L’OBTENTION DES PREUVES À L’ÉTRANGER : UNE ÉTUDE COMPARÉE ANALOGUE PAR LA DOCTRINE FRANÇAISE ET ITALIENNE, par Sybille VÉRITÉ
La coopération judiciaire en matière d’obtention des preuves à l’étranger a connu deux importantes étapes : la Convention de La Haye de 1970 et le règlement européen n°1206/2001. Les doctrines française et italienne ont réservé un accueil étroitement semblable à ce dernier.
La coopération judiciaire en matière d’obtention des preuves à l’étranger a connu deux importantes étapes : la Convention de La Haye du 18 mars 1970 et le Règlement européen n°1206/2001 du 28 mai 2001. Alors que la coopération judiciaire internationale mise en place par la première avait su susciter l’intérêt de la doctrine, la coopération judiciaire européenne mise en place par le second est presque passée inaperçue dans la vague de règlements adoptés par l’Union européenne en matière de coopération judiciaire en matière civile et commerciale au début des années 2000. Cette quasi-absence de réaction est observable tant en France qu’en Italie. Cependant, dans chacun de ces pays une voix semble s’être élevée (Chiara BESSO, « L’assunzione all’estero delle prove: dalla convenzione dell’Aja del 1970 al regolamento europeo del 2001 », in Studi in onore di Tarzia, vol. I, Milano: Giuffré, 2005, 263-281 et Daniel LEBEAU et Marie-Laure NIBOYET, « Regards croisés du processualiste et de l’internationaliste sur le règlement CE du 28 mai 2001 relatif à l’obtention des preuves civiles à l’étranger », in Gazette du Palais, 20 février 2003 n° 51, P. 6). Il est possible de ne parler que d’une voix car les deux articles proposent une analyse similaire. En effet, tous les deux effectuent une opposition entre les pays de Common Law et de Civil Law avant de comparer la convention et le règlement ainsi que leurs implications. Ainsi nous nous interrogerons dans un premier temps sur l’existence d’une opposition ferme entre les pays de Common Law et de Civil Law (I) puis nous nous demanderons dans un second temps dans quelle mesure le règlement est dans la lignée de la convention (II).
I. UNE OPPOSITION FERME ENTRE LES PAYS DE COMMON LAW ET DE CIVIL LAW ?
L’étude de la convention et du règlement donne l’occasion à la doctrine française et italienne de rappeler de manière indirecte que les deux pays sont de la même tradition juridique en évoquant la distinction traditionnelle entre la Common Law et la Civil Law (A), mais l’étude particulière de l’article 23 de la convention met en exergue la prise de distance du droit nord-américain par rapport au droit anglais et par conséquent la formation d’une nouvelle opposition entre droit américain et droit européen (B).
A – Une opposition traditionnelle
L’opposition entre Common Law et Civil Law est particulièrement intéressante dans l’étude de la Convention de La Haye à laquelle sont parties la pluparts des Etats-membres de l’Union européenne mais aussi notamment les Etats-Unis. La France et l’Italie étant des pays de Civil Law et ayant des droits processuels très proches, il apparaît donc normal qu’elles partagent une même vision des éventuelles difficultés qu’elles pourraient rencontrer en essayant de mettre en place une coopération judiciaire avec des pays de tradition différente. Chiara BESSO propose au début de son article une intéressante analyse comparée des moyens de preuves en effectuant une opposition entre les pays de Common Law et de Civil Law. Par exemple, elle met en avant le fait que l’expert auquel peut faire recours le juge a la qualité de témoin dans les pays de Common Law et d’auxiliaire du juge dans ceux de Civil Law ; le procès est constitué par une audience unique dans les premiers mettant en exergue le rôle des parties au procès alors qu’il est qualifié de procès « à épisodes » dans les seconds en raison de la succession de plusieurs audiences (influence du droit romain, rôle prééminent du juge). Les principes ALI / Unidroit proposent quant à eux un procès en trois phases : une phase introductive, une phase intermédiaire et une phase finale (P9). Les commentaires P9-C et P9-D vont dans le sens d’un rapprochement entre les deux grandes traditions juridiques : existence d’audiences préliminaires, apparition d’une audience finale concentrée dans les pays de Civil Law et de summary judgement dans les pays de Common Law permettant de régler des questions purement factuelles ou juridiques. L’article français rejoint Chiara BESSO en évoquant la procédure de Discovery propre à la Common Law et qui correspond à la phase pendant laquelle les parties à un procès recueillent les preuves qui leur sont nécessaires. Il n’est pas surprenant que les deux articles se penchent sur cet aspect particulier de la procédure anglo-saxonne car elle a été l’objet de l’article 23 de la Convention de La Haye qui prévoit la possibilité de refuser une commission rogatoire dans cette hypothèse. Il convient alors cependant d’effectuer une différenciation entre les Etats-Unis et l’Angleterre.
B – Vers une opposition Etats-Unis – Europe
Bien que le droit nord-américain provienne à l’origine du droit anglais, certaines distinctions peuvent cependant être opérées. Le cas de la discovery évoquée tant par la doctrine italienne que française en est une illustration. Droits anglais et américains prévoient la possibilité de recueillir des preuves pour les parties au procès avant le début de celui-ci. Cependant, le droit nord-américain va plus loin en prévoyant la possibilité pour les parties de demander à son adversaire de lui fournir tous les documents qui lui semblent nécessaires sans qu’il n’y ait vraiment de limite. C’est dans cette hypothèse particulière que l’article 23 de la convention prévoit la possibilité de refuser une commission rogatoire. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 septembre 2003 s’est prononcé sur l’interprétation qu’il faut donner à cet article de la convention et rejoint sur ce point l’analyse de Chiara BESSO opposant les Etats-Unis à l’Europe. En effet, la Cour d’appel rappelle les déclarations effectuées par le gouvernement français le 30 juillet 1974 et du 24 décembre 1989 : par application de l’article 23 les commissions rogatoires ayant pour objet l’exécution de pre-trial discovery of documents ne sont pas appliquées sauf quand les documents sont limitativement énumérés et ont un lien direct et précis avec le litige. Il s’agit donc ici de demander à la partie adverse de ne fournir que les pièces strictement liées au procès. Sur la nécessité d’une liste limitative de documents, l’arrêt de la Cour d’appel semble rejoindre l’arrêt américain Aérospatiale (Société Nationale Industrielle Aérospatiale versus United States, District Court for the Southern District of Iowa, in 1987 LEXIS 2615), évoqué par Chiara BESSO dans son article afin de préciser la portée de l’article 23, selon lequel la convention de La Haye constitue un instrument pour faciliter l’obtention de la preuve voulue par le juge américain après que celui-ci a comparé les intérêts des parties et les intérêts de l’Etat étranger impliqué. Il s’agit ici de ne pas imposer une charge excessivement lourde à l’Etat devant fournir la preuve objet de la commission rogatoire. Sur ce point, la procédure anglaise semble rejoindre celle européenne (Civil Law) et s’opposer au droit nord-américain.
Ce rapprochement entre le droit anglais et le droit européen peut-il expliquer la raison d’être du règlement n° 1206/2001 qui se veut à la fois dans la lignée de la convention de La Haye et créateur d’une coopération judiciaire plus étroite entre les Etats membres de l’Union européenne ?
II. UN RÈGLEMENT DANS LA LIGNÉE DE LA CONVENTION DE LA HAYE ?
Après avoir proposé une rapide étude de droit comparé, les deux articles proposent d’étudier le règlement européen en le mettant en perspective avec la convention de La Haye. Chaque article affirme que le règlement est fortement inspiré par la convention (A) mais aussi qu’il propose une collaboration plus étroite entre les Etats membres (B).
A – Un règlement fortement inspiré par la Convention internationale
Dans un premier temps, la doctrine française et italienne a mis en exergue le fait que le règlement européen n°1206/2001 semble très fortement inspiré par la convention de La Haye. Cela peut tout d’abord s’observer par le fait que les textes connaissent le même champ d’application matériel à savoir la matière civile et commerciale. Dans les deux articles, les auteurs mettent en exergue le manque de plus amples précision quand à ce champ d’application matériel dans le règlement alors qu’ils ne semblent pas le regretter pour la convention. Cela peut s’expliquer par le fait que les autres règlements adoptés au sein de l’Union européenne au début des années 2000 et relatif à la coopération judiciaire entre Etats membres précisent plus amplement ce qu’ils entendent par matière civile et commerciale en formulant quelques exclusions telles que les matières administratives et fiscales par exemple. Les deux articles soulignent également le fait que tant la Convention de La Haye que le règlement européen prévoient en principe l’application de la lex loci afin d’obtenir la preuve souhaitée. Le règlement prévoit la possibilité pour la juridiction requérante de demander que la mesure d’instruction soit effectuée selon « une forme spéciale prévue par le droit dont elle relève » mais précise au sein du même article (10-3) que la juridiction requise peut toujours refuser si la forme demandée « n’est pas compatible avec le droit de l’Etat membre dont elle relève ou en raison de difficultés pratiques majeures ». Cette précision n’est pas sans rappeler l’exception de l’article 23 de la convention abordé dans la première partie.
Enfin, auteurs italien et français s’accordent pour rappeler que l’obtention d’une preuve à l’étranger nécessite une coopération judiciaire entre les Etats car si le juge d’un Etat A tentait d’obtenir lui-même une preuve dans un Etat B en l’absence d’une telle convention cela constituerait une violation du principe de territorialité de la juridiction mais aussi, comme le rappelle une décision de la Cour cassation italienne du 31 juillet 1939, une violation de la souveraineté de l’Etat B l’exercice de la juridiction constituant l’un des attributs de la souveraineté nationale.
B – Une coopération plus étroite
Cependant, l’on peut considérer que le règlement européen permet une coopération judiciaire plus étroite. Comme le précise Chiara BESSO, l’objectif affirmé de la convention de La Haye était celui de construire des ponts entre les traditions juridiques des Etats parties à la convention tandis que celui du règlement est celui d’améliorer l’efficacité des procès civils en simplifiant et en rendant plus rapide la coopération en matière d’obtention des preuves à l’étranger. La Convention de La Haye prévoit deux modes d’obtention des preuves à l’étranger : la commission rogatoire et l’obtention directe de la preuve par un diplomate ou consul de l’Etat requérant. Le mécanisme de la commission rogatoire consiste en une demande effectué par le juge d’un Etat A (requérant) à l’organisme central de l’Etat B qui transmet la demande à un juge de son Etat qui se chargera de recueillir la preuve. Le règlement européen prévoit également ce mode d’obtention de preuve à l’étranger mais marginalise considérablement le recours à l’organisme central en permettant une interaction directe entre le juge de l’Etat A et celui de l’Etat B dans la plupart des hypothèses. La coopération diplomatique pour obtenir une preuve à l’étranger est prévue par la convention sous la condition de l’obtention de l’autorisation de l’organisme central. Cette possibilité n’est pas reprise par le règlement. L’article de Daniel LEBEAU et Marie-Laure NIBOYET relève une difficulté que l’article italien n’aborde même pas à savoir l’articulation entre le règlement et la convention. L’article 21 du règlement prévoit en effet que le règlement « prévaut » sur les conventions conclues antérieurement par les Etats membres et cela inclut bien évidemment la convention de La Haye. Cela peut faire craindre la disparition du possible recours à la voie diplomatique et consulaire pour les Etats membres de l’Union européenne. Cette solution ne constituerait pas un progrès car la voie diplomatique et consulaire est considéré par certains auteurs comme plus rapide, moins coûteuse et donnant satisfaction (BATIFFOL et LAGARDE, Droit international privé, 7ème édition, Sirey, 1981). Cependant, d’une part, on peut remettre en question cette affirmation en raison du fait que le recours à la voie diplomatique n’exclut pas le recours au juge. D’autre part, on peut imaginer que si le système judiciaire est engorgé, dans certaines situations particulières, le recours à la voie diplomatique pourra éventuellement gagner du temps en raison du fait qu’elle fait appel à d’autres agents ayant des préoccupations différentes. Néanmoins, il faut tout de même noter le choix du verbe prévaloir indique que l’on doit exclure l’application d’une convention antérieurement si et seulement si celle-ci entre en conflit avec le règlement, ce qui n’est pas le cas de la voie consulaire qui ne fait qu’offrir un mode alternatif d’obtention de preuve. En plus de la commission rogatoire, le règlement européen prévoit également la possibilité pour le juge de l’Etat A d’obtenir lui-même ou par toute personne rendue compétente par la loi de l’Etat A une preuve à l’étranger sous la condition d’avoir obtenu l’autorisation préalable de l’organisme central. De plus, l’obtention d’une telle preuve se fait sur la base du volontariat, ce qui signifie que le juge de l’Etat A ne pourra pas recourir à la force pour obtenir la preuve dans l’Etat B.
Le fait que peu d’auteurs français et italiens aient choisi de commenter le règlement n°1206/2001 peut signifier plusieurs choses : 1/ on ne dispose pas encore du recul nécessaire pour effectuer une véritable critique de celui-ci aucune décision n’ayant encore été rendue à son propos (le règlement n’étant entré en vigueur que le 1er juillet 2001) ; 2/ les auteurs n’ont pas vraiment estimé nécessaire de commenter le règlement en raison de l’absence d’incompatibilité avec leur droit national ce qui signifierait que le règlement est parfait. Cette hypothèse ne peut ni être confirmée ni être infirmée en raison de l’absence de recours connu sur le fondement du règlement. Le fait que les auteurs français et italiens qui ont choisi de le commenter aient une approche très similaire dans l’étude de celui-ci signifie quant à lui que le règlement ne soulève pas de problème majeur avec les ordres juridiques français et italien et que les deux pays connaissent une tradition juridique tellement proche que des auteurs ne se référant à rien d’autre d’identique que les textes du règlement et de la convention en étude aboutissent finalement à effectuer des remarques très semblables à leurs propos.
BIBLIOGRAPHIE :
1. Articles :
- AMERICAN LAW INSTITUTE et UNIDROIT, Principes ALI/UNIDROIT de procédure civile transnationale, principes adoptés en 2004 par le Conseil de direction d’UNIDROIT sur la base des travaux du Comité d’étude conjoint de l’American Law Institute et d’Unidroit ;
- Chiara BESSO, « L’assunzione all’estero delle prove: dalla convenzione dell’Aja del 1970 al regolamento europeo del 2001 », in Studi in onore di Tarzia, vol. I, Milano: Giuffré, 2005, 263-281 ;
- Daniel LEBEAU et Marie-Laure NIBOYET, « Regards croisés du processualiste et de l’internationaliste sur le règlement CE du 28 mai 2001 relatif à l’obtention des preuves civiles à l’étranger », in Gazette du Palais, 20 février 2003 n° 51, P. 6.
2. Manuel :
BATIFFOL et LAGARDE, Droit international privé, 7ème édition, Sirey, 1981.
3. Textes officiels :
- Convention sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale du 18 mars 1970, JO du 17 avril 1975, page 3980 ;
- Règlement CE n° 1206-2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale, JOCE L 174, du 27 juin 2001, p. 1.