journalistes refusant de révéler leurs sources. La politique du pays est alors qualifiée de politique de complaisance relativement à la propagande du président George Bush, spécialement concernant la guerre en Irak. Alors que la Cour Suprême des Etats-Unis avait déclaré dans l’affaire New York Times Co. v. U.S.,403 U.S. 713, 91 S.Ct. 2140, 29 L.Ed.2d 822, 1 Media L. Rep. 1031, U.S.Dist.Col., June 30, 1971, que la liberté de la presse en matière de restriction préalable est presque absolue en autorisant le quotidien à publier des articles relatifs à la guerre du Vietnam, bien que le gouvernement soutienne que leur publication compromettra la sécurité nationale, le renforcement des mesures de sécurité dans ce pays et les pressions pour identifier les sources confidentielles affectent la liberté de la presse. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le premier amendement à la Constitution américaine garantissant la liberté de presse est confrontée à la remise en cause de la confidentialité de l’information circulant sur Internet ou à des restrictions d’accès à certains sites. Une dizaine de médias couvrant les opérations militaires en Irak ont vu leur travail entravé par des forces spéciales américaines. La Cour Suprême n’a pourtant eu de cesse que de réaffirmer la suprématie du Premier Amendement en tant qu‘il protège les medias alors même qu'ils diffusent des conversations par téléphone mobile qui ont été interceptées de façon illicite par un tiers (Bartnicki v. Vopper, 532 U.S. 514, 121 S.Ct. 1753 U.S.,2001). Cette solution étend encore un peu plus le champ d’action de la presse. Pourtant, quelques mois après cette affaire, le Congres américain vote une loi visant à rendre légale la surveillance de l’information sur Internet: le "Patriot Act", 8 U.S.C.A. § 1226a. Cette loi dite antiterroriste a pour effet d’autoriser le FBI à surveiller la circulation des messages électroniques et à conserver les traces des sites internet visités par une personne “suspectée de contact avec une puissance étrangère“. Cette loi porte manifestement atteinte aux libertés individuelles puisqu’elle viole le droit à la vie privée. Le constat que l’on peut faire à partir de cette “régression” est que la peur de la menace terroriste générée par les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis a permis au gouvernement de renforcer son pouvoir de censure sous prétexte de protéger la population ou d’empêcher la panique générale, en portant atteinte notamment aux libertés individuelles dont celles de s’exprimer et d’être informé. La manipulation des medias en temps de crise est donc plus facile puisque l’opinion publique est affaiblie et craint la menace terroriste, elle sera donc plus encline à suivre la politique d’un gouvernement qui se dit protecteur. Durant cette période, le gouvernement a cherché à agir vite, faisant parfois fi des principes démocratiques pour justifier le pouvoir en place.
A plusieurs reprises, l’administration du Président Bush a tenté de restreindre la circulation de l’information ou bien de la contrôler. La question que l’on peut se poser est donc celle de savoir si ces mesures représentent une réelle menace pour la liberté de la presse aux Etats-Unis ou si elles se sont soldées par des échecs? Fidèles à une conception maximaliste de la liberté d’expression et de la presse, les Etats-Unis témoignent un profond attachement au Premier Amendement à la Constitution qui dispose clairement que la liberté de la presse ne doit pas connaître de limites imposées par le Gouvernement. Ainsi, les projets du Gouvernement américain seront remis en cause par la Cour Suprême et se solderont par des échecs. Aujourd’hui, les Etats-Unis font partie des 20 pays où la liberté de la presse est la plus respectée, selon le classement 2009 RSF.
Les médias sont essentiels au bon fonctionnement de la démocratie car la liberté de la presse est liée à la liberté d'opinion, qui permet à chacun de s'informer, de s'exprimer et de faire valoir ses idées. Or dans de nombreux pays, la liberté de la presse est bafouée, des journalistes sont en prison et leur vie peut se trouver menacée. On pourrait penser que de telles atteintes à la liberté n’existent pas dans nos pays dits démocratiques et les pays en voie de développement sont souvent montrés du doigt à ce sujet. Néanmoins, la France est en chute au classement RSF 2009 des pays qui respectent la liberté de la presse à cause de la multiplication des arrestations de journalistes refusant de dévoiler leurs sources. Le classement montre que la France, désormais 35ème perd 5 places depuis l'année dernière et 24 places en cinq ans, en raison de la multiplication des perquisitions au sein des médias et des mises en examen de journalistes. L’arrestation du journaliste d’investigation spécialisé dans la raison d’Etat, Guillaume Dasquié a suscité de vives critiques: il a été arrêté, son domicile a été perquisitionné, puis il a ensuite été placé en garde à vue et mis en examen pour avoir publié un article dans Le Monde concernant les renseignements que possédait la DGSE peu avant les attentats du 11 Septembre 2001. Ces évènements sont à replacer dans le climat délétère entre la presse et les autorités politiques et judiciaires, où des précédents ont eu lieu. Guillaume Dasquié, journaliste, avait fait l'objet d'une convocation devant la justice l'obligeant à dévoiler ses sources d'information. Il estime qu'il s'agit de « la volonté du pouvoir de casser la presse, ce que le pouvoir exécutif considère comme l'arrogance des journalistes qui “se croient tout permis” en allant chercher des infos. » En tant que pierre angulaire d’une démocratie, la liberté d’expression, et en particulier la liberté d’informer, passent aussi par la protection de ses sources, sans quoi il n’y a plus d’information à transmettre et la Cour Européenne des Droits de l’Homme l’a rappelé de nombreuses fois à la France en la condamnant. Plus récemment, l’arrestation de Vittorio de Filippis a défrayé la chronique: l’affaire était partie du journal Libération, alors que certains journalistes relataient les démêlés que Xavier Niel, fondateur de Free, avait connu avec la justice. Vittorio de Filippis en était le directeur de la publication. Il a par la suite été interpellé à son domicile à 6h40 du matin, pour «diffamation publique envers un particulier». Rappelons toutefois que Xavier Niel avait été «condamné en octobre 2006 à 2 ans de prison avec sursis pour recel d'abus de biens sociaux dans une affaire de proxénétisme». L’association Reporters Sans Frontière s’est dite indignée par le caractère intolérable des méthodes employées contre Vittorio de Filippis et leur nature humiliante et attentatoire aux libertés individuelles. Suite à cela, en 2002, l'autorité judiciaire a prononcé une série de jugements particulièrement défavorables à la liberté d’informer en validant l'existence pour les journalistes d'un délit de "recel" d'informations protégées par le secret professionnel ou de l'instruction. Le principe de la protection des sources pour les journalistes a fait l'objet d'une nouvelle mise en cause. Le recel est un délit qui consiste à se procurer quelque chose qui a déjà été acquis illégalement ou malhonnêtement, donc cela signifie qu’un journaliste a bénéficié d’informations de la part de gens qui n’avaient pas le droit de les donner.
Consciente des dérives récentes, la France vote la Loi du 4 janvier 2010. Ce texte a deux principaux objectifs :
Le premier objectif est tout d’abord de permettre à la France de se conformer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, dans une affaire très récente sur le sujet (CEDH 30 juin 2009, Eric Hacquemand c. France), la Cour a réaffirmé une jurisprudence constante selon laquelle la protection des sources, garantie par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, doit être respectée. Dans cette affaire, un journaliste du Parisien, Eric Hacquemand, qui avait rédigé un article sur une personne soupçonnée de divers délits et l’avait accompagné d’une photographie de ce dernier a été condamné pour violation et recel de violation du secret d’une enquête pénale. En effet, cette photographie a été prise par les enquêteurs mais le journaliste a refusé de révéler la manière dont il l’avait obtenu. Les juges européens ont souligné que le droit du requérant de taire ses sources « constitue un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection » car il constitue la « pierre angulaire » de la liberté de la presse. La Cour a également rappelé le rôle fondamental de la presse dans une société démocratique et que d’une manière générale, la « nécessité » d’une quelconque restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit se trouver établie de manière convaincante.
Le second objectif de cette loi est qu’il vise à consacrer le droit pour le journaliste à la protection de ses sources et à inscrire ce principe dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La justice ne pourra rechercher l’origine d’une information et ainsi porter atteinte au secret de ses sources “directement ou indirectement” que dans certaines circonstances clairement définies par la loi comme “lorsqu’un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi”.
Nous venons de voir que la liberté de la presse peut être limitée par la raison d'État : certaines informations restent secrètes pour la sécurité ou les besoins d’une enquête. Cependant, il est arrivé aussi qu’au nom de la Raison d’Etat, les gouvernements mentent à la presse et à l’opinion, alors que la sécurité du pays n’était pas en cause. Les rapports entre le pouvoir et les médias sont donc souvent conflictuels et reposent sur un équilibre fragile : la liberté de la presse dépend en grande partie de la stabilité du pays, dès lors que celui-ci sera menacé, le gouvernement aura tendance à instaurer un régime plus attentatoire aux libertés en général et par conséquent à la liberté de la presse qui est un des vecteurs de la liberté d’expression.
Bibliographie
Pour le droit américain:
http://en.wikipedia.org/wiki/First_Amendment_to_the_United_States_Consti...
http://www.rsf.org/La-liberte-de-la-presse-a-l.html
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_00352950_197...
http://www.rfi.fr/actufr/articles/067/article_37343.asp
http://www.america.gov/st/washfilefrench/2005/May/20050503152948clhgih0....
Pour le droit français:
http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp
http://www.elysee.fr/elysee/francais/les_institutions/les_textes_fondate...
http://www.asmp.fr/travaux/gpw/pbpresse/pig2chap2.pdf
http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/medias/medias__pouvoirs/2009102...