La force probante des signatures électroniques : Etude comparée du droit français et du droit américain - par Mélinda E. BOISSON

Internet a bouleversé les modes de distribution en suscitant une dématérialisation des échanges. Le législateur a élaboré un cadre juridique du commerce électronique visant la protection des consommateurs. La France et les Etats-Unis ont règlementé la signature électronique afin d’octroyer les mêmes effets juridiques à l’engagement contractuel par voie électronique qu’à celui sur support papier. Notre étude analyse les ajustements du droit de la preuve au regard des nouvelles législations.

La création de l’informatique, et plus précisément de l’Internet a bouleversé les modes de distribution. On assiste, depuis lors, à une dématérialisation des données informatiques. La notion d’écrit s’associe traditionnellement au support papier. Or la signature, nécessaire à la validité d’un acte juridique, n’était pas adaptée à l’ère du numérique. La preuve « littérale » se définit comme « une écriture apposée en signes lisibles sur un support tangible » (P. Catala, « Ecriture électronique et actes juridiques, Dalloz et Litec, 2000, p.95).

La signature électronique se caractérise par un système de chiffrement à bi-clé permettant d’authentifier l’émetteur d’un document. Une bi-clé se compose d’une clé privée et d’une clé publique indispensable à la mise en œuvre d’une prestation de cryptologie basée sur des algorithmes asymétriques. La clé privée sert à des fins de signature. Alors que la clé publique participe aux fins de vérification. Cette signature manifeste l’adhésion du signataire aux obligations découlant de l’acte juridique. Le caractère volatile et immatériel des données informatiques a suscité l’intervention des législateurs qui n’ont de cesse d’améliorer la protection des acteurs économiques.

En France, la force probante de l’écrit se définit indépendamment de son support. La loi du 13 mars 2000 (Loi No.2000-230 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique ; ci-après la « Loi 2000-230 ») pose des conditions majeures à cette recevabilité. Aux Etats-Unis, la loi fédérale du 30 juin 2000 (Electronic signatures in global and national commerce Act, ci-après « E-sign ») régit la matière.

Le droit de la preuve a, nécessairement, dû s’ajuster à la dématérialisation des échanges. Notre étude comparative s’attachera à analyser respectivement les législations française et américaine. Il s’agira d’évaluer la portée de ce nouveau statut, accordé à la signature électronique, par lesdites législations. Et s’interroger plus précisément sur la force probante de celle-ci. La signature électronique apparaît comme un mode alternatif à la signature traditionnelle.

L’adaptation du droit de la preuve à ces nouvelles législations, ne fera pas l’économie de bouleversements profonds en la matière. Elles favorisent le développement du commerce par voie électronique et vise la protection des utilisateurs. Au regard des différentes approches, il s’agira d’analyser les modifications législatives françaises et américaines et d’évaluer les effets sur la force probante de ce nouveau statut accordé à la signature électronique.

Le point de départ de l’impulsion d’une législation internationale. Cette impulsion trouve son origine dans l’adoption, le 16 décembre 1996, de la loi type sur le commerce électronique par l’assemblée générale de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International. Cette loi sert à l’élaboration de règles uniformes encadrant les signatures électroniques. Or celle-ci est sans caractère contraignant. Elle exerce toutefois une forte influence sur les Etats qui la considèrent comme une norme de fait.

La législation française et européenne La directive européenne du 13 décembre 1999 reconnaît la validité de la signature électronique (Article 5). La directive donnera une définition technique de cette dernière : « une donnée sous forme électronique qui est jointe ou liée logiquement à d’autres données électroniques et qui sert de méthode d’authentification » (Article 2). Cette directive marque une avancée significative puisqu’elle introduit la notion de « certificats de signature » et de « prestataire de certification ».

La Loi 2000-230 modifie le droit français de la preuve en son article 1316-4 du Code civil. Cet article reconnaît l’équivalence du support papier et du support numérique dès lors que certaines conditions sont remplies. Le décret du 30 mars 2001 transpose la directive européenne de 1999 sur la signature électronique. Le décret distingue la signature électronique simple de la signature électronique « sécurisée». Cette dernière doit répondre à certains critères pour bénéficier de la présomption de fiabilité.

Quant au décret du 18 avril 2002, il concerne l’évaluation et la certification des produits offerts par les PSCE (« Prestataire de Service de Certification Electronique »). Cette qualification, essentielle, permet la présomption de fiabilité d’une signature électronique (Arrêté du 31 mai 2002). Le comité d’accréditation (COFRAC) et les organismes signataires d’un accord européen sont chargés d’accréditer, pour deux ans, les organismes qui évaluent les prestataires.

Quant à la charge de la preuve, l’article 288-1 du Code de procédure civile dispose que « Lorsque la signature électronique bénéficie d’une présomption de fiabilité, il appartient au juge de dire si les éléments dont il dispose justifient le renversement de cette présomption ».

La législation américaine Le Président Clinton a signé le 30 juin 2000 « E-sign », une loi fédérale en vigueur depuis le 1er octobre 2000. Celle-ci répond au souci d’uniformisation des différentes lois étatiques sur la signature électronique aux Etats-Unis.

Afin de poser un cadre juridique aux transactions électroniques, au niveau étatique, la commission d’uniformisation des droits étatiques américains a adopté UETA (Uniform Electronic Transactions Act). E-Sign reconnaît le champ d’application d’UETA. Le Congrès Américain permet à la loi fédérale (E-Sign) d’être écartée par les lois étatiques (UETA). Trente Etats ont promulgué l’UETA et certains d’entre eux ont émis des amendements significatifs qui peuvent, au bout du compte, mettre à mal l’effort d’harmonisation.

Définition de la signature électronique : authentification et certification. Autant en France qu’aux Etats-Unis, une signature vise l’identification de son auteur et doit apparaître sur le document afin de l’authentifier ou d’établir sa légalité. Juridiquement, une signature manifeste la volonté du signataire de consentir aux obligations contractuelles.

La signature électronique répond aux mêmes fonctions mais prend des formes diverses : sons électroniques, symboles, ou données électroniques jointes ou associées à un contrat ou fichier (E-Sign Section 106(5) : « an electronic sound, symbol, process, attached to or logically associated with a contract or other record and executed or adopted by a person with the intent to sign the the record »).

La fraude relative aux signatures électroniques constitue une préoccupation majeure. Pour lutter contre la fraude, la France et les Etats-Unis utilisent l’authentification et la certification. D’une part, l’authentification sert à renforcer la fiabilité de la signature électronique en imposant des conditions préalables à la validité de la signature électronique. D’autre part, la certification fait appel à une tierce personne qui, après vérification des données, garantie l’authenticité de la signature. Les deux pays continuent d’utiliser les méthodes traditionnelles de vérification : la certification conforme par un officier assermenté ou la confirmation par une tierce personne.

La réglementation de la signature électronique dans le Code Civil français: L’article 1316 ou la fin du règne du papier La loi 2000-230 définit la signature électronique et pose les conditions pour la reconnaissance de l’équivalence du support papier et du support numérique. Ladite loi modifie profondément le droit de la preuve en refondant la notion de preuve écrite.

L’article 1316-1 du Code de Civil (CC) précise l’obligation d’identification du signataire pour l’admission de la validité de l’engagement électronique : « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Ce n’est que si l’imputabilité de l’acte et sa nécessaire intégrité sont satisfaites, que l’écrit électronique aura les mêmes effets qu’une preuve littérale.

Conformément à l’article 1316-3CC, une signature garantit que le signataire a personnellement signé le document et qu’il a associé le contenu du document à celui qui l’a apposé. L’article 1316-3CC attribue à l’écrit électronique la même force probante qu’à l’acte sous seing privé.

L’article 1316-4CC établit qu’une signature manifeste l’intention d’être lié contractuellement. Quant à la fiabilité du procédé de la signature électronique, elle est présumée au moment de la création de la signature à la condition que le processus respecte les éléments fixés par décret. La présomption de fiabilité de l’article 1316-4CC est une présomption simple.

La réglementation de la signature électronique dans la loi américaine. En revanche E-Sign ne pose aucune condition préalable d’identification en ce qui concerne la reconnaissance de la validité et l’effet contraignant de la signature électronique. E-Sign, au regard de son article 101 (a), dispose que la validité et la force obligatoire de la signature, contrat ou fichier électroniques relatives à une opération de commerce interétatique ou international seront reconnues.

E-Sign comprend quatre dispositions relatives à la protection des consommateurs. La première disposition prévoit que si la loi applicable au contrat requiert que l’information devant être échangée avec le consommateur doit être écrite, elle sera uniquement émise par voie électronique si le consommateur y consent. Deuxièmement, le consommateur a un droit de repentir quant à la transmission d’information par voie électronique. Troisièmement, le consommateur doit avoir connaissance de ses droits et de leur mise en œuvre de leur exercice avant d’accepter l’échange d’informations par voie électronique. Quatrièmement, il doit connaître les conditions et les conséquences en cas d’exercice de son droit de repentir (Art.101 d’E-Sign).

En 2005, l’ordonnance n°2005-674 relative à l’accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique, pris en application de l’habilitation donnée au Gouvernement par l’article 26 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), vise la protection du consommateur. Cette ordonnance crée trois nouveaux articles (1369-1 à 1369-3CC) qui précisent les modes de mise à disposition ou de communication des conditions contractuelles ou de toutes informations sur les biens et services. L’article 2 de l’ordonnance modifie l’article 1325CC imposant pour les contrats synallagmatiques la rédaction d’autant d’actes sous seing privé qu’il existe de parties intéressées. Cette obligation sera satisfaite, pour les contrats électroniques, lorsque l’acte est établi conformément aux articles 1316-1 et 1316-4CC.

Divergences majeures entre les législations française et américaine. Afin qu’une signature électronique soit valable, la loi française prévoit la conformité de celle-ci à la procédure d’identification. La législation française semble suggérer une utilisation systématique de la certification. Or E-Sign n’aborde pas ce point. Il n’évoque ce processus d’authentification que dans le cas des limites de l’application préemptive de la loi fédérale sur la loi étatique (Article 102 d’E-Sign). On peut souhaiter une utilisation bénéfique de l’authentification par les Etats américains. Celle-ci viserait le renforcement de la fiabilité du système en créant des conditions additionnelles pour la reconnaissance de la validité d’une signature électronique. Le décret du 30 mars 2001 et la Directive européenne du 13 décembre 1999 pose la certification comme une condition de validité de la signature électronique. Le certificat est une garantie confirmant l’identité du signataire. Le tiers certificateur délivrera ce certificat après avoir examiné certaines données. Le tiers certificateur, dans l’exercice de ses fonctions, est soumis à des obligations (Décret du 30 mars 2001, art.2(7)). Le Cabinet du Premier ministre est chargé de l’évaluation des méthodes de certification et de l’accréditation de ces prestataires de services. Cette évaluation n’a pas encore eu lieu. Toutefois une organisation reconnue par un autre pays membre de l’Union européenne peut se charger de cet examen (Décret, arts. 4 et 5). En France, les tiers certificateurs sont soumis au contrôle du gouvernement. En revanche, E-Sign et l’UETA n’abordent pas ce point. Aux Etats-Unis, les tiers certificateurs sont habituellement des sociétés privées (Digital Signature Trust ou VeriSign). Les divergences des législations française et américaine sont notables. Le silence de la législation américaine, quant à la certification, est analysé comme une autorisation tacite de son utilisation.

La portée du dispositif français. Le droit français s’engage plus largement que la norme européenne car il vise aussi bien les actes authentiques émis sur support électronique que ceux accomplis par des notaires, des officiers de l’état-civil, des magistrats et des huissiers. La LCEN a introduit les articles 1108-1 et 1108-2 du Code civil. L’article 1108-1 énonce que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil ». Il prévoit également que lorsqu’une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige est exigée, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique. Deux exceptions à cette règle sont posées par l’article 1108-2CC, lorsqu’elles portent sur « les actes sous seing privés relatifs au droit de la famille et des successions » et ceux « relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou commerciale, sauf si ils sont passés pour les besoins d’une profession ».

La pleine validité juridique de la signature électronique pour tous les actes sous-seing privé est reconnue. Tout contrat passé entre deux personnes, ne visant pas le droit de la famille, des successions ou des sûretés pourra être conclu sur internet.

La simplicité de mise en œuvre de la signature électronique semble conditionner son succès. Or la procédure fait intervenir de nombreux acteurs (tiers certificateur, tiers archiveur, autorité d’enregistrement, autorité de certification), de nombreux textes législatifs et règlementaires même s’ils sont en pratique indispensables. La signature électronique repose sur la cryptographie à clés asymétriques. Toutefois, au regard des avancées technologiques, une remise en cause de la pérennité du système est probable. Les deux obstacles capitaux à la signature électronique risquent d’être la technicité et la sécurité. La biométrie apparaît un recours opportun. Les PSCE n’auraient qu’à certifier la coïncidence entre les données biométriques et l’identité de la personne. Nonobstant, la preuve de document traditionnelle apporte encore la sécurité garantissant les échanges commerciaux.

BIBLIOGRAPHIE

références en langue française - CATALA (P.), « Ecriture électronique et actes juridiques », Mélanges Cabrillac, Dalloz et Litec, 2000. - ESNAULT (J.), La signature électronique, Mémoire de DESS de droit du Multimédia et de l’Informatique, sous la direction de Monsieur le professeur Huet Jérôme, 2002-2003. - JOLY-PASSANT (E.), « Le décret du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique », Revue Lamy Droit des Affaires, Juillet 2001, n°40, p.21. - LINANT DE BELLEFONDS (X.) et GAUTIER (P.-Y), « De l’écrit électronique et des signatures qui s’y attachent », JCP Ed. E, 3 Août 2000, p.1273, n°7. - PIETTE-COUDOL (T.), La signature électronique, Introduction technique et juridique à la signature électronique à la signature sécurisée. Preuve et écrit électronique, Ed. Droit@Litec, Coll. Découvrir, 1ère édit. - RENARD (I.), Vive la signature électronique, Ed. Delmas Express, éd. Avril 2000. - ABALLEA (T.), La signature électronique en France, Etat des lieux. 2001, p. 2385. - BIBENT (M), La signature électronique. - BLANCHETTE (J.-F), “Modernité et intelligibilité du droit de la preuve français », Communication Commerce électronique, n°3, 2005, Etude 13. - BORDINAT (G.), « Introduction à la notion de la signature électronique » - BRULARD (Y.) et FERNANDEZ (P.), Signature électronique : la réforme aura-elle accouchée d’une « souris » ?, Petites affiches, 25.Oct. 2001, p. 8 et 26 Oct. 2001, p.4. - JOLIBOIS (C.), Droit de la preuve et signature électronique, Rapport au nom de la Commission des lois du Sénat, Bull. Lamy, Fév. 2000 (J), n°122, p.13. - MENAIS (A.) et Des Courtis, « Electronic signatures in France », Juriscom.net, 30 juillet 2002. - PASSAT (E.), La loi du 13 mars 2000, portent adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique: nouvelle donne pour le droit de la preuve, Bull. Lamy, Mai 2000 (D), n°125, p.7 ;

Références en langue anglaise - BRAZELL Lorna, Electronic Signatures Law and Regulation, Sweet & Maxwell, 2004. - CAMPBELL Dennis, E-Commerce and the Law of Digital Signatures, Oceana Publications, 2005. - BIMBAUM-SARCY (L.) and DARQUES (F.), Electronic signature Comparison between French & U.S. Law, International Business Law Journal, April 2001. - MASON Stephen, Electronic Signature in Law, Tottel, second edition, 2007. - MAZZEO Mirella, Digital Signatures and European Laws, 2004. - SCHELLENKENS, M.H, Electronic Signatures Authentication Technology from a Legal perspective, TMC Asser Press, 2004.