La lutte entre les mesures techniques de protection et d’anti-contournement en droit d'auteur et le droit des utilisateurs dans les systèmes américain et européen par Anne McDERMOTT

Le contexte actuel, en matière de législation sur les mesures de protection techniques et d’anti-contournement, laisse place à des divergences dans le système communautaire et le système américain. Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur laisse aux parties contractantes une importante marge de manœuvre pour appliquer la législation sur les mesures de protection technologiques et d’anti-contournement. L’étude expose le défi auquel sont confrontés les Etats-Unis face à la loi sur les droits d’auteur pour le millénaire numérique (« DMCA »). De même, l’étude se penche sur le cas de l’Europe et de la directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l'information (Directive 2001/29/CE). L’étude consiste à montrer ainsi le défi des systèmes nationaux, les Etats-Unis à travers la loi DMCA et la France à travers la transposition de la directive européenne (la loi DADVSI (Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information)) qui doivent lutter contre les systèmes de contournement, tout en conciliant l’usage loyal légitime des utilisateurs.

La numérisation et l'émergence d’Internet ont changé la création, la distribution, l'accès et l'utilisation d'informations. L’environnement numérique et ce nouveau réseau offrent de nombreuses possibilités pour les utilisateurs, qu’ils soient professionnels ou particuliers. Ces technologies ont créé un environnement propice à une diffusion mondiale peu couteuse d'informations, de connaissances et de divertissements. Cependant, cette technologie pose aussi des défis complexes pour la propriété intellectuelle et les droits voisins. Le contexte actuel, en matière de législation sur les mesures de protection techniques et d’anti-contournement, laisse place à des divergences dans le système communautaire et le système américain. Les traités de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (« OMPI ») doivent obligatoirement être intégrés en droit interne par les Parties contractantes (dont font partie la Communauté Européenne et les Etats-Unis). Au cœur des traités de l’OMPI réside l’obligation de fournir une protection légale particulière aux techniques qui protègent et contrôlent l’utilisation du contenu numérique (les mesures de protection techniques et d’anti-contournement). Le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur laisse aux parties contractantes une importante marge de manœuvre pour la définition de la législation sur les mesures de protection technologiques et d’anti-contournement.

Ainsi, la loi américaine sur les droits d’auteur pour le millénaire numérique (« Digital Millenium Copyright Act ») et la directive européenne sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l'information (Directive 2001/29/CE) diffèrent dans la mise en œuvre de ces mesures. La loi américaine et la directive européenne ont des approches différentes en matière de définitions, d’exceptions et de sanctions. Dans chaque cas, les systèmes légaux ont plusieurs options pour intégrer les mesures de protection techniques et d’anti-contournement à leur droit interne. Au final, c’est cependant la directive européenne qui s’inspire de la loi américaine. Les industries de l’informatique et du spectacle ont fait pression à travers leurs lobbies afin que l’Union Européenne adopte une directive stricte laissant une faible marge à la liberté personnelle et à l’usage loyal des dispositions d’anti-contournement. Les régimes nationaux, en adoptant plusieurs exceptions aux mesures de protections techniques et d’anti-contournement, contribuent à un régime plus équilibré. Les utilisateurs conservent ainsi de nombreuses possibilités dans l’utilisation générale des contenus numériques. La jurisprudence américaine, interprétant les dispositions de la loi américaine, a, pour sa part, établi que les moyens de défense vis-à-vis de la violation des droits d’auteurs, tel l’usage loyal, sont distincts du contexte des dispositions d’anti-contournement. Ainsi, il n’y aurait pas de moyen de défense équivalent à l’usage loyal, ce qui a entraîné un certain nombre de critiques contre le système actuel. En effet, si les utilisateurs ne peuvent pas utiliser l’usage loyal comme moyen de défense, il se pourrait que la loi américaine viole l’article I de la Constitution des Etats Unis. De même les Etats Membres de la Communauté Européenne risquent d’adopter des lois nationales contraires aux libertés individuelles. L’étude consiste à montrer le défi des systèmes nationaux, comme les Etats-Unis à travers la loi DMCA et la France à travers la transposition de la directive européenne (la loi DADVSI (Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information)), qui doivent lutter contre les systèmes de contournement, tout en conciliant l’usage loyal légitime des utilisateurs.

I.) Les systèmes américains et européens laissent place à un cadre juridique et législatif peu flexible

1.) Un modèle strict encadrant la protection de données technologiques

En 1996, l’OMPI a tenu une conférence diplomatique à Genève, qui a conduit à l'adoption de deux traités, le traité sur le droit d'auteur et le traité portant sur les interprétations, exécutions et phonogrammes. L’article 11 du traité sur le droit d’auteur stipule que « les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi. » Une des difficultés rencontrées lors de l’implantation du traité sur le droit d’auteur par les parties contractantes vient du fait que le traité ne contient aucune définition du terme « efficace ». C’est ainsi aux parties contractantes de définir cette notion, et de fournir des exemples précis de sanctions juridiques efficaces. Aux Etats-Unis, la loi DMCA, promulguée le 28 Octobre 1998, est le fruit d’un compromis issu des nombreux désaccords qu’ont suscité d’une part l’interprétation des dispositions peu claires du traité sur le droit d’auteur, et d’autre part la marge à laisser aux utilisateurs. La loi DMCA a adressé une série de questions concernant : les droits d'auteurs (y compris le contournement des systèmes de protection des droits d'auteurs), les recours civils et pénaux, et les sanctions à l'égard de la protection des droits d’auteur et des droits voisins. L'article 103 de la loi DMCA prévoit la mise en œuvre d’une obligation de fournir une protection adéquate et efficace contre le contournement de mesures techniques utilisées par les titulaires de droits d'auteur pour protéger leurs œuvres sous forme de trois dispositions. Tout d'abord, la violation des mesures de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres protégées est interdite: « Nul ne peut contourner une mesure technique qui contrôle efficacement l'accès à une œuvre protégée en vertu de ce titre. » La deuxième disposition de la loi interdit d'aider quelqu'un d'autre à contourner la technologie pour accéder à l'œuvre, que ce soit en fournissant les outils ou l'expertise nécessaire. La troisième disposition, bien que très semblable à la deuxième, semble avoir une portée beaucoup plus large. Elle interdit la fabrication, distribution, mise à disposition, et plus largement la commercialisation de dispositifs ou services qui neutralisent une mesure technique protégeant efficacement un droit reconnu au titulaire du droit d’auteur. Le véritable effet de cette disposition est que, bien qu’il soit légal en vertu de la loi DMCA de faire un usage loyal d'une œuvre accessible, il n’y aura aucun dispositif disponible afin d’en faire une copie. La fabrication ou distribution d'un tel dispositif, nécessaire afin de faire un usage loyal d'une œuvre cryptée constituera une violation de la loi. Si un diffuseur permet à une personne de visionner un film en paiement à la demande (pay-per-view), il est probable qu’il lui retirera par contrat (soutenu par une mesure technique) le bénéfice de la copie privée. Ainsi toute utilisation de l’œuvre devient un acte contrôlé par le titulaire des droits d’auteur. Certains auteurs tel que Jeff Sharp stipulent que l'objectif de la loi est de fournir des incitations économiques aux auteurs en protégeant les technologies permettant d’empêcher la copie d’œuvres. La loi « DADVSI », adopté le 30 juin 2006, est issue de la transposition en droit français de la directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (2001/29/CE). Elle prévoit des sanctions pour toute personne diffusant ou facilitant la diffusion d'un logiciel permettant de contourner les mesures techniques de protection. La directive européenne de 2001 fut le fruit d'une longue période de gestation. Un document clé de référence fut le livre vert de 1995 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information qui a conduit à une proposition de directive en 1997. Entre temps les traités de l'OMPI furent adoptés. La directive de 2001 a également été l'objet d'intenses efforts de lobbying par plusieurs groupes d’industries impliqués dans la musique, le cinéma, l'édition, la technologie de l'information et des logiciels, l'électronique et les télécommunications, et de groupes représentant les auteurs, les artistes et les utilisateurs. L’article 6 de la directive de 2001 prévoit, comme la loi DMCA, une sanction des actes consistant en la commercialisation ou la diffusion de mécanismes permettant de contourner les protections techniques. Le bénéficiaire européen d’exceptions se trouve lui aussi sans moyens d’utiliser l’œuvre afin d’exercer son exception. La directive sanctionne le contournement, effectué sciemment, de mesures interdisant les actes non autorisés par le titulaire de droits d’auteur. La directive consacre ainsi un droit de contrôler l’utilisation que fait le public d’une œuvre. Le contournement d’une mesure technique inefficace ou le contournement involontaire ne seront pas réprimés contrairement à la loi DMCA. La loi DMCA et la directive européenne divergent aussi dans la marge laissée aux utilisateurs.

2.) Une certaine marge toutefois laissée aux utilisateurs

Le traité sur le droit d’auteur de l'OMPI ne fait pas obstacle à ce que les parties contractantes créent des exceptions. Toutefois, les parties contractantes ont pris des approches qui sont significativement différents à plusieurs égards. On peut distinguer les exceptions qui suivent le modèle des États-Unis des exceptions qui suivent le modèle de l'Union Européenne. La loi DMCA, a défini un certain nombre d'exceptions suite à la mise en cause pour actes de contournement ou actes préparatoires. Ces exceptions sont essentiellement un moyen de défense à une interdiction de contournement. Cependant, la loi ne prévoit aucune obligation aux titulaires de droits de fournir aux bénéficiaires les moyens de tirer parti des exceptions. Des exceptions générales ou spécifiques ont été élaborées à l’égard de l'interdiction des actes contre les mesures de protection techniques. L’Article 6.4 de la directive européenne, en revanche, introduit un mécanisme législatif qui prévoit une ultime responsabilité sur les titulaires de droits d’auteurs et droits voisins à tenir compte de certaines exceptions au droit d'auteur ou droits voisins. La directive invite les titulaires de droits à prendre des mesures volontaires, y compris signer des accords entre eux et les parties concernées, afin de veiller à ce que le bénéficiaire d'une exception puisse réellement en bénéficier. En l'absence de mesures volontaires ou d'accords dans un délai raisonnable, les États membres sont tenus de prendre les mesures appropriées pour s’assurer que les titulaires de droits facilitent l’accès à l’œuvre aux bénéficiaires d'une exception prévue dans la législation nationale. La directive européenne laisse aux Etats la possibilité de prendre des mesures immédiates afin de s’assurer que les bénéficiaires des exceptions au droit d'auteur peuvent en effet en bénéficier en dépit de mesures de protection techniques et d'absence de mesures volontaires de la part des titulaires de droits. Les États membres, en raison de l'incertitude concernant les futurs développements technologiques et pratiques dans le domaine des mesures de protection, peuvent aussi poursuivre une stratégie dite « attendre-et-voir » et n’intervenir que plus tard si une intervention de la part des législateurs est devenue nécessaire. La directive européenne a, quant à elle, aussi élaboré des exceptions plus ciblées que les Etats Membres doivent respecter. Cependant la marge laissée aux utilisateurs est très étroite et les Etats ne se sont pas encore mis d’accord sur un droit général à la copie privée.

II. Un bras de fer constant entre le droit des utilisateurs et les titulaires de droit d’auteurs et droits voisins

1.) Un délaissement des utilisateurs malgré l’élaboration d’exceptions

La loi DMCA laisse croire que l'usage loyal des activités sera protégé, c'est-à-dire, que l’usage loyal est un moyen de défense permettant de faire valoir que le contournement a été fait loyalement, relevant ainsi de l’usage loyal défini à l’article I de la Constitution des Etats Unis. Toutefois, les tribunaux ayant interprété la loi DMCA disposent que les moyens de défense disponibles en cas de violation de droit d'auteurs sont distincts et n’affectent pas les nouveaux droits, recours et exceptions des dispositions de la loi DMCA (Universal City Studios, Inc. v. Corley, 273 F.3d 429 (2nd Cir. 2001)). La loi DMCA contient une disposition visant à préciser que l'interdiction de contournement des mécanismes ne doit pas obliger les fabricants d'ordinateurs, et de produits de télécommunications à concevoir leurs produits de manière à ce que les mesures techniques soient le plus efficace possible. En d'autres termes, tant que la conception du produit n’a pas pour objectif de contourner une mesure de protection technique et ne relève pas d’une interdiction, il n y aura pas de violation de la loi DMCA. Cependant, les utilisateurs ont fait valoir que cette disposition n'est pas entièrement claire. En effet, la DMCA peut, par exemple, obliger les fabricants à concevoir les magnétoscopes de manière à se conformer à certaines technologies visant à empêcher la copie non autorisée. Les lois américaines et européennes contiennent aussi plusieurs exceptions spécifiques dont l'objet et le champ d'application varie. Par exemple, les bibliothèques et les institutions éducatives peuvent contourner les mesures techniques afin d’accéder à l’œuvre pour déterminer si l'institution souhaite ultérieurement l’acheter. En réponse au fait que la loi DMCA puisse avoir une incidence négative sur l’usage loyale des œuvres, en raison de l'interdiction de contourner les mesures techniques de protection, le Congrès américain a établi un système qui exige que la bibliothèque du Congrès détermine tous les trois ans si certaines catégories d'œuvres et de personnes sont susceptibles d'être affectées défavorablement par la loi. Actuellement, des exceptions ont été élaborées pour les programmes d'ordinateurs, de jeux vidéo, et de e-books sous certaines conditions très précises. Plusieurs nouvelles exceptions ont été élaborées en droit français. L'exception obligatoire prévue par la directive de 2001 autorise les actes de reproduction provisoire qui sont transitoires ou accessoires et fait partie d'un procédé technique essentiel dont le seul but est de permettre une utilisation licite d'une œuvre ou autre objet protégé. Cette exception ne concerne pas les logiciels et bases de données. Les exceptions à la loi DADVSI ne sont applicables que dans certains cas qui ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires du droit d’auteurs ou droits voisins. Cette règle crée une insécurité pour les utilisateurs qui ne savent jamais si l'exception sera appliquée par les tribunaux ou non. Cette question a été soulevée devant le Conseil constitutionnel, mais cette disposition n'a pas été considérée comme anticonstitutionnelle.

2.) Une opposition générale au droit à la copie privée en vue des développements actuels

La directive européenne ne prévoit pas d’exceptions obligatoires en ce qui concerne la copie privée. Les États membres n’ont pas pris suffisamment de mesures afin de s’assurer que les exceptions de copie privée survivront aux mesures techniques de protection. Le constat d'une tendance générale à l'encontre d'un « droit à la copie privée » à l’aube de l’ère des mesures techniques de protection semble être confirmée en France. En l’espèce, dans un arrêt en date du 28 Février 2006, le défendeur se plaignait de ne pas pouvoir réaliser une copie du DVD de « Mulholland Drive » à cause des mesures de techniques de protection et prétendait que de telles mesures portaient atteinte au droit de copie privé reconnue aux utilisateurs. La Cour de Cassation statua que l'exploitation normale de l'œuvre propre à faire écarter l'exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l'importance économique que l'exploitation de l'œuvre, sous forme de DVD, représente pour l'amortissement des coûts de production cinématographique (Cass. 1e civ., Fev. 28, 2006). Cet arrêt marque clairement le triomphe des industries cinématographiques. Une autre caractéristique de la directive européenne est que les exceptions ne s’appliquent pas aux œuvres mis à la disposition du public en vertu de clauses contractuelles permettant aux membres du public d’accéder à l’œuvre au moment qu’ils choisissent (pay-per-view). L'effet de ces dispositions signifie que désormais les titulaires de droits d’auteurs et droits voisins l'emportent sur l’usage loyal des utilisateurs.

Bibliographie :

Digital Millenium Copyright Act (1998), http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?c105:H.R.2281.ENR

Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (1996), http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wppt/trtdocs_wo034.html

Loi DADVSI (Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information) (2006), http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=MCCX0300082L

Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation de certains aspects du Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (2001), http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32001L0029:F...

«Legal frameworks and technological protection of digital content: moving forward towards a best practice model» (2006), Urs Gasser, Fordham Intellectual Property, Media and Entertainment Law

«The long and complex French implementation of the information society copyright directive» (2007), Sandrine Rambaud, Cyberspace Lawyer

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« Propriété Littéraire et Artistique», Pierre-Yves Gautier, Presses Universitaires de France, 5ème Edition