L’application de l’office du juge dans le cadre des contrats de vente internationale de marchandises en Italie et en France - Par Yvonne HOCHMANN
En ce qui concerne les contrats de vente internationale de marchandises, la jurisprudence italienne refuse aux parties la possibilité d’exclure l’application de la Convention de Vienne de 1980 de façon tacite. Au vu de la jurisprudence française sur l’accord procédural tacite, on aurait pu penser que les juges français auraient accepté l’exclusion tacite contrairement aux juges italiens. Cependant, après quelques hésitations, la solution française se trouve rejoindre la solution italienne.
Le commentaire de l’arrêt du Tribunal de Padova sezione Este du 25 mars 2004 par Franco Portento met en évidence les points les plus importants de la décision, relevant les problèmes qui se sont posés ainsi que les solutions apportées par les juges. Le premier problème soulevé est la façon dont doit être appliqué l’article 6 de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises de 1980. Cet article énonce que : « Les parties peuvent exclure l’application de la présente Convention ou, sous réserve des dispositions de l’article 12, déroger à l’une de ses dispositions ou en modifier les effets ». Les juges se sont donc posés la question de savoir si une exclusion tacite de l’application de la Convention serait acceptable dans le cadre du procès. En l’espèce Franco Portento relève que les parties n’ont fait aucune référence dans leurs conclusions aux normes de Droit international privé alors même qu’elles avaient affaire à un contrat international. Au lieu de cela, elles ont directement envisagé l’application du seul Code civil italien. Or, les conditions d’application de la Convention de Vienne étaient réunies. En Italie, le principe iura novit curia (le juge connaît la loi), qui justifie l’office du juge, devrait normalement s’effacer face à la volonté des parties étant donné le caractère disponible des droits visés par la Convention. Cependant, les juges italiens ont considéré que, pour cela, il aurait fallu pouvoir déduire des conclusions des parties et de leur comportement au cours du procès qu’elles avaient conscience du choix qui s’offrait à elles. Comme cela n’était pas le cas, les juges ont remédié à leur ignorance en vertu du principe susmentionné, et donc déterminé d’office la loi applicable à savoir la Convention de Vienne. Par ailleurs, selon l’analyse de l’arrêt par Franco Portento, les parties avaient aussi visé directement l’application du Code civil italien pour une matière considérée comme régie par la Convention mais non tranchée par elle. Cependant, comme les juges avaient décidé de l’applicabilité de la Convention, il a fallu faire application de son article 7 alinéa 2 ce qui a abouti ,en l’espèce, à l’application de la règle de Droit international privé. Les parties peuvent donc certes exclure l’application de la Convention de Vienne mais les juges italiens ne semblent pas accepter d’exclusion tacite. De plus, si la Convention s’applique c’est, dans ce cas, à tous les problèmes soulevés par le contrat de vente internationale de marchandises. La question centrale de cet arrêt est donc celle de savoir quelle interprétation donner à l’article 6 de la Convention de Vienne. Il peut être intéressant de comparer la solution proposée par les juges italiens aux solutions envisagées par les juges français notamment en ce qui concerne leur perception de l’accord procédural tacite qui aurait pu amené à une solution différente en France. Nous pouvons dès lors nous poser les questions suivantes : dans quelles circonstances le juge doit-il appliquer d’office la Convention de Vienne ? L’expression de la volonté des parties doit-elle être expresse pour exclure l’application de la Convention lorsque le litige porte sur un contrat de vente internationale de marchandises ? Nous verrons dans un premier temps la façon dont est prise en compte la volonté des parties en Droit international privé italien et dans quelle mesure l’office du juge s’applique tout en comparant cela au régime de l’accord procédural tacite en France. Puis, dans un deuxième temps, nous étudierons les critiques doctrinales dues à l’application de la jurisprudence sur la reconnaissance de l’accord procédural tacite dans le cadre d’application de la Convention de Vienne. Nous constaterons que les juges ont tenu compte de ces critiques et adopté une position semblable à celle des juges italiens.
I. Application de l’office du juge en Italie en cas d’absence de volonté expresse des parties et admission de l’accord procédural tacite en France.
L’application de l’office du juge n’est possible en Italie que lorsque les parties ne manifestent pas clairement la volonté d’évincer la règle de Droit international privé normalement applicable (A). En revanche, la jurisprudence française a semblé admettre la possibilité pour les parties de passer un accord procédural tacite (B).
A. Absence de volonté expresse des parties et application de l’office du juge en Italie.
Au vu du commentaire de la décision du Tribunal de Padova sezione Este du 25 mars 2004 et de la décision elle-même il ressort que si les parties à un litige portant sur un contrat de vente internationale de marchandises veulent exclure l’application de la Convention de Vienne de 1980 à laquelle l’Italie est partie, il ne doit pas y avoir de doute quant à leur volonté. La seule référence au Code civil italien, comme nous l’avons vu ne suffit pas. La volonté des parties doit donc être expresse. Pourtant, les juges italiens reconnaissent dans l’arrêt la possibilité d’exclure tacitement l’application de la Convention de Vienne en application de l’article 6 de celle-ci. Cependant, vu la décision finale cela semble plus viser une exclusion tacite prévue au sein du contrat international qu’une exclusion tacite par les parties en cours de procédure. Cette décision se place dans la continuité de la jurisprudence italienne sur la question. Cela se remarque notament dans deux décisions antérieures qui rendent des solutions identiques sur la question (Tribunal de Vigevano 12 juillet 2000 et Tribunal de Cuneo 31 janvier 1996). Le juge italien prend en compte la volonté des parties lorsqu’il s’agit de droits disponibles à mettre en œuvre. Cependant, cette volonté doit être expresse car, en vertu du principe iura novit curia, qui s’applique en Droit international privé italien, le juge doit normalement appliquer d’office les règles de conflit (http://ec.europa.eu/civiljustice/applicable_law_eng_it.htm). Au vu de ce principe l’exclusion tacite des règles de Droit international privé ne semble pas être possible en Italie dans le cadre d’un litige. La jurisprudence française en revanche semble prévoir la possibilité pour les parties à un litige de Droit international privé de passer un accord procédural tacite.
B. L’accord procédural tacite reconnu en Droit international privé français.
L’accord procédural en droit français est l’accord par lequel les parties invoquent une autre loi que celle désignée par un traité ou par un contrat. Contrairement au droit italien, la jurisprudence française considère, depuis l’arrêt Bisbal rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 12 mai 1959, que le juge n’avait pas à mettre en œuvre d’office la règle de conflit. Plus tard, avec un arrêt Hannover International du 6 mai 1997 la jurisprudence a énoncé que : « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une convention internationale ou d’une clause contractuelle désignant la loi compétente ». Dès lors que le juge n’a pas à appliquer d’office la règle de Droit international privé applicable, les parties, dès lors qu’elles ont la libre disposition de leurs droits, peuvent passer un accord procédural. La jurisprudence a par ailleurs admis depuis l’arrêt Société Mutuelle du Mans rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 26 mai 1999, que lorsque les parties ont la libre disposition de leurs droits les juges du fond peuvent légitimement appliquer la loi française dès lors qu’aucune des parties n’a invoqué le droit étranger applicable et ce même si celui-ci est de source conventionnelle. Cette décision semble admettre clairement la possibilité pour les parties de passer un accord procédural tacite en Droit international privé français dès lors qu’elles ont la libre disposition de leurs droits. Cette orientation de la jurisprudence peut laisser à penser que dans le cadre d’un litige à propos d’un contrat de vente internationale de marchandises, les juges français admettraient, contrairement aux juges italiens, la possibilité pour les parties d’exclure tacitement l’application de la Convention de Vienne de 1980. Comme nous allons le voir cela a d’ailleurs été le cas dans un premier temps.
II. Hésitation de la jurisprudence française et alignement de celle-ci sur la logique des juges italiens.
La jurisprudence française a, dans un premier temps, admis la possibilité pour les parties d’exclure l’application de la Convention de Vienne par un accord procédural tacite. Cependant cette solution était très critiquée par la doctrine (A). Un revirement a enfin été opéré et les juges français vont désormais dans le même sens que les juges italiens (B).
A. Une admission de l’accord procédural tacite critiquée par la doctrine.
Le fait que la jurisprudence française ait admis l’accord procédural tacite dans le but d’évincer l’application de la Convention de Vienne se remarque par exemple dans un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 26 juin 2001. Cet arrêt a confirmé une décision de la Cour d’appel qui avait appliqué directement le droit interne français à un litige pour lequel la Convention de Vienne aurait été applicable. La Cour de cassation a relevé qu’il existait un accord tacite des parties visant à écarter l’application de la Convention comme l’article 6 de celle-ci l’autorisait. Les juges déduisaient cet accord tacite de l’absence d’invocation de la Convention par les parties devant les juges du fond. Cette solution, totalement opposée à celle italienne, a été nettement critiquée par la doctrine, notamment par Mme Jobard-Bachellier dans un commentaire de cet arrêt publié à la Gazette du Palais (De la distinction nécessaire entre l’accord procédural interne et l’accord procédural international, en présence d’éléments d’extranéité Gazette du Palais, 12 au 13 décembre 2001, n°346 à 347, Doctrine, p.13-21). Il y est dit qu’il conviendrait de distinguer l’accord procédural interne de l’accord procédural international, l’accord procédural international étant défini comme visant à faire appliquer « une loi différente de celle qui serait résultée de l’application de la règle de conflit applicable ». En l’espèce il se serait plutôt agi d’un accord procédural interne car le système juridique français aurait été effectivement compétent en l’application de la règle de droit international privé. Pour l’accord procédural interne le caractère exprès serait, d’après l’auteur, toujours requis sur le fondement de l’article 12 alinéa 3 du Nouveau Code de procédure civile qui énonce que le juge « ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et des droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat ». En revanche, en ce qui concerne l’accord procédural international c’est la jurisprudence fixée par l’arrêt Société Mutuelle du Mans qui devrait s’appliquer. Selon Mme Jobard-Bachellier, les juges se seraient donc trompés en l’espèce en considérant que le simple silence des parties pouvait suffire à écarter la Convention de Vienne.
B. Un revirement fixant une solution allant dans le même sens que celle posée par la jurisprudence italienne.
La jurisprudence a opéré un revirement par un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 25 octobre 2005 n°1388. Cet arrêt nous rappelle que la Convention de Vienne de 1980 « institue un droit uniforme sur les ventes de marchandises (et) constitue le droit substantiel français (et) à ce titre, elle s’impose au juge français qui doit en faire application ». En ce qui concerne l’application de l’article 6 en cas de litige l’arrêt déclare « qu’en invoquant et en discutant sans aucune réserve la garantie de la chose vendue définie par les articles 1641 et suivants du Code civil, toutes les parties ont, en connaissance du caractère international des ventes qu’elles avaient conclues, volontairement placé la solution de leurs différents sous le régime du droit interne français de la vente ». Par cette décision, les juges français posent le principe que l’exclusion tacite ne se présume pas : les parties doivent exprimer clairement leur choix. En cas de doute le juge est amené à appliquer d’office le droit commun c’est-à-dire la Convention de Vienne. Cette décision rejoint donc très clairement la position de la jurisprudence italienne. Il s’agit de protéger les parties contre leur propre ignorance du droit. La Convention de Vienne portant règle uniforme et faisant partie du droit interne français comme italien il est normal que ce soient des principes de droit interne qui régissent un éventuel accord des parties visant à l’écarter. C’est d’ailleurs ce que préconisait Mme Jobard-Bachellier. Il est, pour conclure, très intéressant de noter que les fondements de ces décisions sont très semblables bien qu’il s’agisse de deux ordres juridiques différents. En effet, si l’office du juge est, dans ce cas de figure, justifié en Italie par le principe iura novit curia , il l’est en France par un principe proche énoncé à l’article 12 du NCPC, à savoir : « Le juge tranche les litiges conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ». Cela laisse supposer que le juge est le garant de la bonne application des règles de l’ordre juridique interne pour la simple et bonne raison qu’il en a connaissance.
BIBLIOGRAPHIE : Ouvrages généraux : -Loussouarn, Bourel, Droit international privé, Dalloz, 8e édition, 2004. -Pocar F., Il nuovo diritto internazionale privato italiano, Milan, Giuffrè Editore, 1997.
Article : -Jobard-Bachellier, De la distinction nécessaire entre l’accord procédural interne et l’accord procédural international, en présence d’éléments d’extranéité, Gazette du Palais, 12 au 13 décembre 2001, n°346 à 347, Doctrine, p.13-21.
Sites internet : -http://ec.europa.eu/civiljustice/applicable_law_eng_it.htm -http://www.courdecassation.fr/articles5709.html -http://arrasen.over-blog.com/article-2487291.html -http://witz.jura.uni-sb.de/CISG/decisions/2606012v.htm -http://lexinter.net/ -http://fdv.univ-lyon3.fr/publication/gazette/Civ1_25_10_2005_convention_...