L’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis Herring v. United States, l’exclusionary rule, et le principe de légalité des preuves en droit français - par Gaspard Debiesse

Quasi centenaire, la règle de l’exclusionary rule est une pierre très controversée de l’édifice juridique américain : elle permet en effet au juge d’exclure du procès des éléments de preuves qui auraient été obtenues par les autorités en violation de la Constitution (ses 4ème et 5ème Amendements en particulier). D’origine prétorienne, cette règle d’exclusion a vu son champ limité par la Cour Suprême à de nombreuses reprises depuis la fin des années 1970 : elle n’est ainsi plus applicable dans les procès civils, devant les jurys d’accusation, ou en matière de révocation de liberté surveillée, mais c’est surtout avec la création de l’exception de « bonne foi », qui permet d’écarter l’exclusion automatique dès lors que l’officier en charge du recueil des preuves avait une « confiance objectivement raisonnable » dans la légalité de ses actes, que la règle a perdu de sa substance. Le 14 janvier 2009, par un arrêt Herring v. United States, elle y a porté un nouveau coup en étendant l’exception de bonne foi à la situation dans laquelle un officier agit en vertu d’un mandat d’arrêt annulé qu’il pense pourtant valable : dès lors que cette erreur n’est pas « délibérée », et n’est pas signe d’un comportement « coupable », la preuve recueillie devra être admissible au procès, et ce malgré le caractère indéniablement illégal de l’arrestation originelle. Au contraire du droit américain, le droit français, plus axé sur la notion de légalité et de loyauté des preuves, ne prévoit pas expressément de règle d’exclusion des preuves, et interprète différemment l’incidence de la bonne foi sur la recevabilité d’une preuve.

« Si vous avez la force, il nous reste le droit » proclamait Hugo dans un alexandrin resté célèbre. Passons outre son indéniable talent littéraire, et imaginons un instant qu’il ait posé la question suivante : si vous voulez imposer le droit par la force, que nous reste-t-il ? Transposons maintenant cette question au droit de la procédure pénale et reformulons-la : le Ministère Public peut-il dans le cadre d’un procès pénal prouver la culpabilité d’un accusé par n’importe quel moyen, quitte à enfreindre les considérations morales ou légales les plus élémentaires ? La réponse à cette question lancinante fait débat entre d’un côté les « moralistes » qui prônent une procédure en tout point loyale (Emmanuel Kant), et de l’autre les « utilitaristes » qui estiment que l’intérêt social doit toujours primer, et que se justifie donc l’utilisation des moyens de preuve déloyaux (Jeremy Bentham). Toujours est-il que, de Calas à Dreyfus, notre droit reste marqué par de retentissantes erreurs judiciaires où la preuve tint une importance considérable. Le principe de « loyauté procédurale », consacré à l’échelle européenne comme une composante essentielle du principe d’équité tel qu’il découle de l’article 6 de la CEDH, est à ce titre un outil utile pour distinguer les « coups bas » des « simples ruses de guerre », pour reprendre une image employée par Jean Carbonnier. Il est également le corolaire indispensable du principe de légalité de la preuve pénale, selon lequel juges et jurés se doivent de puiser leur conviction dans des sources légalement recherchées. De l’autre côté de l’Atlantique, le 4ème Amendement de la Constitution des Etats-Unis protège le citoyen américain contre les perquisitions et saisies sans mandat (sauf exceptions) ou non motivées. Afin de dissuader les Etats et le gouvernement fédéral de violer ce droit fondamental, le juge américain a élaboré le concept d’ « exclusionary rule » (règle d’exclusion des preuves), en vertu duquel la preuve obtenue en violation du 4ème (mais aussi du 5ème et du 6ème) Amendement ne peut servir lors du procès à prouver la culpabilité de l’accusé. Ce principe a donné naissance à une métaphore doctrinale bien connu en droit américain : the fruit of the poisonous tree (si la source des preuves, l’arbre, est « pourrie », tous ses « fruits », les éléments de preuve, le seront aussi). Dans ce contexte, l’arrêt de la Cour Suprême américaine du 14 janvier 2009 Herring v. United States est venu préciser une jurisprudence relative à l’exclusionary rule déjà importante : pour la première fois, l’exception de bonne foi à l’exclusionary rule a été appliquée dans une affaire impliquant une erreur de la police relative à un mandat d’arrêt. Quels sont les différences doctrinales entre les systèmes français et américains quant à la recevabilité dans le cadre du procès pénal de preuves obtenues illégalement  par le Ministère Public? Quel est l’incidence de la bonne foi (ou de la loyauté) sur la recevabilité de preuves a priori irrecevables ? Il convient d’étudier dans un premier temps la manière dont les deux systèmes juridiques ont abordé la question des preuves a priori irrecevables (I) avant de se pencher sur l’intervention de la bonne foi et son influence sur la recevabilité de preuves (II).

I)La recevabilité de la preuve pénale: Exclusionary rule à l’Ouest de l’Atlantique, principe de légalité à l’Est

A) L’exclusionary rule, une règle prétorienne affinée arrêt après arrêt

Le 4ème Amendement a beau tenter de protéger le citoyen contre l’arbitraire du pouvoir exécutif, il ne contient « aucune disposition prohibant expressément l’utilisation de preuves obtenues en violation de son commandement », Arizona v. Evans, 514 U.S. 1, 10 (1995). C’est devant cette absence d’un principe de légalité comme le droit français en connait, ajoutée au fait que l’appréciation de la preuve appartient à un jury bien souvent profane, que l’exclusionary rule a été établie dès 1914, avec la décision Weeks v. United States, 232 U.S. 383, 398. Son principe est simple : un élément de preuve obtenu par le ministère public en violation des articles IV, V, ou VI du Bill of Rights est irrecevable lors du procès pénal, et ne peut donc servir à prouver la culpabilité de l’accusé. La solidité de cette règle repose, et c’est évident, sur son effet dissuasif, comme le souligne la Cour dans l’arrêt Leon (cf. infra) : « (l’exclusionary rule) opère comme une règle prétorienne visant à protéger les droits consacrés par le 4ème Amendement à travers son effet dissuasif, plutôt que comme un droit constitutionnel personnel de la partie lésée». C’est pourquoi, dans l’arrêt Illinois v. Gates, 462 U.S. 213, 223 (1983), la Cour précisa que cette règle n’était pas d’application stricte : une violation du 4ème Amendement ne doit pas nécessairement être synonyme d’une exclusion « réflexe » de la preuve en découlant. Au contraire, l’exclusion ou non d’une preuve obtenue en violation de la Constitution dépend d’un calcul coût/avantage effectué par la Cour au cas par cas (v. par ex. Illinois v. Krull, 480 U.S. 340, 352 (1987)), et reste, de toute manière, une solution de dernier recours (Hudson v. Michigan, 547 U.S. 586, 591 (2006)). Le juge Ginsburg souligne quant à lui dans son opinion dissidente de l’arrêt Herring que ce n’est pas tant que ce soit le dernier mais que c’est surtout bien souvent le seul recours effectif pour redresser une violation du 4ème Amendement.

B) Le principe de légalité, une règle d'exclusion des preuves a priori

1-Légalité formelle de l’administration de la preuve

Certaines preuves peuvent être exclues en droit français, mais ces exclusions ne sont généralement pas prévues par la loi. En effet, si le droit américain a choisi avec l’exclusionary rule une approche punitive, le droit français a lui préféré une approche préventive avec un principe de légalité solidement ancré dans la tradition juridique. Cette différence s’explique notamment, sans qu’elle se résume à cela, à l’opposition entre droit écrit et common law. Le droit pénal français est caractérisé par la liberté dont dispose le juge pour apprécier la valeur d’une preuve selon son « intime conviction » (art. 427 CPP). Cette liberté, érigée en grand principe procédural, est bornée par un autre principe vu plus haut : l’indispensable légalité de l’administration de la preuve. Le particulier comme l’agent public doivent, pour rechercher et recueillir la preuve pénale, se soumettre aux normes posées par la loi, voire les règlements, et il appartient au juge répressif de rejeter les preuves illégalement recueillies car ces dernières ne sauraient fonder sa décision. Pour être recevable aux yeux du juge, l’administration de la preuve doit respecter un certain nombre de règles générales, d’application directe, à peine de nullité voire de condamnation civile ou pénale de l’enquêteur responsable. Elle doit tout d’abord respecter les règles formelles : la Cour de Cassation a rappelé l’importance du principe de légalité formelle de la preuve à l’occasion de l’arrêt Grayo (Cass. crim., 19 Juin 1989), relatif au recueil de preuves dans le cadre de de délits en matière douanière et cambiaire. Le respect de la légalité dans l’administration de la preuve sous entend également le respect des droits de la défense, consacrés par l’article 6 de la CEDH, une norme supranationale d’application directe, ainsi que le respect du droit de ne pas s’auto-incriminer, qui revêt une importance particulière comme en témoigne l’arrêt Murray c/ Royaume-Uni (CEDH, 8 fév. 1996) en droit européen, ou la loi du 18 mars 2003 en droit interne. Une administration légale de la preuve suppose en outre que soit respectée l’intimité de la vie privée, protégée au niveau européen par l’article 8§2 de la CEDH. Lorsqu’il revient à l’agent de la puissance publique de procéder au recueil de la preuve, ce dernier est soumis à des règles d’autant plus strictes que les actes qu’il a alors à accomplir sont des « ingérences » au sens de la CEDH. Pour organiser ces ingérences, le législateur a développé un véritable répertoire des actes, qui, par sa nature fermée, limite le champ d’application du principe de liberté de la preuve au profit de celui de la légalité : l’agent est libre de choisir parmi ce catalogue de modes de preuves celui qu’il veut (fouille, perquisition, audition…) mais dès que son choix est fait, la légalité reprend ses droits. Le point commun de ces différents actes est que, pour être licites, l’exercice de la contrainte doit être nécessaire et proportionnée (ce que rappelle la loi du 15 juin 2000). Les actes ordonnés par le juge d’instruction doivent également être en conformité avec la légalité générale, malgré ce que pourrait sous-entendre la lettre, très permissive il est vrai, de l’art. 81 du CPP qui autorise le juge d’instruction à « procéder ou faire procéder à tous actes d’information utiles à la manifestation de la vérité ».

2-Légalité matérielle de l’élément de preuve

D’abord constituée par des principes généraux de droit puis assurée par la ratification de la CESDH, la légalité matérielle réside dans le respect de plusieurs principes. Le premier d’entre eux est le respect de la dignité humaine qui prohibe de manière absolue et sous toutes ses formes la violence (qu’elle soit physique ou morale : Jalloh c/ Allemagne, CEDH, 11 juillet 2006) dans la recherche de la preuve. La violence ne peut en effet s’appuyer sur une quelconque « nécessité » (cf supra). La protection de la dignité humaine est gravée dans l’article 3 de la CESDH. Le deuxième est le respect du principe de loyauté de la preuve qui a pour objet d’interdire à celui qui administre la preuve l’utilisation « de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes » (Procédure Pénale, Serge Guinchard et Jacques Buisson, Litec, 4e édition) car ceux-ci vicient la recherche de l’établissement de la vérité (cf infra). Ce principe a une valeur particulière lorsqu’il s’agit de preuves recueillies par des enquêteurs de la puissance publique. La CEDH, qui s’est penchée sur la question à plusieurs occasions a estimé que la loyauté faisait partie intégrante de l’article 6§1 de la CESDH. En droit interne, il a par exemple été jugé dans un arrêt de principe Wilson (31 jan. 1888) que le fait pour un magistrat d’imiter une voix pour obtenir, auprès d’un suspect, des aveux par téléphone était un procédé déloyal. Enfin, la légalité matérielle d’une preuve suppose que soit respecté la liberté d’information, en particulier lorsque le procès implique un journaliste.

II) L’incidence de la bonne foi sur la recevabilité de la preuve : good faith exception et principe de loyauté

A) L’exception de « bonne foi » à l’application de l’exclusionary rule

1) Origine et explication de l’exception

Les principes de l’exclusionary rule expliqués plus haut se retrouvent tous synthétisés dans le célèbre arrêt United States v. Leon, 468 U.S. 897 (1984), par lequel la Cour a consacré l’idée suivante : lorsque la police intervient en vertu d’un mandat jugé par la suite invalide (car dépourvu de probable cause, un impératif du 4ème Amendement), la règle d’exclusion des preuves ne trouve pas application dès lors que l’action de la police était fondée sur une « confiance objectivement raisonnable » dans le mandat. Pour qualifier cette exception, la Cour a alors parlé, peut-être un peu confusément reconnaît-elle dans l’arrêt Herring, d’exception de « bonne foi » (« good-faith exception »). Dans l’arrêt Evans précité, la Cour Suprême fit un autre pas en avant en affirmant que l’erreur commise par un personnel judiciaire ne pouvait donner lieu à l’application de la règle d’exclusions des preuves pour trois raisons : 1) cette règle existe avant tout pour empêcher le comportement illicite de la police plutôt que celui du corps judiciaire, 2) les personnels judiciaires sont peu enclins à violer le 4ème Amendement 3) et rien ne permet d’affirmer que l’application de l’exclusionary rule dans de telles situations permettrait de prévenir ce genre d’erreurs. Ceci dit, jusqu’à l’arrêt Hudson précité, l’exception de bonne foi n’avait été appliquée que dans les cas où la violation du 4ème Amendement trouvait son origine dans une erreur commise par un acteur judiciaire ou législatif. L’arrêt Hudson fut donc une première dans le sens où la Cour appliqua l’exception de bonne foi dans une affaire où des policiers avaient violé la knock and anounce rule en entrant trop rapidement dans une maison qu’ils devaient perquisitionner. Justifiant l’exception de bonne foi à travers ses arrêts, la Cour a affirmé qu’elle préférait mettre l’accent sur le degré de culpabilité objective de l’agent de police et le caractère flagrant de la violation qu’il a commise, plutôt que sur des erreurs d’ordre strictement techniques ou liées à une faute exceptionnelle et sans réelle gravité. En droit américain, la bonne foi intervient donc positivement, afin de « sauver » une preuve a priori illégale et, en théorie, condamnée à l’exclusion. L’arrêt Herring vient dans le prolongement de cette idée.

2) L’extension de l’exception par l’arrêt Herring.

a.Rappel des faits et des problèmes juridiques

L’arrêt Herring fut l’occasion pour la Cour de préciser encore l’étendue et les modalités d’application de la règle d’exclusions des preuves. Alors qu’il se rendait à la fourrière pour récupérer un objet dans son camion confisqué, Bennie Dean Herring fut arrêté par un agent de police sur la base d’un mandat d’arrêt dont le bureau du Sheriff lui avait assuré qu’il était toujours en vigueur. Après vérification, il s’avéra que le mandat en question avait en fait été annulé cinq mois auparavant, mais cette information n’apparaissait pas dans la base de données informatique du bureau du Sheriff. Or, Herring avait été arrêté entretemps, en possession d’une arme et de drogues. Après qu’Herring fut débouté en première instance et en appel, la question suivante fut soumise à la Cour Suprême: étant donné que les parties et le juge reconnaissent tous une violation du 4ème Amendement, la règle d’exclusion des preuves trouve-t-elle à s’appliquer dans l’optique de poursuite pénales ultérieures à l’encontre de Herring ?

b.Un nouveau test pour une porte ouverte sur l’inconnu ?

Reprenant l’argumentation développée dans l’arrêt Leon, la majorité confirma le jugement d’appel : si l’avantage lié à l’exclusion d’éléments de preuve obtenus de bonne foi et sur la base d’un mandat par la suite déclaré invalide était quasi nul de sorte qu’il ne pouvait justifier son coût important (arrêt Leon, cf. supra), le même raisonnement devait être appliqué pour des éléments de preuve obtenus de bonne foi sur la base d’un mandat non pas invalidé mais annulé. Ainsi, l’exception de bonne foi se vit précisée, voire étendue dans un certain sens, à l’appui d’un nouveau test : l’erreur commise par l’agent de police était-elle suffisamment et objectivement « coupable » et « délibérée » (sous entendu que la faute seule ne suffit plus) ? Si tel est le cas, alors la preuve obtenue en violation du 4ème Amendement devra être exclue selon la Cour. Ajouté à cela, selon la Cour, qu’aucune preuve n’existant en l’espèce d’un schéma de violations délibérées ou « routinières » de la constitution, et l’incident étant tout à fait ponctuel, exclure les preuves ne servirait pas en l’espèce le but dissuasif de la règle. Le vote serré (5-4) illustre la controverse liée à l’extension de la good-faith exception aux situations impliquant la conduite de la police relative à un mandat. Résumant en fin d’arrêt son point de vue, la majorité répète que le criminel ne doit pas pouvoir courir libre à cause « d’une simple bévue policière» (People v. Defore, 242 N.Y. 13, 1926), avant de confirmer la décision de la Cour d’Appel pour le 11ème Circuit de nier à Herring sa demande d’exclusion des preuves. Comme toute décision définissant un nouveau standard juridique, les conséquences juridiques de l’arrêt Herring, rendu il y a tout juste un an, sont difficiles à prévoir. En plus d’étendre l’exception de bonne foi, cette décision est un signe assez net de la tendance de la Cour à nier à l’exclusionary rule un statut constitutionnel, ce qui aurait pour effet de laisser au Congrès l’autorité pour modifier l’étendue de cette règle (ce qu’il a d’ailleurs déjà fait en 1995 avec l’Exclusionary rule Reform Act). Certains commentateurs de l’arrêt, à l’instar d’Anna C. Henning ,Tom Goldstein (avocat à la Cour Suprême, et célèbre blogger) ou Adam Liptak (avocat et correspondant à la Cour Suprême pour le NY Times), craignent donc que le Congrès y voit un feu vert pour restreindre, et ce de manière tout à fait constitutionnelle, la règle d’exclusion des preuves. D’autres, comme le professeur Orin Kerr, estiment au contraire qu’il ne faut pas y voir une révolution. Une chose est sûre à la lecture de l’arrêt, c’est qu’il ne s’agit pas du dernier mot de la Cour sur le sujet.

B) En droit français, une sanction de la mauvaise foi plutôt qu’une bonne foi salvatrice : le principe de loyauté

1-La position du juge européen : un renvoi au juge interne

La liberté de la preuve ne saurait, dans un Etat de droit, l’emporter sur la légalité de l’administration de cette preuve. La validité de la preuve est fonction de l’atteinte portée aux droits de la partie concernée, et l’important est que cette preuve puisse être discutée contradictoirement. L’article 6 de la CESDH pose deux principes fondamentaux : celui d’égalité des armes et celui du respect du contradictoire. Toutefois, il ne pose pas expressément le principe de légalité ou de loyauté. Cette absence de référence claire et précise vient se heurter au principe de liberté des preuves posé notamment par l’article 427 du CPP, et, plus largement, au besoin d’avoir une procédure pénale équitable et impartiale. Il faut donc se rendre à l’évidence selon laquelle le concept de loyauté est avant toute moral même s’il produit des effets juridiques non négligeables. La CEDH a par exemple condamné la provocation policière à la commission d'une infraction, notamment pour garantir qu’une procédure claire et prévisible d'autorisation encadre l'action policière afin de garantir la bonne foi des autorités et le respect de leur mission de défense de la loi (Arrêt Khudobin c/ Russie, 26 oct. 2006, § 135). Toutefois, si la Cour Européenne des Droits de l’Homme semble avoir consacré le principe de loyauté dans la réunion des preuves judiciaires et policières dans l’arrêt Schenk c/ Suisse, elle précisa à l’occasion de cet arrêt du 6 décembre 1988 que l’admissibilité des modes de preuve dépendait surtout des droits internes et que l’interprétation de l’article 6 se bornait à rechercher si la procédure, considérée « dans son ensemble » (donc y compris mais pas exclusivement le mode de présentation des preuves), revêtait un caractère équitable. Ainsi, se vit tolérée, ou plutôt ne se vit pas exclue in abstracto, l’admissibilité d’une preuve illégale, dès lors qu’elle avait pu être discutée dans le cadre d’un procès légal. Il faut retenir la validité de la preuve illégale si elle n’a pas méconnu les droits de la défense et n’a pas constitué le seul moyen de preuve retenu pour motiver la condamnation : la preuve illégale peut être admise dès lors que le reste de la procédure est légale. Comme en droit américain, la bonne foi est donc susceptible d’avoir une influence sur la recevabilité d’une preuve a priori irrecevable car illégale, par renvoi au droit interne notamment.

2-La position du juge français

La preuve illégale ou déloyale sera en principe frappée de nullité, comme vu plus haut, et illustré par l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2006, qui avait jugé « que porte atteinte au principe de loyauté et au droit à un procès équitable la commission à la provocation d'une infraction par un agent de l'autorité publique ou par son intermédiaire; que la déloyauté de pareil procédé rend irrecevable en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ».Toutefois, le droit français a intégré le principe de l’arrêt Schenk c/ Suisse, comme en témoigne l’arrêt de la Chambre criminelle en date du 22 novembre 2006, qui rappelle qu’il appartient au juge qui constate l’illégalité d’une preuve d’apprécier en fait - et dès lors souverainement - si et dans quelle mesure cette preuve illégale se trouve ou non à l’origine des autres actes d’instruction, de sorte que le droit à un procès équitable est compromis de manière irréparable (le juge peut considérer que ce droit n’est pas compromis en l’absence de lien causal entre l’élément frappé de nullité et les charges révélées par l’instruction). Dans un arrêt du 30 mars 1999, la Chambre Criminelle a également rappelé que « qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de manière illégale », expliquant sa position, discutable, par le principe de liberté de la preuve. Par ailleurs, si une exigence renforcée de loyauté a tendance lier pieds et poings des agents publics, cela est moins vrai pour les particuliers : une partie civile peut, comme l’a souligné la Cour de Cassation dans un arrêt du 26 avril 1987, produire des preuves qu’elle aurait recherché de manière illégale (v. par ailleurs 3 arrêts en date du 11 juin 2002, du 11 février 2003, et du 11 mai 2004, dans lesquels la Haute Cour affirme clairement, au visa de l’art. 6 CESDH, que l’exercice des droits de la défense par un particulier constitue un fait justificatif des infractions qu’il aurait commises pour se procurer ou pour produire la preuve de ses allégations, et que de ce fait aucune condamnation ne pouvait être prononcée contre des parties ayant produit des documents à l’audience afin de se défendre).

A l’instar du juge américain, le juge français a donc dû se charger de définir les standards d’admissibilité de la preuve illégale au cas par cas, afin de forger une sorte de good faith exception à la française : ce n’est pas parce que l’un des fruits de la recherche de la preuve est « pourri » que l’arbre, c'est-à-dire toute la procédure, doit l’être également ! Une partie de la doctrine a beau crier que la fin ne justifie pas les moyens, il n’en demeure pas moins que les cours françaises et américaines estiment faire ainsi primer l’intérêt général : s’il n’est pas coupable, l’accusé doit pouvoir prouver son innocence aux yeux de la justice, même en à l’appui de preuves illégales, et s’il il l’est, le ministère public doit pouvoir, selon les circonstances, faire appel à des preuves malgré leur illégalité. Sur un continent comme sur l’autre, si la justice reste aveugle, elle sait parfois lever son bandeau.

Bibliographie

Droit français

Procédure Pénale, Serge Guinchard et Jacques Buisson, Paris, Litec, 4e édition, 2008 Blog droit du procès et de la preuve judiciaire, « attention, cet appel pourra être enregistré ». De la loyauté de la preuve, par J.B. LHUILLIER. Blog droit du procès et de la preuve judiciaire, « La loyauté de la preuve en droit français et allemand », par Marion Poissonnier-Lescuras « La loyauté de la preuve (à travers quelques arrêts récents de la chambre criminelle. Rapport 2005 »,Pascal Lemoine, conseiller référendaire à la Cour de cassation. « L’admission de la preuve illégale : la Chambre criminelle persiste et signe », Thierry Garé, Recueil Dalloz 2000 p. 391 Loyauté et liberté des preuves , Revue de science criminelle 2007 p. 331 Commentaire de Crim. 31 janvier 2007, n° 06-82.383 ; et Crim. 7 février 2007, n° 06-87.753 par Robert Filniez, Avocat général près de la Cour de cassation

Droit américain

Herring v. United States, 555 U.S. ___ (2009) Creighton Law Review, 2009, “TO EXCLUDE OR NOT TO EXCLUDE: THE FUTURE OF THE EXCLUSIONARY RULE AFTER HERRING V. UNITED STATES”, Matthew Allan Josephson “Herring v. United States: Extension of the good-faith exception to the Exclusionary rule in Fourth Amendment Cases”, Anna C. Henning, Congressional Research Service, February 2 2009.