L’exequatur en France et aux Etats-Unis : l’acte final du contentieux judicaire - Par Emilie ALEXANDRE

Litigation of International Disputes in U.S. Courts de Ved P. Nanda et David K. Pansius, Volume 4 de International Business and Law Serie, collection Thompson West (2002)

Lorsqu’une décision de justice est rendue à l’étranger, en règle générale, les parties se conforment au jugement rendu, quand bien même la partie gagnante demande que l’exécution du jugement se fasse dans un pays étranger à celui où le jugement a été rendu. Mais il se peut également que l’une des parties y soit réticente. Se pose alors le problème des jugements rendus à l’étranger : comment faire pour que la partie qui refuse de se conformer au jugement soit contrainte de le faire ? L’essence même du problème, est qu’il ne suffit pas qu’un jugement soit rendu pour qu’il devienne exécutoire. En effet, lorsqu’un jugement est rendu dans un autre Etat, il faut encore qu’il soit reconnu par le juge français afin qu’il acquiert force exécutoire. La procédure par laquelle une décision de justice rendue à l’étranger acquiert force exécutoire dans un autre pays s’appelle l’exequatur. Elle se définit de la manière suivante : « procédure visant à donner dans un État force exécutoire à un jugement rendu à l'étranger. » Cette procédure a pour objectif la bonne administration de la justice (1). En effet, si cette procédure n’existait pas, un plaideur français qui voudrait se prévaloir d’une décision étrangère en France n’aurait aucun moyen de pression sur la partie adverse. Il faudrait alors qu’il recommence une nouvelle procédure devant la justice française. Dans cet article, nous allons comparer les procédures d’exequatur en France et aux Etats-Unis. Nous allons voir quelles sont les conditions obtenions de celle-ci, comment elles ont été acquises et quel est l’état de la jurisprudence à l’heure actuelle.

I. Conditions requises pour l’exequatur en France et aux Etats-Unis

Lorsqu’un juge français ou américain se penche sur la question de l’exequatur d’une décision étrangère, il doit tout d’abord vérifier qu’il n’existe pas de conventions internationales concernant des règles nationales de procédure de l’Etat d’accueil. Le cas échéant, il se doit d’appliquer ses propres règles nationales. Il n’existe à l’heure actuelle aucune convention internationale compréhensive en la matière, si bien qu’aujourd’hui encore les juges américains et français appliquent les règles propres à leur juridiction.

A. En France

L’attitude du droit français envers les décisions rendues à l’étranger dépend des effets que va produire la décision en France.

1. Décisions de justice reconnues ipso facto

Certaines décisions de justice étrangères sont reconnues ipso facto sans avoir besoin d’être examinées par un juge français. Celui-ci n’a pas besoin d’examiner les conditions dans lesquelles cet arrêt a été rendu. Le jugement est en quelque sorte examiné comme un « fait brut » (2). Ainsi, par exemple, le droit français retient la condamnation étrangère comme cause de déchéance du droit d’exercer une activité commerciale

2. Décisions de justice nécessitant une procédure d’exequatur

Dans d’autres cas, la reconnaissance du jugement étranger n’est pas automatique. Les parties doivent engager une procédure et déposer une demande d’exequatur. Leur reconnaissance ne se fait que lorsque certaines conditions dites de régularité internationales sont réunies. En droit français, la règle de droit commun se trouve à l’article 509 du nouveau code de procédure civile, qui énonce : « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ». La jurisprudence est venue préciser les modalités d’application de cette règle dans l’arrêt Munzer (3), au terme d’une longue évolution jurisprudentielle. Cet arrêt a énoncé cinq, puis quatre conditions à remplir. Premièrement, le tribunal étranger doit avoir compétence pour entendre le litige. Cette condition est satisfaite : « toutes les fois que la règle française de conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français…, si le litige se rattache de manière caractérisé au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux » (4). Afin de vérifier si cette condition est remplie, le juge français doit vérifier la compétence du juge étranger. S’il arrive à la conclusion que celui-ci n’avait pas compétence pour se saisir de l’affaire, il pourra refuser l’exequatur sur ce fondement. C’est dans l’arrêt Simitch (1895) que la jurisprudence à définit les critères de compétence des juges étrangers. Ainsi, il faut que l’affaire présentée aux tribunaux étrangers « se rattache de manière caractérisée » (5) au pays où le jugement est rendu. L’arrêt Simitch a précisé que le jugement rendu en l’espèce ne doit pas être frauduleux et que le juge français ne doit pas avoir compétence en la matière. La deuxième condition concerne l’application de la loi compétente d’après les règles françaises de conflits. Cependant, cette condition n’est plus appliquée de façon aussi stricte depuis l’arrêt Bachir de 1967 (6). Avant 1967, le juge française appliquait la règle française des conflits et vérifiait si le résultat obtenu était le même que celui obtenu par la juridiction étrangère. Depuis 1967, le juge français ne regarde plus si le résultat auquel il aboutit est exactement le même, c’est-à-dire si le juge étranger a appliqué exactement la même loi. Il se concentre plutôt sur l’équivalence des résultats. Ce sont les effets qui doivent être équivalents et non plus telle ou telle loi en particulier. La troisième condition est remplie si la loi compétente a été appliquée d’après les règles françaises de conflit. Quatrièmement, la décision doit être conforme à l’ordre public international. Cependant la jurisprudence ne prend en compte que l’ordre public atténué (7). Enfin la dernière condition tient à l’absence de fraude à la loi.

B. Aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la question de l’exequatur est doublement posée : tout d’abord au niveau national : un état américain doit-il reconnaître un jugement rendu dans un autre état ? Et ensuite au niveau international.

1. Au niveau national

Au niveau national, la réponse apportée par les cours est établie depuis longtemps. Il existe dans la Constitution américaine une provision selon laquelle chaque Etat américain doit reconnaître une décision de justice rendue dans un Etat voisin (8). C’est ce qu’on appelle la « full faith and credit clause ». Tout jugement rendu par l’un des Etats doit être traité par les autres comme si le jugement avait été rendu par un de ses tribunaux propres. Cette provision a été inclue dans la Constitution par les rédacteurs de celle-ci (9) et est actuellement considérée comme un acquis. En France la question ne se pose pas puisque elle n’est pas un Etat fédéral. Bien évidemment, toute décision de justice rendue par un tribunal français est automatiquement reconnue par tous les autres tribunaux français.

2. Au niveau international

a) La coexistence de deux sortes d’exequatur

En ce qui concerne les situations internationales, la situation n’est pas aussi simple. Il faut préciser d’emblée qu’aux Etats-Unis il existe deux sortes d’exequatur : la « enforcement of a foreign judgement » (ou mise en application du jugement étranger) qui constitue ce que nous appelons en France la décision d’exequatur. Dans ce cas-là, la cour oblige les parties perdantes à se conformer au jugement tel qu’il a été rendu à l’étranger et la procédure s’arrête là. En ce qui concerne la « recognition to a foreign judgement » (ou reconnaissance du jugement étranger), il s’agit d’une situation un peu différente dans laquelle les cours américaines ne reconnaissent que partiellement la décision étrangère. Ainsi les parties vont-elles devoir recommencer une procédure judiciaire aux Etats-Unis concernant les points de l’affaire qui n’auront pas été reconnus par la justice américaine. Il n’existe à l’heure actuelle aucune convention internationale qui définirait de manière claire et précise ni l’exequatur ni la « reconnaissance » (recognition) de jugements judiciaires, alors même que ce genre de convention existe en matière arbitrale.

b) La doctrine des « comity » : la doctrine de la Cour Suprême très critiquée et rejetée par le cours américaines

Afin de palier à ce problème, la plupart des cours se réfèrent à la doctrine de « comity ». C’est un concept, qui bien qu’assez évasif en pratique, est assez simple à définir : le « comity » est la déférence dont doivent faire preuve les juges envers les décisions rendues par une autre cour. On pourrait traduire ce terme de diverses manières : courtoisie, ou encore reconnaissance mutuelle des décision administratives, législatives et judicaires (10). Cette doctrine a été énoncée par la Cour Suprême dans un arrêt Hilton v. Guyot, à l’occasion de la demande d’exequatur d’un décret français (11). Selon la Cour Suprême, la décision de justice française remplissait les critères tous les critères sauf un. Les principes de respect de la défense avaient été respectés; la cour française était compétente en l’espèce; les règles de procédures régulières avaient été respectées et ceci après la comparution volontaire ou après sommation régulière du défendeur et enfin, selon un système judicaire dont les règles assurent une administration impartiale de la justice. Enfin la décision de justice avait été rendue sans préjudice et sans fraude. Cependant, la Cour Suprême décida de ne pas reconnaître la décision de justice française sur le fondement de la réciprocité. En l’espèce la Cour considéra que les cours françaises n’auraient probablement pas rendu de décision d’exequatur et que par conséquent il n’y avait pas de réciprocité réelle entre les deux pays. Elle refusât donc de rendre exécutoire le décret français.

Il faut noter que cette décision a été extrêmement critiquée par les avocats et les juges américains. La majorité des cours américaines n’ont pas suivi cette décision qu’elles considèrent inappropriée et se réfèrent aux quatre conditions suivantes lorsqu’elles doivent rendre une décision d’exequatur. Premièrement, elles vérifient que la cour étrangère est bien compétence concernant la matière et les parties de l’espèce. Deuxièmement, il faut que le défendeur ait été légalement notifié de la procédure engagée contre lui. Troisièmement, il ne doit pas y avoir eu de fraude ou de « trickery » c’est-à-dire de fourberie ou encore d’acte de mauvaise foi. Enfin, la cour doit se demander si la reconnaissance d’une telle décision violerait l’ordre public américain (12). Le critère de réciprocité qui avait été utilisé par la Cour Suprême dans l’arrêt Hilton est parfois discuté par les cours mais n’apparaît pas comme une élément déterminant. Ainsi, par exemple la Cour Suprême du Texas (13) a énoncé que « qu’il y a peu de justifications judiciaire à imposer la condition de réciprocité » ; en effet cela pénalisait plus qu’autre chose les parties de bonnes foi ayant obtenu un jugement étranger. Les conditions d’obtention d’exequatur sont donc similaires à celles requises en France. La condition concernant la notification du défendeur aux Etats-Unis peut trouver son équivalent en France dans le respect de l’ordre public international qui veillera au respect des droits de la défense. L’autre différence notoire concerne la condition française relative à l’équivalence des solutions qui ne trouve pas son équivalent en droit américain.

II. Etat actuel de la jurisprudence en France et aux Etats-Unis

Actuellement, la tendance aux Etats-Unis est à la reconnaissance des jugements étrangers. 13 Etats ont même promulgué « the Uniform Foreign Money-Judgement Recognition Act » (Loi uniforme sur la reconnaissance des décisions de justice étrangères) qui tend à faire reconnaître les jugements étrangers aux Etats-Unis. Ce texte de loi reprend les conditions énoncées pas les cours ci-dessus (à l’exclusion de celle sur la réciprocité) et en rajoute une supplémentaire : que la cour étrangère constitue un forum adéquat pour juger de l’affaire (14).

En France également il y a un mouvement vers une plus grande reconnaissance des jugements étrangers. En effet, la Communauté Européenne a récemment signé la Convention de Bruxelles qui tente de développer le concept de la full faith ad credit clause parmi les pays membres.

Sources : 1. Droit du commerce international, deuxième édition, Litec de Jean Marc Mousseron, Jacques Raynard et Jean-Luc Pierre, 2000 2. Droit du commerce international, deuxième édition, Litec de Jea Marc Mousseron, Jacques Raynard et Jean-Luc Pierre, 2000 3. Cour de cass, Civ 1ère, 7 janvier 1964 - JCP 1964 II 13590 4. Cour de cass, Civ 1ère, 6 fev 85, rev crit DIP 1964, 344 in Droit du commerce international, deuxième édition, Litec de Jea Marc Mousseron, Jacques Raynard et Jean-Luc Pierre, 2000 5. Cour de cass, Civ. 1ère, 6 fev. 1985, D. 1985, p. 469 6. 1ere civile 4 oct 67 ; rev Crit DIP 68, 95, in Droit du commerce international, deuxième édition, Litec de Jea Marc Mousseron, Jacques Raynard et Jean-Luc Pierre, 2000 7. Décidé depuis l’arrêt Bachir 8. International Commercial Agreements, Kluwer, de William F. Fox, Jr, 1988 9. Les pères de la Constitutions sont appelés les « founding farmers » 10. Dictionnaire de l’anglais économique et juridique, de Anne Deysine, Livre de Poche, 1996 11. 159 us 113 (1895) 12. Sur ce sujet, voir von Mehren, Recognition and Enforcement of Foreign Jurisdiction, 167 Recueil des Cours 13 (1980) in International Commercial Agreements, Kluwer, de William F. Fox, Jr, 1988 13. Hunt v. BP Exploration Co. (Lybia), 492 F. Supp. 885 (N.D. Tex. 1980) in International Commercial Agreements, Kluwer, de William F. Fox, Jr, 1988 14. 13 Uniform laws annot. 417