La coopération des Etats dans la recherche de la vérité sur l’attentat terroriste contre Rafic Hariri : entre tradition et innovation - par Anne-Sophie Leclerc

La mise en oeuvre des obligations de coopération du Liban et des autres Etats avec l’UNIIIC (mission d’enquête) et avec le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) oscille entre mesures sécuritaires et conventionnelles. La répression (sécuritaire puis conventionnelle) des violations du droit international humanitaire d’une part, d’autre part les tentatives de répression (conventionnelle et sécuritaire) des actes de terrorisme, sont de nature similaires mais connaissent des évolutions différentes. Ceci reflète une évolution des mécanismes de coopération judiciaire en matière de répression pénale internationale.

Les violations du droit international humanitaire issues des conflits armés en Ex-Yougoslavie et au Rwanda entrainent le Conseil de Sécurité sur la voie sécuritaire. Il utilise en effet les instruments à sa disposition (ses pouvoirs contraignants) pour organiser une « justice imposée » (Aïd Azar). Sans justice, la sécurité internationale n’est pas assurée. Autrement dit, en vertu du maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil utilise le Chapitre VII de la Charte pour créer les TPI ad hoc pour l’Ex-Yougoslavie (S/Res/808 (1993)) et le Rwanda (S/Res/955 (1995)). Ceci permet au Conseil d’imposer des obligations de coopération à l’ensemble des Etats ayant ratifié la Charte. Cette approche sécuritaire est traditionnelle, les Tribunaux de Nuremberg, de Tokyo et les TPI ad hoc constituent la première génération. Les violations du droit international humanitaire au Sierra-Léone et au Cambodge entrainent le Conseil sur une nouvelle voie : l’approche judiciaire et conventionnelle. En effet, la poursuite et la répression des auteurs des violations est effectuée non pas par le Conseil, mais avec l’aide du Conseil, qui pallie aux situations de pénurie matérielle et de carences de la justice locale. Il signe des Accords avec le Sierra-Léone (16.01.2002) et le Cambodge (17.03.2003), créant ainsi une « justice concertée ». L’instauration de ces tribunaux internationalisés, hybrides, ne contient aucun fondement contraignant, ce qui est d’ailleurs problématique concernant la coopération des Etats tiers aux Accords (entre autres l’extradition de Charles Taylor, président du Libéria en exil au Niger). Ces tribunaux constituent la troisième génération. La répression des violations du droit international humanitaire tend donc vers la coopération judiciaire internationale. Et la création de la Cour Pénale Internationale (deuxième génération) et la ratification de son Statut par moultes Etats reflète la volonté de la communauté internationale dans son ensemble de poursuivre les auteurs de telles infractions.

Concernant la répression du terrorisme, le Conseil appelle d’abord à la coopéation entre les Etats : l’approche est conventionnelle, les traités se multiplient. L’affaire de Lockerbie marque ensuite le point de départ du cumul des aspects judiciaire et sécuritaire. Le Conseil fait en effet pression sur la Libye et exige sa coopération (S/Res/731 (1992)) ; en outre, un Accord est signé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la Libye en 1999 pour la création d’un tribunal ad hoc. Dès le 11.09.2001, sous l’impulsion des Etats-Unis, l’aspect sécuritaire en matière de terrorisme devient prédominant : le Conseil qualifie le terrorisme de menace à la paix et à la sécurité internationales (S/Res/1368 (2001)), et le dispositif juridique conventionnel s’institutionnalise par des mesures contraignantes. La répression du terrorisme tend vers une approche plus sécuritaire/institutionnelle que judiciaire/conventionnelle, car elle relève plus volontiers de la volonté du Conseil : le défaut de volonté de coopération est fréquent, et seul le Conseil peut obliger les Etats dans cette voie. La répression du terrorisme relève plus de l’institution onusienne que des accords inter-étatiques.

La création du TSL est l’aboutissement des tentatives échouées de répression d’actes terroristes en 1937 et 1982. Mais il existe au sein de la nouvelle institution une alliance ambigüe entre approches judiciaire et sécuritaire, qui reflète la position du Conseil entre volontarisme et empirisme. En effet, à la suite de l’attentat contre Rafic Hariri le 14.02.2005, le Conseil veut véritablement aider le Liban dans sa lutte contre le terrorisme et l’impunité par des voies juridictionnelles. Et le Liban demande l’assistance du Conseil pour poursuivre les responsables des actes terroristes devant un tribunal. Un Accord est donc signé entre l’ONU et le Liban (accord en annexe de la résolution S/Res/1757 (2007)). Pourtant, faute de ratification de l’Accord par le Parlement libanais pour cause de crise politique interne, le Conseil résoud l’obstacle de manière empirique en créant finalement le TSL par la résolution 1757 prise en vertu du Chapitre VII sur la base d’une menace à la paix et à la sécurité internationale.

Un problème majeur qui se pose pour le TSL est la coopération des Etats, indispensable à la réunion de preuves. Les tribunaux de la première génération créés par le Chapitre VII n’ont pas souffert de cet obstacle, mais les tribunaux hybrides créés par Accord ont dû instaurer des mécanismes pour amener les Etats tiers à coopérer. L’United Nations Independant International Investigation Commission (UNIIIC), organisation sui generis chargée d’enquêter sur l’attentat de Rafic Hariri, a précédé la création du TSL et a rencontré des problèmes similaires à ce sujet. La « coopération verticale » (Rapport du TSL ; 2009-2010) du Liban avec les deux institutions est nécessaire, mais pas suffisante pour mener à bien l’enquête. La « coopération horizontale » des Etats est un facteur non-négligeable dans la découverte de la vérité. Sans cela, certaines preuves essentielles pour la poursuite de l’enquête, mais détenues à l’étranger, ne peuvent n’être obtenues ni par l’UNIIIC ni par le TSL.

Aux termes de l’Article 14 Règlement de Procédure et de Preuves du Tribunal (RPPTSL), la coopération entre des entités nationales ou internationales et le Procureur du TSL est définie comme tel : « le Procureur peut solliciter, dans le respect des dispositions du Statut, la coopération de tout État, entité ou personne en vue d’obtenir son aide dans le cadre d’enquêtes et de poursuites, pour des questions telles que le déroulement des enquêtes sur les lieux, la communication de documents et d’informations, la convocation et l’interrogatoire de suspects ou de témoins, et l’arrestation et le transfèrement de suspects ou d’accusés ».

Mais avant même l’arrestation des accusés, le Procureur a besoin de présomptions suffisantes de culpabilité pour instruire le dossier et se prononcer sur l’opportunité des poursuites. L’information et l’instruction de l’affaire lui permettent d’exposer les faits et de les qualifier juridiquement. Les preuves réunies par l’UNIIIC ont dû faciliter la tâche du Procureur. Mais seuls des présomptions et éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement qu’un suspect a commis une infraction relevant de la compétence du TSL ont rendu possible la présentation d’un acte d’accusation le 18.01.2011 par le Procureur au Juge de la mise en l'état. S’il contient des charges pouvant être prouvées au-delà de tout doute raisonnable, le passage de la phase d’enquête à la phase des poursuites se fera sans difficulté.

Le standard de preuve en matière pénale est celui de la preuve en dehors de tout doute raisonnable. En vertu du principe de présomption d'innocence, la charge de la preuve de la culpabilité revient au Procureur: la personne suspectée est présumée innocente, et il revient au Procureur lors du procès de transformer les soupçons en certitude en apportant les preuves de la culpabilité. La force probante d'une preuve doit être élevée pour emporter l'intime conviction du juge, et équivaloir à une certitude morale. C'est pourquoi la confirmation de l'acte d'accusation ne marque pas la fin de l'enquête, et il revient au Bureau de la Défense d'apporter des preuves contraires.

Quels sont les innovations et les instruments issus des expériences précédentes dont s’inspirent l’UNIIIC et le TSL pour obtenir la coopération du Liban et des Etats tiers ? La coopération est inévitable pour que la répression du terrorisme soit efficace. C’est pourquoi l’UNIIIC innove avec l’aide du Conseil pour contourner les faiblesses en matière de coopération rencontrées dans les missions passées (A), et le TSL rénove et étoffe les mécanismes de coopération issus des expériences précédentes de justice pénale internationale (B).

I. Des mécanismes de coopération innovants et sans précédant au sein de l’UNIIIC, institution sui generis.

A. Des mécanismes de coopération lacunaires au sein des premières missions d’enquêtes déstinées à établir la responsabilité pénale des individus.

1. Absence de base juridique contraignante des missions d’enquête en Ex-Yougoslavie et au Rwanda.

L’établissement de missions d’enquête afin d’établir la responsabilité pénale des individus, avec pour finalité la condamnation des personnes jugées responsables, est une pratique récente, même si deux précédents existent avant la création de l’ONU. Deux commissions créées en 1919 et en 1943 ont enquêté sur les violations des lois et coutumes de la guerre, en particulier les violations de la Convention de La Haye de 1907.

Après la création de l’ONU, la Commission d’experts pour l’ex-Yougoslavie créée en 1992 (S/Res/780 (1992)) enquête sur les « violations graves des Conventions de Genève et autres violations du droit humanitaire international dont on aurait la preuve qu’elles ont été commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie ». Opérationnelle pendant 2 ans, composée de 5 experts (entre autres, en crimes de guerre : M.Cherif Bassiouni d’Egypte ;dans le domaine militaire : M.William J. Fenrick du Canada ;en droit pénal : Mme.Christine Cleiren des Pays-Bas) et 3 juristes, elle regroupe informations et éléments de preuve, et conduit sur place ses propres enquêtes. Dès son 1er rapport (sur 3), elle recommande la création d’un tribunal international.

La Commission d’experts pour le Rwanda créée en 1994 (S/Res/935 (1992)) examine les éléments de preuve résultant des « violations du droit humanitaire international, y compris d’éventuels actes de génocide ». Opérationnelle pendant 1 an, composée de 3 membres, elle innove en qualifiant juridiquement les faits par rapport aux éléments de preuve recueillis. Elle recommande une extension de la compétence du TPIY aux crimes commis au Rwanda, mais le Conseil procède à la création d’un 2ème tribunal ad hoc (S/Res/955 (1994)).

2. Limites issues du défaut de base juridique contraignante : absence d’obligation de coopérer.

Les résolutions 780 et 935 n’étant pas adoptées en vertu de l’article 34 de la Charte ou du Chapitre VII de la Charte, les compétences de ces deux Commissions d’experts sont restreintes : les Etats n’ont pas d’obligation de leur fournir des informations. Elles ne peuvent pas se rendre sur les territoires sans le consentement de l’Etat concerné. Elles sont indépendantes des autorités judiciaires nationales mais ne disposent pas de pouvoir d’instruction : elles n’ont pas accès à tous les lieux, elles ne peuvent contraindre les Etats à les laisser interroger leurs ressortissants, ni demander aux autorités de lancer un mandat d’arrêt contre des suspects et de les mettre à la disposition de la Commission. Aucun mécanisme de transition entre les travaux des Commissions et les travaux des tribunaux ad hoc n’a été instauré. Les éléments de preuves récoltés par les experts étaient pourtant recherchés de manière à pouvoir engager des poursuites. Les experts ont en outre adapté leurs méthodes d’enquête aux normes internationales de procédure et de preuve. Les documents réunis furent transmis aux Procureurs, libre de les utiliser ou non.

L’importance des Commissions est toute relative : elles n’avaient pas pour finalité de réunir suffisamment de preuves permettant aux Procureurs d’engager des poursuites. Elles ont seulement permis à la communauté internationale de prendre le temps de s’organiser et ont légitimé la création de tribunaux ad hoc.

B. Les Commissions instaurées en vertu du Chapitre VII de la Charte : des mesures obligatoires susceptibles de garantir le maintien de la paix et de la sécurité internationale.

1. La Commission d’enquête internationale pour le Darfour créée en 2004 en vertu du Chapitre VII (S/Res/1564 (2004)) et investie de pouvoirs contraignants vis-à-vis des Etats et des groupes rebelles (§12), enquête sur les « violations du droit international humanitaire et des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme […] pour identifier les auteurs de ces violations et s’assurer que les responsables aient à répondre de leurs actes ». Le mandat octroyé est quasi-judiciaire. La Commission est composée de 5 experts (dont Antonio Cassese, ancien Président de ladite Commission et actuel Président du TSL) nommés par le Secrétaires Général des NU, et 13 spécialistes (recherche juridique, enquêteurs, experts légistes, experts des questions militaires, des violences sexistes) tous nommés par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme. La Commission se fonde sur ses pouvoirs implicites pour opérer la qualification juridique des faits (S/2005/60, §4). Mais elle ne dispose pas des pouvoirs propres d’un Procureur pour mener une véritable enquête : impossibilité de citer des témoins, de délivrer des mandats de perquisition ou de demander à un juge de délivrer un mandat d’arrêt. La coopération des différentes parties au Darfour demeure nécessaire pour l’enquête. Etant donné que les éléments de preuve recueillis ne sont pas admissibles devant un tribunal, la Commission conclut seulement à la responsabilité du gouvernement soudanais et de ses milices. Elle enquête sur des violations graves des droits de l’homme, et doit donc respecter les standards fondamentaux, comme les garanties en matière de procédure judiciaire et le respect des droits des suspects. Ainsi, les noms des personnes identifiées n’ont pas été divulgués publiquement, la Commission refusant de se substituer à la justice et laissant au Procureur la possibilité de décider d’une enquête plus approfondie. Sur les conseils de la Commission, le Conseil renvoie la situation au Darfour à la Cour Pénale Internationale (CPI) (S/Res/1593 (2005)). Les interactions entre la CPI et la Commission sont là-aussi minimes.

Bien que les informations et preuves réunies par la Commission ne permettent pas en soi au Procureur de la CPI d’engager des poursuites, l’obligation de coopérer adressée aux Etats en vertu du Chapitre VII de la Charte est une évolution significative.

2. Les innovations en matière d’enquête internationale à la suite de l’attentat terroriste contre Rafic Hariri.

Le 18 février 2005, le Secrétaire Général des NU crée la Mission chargée d’enquêter sur les circonstances, les causes et les conséquences de l’attentat du 14 février ayant entrainé la mort de l’ancien Premier Ministre libanais Rafic Hariri, attentat qualifié de « crime terroriste » (S/2005/203) par le Conseil de Sécurité. Composée de 6 personnes, la Mission agit en lieu et place des autorités judiciaires libanaises et conduit une enquête criminelle au nom de la communauté internationale. La Mission estime qu’un large mandat et des moyens plus importants encore sont indispensables pour découvrir la vérité sur les attentats (il faudrait une équipe habilitée à procéder à des interrogatoires, fouilles et perquisitions). Sur ces recommandations, le Conseil crée l’United Nations Independant International Investigation Commission (l’UNIIIC) (S/Res/1595 (2005)). Le Liban accorde son entière coopération à l’UNIIIC (fait nouveau dans l’histoire des enquêtes internationales), qui a pour objectif « d’aider les autorités libanaises à enquêter sur tous les aspects de cet acte de terrorisme, et notamment à en identifier les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices ». Composée de plus de 200 personnes, disposant d’un budget annuel de 30 millions de dollars et opérationnelle pendant 4 ans, l’UNIIIC a accès à tous les éléments de l’enquête, est habilitée à réunir tous les éléments d’information et de preuve, peut interroger toute personne (suspects, victimes et témoins) au Liban, circule librement sur le territoire libanais, a accès à tous lieux et à toutes installations et dispose des infrastructures nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Dirigée par des personnes formées au métier de procureur, le mandat et les pouvoirs de l’UNIIIC sont sans précédent.

- Le caractère obligatoire de la Mission au Liban.

L’article 34 de la Charte permet au Conseil d’enquêter sur toute situation pouvant entrainer un différend entre nations. L’activité d’« établissement des faits » permet en outre d’acquérir une connaissance détaillée des aspects pertinents de tout différend ou situation. La fonction de l’investigation est de déterminer si la paix et la sécurité internationales sont menacées (A/Res/46/59 (1991)). Le fondement juridique de l’investigation menée au Liban (fact-finding mission) n’est pas explicite. Outre l’article 34, le Conseil aurait pu en effet s’appuyer sur l’article 29 de la Charte, et selon certains auteurs sur les articles 39 et 41 du Chapitre VII. En tout état de cause, les missions créées sur la base de l’article 34 sont considérées comme contraignantes envers les Etats-membres (l’article 25 de la Charte prévoit l’obligation pour un Etat d’accepter sur son territoire une mission indispensable au Conseil).

- L’extension du cadre géographique du mandat de l’UNIIIC en vertu du Chapitre VII: l’obligation de coopération adressée aux Etats tiers, mesure sécuritaire.

L’implication d’officiels syriens et libanais dans l’attentat et le manque de coopération de la Syrie sont mentionnés dans les premiers rapports de l’UNIIIC. Ainsi, le Conseil étend les pouvoirs de la Commission sur la base explicite du Chapitre VII (S/Res/1636 (2005)), en exigeant de tous les Etats qu’ils collaborent avec elle. Accusée de ne pas coopérer, cette résolution vise en particulier la Syrie: « la Syrie doit arrêter les responsables syriens ou les personnes que la Commission soupçonne d’être impliquées dans la préparation, le financement, l’organisation ou la commission de cet attentat terroriste, et les mettre pleinement à la disposition de la Commission ». En effet, le Conseil estime que la Syrie se rend coupable de non-respect de ses obligations de coopération contre le terrorisme, obligations générales et abstraites adressées à l’ensemble de la communauté internationale, issues des résolutions S/Res/1373 (2001), 1566 (2004) et 1595 (2005), adoptées en vertu du Chapitre VII dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Le Conseil endosse à la fois les rôles de législateur et de juge en adoptant des « mesures-lois » et des « mesures-sanctions » en vertu du Chapitre VII. C’est ainsi qu’il peut exiger la coopération des Etats. A la suite de la « résolution-sanction » 1636 (2005), l’UNIIIC a pu interroger 5 fonctionnaires syriens dans les locaux de l’ONU à Vienne en décembre 2005, où les règles de procédure judiciaire libanaises s’appliquèrent. Les interrogatoires ont été menés en présence d’un avocat syrien, d’un avocat international et d’un interprète international (S/2005/775, §74). L’obligation de coopération apparait comme fructueuse étant donné que l’UNIIIC peut en outre s’entretenir avec le Ministre syrien des Affaires Etrangères et d’autres membres du gouvernement. La Commission répètera qu’elle peut mener en Syrie les entretiens qu’elle souhaite (S/2006/161, §90). L’UNIIIC dispose donc de pouvoirs contraignants. En matière de lutte contre le terrorisme, c’est une innovation.

Les modalités de transition entre les activités de l’UNIIIC et du TSL (Art. 19 du Statut du TSL) sont plus étoffées que les modalités de transition entre les commissions et tribunaux précédents (le Procureur du TSL M. Daniel Bellemare est l’ancien Chef de l’UNIIIC). Mais les travaux de l’UNIIIC ont cessés dès l’entrée en fonction du Tribunal, mettant ainsi fin aux obligations de coopération instaurées dans le cadre de l’UNIIIC.

 

II. Les mécanismes de coopération au sein du TSL inspirés des expériences précédentes en matière de répression pénale internationale.

A. Les mécanismes de coopération au sein des tribunaux pénaux ad hoc : obligations nées du Chapitre VII.

Les Statuts des TPIY et TPIR énoncent que les « Etats collaborent avec le Tribunal » (§1). Pour l’identification et la recherche de personnes, la production de preuves, l’interrogatoire de témoins dans l’Etat requis, l’arrestation et le transfert aux TPI des personnes contre lesquelles le Procureur a décerné un mandat d’arrêt, tous les Etats membres des NU sont obligés de coopérer. Les TPI n’ont toutefois pas les mêmes pouvoirs que le Conseil de Sécurité, et ne peuvent prendre des mesures coercitives ou des sanctions contre les Etats ou leurs représentants officiels en cas de non-coopération. Les TPI peuvent uniquement adresser aux Etats des ordonnances ou requêtes « contraignantes », mais non sanctionnables... Si un Etat refuse de coopérer sans motif légitime, les TPI peuvent toutefois faire appel au Conseil. Seules les injonctions à l’encontre de personnes privées peuvent impliquer une sanction en cas de non-respect. Après s’être assuré que les droits nationaux  permettent de juger les incriminations prévues dans les Statuts, les TPI ont la faculté de renvoyer vers les juridictions nationales qui en font la demande les accusés qui n’encourent pas la responsabilité la plus lourde.

L’art.2 des Règlements de Procédure et de Preuve des TPI définit l’arrestation comme « l’acte par lequel on place un suspect ou un accusé en garde à vue en exécution d’un mandat d’arrêt ». Les TPI transmettent des mandats d’arrêt aux Etats qui, dans le cadre de leur obligation de coopération avec les TPI, procèdent à l’arrestation. Cependant, les TPI ne sont pas responsables de la légalité des modalités de l’arrestation : une personne arrêtée dont les droits fondamentaux auraient été violés ne peut s’adresser qu’aux instances nationales pour obtenir réparation.

B. Les mécanismes de coopération au sein du TSL : entre mesures conventionnelles et sécuritaires.

Le TSL devait être établi sur la base d’un Accord entre le Liban et l’ONU. Faute de ratification du traité par le Parlement libanais, le Conseil a adopté la résolution 1757 (2007) en vertu du Chapitre VII CNU afin d’instaurer le tribunal. Cette résolution est contraignante envers le Liban seulement (obligation verticale): seul cet Etat est dans l’obligation de coopérer avec le TSL (Art.15 de l’Accord en annexe de la résolution). La résolution ne mentionne aucune obligation juridique horizontale envers les Etats tiers (S/2006/893, §7, §53).

Quant aux résolutions S/Res/1373 (2001), 1566 (2004) et 1595 (2005)) adressant à l’ensemble de la communauté internationale une obligation générale et abstraite de coopération contre le terrorisme, elles sont justement adressées aux Etats vis-à-vis d’autres Etats, et non aux organisations telles qu’un tribunal. Autrement dit, le TSL ne peut se fonder sur ces dernières pour obliger un Etat à coopérer. En outre, la compétence du TSL prime sur celle des juridictions nationales libanaises (Art. 4.1 Statut TSL). Les tribunaux nationaux seront alors automatiquement dessaisis, dès lors que le TSL prendra une affaire en charge. Les obligations générales et abstraites de coopération des résolutions ci-dessus en seront d’autant plus réduites.

Le mode de création du TSL est flou, et oscille entre traité et résolution : il rencontre aussi les problèmes d’un tribunal créé par traité (sur la question de l’entraide judiciaire). L’expérience du Tribunal Spécial pour le Sierra Leone (TSSL) montre la difficulté qu’un tribunal créé par traité peut rencontrer en l’absence de coopération de la part d’autres Etats (le cas de Charles Taylor, S/Res/1688 (2006)). Pour y remédier, il est possible que le TSL signe des accords de coopération avec les Etats intéressés (Art. 13 à 15 du Règlement de procédure et de preuve –RPP- du TSL). Aux termes de l’art. 21 A. RPP, les Etats ayant signé un accord avec le TSL sont tenus de respecter leurs engagements. L’étendue de l’obligation de coopérer et les conséquences du non-respect par les États concernés doivent être négociées au cas par cas. Et en cas de refus de la part d’un Etat de signer un accord de coopération, l’Etat concerné n’est pas tenu de coopérer. Si toutefois l’Etat ne donne pas suite à une requête du TSL, « le Président peut engager des consultations avec les autorités compétentes de cet État en vue d’obtenir la coopération requise » (Art. 21 B. RPP).  En dernier recours, le TSL peut demander au Conseil d’adopter une résolution contraignante pour obliger l’Etat réticent à coopérer (sur le modèle de l’UNIIIC avec la Syrie). Cette hypothèse a eu lieu autrefois dans l’affaire Lockerbie (S/Res/748 (1992) ; 1192 (1998)). Il est en effet possible qu’un Etat tiers refuse d’extrader l’un de ses ressortissants, pour cause d’immunité par exemple. S’il refuse d’extrader le responsable, l’Etat concerné a l’obligation de poursuivre lui-même selon le principe aut dedere aut judicare. Des accords peuvent également être conclus entre le TSL et des organisations internationales (Accord avec le CICR du 12.06.2009 ; Accord avec Interpol du 17.12.2009 permettant au Procureur du TSL de consulter les bases de données). Les autorités libanaises ont fourni leur entière coopération au Bureau du Procureur depuis le début des activités du TSL. Plus de 240 demandes de coopération ont été adressées au Procureur général du Liban entre le 01.03.2009 et le 15.02.2010, et 53 missions ont été effectuées. En outre, le Bureau du Procureur a sollicité la coopération d’autres États : plus de 60 demandes de coopération ont été adressées à quelque 24 pays et 62 missions y ont été dépêchées.

 

Bibliographie

Articles

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Ouvrages

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Accord entre l’Organisation des Nations Unies et la République libanaise sur la création d’un Tribunal spécial pour le Liban en annexe de la Résolution 1757.

Statut du Tribunal Spécial pour le Liban en pièce jointe de la Résolution 1757.

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Questions fréquentes sur l'acte d'accusation, TSL, http://www.stl-tsl.org/x/file/Press/Publications/Indictment_FAQ_FR.pdf

Rapports

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